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Cartographie des nuages

Cartographie des nuages

Publié le 3 avr. 2022 Mis à jour le 4 avr. 2022 Culture
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Cartographie des nuages

Je dois vous faire un aveu, j’ai beaucoup de mal à me lancer dans la rédaction de cet article. J’aimerais parler du roman Cartographie des Nuages de David Mitchell, vous dire tout le bien que j’en ai pensé, mais je me sens bien incapable d’écrire quoi que ce soit qui puisse se hisser à la hauteur de ce que j’y ai lu et parvenir à faire honneur à ce livre.

Je ne sais même pas comment aborder cette critique, c’est dire.

 

Avant même d’essayer de faire un résumé des multiples intrigues, je voudrais réécrire le titre : Cartographie des nuages. Franchement, rien que ça, c’est déjà énorme non ? Comment faire plus beau, plus poétique, comment mieux décrire en trois petits mots tout ce que peut englober l’imaginaire ? Comment mieux libérer les esprits et autoriser le lecteur à un voyage sans limites que par cette formule de génie ? À sa simple énonciation, on sait que tout est possible. On s’imagine couché sur le dos, dans l’herbe mi-haute, sans autre bruit que ceux de la nature et du vent, le regard plongé dans l’infini d’un ciel dont le bleu se voit traverser par des nuages qui changent à tout moment de formes. Quel sentiment plus proche de la liberté et de l’émerveillement que celui-ci ?

 

Alors oui, ce titre est évocateur, très évocateur, et il annonce le programme : tout. Passé, présent, avenir. Océan, campagne, villes, usines, nature sauvage. Marin, musicien, physicien, berger, flic, retraité, écrivain, serveuse, esclave, journaliste. Aventure, polar, roman épistolaire, science-fiction, Histoire, comédie, tragédie romantique. Tout je vous dis.

Ce roman aborde tout cela, et plus encore. Et il ne tiendra qu’à vous d’y ajouter toute une gamme de sentiments personnels, ceux que vous ressentirez en le lisant, ceux qui naîtront des réflexions que ce roman éveillera inévitablement en vous. Cartographie des nuages (j’adore également son titre d’origine, Cloud Atlas) n’a pas de limite. Ou plutôt, ses limites dépendent uniquement de son lecteur.

 

Bon, après avoir dit cela, je vais tenter de vous raconter un peu, sans trop en dévoiler j’espère, de quoi ça parle.

 

En 1849, le jeune homme de loi Adam Ewing, parcourt le Sud du Pacifique jusqu’aux îles Chatham et tient un journal quotidien. Son voyage de retour vers Honolulu puis jusqu’à San Francisco où l’attend sa bien-aimée Tilda se fera à bord d’un voilier mais ne sera pas de tout repos. Un passager clandestin qui fuit l’esclavage est à bord. Et Adam est petit à petit rongé par un parasite qui s’attaque à son système nerveux. Heureusement le docteur Goose est là pour le soigner…

 

En 1936, Robert Frobisher, jeune compositeur plein de projets mais sans avenir, quitte son amant Rufus Sixsmith pour travailler à Zedelghem, près de Bruges, sous l’aile d’un célèbre compositeur Vyvyan Ayrs en tant que copiste. Le vieil homme, acariâtre et d’une arrogance sans nom est très affaibli et l’engage pour mettre en partition la musique qu’il a en tête. Frobisher, tout en s’acquittant de sa tâche compose sa propre œuvre, qu’il nomme Cloud Atlas, et écrit régulièrement de longues lettres à son amour délaissé pour lui raconter comment se déroule sa vie. Dans sa chambre il découvre un vieux récit, le journal de bord d’un certain Adam Ewing voguant sur l’océan Pacifique…

 

En 1973, Luisa Rey, journaliste à Buenas Yerbas en Californie, enquête sur un rapport défavorable à la construction d’une centrale nucléaire mal sécurisée. Elle rencontre un vieux scientifique du nom de Rufus Sixsmith, qui lui livre des détails troublants qui lui permettent de poursuivre son enquête. Mais les morts suspectes s’accumulent dans cette affaire, et Luisa sent qu’elle tient un scoop de taille. Elle découvre certaines lettres gardées par Sixsmith, écrites par un certain Robert Frobisher, ce qui la fascine au point de rechercher sa seule œuvre publiée, très rare, le sextette Cartographie des nuages

 

De nos jours en Grande-Bretagne, l’éditeur roublard Timothy Cavendish a maille à partir avec un de ses auteurs, un ex-taulard, et ses frères. Exsangue financièrement et obligé de s’enfuir pour échapper aux petites frappes, il demande de l’aide à son frère aîné. Celui-ci, exaspéré par ses demandes incessantes d’argent, le fait interner dans une maison de retraite, qui va devenir un véritable lieu de calvaire pour lui. En tant qu’éditeur, Cavendish lit un manuscrit intitulé Demi-vies, la première enquête de Luisa Rey, qui ne le passionne pas plus que ça d’ailleurs…

 

