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Dans les parfums de mon enfance

Dans les parfums de mon enfance

Publié le 29 avr. 2020 Mis à jour le 28 sept. 2020 Curiosités
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Dans les parfums de mon enfance

Aujourd'hui, le parfum des acacias me transporte en enfance...la simple découverte de ce parfum a le pouvoir d'évocation de me ramener à ces belles après-midis de printemps, où mon père et moi les cueillions à pleins paniers...

Je me rappelle ces moments volés, où je courrais avec mes frères jusqu'au poulailler derrière la ferme de pépé. Je me rappelle la difficulté rencontrée pour abaisser le clenche de la lourde porte en bois qui donnait accès au cellier. Je me rappelle le frais de la terre battue, le sol gondolé sur lequel on se plaisait à danser...à notre droite se présentaient bien alignées toutes les bouteilles dans leurs casiers. Des "Chateauneuf-du-pâpe" ou "Gigondas" pour la plupart d'entre elles. Elles étaient toutes couvertes de poussière et de toiles d'araignées. On ne devait pas y toucher. Sous aucun prétexte, c'était sacré. Et puis du fond de la cave, nous parvenait la faible lumière qui perçait à travers le carreau...la lumière que filtrait l'énorme prunier. Cet arbre qui, à nos yeux d'enfants paraissait centenaire...Son tronc était meurtri, difforme, fatigué...Des sombres quetsches violettes tombaient à même le sol...Mures, juteuses...Elles sont et resteront mes prunes préférées. J'appris plus tard que d'aucuns les appelaient "la prune aux cochons"...eh bien, j'assume et revendique...je suis le cochon qui se plait à les dévorer...Manger une quetsche aujourd'hui revient à croquer ces longues après-midis d'été que nous passions à endormir les poules. Ces longues après midis d'été passées à courir sous le prunier... On s'attrapait, on se défiait, entre frangins, déjà parfois les coups pleuvaient. On courait à travers les hautes herbes, on se cachait dans la grange, d'où nous revenions couverts de griffures et de pailles...Je me rappelle les toilettes au fond du jardin. Il n'y avait alors l'eau courante dans la maison que depuis quelques années. Les toilettes étaient restées cette planche qu'il fallait soulever dans la cabane en bois au fond du jardin. Le dernier lieu où je voulais aller lorsque j'étais enfant...

Et puis bien sûr il y avait pépé et ses mains tremblantes, pépé et ses grosses bottines orthopédiques pour lui redresser les pieds...pépé qui déjà ne pouvait plus bouger. Pépé d'Ille et Vilaine taillé comme un bloc de granit à même la falaise. Pépé qui fredonnait, le rouge aux joues, ces joues sur lesquelles j'observais ses fines veines éclatées...les longues minutes que j'ai pu passer à observer ses joues marbrées, cartes de géographie de mon enfance... pépé qui tentait de m'attraper la main, mais qui me faisait alors un peu peur en vérité.

Je revois aussi mémé dans le coin de la cuisine, toujours debout, à marmonner.

Marmonner dans son coin en essuyant des verres...c'est l'image que je conserverai de mémé... Ces petits verres en pyrex dans lesquels les parents buvaient le muscadet. Je revois mémé toute de noir vêtue, les cheveux pris en chignons dans un épais filet en nylon. Mémé toujours la même, quelque peu figée, qui ressassait le passé.

Je me rappelle que le temps semblait long assis autour de la table, à attendre que le repas se termine... Aussi je me rappelle la libération quand ma mère nous disait "On vous appellera pour le dessert, n'allez pas trop loin..." On courait alors jusqu'à la grange envahie par les ronces, pour grimper à bord de la 304 garée là depuis une éternité. Les plantes remontaient à travers le plancher. On partait en vacances, on se racontait des histoires...Mon frère ainé parvenait à passer les vitesses, tout en maintenant le grand volant noir bien serré... Je me hissais sur l'avant du tableau de bord afin de voir le paysage défiler. A travers les lattes de bois de la vieille grange abimée on apercevait les champs et l'étang au bas du pré. On s'inventait des tours de France automobile où l'on prenait le temps de s'arrêter une seule fois pour faire le plein. Je devais alors descendre à travers les ronces pour attraper le tuyau de fuel... et remplir nonchalamment le réservoir de la vieille automobile assoiffée. Mon travail terminé je redevenais passager, quittant le pompiste que je venais d'incarner à grands renforts de balancement des bras... "A la prochaine"... On s'en va vers Saint Malo...On part voir la mer. Mon frère ainé pilotait avec prudence sur les petites routes escarpées. La vieille 304 suivait ses trajectoires poétiques au bord de l'océan..."Attention de ne pas tomber..." un seul écart de route et nous aurions basculé dans des tourments maritimes insoupçonnés.

