16 mars 2020

Nous vivons une période inédite. Nous vivons un tournant historique. Rien ne sert de dramatiser, mais la réalité dépasse tout ce que nous aurions pu imaginer. Notre colosse aux pieds d’argile est en train de vaciller et je sens bien ce soir que tout le système peut s’effondrer. Non pas que nous n’allons pas réussir à traverser cette crise… D’un point de vue sanitaire, on peut espérer que nous parviendrons à soigner le maximum de gens et à surmonter les pics d’affluence qui vont transformer nos hôpitaux en zones de guerre. Mais je veux parler d’un point de vue psychique. D’un point de vue psychique sociétal, à l’échelle d’une population… La claque risque d’être monumentale. Cesser toutes ses activités, tout cet occupationnel que nous fournit notre travail, tout ce tissu relationnel, cette charge quotidienne, émotionnelle, qui nous rendait vivants tout en nous sentant prisonniers parfois… Là… Tout s’effondre, tout disparaît. Macron et c’est assez incroyable pour le relever ce soir, nous conseille "la lecture"… Or notre civilisation de l’écran a oublié depuis longtemps ce que c’est de lire vraiment. D’avoir une activité solitaire… Notre civilisation est dans l’instant, dans l’occupationnel, dans l’immédiat. Il ne manquerait plus qu’une panne d’internet intervienne et le black out serait total… Le chaos avancé… Comment ces hommes et ces femmes qui rentrent chez eux pour dormir exclusivement, qui considèrent leur foyer comme le dernier des replis possibles, vont devoir y passer la majeure partie de leurs journées, voire même la totalité devant l’urgence sanitaire. Comment peut-on s’y prendre pour passer ce moment que notre société ne sait plus s’offrir : L’oisiveté… La patience… L’ennui… Comment conjuguer des manières d’être que nous avons totalement délaissées : La lecture en solitaire, la contemplation, toutes les activités de patience sédentaire.

S’il ne s’agit pas ici d’un réel effondrement…

Le Président s’est exprimé ce soir lundi 16 mars, après avoir parlé jeudi déjà : Et le ton s’est durci. On ne peut accepter de continuer de voir ces couples et groupes se prélasser dans les jardins publics devant un virus qui court et se diffuse d’heure en heure… Ce coronavirus met tout à l’arrêt. Nos cerveaux sont en état de sidération. Nous ne comprenons pas ce qui nous arrive actuellement. Nous ne parvenons pas à réaliser ce qui adviendra demain. Mais il est sûr que demain ne sera jamais plus comme avant. Ce virus va provoquer de grands chamboulements pour des milliers de gens qui mourront et par ricochet pour une population entière. Il faudra redéfinir les contours de cette société. Ce qui nous permet de vivre ensemble, ce qui est essentiel, ce qui ne l’est pas vraiment. Ce qui nous permet de respirer, créer, bien vivre, et ce qui nous tue et nous consume au quotidien. Dans cet épisode dramatique, on peut espérer que les verts aux élections se distingueront et que les consciences de tout citoyen vont s’éclairer sous un jour nouveau. Celui d’après la catastrophe, quand le système aura besoin de cohésion, de liens… Autres que financiers et intéressés. Des liens qui expriment la solidité d’un tissu relationnel trop longtemps malmené. Retrouver ces fondamentaux que sont le soin et l’éducation. Tout ce qui permet de sortir de l’ignorance et de rester en vie. Les défis de demain sont majeurs et le coronavirus est le premier test de grande ampleur auquel nous sommes confrontés. Cette épidémie sera planétaire et provoquera de nombreux décès. On peut espérer que ce bouleversement si nous le traversons, nous permettra de vivre différemment, de quitter le costume de l’arrogance que nous nous étions taillé, d’abandonner cette posture condescendante et suffisante sur l’environnement. Que nos actes irresponsables et criminels soient à présent démasqués comme tels. Alors certes, l’heure est grave. Les médecins urgentistes tiennent des discours d’avant la tempête qui ne sont pas là pour nous rassurer, mais j’ose espérer à l’aube de mon quarante-quatrième anniversaire qu’une libération verra le jour.

On assiste ainsi à un renversement de tout le système des valeurs. Ces médecins urgentistes qui hurlent leur colère depuis des mois, des années, sont aujourd’hui chéris, écoutés, choyés, par le Président de la République. Lui qui incarne l’emblème de cette oligarchie financière et possédante est aujourd’hui à genoux face à tout ce monde médical, l’armée dont il a tant besoin. De même pour tous les chercheurs, les scientifiques, qui depuis des années voient leur recherche malmenée, leurs labos se fermer, non financés. Aujourd’hui le Président Macron  les voit comme ces généraux. Son destin est entre leurs mains, il s’en remet à leurs décisions leur savoir.

Il y a un renversement appréciable de ce système essoufflé que personnellement tous les matins sur mon vélo je vomissais, toutes cette pollution, toute cette vie symbolisée par nos modes de consommation écervelés. Ce monde qui marche sur la tête. La maladie remet tout à l’endroit. Le sens des valeurs premières. Sauver sa peau plutôt que d’aller travailler, pouvoir tenir debout avant de rêver l’empire. Perdre en mégalomanie pour gagner en sincérité en tant que sujet. Je ne sais si demain la tempête continuera, mais d’ores et déjà ce renversement des valeurs me plait.