Dans un futur dystopique, en 2144 à Neo Séoul, Sonmi-451 travaille dans une cafétéria, le Papa Song, comme tous les clones de son type. Son entière existence est contrôlée, depuis sa nourriture à son sommeil, en passant par son temps de travail évidemment. Le jour où elle obtiendra sa douzième étoile elle deviendra une « âme » et pourra vivre parmi les sangs-purs qui sont en haut de l’échelle sociale. Mais Sonmi-451 n’est pas comme les autres. Elle va découvrir que le monde dans lequel elle vit n’est pas celui qu’on lui décrit depuis toujours, en accédant à des documents interdits comme par exemple ce vieux film, une comédie intitulée L’Épouvantable Calvaire de Timothy Cavendish

 

Dans un futur post-apocalyptique, en 2321 sur l’archipel d’Hawaï, Zachry est berger. Il vit au sein d’une communauté revenue à un mode d’existence proche des conditions moyen-âgeuses. Son peuple subit régulièrement les attaques des Konas, des barbares cannibales sans pitié. Quand Meronym, une ethnologue issue du dernier bastion de la civilisation technologique des Prescients, vient étudier les coutumes locales, elle a besoin d’un guide pour gravir la montagne sacrée, au sommet de laquelle une certaine Sonmi-451 aurait lancé un appel de détresse il y a bien longtemps, avant la grande catastrophe… Mais cette montagne est interdite d’accès car aux mains du Vieux Georgie, l’esprit maléfique qui régit les croyances du peuple de Zachry...

 

Ce roman est … je ne sais pas exactement comment dire… pyramidal ! Je ne sais pas si ce terme peut s’appliquer à un livre, mais c’est celui qui se rapproche le mieux de ce qu’est cet étrange objet. Vous débutez par sa base, et vous le gravissez en suivant une échelle simple, celle du temps. Le livre raconte six histoires distinctes. En fait pas du tout distinctes. Mais différentes et espacées dans le temps et l’espace. Pourtant les liens existent, et au fur et à mesure de la lecture, une boucle se forme. Car lorsque je parle de lecture pyramidale, c’est pour la raison suivante : chaque récit est scindé en deux parties, sauf l’histoire de Zachry qui est le récit central. On lit donc la première partie de l’histoire d’Adam Ewing, puis la première partie de celle de Robert Frobisher, etc.… jusqu’à lire l’aventure de Zachry en avançant dans le temps à chaque fois. Puis on repart en arrière, et on découvre donc à rebours la seconde partie de l’histoire de Sonmi-451, puis la seconde partie de l’histoire de Timothy Cavendish, etc.... jusqu’à finir par la seconde partie de l’histoire d’Adam Ewing.

Un roman pyramidal !!

 

C’est réellement une architecture narrative très spéciale et que je n’avais jamais expérimentée ailleurs que dans ce roman, mais c’est à la fois très original et complètement pertinent, puisque les histoires se renvoient l’une à l’autre, par un lien discret mais ferme. Les différentes histoires permettent à l’auteur de diversifier les plaisirs, et d’aborder tous les genres avec une égale réussite. J’ai autant aimé lire le récit d’Adam Ewing que celui de Zachry, j’ai été pris par le suspens de l’enquête de Luisa Rey et je me suis bidonné à la lecture des mésaventures tragi-comiques de Timothy Cavendish. Et que ce soit Sonmi-451 et son récit d’anticipation SF ou Robert Frobisher plongé dans l’univers de la musique des années 30, aucun de ces nombreux et divers personnages ne m’a laissé indifférent. Leurs vies et leurs destinées pourtant si éloignées et différentes les unes des autres m’ont à chaque fois passionné, à mon plus grand étonnement.

 

Alors j’ai conscience que l’histoire résumée comme je viens de le faire, avec ce foisonnement de genres et de personnages, peut paraître très dense, voire difficile d’accès par l’ossature même du récit, et pourtant ce serait une erreur que de s’en tenir à cette impression. On se plonge à ce point dans chaque histoire qu’on ne mélange rien, tout est clair et les choses s’enchaînent naturellement et sans mal*. J’avoue avoir douté de cette fluidité un moment, plus précisément lors du passage de la première histoire à la seconde, car j’ai été un peu déboussolé par la transition pour le moins brutale entre les deux (vous comprendrez mieux ce que je veux dire par là à la lecture). Mais le récit suivant vous embarque très vite et vous empêche de vous poser trop de questions restées sans réponses sur le précédent, si bien qu’à la fin de ce roman, on se retrouve avec un véritable livre-univers extrêmement bien ficelé, très divers et surtout très réussi. On a l’impression (qui n’est peut-être pas qu’une impression en fin de compte) d’avoir lu six romans en un seul, mais sans avoir ressenti de complication particulière, sans prise de tête, sans à-coups au cours de la lecture, grâce à une fluidité remarquable de la narration. On a en effet cette sensation d’avoir lu six romans différents, et en même temps le tout forme un ensemble parfaitement cohérent, où chaque élément est à sa place et indispensable au tout. Comme un grand puzzle dont chaque pièce se suffirait à elle-même.