On passait ainsi l'après midi à longer ces paysages et ces décors de rêve, immobiles dans notre automobile... Notre paysage était verbal il s'énonçait au fur et à mesure que nous roulions, au fur et à mesure de nos nouvelles idées qui s'avançaient comme la marée. Le vide-poche rempli de prunes on pouvait passer l'après midi en autarcie... Nous faisions claquer nos mains sur les sièges en skaï qui sentaient bons la poussière... Cette poussière ancienne que seuls peuvent receler les granges et les celliers.

Mais déjà nos parents nous appelaient...La table était débarrassée, bu le café, dans ces vieilles tasses de porcelaine que mémé sortait pour l'occasion. Nous avions alors droit pour dessert au palet de beurre salé rance et quelque peu humide...Les gâteaux n'étaient jamais secs dans nos contrées bretonnes. Les jours de fête, le boulanger klaxonnait au bas de la cour... Une immense CX Break dont le coffre était rempli de pain et de pâtisseries insoupçonnées recouvertes d'un vieux torchon pour éviter les mouches. Des éclairs au chocolat et au café, des pains au raisin généreux, des "Paris Brest", des choux à la crème...Mémé sortait alors son gros porte-monnaie, comme on en rêvait lorsque nous jouions à la marchande... C'est elle qui régalait... On prenait ce qu'on voulait... Puis elle terminait le repas entre éclats de rire et "palocha"...Ce jeu qui consiste à faire tourner le poignet des bambins que nous étions dans la pince fermée de son majeur et de son index... Je ne sais si je n'ai connu jeu plus cruel, mais mémé prenait un ferme plaisir à nous voir grimacer et ce rituel, bien que nullement partagé, à chaque fin de repas revenait...

Nous saluions pépé qui toujours tremblait. Mon Dieu qu'il semblait fatigué... Il relevait alors un peu sa vieille casquette qui là encore renfermait tous les parfums de mon enfance... Cette casquette qui sentait tout ce que cette ferme pouvait alors représenter... le vieux, le tremblant, le renfermé, mais aussi les prunes, la terre battue, le poulailler...Les ronces, les sièges en skaï et le parfum des herbes hautes qui poussaient le long des vieux murs de pierres. Je laisse aller en cette après midi confinée les parfums de l'enfance et relis avec plaisir un texte de Jules Supervielle:

« L’état de poésie me vient […] d’une sorte de confusion magique » - En songeant à un art poétique – 1951

« La poésie vient chez moi d’un rêve toujours latent. Ce rêve j’aime à le diriger, sauf les jours d’inspiration où j’ai l’impression qu’il se dirige tout seul. […] Rêver, c’est oublier la matérialité de son corps, confondre en quelque sorte le monde extérieur et l’intérieur. L’omniprésence du poète cosmique n’a peut-être pas d’autre origine. […] quand je vais dans la campagne le paysage me devient presque tout de suite intérieur par je ne sais quel glissement du dehors vers le dedans, j’avance comme dans mon propre monde mental. […]

                Le poète dispose de deux pédales, la claire lui permet d’aller jusqu’à la transparence, l’obscure va jusqu’à l’opacité. Je crois n’avoir que rarement appuyé sur la pédale obscure. […]

                L’inspiration se manifeste en général chez moi par le sentiment que je suis partout à la fois, aussi bien dans l’espace que dans les diverses régions du cœur et de la pensée. L’état de poésie me vient alors d’une sorte de confusion magique où les idées et les images se mettent à vivre, abandonnent leurs arêtes, soit pour faire des avances à d’autres images – dans ce domaine tout voisine, rien n’est vraiment éloigné – soit pour subir de profondes métamorphoses qui les rendent méconnaissables. Cependant pour l’esprit, mélangé de rêves, les contraires n’existent plus : l’affirmation et la négation deviennent une même chose et aussi le passé et l’avenir, le désespoir et l’espérance, la folie et la raison, la mort et la vie. Le chant intérieur s’élève, il choisit les mots qui lui conviennent. […]

                Chaque poète a ses secrets. J’ai essayé de vous dire quelques-uns des miens en vous dévoilant ce double de nous-mêmes qui dans l’ombre nous surveille, nous approuve ou nous fait déchirer la feuille que nous venons d’écrire. Mais je ne vous ai presque rien dit du plus important de nos secrets, ce mystère qui habite le poète et dont il ne parvient jamais à se séparer complètement pour pouvoir du dehors, le juger.

 

https://www.youtube.com/watch?v=U5hkjlAym0I

 

 

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