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inventer le réel

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Publié le 19 mars 2020 Mis à jour le 28 sept. 2020 Curiosités
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inventer le réel

19 mars 2020

Je crois que ce qui a toujours manqué à mes parents et qu’il nous faudra retrouver, c’est ce goût de l’utopie. Pouvoir penser le monde, envisager l’économie autrement qu’à travers les paramètres froids et distants des sciences. On s’est fait voler le mot « économie » qui autrefois avait un sens plus global comprenant l’écologie. C'est en écoutant un jour à la radio Alain Deneault, que j'ai compris que le mot économie est un mot noble, qui a une dimension poétique du rapport au monde, signifiant un équilibre des relations entre les humains et leur milieu. L’économie envisage les échanges mais autrement qu’à travers le prisme froid et cartésien du point de croissance et de tous les statistiques nous réduisant au rang de simple consommateur. Affublés de cette étiquette de « consommateurs jouisseurs », nous devenons alors complices malgré nous de ceux qui prônent la libre concurrence et l’absence de régulation sur les marchés.

Je crois qu’il nous faudra reconquérir le champ de l’utopie, qui n’en est en réalité pas une, qui consiste à croire que les relations humaines ne peuvent s’inscrire dans un champ autre que financier. Bien sûr, des utopistes il en existe beaucoup, des gens qui croient à la relation humaine aussi, mais à l’heure des bilans, à l’heure de l’observation de notre échec dans la mise en place d’un modèle économique, il faut bien se rendre compte qu’on a tous été complices d’un système arrogant et inhumain dans ce qu’il place le profit individuel avant l’intérêt commun.

Tout le monde dans le milieu urbain frétille à l’idée d’acquérir son appartement et de pouvoir en tirer un maximum de profit à la revente. Chacun y a vu son intérêt. Le système capitaliste a ceci de pernicieux qu’il nous rend tous complices. On veut du rentable, que ça rapporte, on veut tout au moindre coût, on veut partir au soleil à Pâques dans une destination exotique, on veut, on veut, on veut, pour soi… Le bien commun est oublié, délaissé… Le penser, l’envisager, renvoie à l’utopie. Penser le désintéressé, le gratuit, renvoie à l’image du loser ou du Saint. On place l’acteur de cette utopie en dehors de la société. Il est devenu urgent de remettre ces idées au centre de notre quotidien. Il est urgent de mettre en œuvre des échanges de services qui ne soient pas financiers. Qui ne soient pas "que" financiers.

Je pense à la place de la Poésie qui est toujours moquée, dévalorisée, qui s’inscrirait dans une autre réalité. Il y aurait ceux qui aimeraient la poésie, les utopistes, les "fleur bleue", et puis les autres. Je pense qu’il s’agit du même combat. La poésie sauvera le monde écrit Jean-Pierre Siméon, la poésie sauve des vies… La poésie peut sauver notre façon de penser, notre manière d’appréhender le réel. Poétiser le monde, voilà le défi… S’avancer sur un autre chemin ou voir le chemin que l’on emprunte différemment. La poésie est question de regard, je tremble à l’idée de sentir le monde non plus à travers le regard de l’adulte désabusé, ayant perdu toute illusion, mais à travers celui de l’enfant que l’on porte en chacun de nous, cet adulte qui a gardé sa qualité d'émerveillement…

Je pense à ce monde du sensible que l’on perçoit très bien enfant mais qu’on finit par désapprendre pour embrasser les théories désenchantées de nos parents. « Tu verras quand tu auras mon âge, tu rigoleras moins. La vie, c’est pas ce que tu crois, c’est pas une sinécure… » Eh bien si, revendiquons la "sinécure" ! Ce mot que je n’ai jamais bien compris enfant, mais qui, lorsque mon père l’employait faisait argument d’autorité… Se conformer au monde, à la société, plutôt que de poser un regard dessus qui lui permettrait de changer.

Eh bien mon regard à moi, celui de mes 10 ans, est une sinécure. C’est un monde de partage qui commence au bout du chemin, au bout du lotissement. Ce monde est celui des copains que je vais chercher un à un, mon ballon sous le bras. Il y a là : Ronan, Philippe, Denis, Régis, Jean-Charles, Rémi, Loïc, Patrick, Alain, ils sont tous là sur le stade derrière l’étang, à l’ombre des grands saules pleureurs qui nous envoient leurs flocons en cette saison de pollinisation. Je vois ce monde, ma sinécure à moi, à travers nos échanges endiablés, nos dribles chaloupés, nos passes en retrait, cette fluidité des enchainements balle au pied… Quand la poésie s’en mêle, ce sont des parties à nulle autre pareille, où le souffle court, on ne veut plus s’arrêter. On développe une économie qui est la nôtre, un équilibre des échanges, des services, on se rend service dans le respect de la règle, on joue, on shoote, on crie, on exulte… Je revois l’harmonie de ces équipes où se côtoient petits et grands de 10  à 17 ans. Tout le monde mélangé avec ses qualités… Personne n’est laissé au bord du chemin, à l’entrée du stade. Tout le monde joue, quel que soit son niveau, quelles que soient son aptitude à jouer balle au pied. On s’adapte, on trouve un équilibre, on est à la recherche de l’harmonie, quêteurs d’espoir, on souhaite atteindre avec nos défauts, nos qualités, le niveau de jeu qui nous permettra de battre l’adversaire, de marquer davantage de buts que lui. Nous sommes sans le savoir cette démocratie corinthiane, incarnée par Socrates. On veut que tout le monde joue et qu’en mettant ses qualités au service d’une équipe, d’un bien commun, on dépasse les montagnes, on s’ouvre l’horizon. Ce projet est utopique, mais c’est le plus beau que j’aie connu. Il s’élabore tout l’après-midi durant, et nous laissait le soir venu, exsangues, fatigués, mais oh combien heureux de tout se raconter.

Le chemin du retour est fait de pauses, de grands discours, de récits épiques, de narrations imagées, on mime les scènes, on refait le match, on intensifie, on vit le sensible… On n’est plus de simples joueurs, on est de ceux qui développent par leur imaginaire, leur prise du réel , qui lui donnent les couleurs, qui lui permettent d’être vécu. Reprise de volée, tête décroisée, coup franc brossé et enveloppé, passe en profondeur à la limite du hors-jeu, pichenette, tir croisé, passe dans le dos, je danse, nous dansons, en refaisant la chorégraphie de chacun des mouvements et nous nous approprions le réel différemment.

 

http://beninfracas.over-blog.com/

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