

Chapitre 2
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Chapitre 2
ᛚ -
Il faut que je me reprenne ; Clara compte sur moi comme moi sur elle. Je range la photo et l'enveloppe dans ma besace, puis je me mets en quête de quelques objets précieux. Ma poitrine se serre déjà ; il va me falloir choisir et abandonner le reste. Les souvenirs sont cruels, surtout quand ils ont été heureux. C'est toute une maison qui s'offre à moi et je n'aurai qu'un sac et un cœur pour tout emporter.
Tandis que mon voyage dans le temps s'éternise, Clara fait le tour et glane tout ce qu'elle trouve d'utile. De temps en temps, sa main s'attarde sur mon épaule. Je devine dans son regard qu'elle redoute déjà le moment où nous passerons devant chez elle. Je lui fais ce signe qui représente les anneaux d'une chaîne : "ensemble, nous sommes plus forts."
⁖ ⚉ ⚵ 𐊒 -
Il n'y eut pas de guerriers valeureux, pas de soldats vaillants pour nous libérer du joug des oppresseurs. Ce fut au prix d'un énorme sacrifice que l'humanité survécut à ce cauchemar...
Une chose devint évidente : ils ne comptaient plus repartir après leur halte. La Terre deviendrait un port pour leurs prochains voyages vers d'autres galaxies. L'humanité n'était donc pas condamnée à disparaître, mais à devenir un garde-manger.
La mort parut ainsi un sort plus enviable que l'existence pathétique et douloureuse que les Faucheurs nous réservaient...
ᚦ -
Je vais dans l'autre chambre, celle où se trouvent des lits superposés. Je viens juste pour récupérer une poupée Ember Ella qui doit se trouver dans un tiroir.
La pièce n'a pas beaucoup changé, comme si on avait voulu en préserver l'atmosphère. Je m'allonge dans le petit lit et profite de quelques instants de nostalgie. Désormais mes pieds dépassent et ma prothèse de cheville abîme le mur. Dire que j'en ai passé des soirées là, à lire mes bandes dessinées. Elles n'ont pas toutes été dévorées par les cloportes. Il me reste les aventures de Zorro et celles de Batman... les meilleures !
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Tous étaient entassés là, par milliers, dans des enclos insalubres, avec à peine la place pour se recroqueviller au sol dans la fange et la boue. L'eau tombait dix fois par jour via des sortes de sprinklers automatiques.
Une machine passait le long des clôtures pour balancer une sorte de pâte molle infecte qui servait de nourriture et d'antibiotiques. On tentait alors de l'attraper au vol, si on ne voulait pas qu'elle soit souillée par ce qui se trouvait sur le sol.
Il n'y avait pas de sanitaires, pas de douche. Certains mouraient là, au milieu des autres... Libérés de cet enfer, ils ajoutaient l'horreur à l'insupportable.
Dans ce maelstrom de peur et d'ignominies, certains se battaient pour les rares ressources qui nous parvenaient. Une paire de chaussettes, une brosse à dents, des lunettes, une casquette... Dans les enclos, des objets sans importance devenaient des trésors pour lesquels on pouvait se déchirer. Les faucheurs satisfaits nous regardaient nous entretuer. Ils pariaient avec des sortes de jetons qu'il s'échangeait... ils étaient faits de pointes de côtes humaines, un symbole monétaire gravé sur le côté.
ᛟ -
Le poster de ma chanteuse préférée est toujours collé sous le lit supérieur. Je tends la main pour toucher le glaçage du papier, quand le sommier craque dans un fracas soudain.
Clara déboule dans la pièce, le visage tendu. Lorsqu'elle me voit émerger du nuage de poussière dans une quinte de toux, elle me fait son sourire narquois ; ça me fait plaisir de le revoir...
Avant qu'elle ne reparte, je lui tends la poupée qu'elle saisit aussi subitement qu'elle se met à pleurer, heureuse et triste de la retrouver. Elle m'indique son besoin de s'isoler un moment ; je la laisse seule, elle aussi a des fantômes à saluer.
J'observe les lieux et me mets à trier des disques. J'ai toujours en ma possession l'album rouge et bleu, qui doit être une rareté absolue maintenant. Sur le marché noir, j'en tirerais de quoi nous offrir une cabane en container et un jardinet.
⚯ ⩠ ⁖ ⎍ ⧰ ⏚ ⟠✣
Le long des cages poussait une sorte d'algue exotique. Une mauvaise herbe apportée par les faucheurs bien malgré eux, de par leur manque d'hygiène. Cette algue, issue de leur vaisseau, proliférait dans les déchets organiques...
Malgré les épandages de produits exfoliants, elle résistait et semblait se plaire dans le sol fertilisé par les corps décomposés. Les plus courageux tentaient d'en manger quand ils souffraient de malnutrition ; ce qu'il valait mieux éviter.
L'un des effets secondaires liés à son ingestion était la perte de la langue, bouffée par les enzymes qu'elle contenait. Heureusement, ils étaient atténués par les acides de la digestion, et l'algue avait un effet anesthésiant et antidépresseur à long terme. Pour certains, cela valait le sacrifice de leur langue. Elle poussait de partout, envahissant les enclos. Ça nous donnait au moins un peu d'ombre, et pouvait parfois jouer le rôle de rideaux, nous rendant temporairement un minimum d'intimité.
ᛈ -
Dans le tiroir du chevet, je découvre le bracelet de perles qu'Éinesha m'avait fabriqué. ... Simple babiole... trésor précieux... cadeau d'une sœur. Puis je me rappelle du double-fond. Je parviens à faire glisser le mécanisme pour retrouver mon vieux butin : quatre barres de Chocolove noisette que j'avais cachées.
"Chocolove, trois ''Ô'' de plaisir", disait la réclame."
Sortant mon briquet, je le fais cliqueter quatre fois pour indiquer à Clara de me rejoindre. Sa jubilation est immense quand je lui tends la confiserie. Ça fait bien longtemps... Nous avions oublié le goût des choses simples.

