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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 14 mai

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 14 mai

Publié le 14 mai 2020 Mis à jour le 28 sept. 2020 Culture
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 14 mai

14 mai

 

Un décret municipal ne suffit pas pour retenir la vie. Nous apprenions. Nous ap­prenions sur le tas, comme des grévistes encore inexpéri­mentés, les dures lois de l’entreprise Vie. Il fallait l’admettre, la maladie était notre état naturel, la santé un écart, une exception, une cu­riosité – une perfection des équilibres qui ne pouvait durer dans l’instabilité de toutes choses. Le mal donna l’impression de s’être écarté pour prendre de l’élan, il n’en fut que plus insatiable. À mon réveil, j’étais atteint.

La fatigue était l’ordinaire de mes jours depuis que j’avais pris de l’âge, or elle me cueillit avec la force d’une massue. 1000 matelas – 1000 grippes ! – pesaient sur chaque cm2 de mon corps. Je dus ramper hors de mon lit, après quoi le mobilier fut d’une grande aide pour me tenir droit et je lui murmurai toute ma gratitude, il l’accueillit avec la réserve de bon ton du majordome qui a un vieillard pour maître et en attend une petite pension décente. De toute la journée il me fut impossible de me donner à manger, et peu importe, je n’avais aucun appétit, l’épuisement supplée à tous les besoins. Il n’était plus d’activité qui ne s’accomplisse avec une lenteur sous-marine et de pénibles essoufflements. Je n’aurais pu dévis­ser une ampoule si, par malheur, j’avais eu une ampoule à dévisser. D’ailleurs, je ne survivrai pas jusqu’à la nuit, c’était ma vie qui dévissait – effet facile, j’admets, qu’on me pardonne : à tenter de décrire cet état d’agonie, je ne me tiens plus de joie.

La fatigue dé­mente due à d’intenses difficultés respiratoires provoqua une sorte d’hyperesthésie mentale. J’espérai dans la télévision pour passer ce temps maudit et c’est dire si j’étais pertur­bé, mais il m’avait poussé des terminai­sons ner­veuses tellement à vif qu’un placide documentaire sur l’Orient Express me fut intolérablement douloureux. Mon esprit était raclé par des crissements de craie à la moindre impression. J’enviais l’escargot et son aptitude à se rétracter dans une coquille : par un effet d’intussusception effrayant ma sensibilité était étale hors de moi et je n’avais aucun moyen de replier sa nudité d’amibe fluctuante dans une gaine d’apaisement. En somme, tout ce qui était exté­rieur était une menace mais l’extérieur affluait sans cesse par la pen­sée ou les sens : l’intérieur était constitué d’extérieur et l’intérieur était devenu infâme. Je mesurais comme la sympathie nous était essentielle, elle n’était pas seulement un don mais la condition de notre survie – et à ce titre, malgré les apparences, universellement partagée, je m’étonne de l’admettre, à moins que ce potentiel ne soit une promesse pour les générations.

Ainsi l’organisme avait sa propre cohérence, qui ne tenait qu’assez peu compte de ce que nous en pensions. Adieu, les forces de l’esprit ! J’apprenais que le corps était notre ennemi intime, et dans les bons jours un animal de compagnie. Je n’eus pas le courage de tenir mon journal cette fois et ce fut sans doute mieux. De toute façon écrire à quelques heures de la fin est une activité qui réclame une haute digni­té, je n’avais pas cette dignité, ni ce mépris.

Ma bête était si épuisée que je n’eus même plus la force de m’effrayer, il faut de l’énergie pour avoir peur. J’espérais seulement ne pas perdre connaissance. Je voulais être là pour ma mort.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

[l’image est de Robert-and-Shana-ParkeHarrison]

 

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