 

À chaque « partie » du roman correspond un style différent, et David Mitchell se fait visiblement plaisir de passer ainsi d’un style narratif à l’autre, ce qu’il parvient d’ailleurs très bien à faire. Là où j’ai trouvé cela très fort, c’est que justement ces changements sont nets, mais pas choquants. Ça fonctionne, ça n’entrave pas la narration, on garde le fil sans problème.

Il n’y a que lors du dernier récit (chronologiquement) ou si vous préférez du récit central (pyramidalement !!) consacré à Zachry qu’il y a un véritable phrasé spécifique inventé de toutes pièces par l’auteur, et qui peut procurer quelques complications à la lecture. Mais il s’agit en fait d’une narration très « parlée », qu’il faudrait presque dans l’idéal lire à voix haute, pour mieux l’appréhender. Je n’ai d’ailleurs pas pu m’empêcher de me faire la réflexion quant à la traduction ! Ça a dû être un boulot incroyable de trouver des équivalences en français (du futur, et donc à inventer en partie) pour garder et le sens et l’impact des termes originaux de l’auteur. En cela la traduction de Manuel Berri mérite très largement d’être soulignée, et encensée à mon goût. La partie du roman consacrée à Sonmi contient elle aussi des néologismes et quelques inventions linguistiques, très bien vues également.

 

Et puis, une fois qu’on a lu ce roman immense (par la taille comme par l’ambition narrative), qu’on le referme et qu’on y repense, vient le moment de la digestion, et de la réflexion. Car c’est une des forces du roman : vous n’en sortirez pas sans y repenser, sans cogiter. On peut se demander après lecture, quel message il véhicule, quelle est sa trame de fond, l’idée subliminale qui se cache derrière les mots.

Je crois que chacun aura ses propres réponses à ces questions, pour ma part je crois que ce que j’ai retenu de ce roman, c’est l’idée de cycles, et d’invariabilité de la nature humaine. Que comme dans une fourmilière, les individus peuvent bifurquer ou modifier leurs destinations aléatoirement, mais que l’ensemble ne varie pas ou très peu, que la direction ne change pas, et que les mêmes causes ont les mêmes conséquences, toujours.

Que l’homme soit civilisé ou non (d’ailleurs quelle civilisation se considère-t-elle elle-même comme non civilisée?), on retrouve les mêmes résurgences, que ce soit dans le positif comme dans le négatif.

La recherche de la puissance, l’appât du gain, la cupidité, l’égocentrisme mènent toujours à plus ou moins long terme vers la catastrophe…

 

Peut-être que certains verront d’une manière plus appuyée que je ne l’ai vue moi, une allusion directe à l’idée de réincarnation (au sens bouddhiste du terme). En effet, certains personnages, au travers des siècles, partagent une même tache de naissance à la forme très spécifique, celle d’une comète. L’auteur ne fait que le mentionner, mais ne développe jamais l’idée, à vous d’en faire ou non le pivot de votre lecture, et le prisme au travers duquel vous lirez ce roman. D’autres y verront peut-être plus volontiers une espèce de lien mystique sans forcément aller jusqu’à la réincarnation. Mais à coup sûr, cet élément, qui pourrait faire basculer encore plus clairement dans le récit fantastique (je parle du genre), est placé là par l’auteur sans qu’il n’entre dans les détails, pour marquer juste un peu plus s’il en était besoin, l’idée de cycle, d’éternel recommencement, de chemin à parcourir, d’étapes à franchir, mais qui mènent toujours à la même destination : la profondeur de l’âme humaine.

 

Dans ce même ordre d’idées, le roman peut être pris comme une merveilleuse mise en situation de la théorie du chaos. À une échelle extraordinaire, puisqu’elle se développe sur des siècles et des continents entiers. Quelle meilleure illustration que cet enchaînement de récits, de la notion que chaque acte a une conséquence. Chaque décision, chaque choix, mêmes les plus anodins qu’ils paraissent au moment de les faire, a un pouvoir immense, celui d’influer sur le futur. De manière parfois bien imprévisible et a priori insoupçonnable d’ailleurs. À partir de là, au lecteur de se positionner : y verrez vous la marque d’un déterminisme incroyable ou au contraire d’une palette d’infinies possibilités uniquement soumises au hasard ? L’aspect philosophique du récit laisse augurer de longs moments d’intense réflexion et d’argumentation contradictoire selon votre façon de lire le roman de David Mitchell…

 

Mélange savant d’optimisme et de pessimisme, de raison et de sentiments, de hasard et de destinée, ce roman est une incroyable aventure de lecture, un roman coup de cœur qui fait penser, rêver, imaginer et réfléchir bien au-delà de ses pages et de ses mots. Un bouquin qu’on referme et qu’on n’oublie jamais.**

 

Un livre qu’il faut lire.***

 

* il en va tout différemment de l’adaptation cinématographique, mais ça c’est une autre affaire, que j’aborderai un autre jour...

** Et vous l’aurez peut-être constaté à sa longueur pour ceux qui en sont venus à bout, le plus dur aura été de commencer cet article, ensuite ça a déroulé tout seul…

*** si si, c’est obligé.

Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com

 

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