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Une rencontre possible

Une rencontre possible

Publié le 8 avr. 2020 Mis à jour le 28 sept. 2020 Curiosités
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Une rencontre possible

4 avril 2020

 

8h30 – Je me réveille au son des oiseaux et des premiers rayons. Je sens une atmosphère apaisée derrière le volet. Aucun bruit de voitures, ni même de passants.

Juste la musique des oiseaux, dans le bosquet de la copropriété. L’air est frais. J’ouvre la fenêtre au grand puis me recouche. J’apprécie l’instant. La lenteur du matin qui déploie ses ailes… L’atmosphère pure qui enveloppe ma chambre. Aucune envie de refermer ma fenêtre, je savoure ce moment des premiers rayons. Cet air frais qui me saisit les bras.

Hier soir avec les enfants, nous avons regardé Ponyo sur la Falaise. Je suis comme l’enfant Sosuke qui observe ce poisson aux pouvoirs magiques. Les oiseaux s’approchent de la fenêtre et semblent vouloir me parler. Ils célèbrent la trêve. L’arrêt du combat. L’humain a baissé les armes. Aucune odeur de diesel pour vous saisir le nez, aucun air irrespirable. « Que se passe-il ? » semblent-ils se demander. « Qu’avez-vous décidé ? Vous avez tellement changé en trois semaines, vous les humains. Les rares que l’on voit sortir de l’immeuble sont à pied, un sac dans la main. Ils semblent nonchalants, presque absents pour certains, d’autres au contraire prennent le temps de nous observer. Un fil de leur vie semble s’être cassé. Ils sont cette voile qui s’affale subitement. Ils sont à l’arrêt. Mais pas complètement désœuvrés pour autant. Comme si leur vie avait gagné en substance. On nous a même pris en photo ce matin. Nous qui avions l’impression de n’exister pour personne. Que vous est-il arrivé ? Pourquoi ne démarrez-vous plus vos immenses chars de taule et d’acier. Vous avez retrouvé vos deux jambes, vos deux pieds,… Vous êtes revenus à la raison ? Vous nous offrez une trêve ? Hier soir certains habitants nous ont même offert un concert. Debout sur leur balcon…Ils chantaient aux quatre vents…Des airs légers, ils avaient l’air heureux… On ne vous avait pas vu nous sourire si généreusement depuis longtemps. Pourvu que cela dure encore longtemps… »

 

Une rencontre au balcon

« J’ai 82 ans cette année. Et vous qui n’en avez pas encore trente, passez sous mes fenêtres…Je me transforme à travers vous. Je me construis encore à mon vieil âge grâce à vous. Depuis le début de l’épidémie vous prenez le temps de vous arrêter, de m’observer. Ce matin j’ai envie de vous écrire. De vous écrire et de vous dire ces propos qui me reviennent : Le « moi » évolue et grandit tout au long de la vie, pour devenir un « soi » qui serait l’affirmation du moi dans l’acceptation de l’Autre. C’est bizarre dit comme ça. Mais j’en ai fait l’expérience tout au long de ma vie. Le « soi » est cet aller retour entre les conceptions, les idées, les émotions qui nous traversent et la rencontre de cette force de création de l’autre. Une alchimie bien particulière. Je n’ai plus beaucoup de forces aujourd’hui, mais j’ai encore quelques idées et discuter avec vous me porte… Comme un enfant ne peut « s’auto-engendré », une idée a besoin de deux individus pour pouvoir germer. C’est ce qui me manque le plus aujourd’hui. La discussion. Toutes les pensées qui tournent et me traversent, ne peuvent prendre leur essor qu’à travers la rencontre de l’autre. L’identité du sujet ne se construit qu’à travers toutes les rencontres effectuées. Nous l’avions sans doute un peu trop vite oublié. Le covid est venu nous le rappeler. On nait de la rencontre, si on sait  la voir et l’on grandit grâce à ce contact avec l’autre qui rend possible la fécondation intellectuelle. Autrement dit, on peur vivre 25 ans à côté de quelqu’un sans jamais le rencontrer. Seules, l’observation et la curiosité à autrui, ainsi que le partage des idées, permet la germination. Ricœur fait cette distinction entre « ipse » et « idem »… Je ne suis pas philosophe et tout cela est loin maintenant, mais j’aime l’idée d’ « identité narrative », qui se construit par son histoire, par ce qu’elle raconte et évolue à travers le récit. A l’opposé du cogito cartésien « je pense donc je suis », Ricœur construit le « je pense parce que je deviens », je me construis comme être pensant sur le récit de mes expériences, sur le partage de celles-ci à travers la narration…. Je me construis sur la perception de mon évolution… J’évolue, je change, donc je suis, donc je deviens… Une identité qui jamais n’est figée, en constante évolution, même à 82 ans.

Et là, sur mon balcon, je ressens la fraicheur de vos mains, l’éclat de vos 27 ans, et cela éveille en moi tout cet espoir déchu qui éclairait mes journées. Votre sourire redonne vie à mes idées perdues, à tout ce bonheur, à tout cet éveil… Je sens les rires interrompus, le sang qui irradie mes veines et ma ferveur retrouvée. Je m’exclame, je m’esclaffe même, de ressentir à nouveau, en si peu de temps par l’alchimie de notre rencontre, toute cette force qui fut la mienne autrefois. On prend vie dans ces instants si particuliers où déposant les armes, la discussion devient ce refuge si passionnant, si attirant, comme si on approchait à cet instant une cabane dans les arbres, un abri dans le feuillage.

Je repense alors à ces courses effrénées d’autrefois dans les bois, où munis de bâtons nous recherchions la mousse pour bâtir des jardins imaginaires : l’odeur de l’humus, le parfum des champignons emplissaient nos narines, nous étions « hommes des bois », enfants du plein air, emplis de bouquets et d’histoires sous les arbres… La forêt fut notre refuge, la forêt fut ce mystère, un silence audacieux, une branche qui craque, des perspectives inquiétantes…Toujours cette même impression de voir bouger au loin… et la peur de se perdre… Je me rappelle courir à perdre haleine, pour rejoindre mes frères qui souvent se cachaient… J’ai  5 ans, les parents ne sont jamais très loin, mais jamais tout à fait là non plus. Mon père en solitaire, le panier à la main, esquivait le brouhaha familial pour rejoindre les profondeurs intimes. La forêt est son royaume. Les champignons son graal. Le silence d’une forêt est cet espace retrouvé du mystère de l’enfance. Echo délicat d’une nature insondable. Chant des oiseaux en partance, observation d’un gibier imaginaire et caché.

Je revis en vous écoutant tout ce qui composa ces dimanches ensoleillés d’autrefois. Ces longues journées où nous rentrions fourbus et épuisés, des branches et de la mousse dans les cheveux, de la terre et du sang aux genoux, "sales comme des poux", comme aimait alors à dire ma mère, qui malgré les remontrances se réjouissait de nous voir lavés au grand air.

Tout cela remonte en fulgurance, par cette rencontre impromptue où vous passâtes sous mes fenêtres, en ces temps confinés, car je crois que vous aviez oublié vos clefs. Et nous primes le temps qu’il faut pour discuter. Rencontre féconde s’il en est, où l’intime inconscient enveloppa et sublima les quelques propos de circonstance échangés.

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