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Chapitre 1.3 : Explosion

Chapitre 1.3 : Explosion

Published Jun 11, 2025 Updated Jun 12, 2025 New Romance
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Chapitre 1.3 : Explosion

La sonnette retentit effectivement quelques minutes plus tard, premier maillon d’une fin qui s’annonçait cauchemardesque. Ronan retint sa respiration, s'attendant à imploser littéralement. Les quelques secondes de silence qui suivirent lui parurent intolérables. Il commençait déjà à se croire mort, tout avait dû se passer très vite, il ne s'était rendu compte de rien. Le second coup de sonnette frisa le ridicule. Le son en devint lui-même anachronique. Comment son destin pouvait-il frapper deux fois ?


— Papa, on a sonné ! dit Pierig, que l'hébétude de son père laissait perplexe.

Ronan sortit alors de sa torpeur et ouvrit enfin la porte, gagné par l'ironie de la situation, convaincu qu'il mettait lui-même la main à la pâte de sa destruction et qu'il posait ainsi la première pierre de sa non-existence.

Un jeune homme apparut, coiffé d'un casque de moto comme d'un masque de bourreau, la visière levée, prête à tomber, comme on l'aurait pensé d'une hache. Il lâcha quelques mots qui s'échappèrent du casque à l'état de lambeaux et qui laissèrent Ronan sans réaction.

L'homme, apparemment insatisfait de ce début d'échange, ôta son masque d'ignominie et prononça cette phrase qui parut d'un tel non-sens aux oreilles de Ronan qu'à défaut d'être mort, il crut qu'il avait définitivement perdu la raison :

— La pizza, c'est bien ici ?


La voix limpide de Mathilde vint mettre un terme à l'incrédulité qui croissait côté question et côté réponse.

— C'est pour moi !

Cette évidence ouvrit de nouveaux horizons. Ronan laissa entrer le coursier avec une boite en carton-pâte qu'il n'avait pas remarquée aux premiers abords.

— C'est pour moi ! reprit Mathilde, du haut des escaliers, au premier étage.


Plus habitué aux pas-de-porte, le livreur, qui absorbait les bizarreries avec flegme et bonhomie et que rien ne semblait émouvoir, grimpa donc à l'étage. Mathilde régla la course ainsi que la pizza et l'échange se fit sans que le père et le fils, restés en bas, aient perdu cet air abasourdi qui, désormais, était peint sur leur visage. Mais, en redescendant, le livreur montra tout de même l'amorce d'une hésitation.

— Ce sont seulement mon mari et mon fils, dit Mathilde, ils sont absents.

— Ah bon ! s'exclama le jeune homme d'un air en demi-teinte. Bien sûr.


Ronan ne fut pas tout à fait certain d'apprécier le ton de ce "bien sûr". L'autre s'était autorisé une compassion à son égard qui lui paraissait proprement intolérable. A son passage devant lui, Ronan le gratifia d'un pourboire pioché à l'aveuglette au fond de sa poche. Le livreur n'avait qu'une hâte, celle de s'en aller, et Ronan qu'un souhait ; celui d'effacer cette image insupportable pour lui de clown ou d'ahuri profond que l'autre s'était forgée à son sujet. Ni l'un ni l'autre ne firent attention à la taille du billet. Pierig vit ainsi passer un billet de cinquante euros au-dessus de sa tête et se prit à envisager d'un œil intéressé la carrière de livreur de pizza.


Ronan explosa à peine la porte refermée.

— Si cela t'amuse d'être prise pour une toquée, passe encore, mais moi, je ne trouve pas ce petit jeu très drôle !

Pierig sentit les effluves de la colère de son père l'envahir, malgré son retrait. Mathilde aurait dû être anéantie. Mais, elle n'était plus là. Elle avait fait un pas de côté et les mots acérés vinrent s'écraser contre le mur, derrière elle. Cette première bordée, de la part de Ronan, n'avait été tirée que pour activer une riposte chez Mathilde. Pourtant, la riposte n'avait pas eu lieu et la violence de Ronan n'avait pas trouvé où s'agripper. Mathilde abandonna le terrain, et Ronan resta seul en lice, vainqueur à terre, sans victoire.


La sonnerie confuse et stridente de son propre téléphone acheva de le déboussoler, quelques secondes plus tard, comme si tout ce qui avait le pouvoir de sonner dans la maison s'était donné le mot. Ronan se rapprocha de l’appareil, dérouté par la photographie souriante de sa femme qui s’était affichée sur l’écran.


— Allo !, demanda-t-il, toujours excédé.

— Ah, mon chéri ! répondit Mathilde, d'une voix incroyablement joyeuse, ou peut-être artificiellement joyeuse. Je viens juste d’arriver, mais je préfère t’appeler maintenant car il n’y a du réseau que dans le jardin.

Ronan ne répondit rien, commençant à peine à percevoir où sa femme voulait en venir.

— Mes parents m’ont laissé la maison de Mamie le temps qu’il me faudrait pour faire le point.

— Je vois, répondit Ronan, en jetant un œil du haut du premier étage.

Mathilde continua d'occuper la « pole position ».

— J'espère que toi, le conquérant de l'imaginaire, tu n'auras pas trop de mal à te faire à ce départ quelque peu symbolique, qui me permet, comme tu me l'as élégamment rappelé, de m'occuper quand même de mon foyer, de mon fils et de mon travail. Dorénavant, même si tu vois passer mon image dans le couloir, la cuisine ou le salon, ce ne sera qu'un rêve engendré par ton cerveau surexposé. Par contre, ce ne sera pas la peine d'entrer en communication avec moi, il n'y a rien à attendre d'un mirage. Voilà, je te laisse parce que l'on vient de me livrer la pizza toute chaude que j'avais commandée et je meurs d'envie de me goinfrer en célibataire en regardant n'importe quel programme à la télévision, autant de choses que je n'ose pas faire à la maison.


Quelques instants plus tard, elle sortit de sa chambre et descendit au salon. Ronan et Pierig eurent alors la confirmation que la comédie qui se jouait devant eux pourrait bien devenir un drame s'ils n'y prenaient pas garde. Mathilde était en peignoir et mordait à pleines dents dans sa pizza. Elle avait juste rabattu un des côtés de la boite et s'en était fait un plateau sur lequel elle faisait alternativement coulisser un morceau de pâte avec des olives, un morceau de pâte avec du jambon ou alors un morceau de pâte avec du fromage.

— Bon, dit Pierig, moi, je sors Athos.

Ronan acquiesça machinalement à ce qui pourtant n'avait nullement été une question et, de l'enfant ou du chien, il aurait été difficile de savoir lequel des deux avait la plus grande hâte de se retrouver dehors.


La pluie avait cessé, mais il n'était pas venu à l'idée de Pierig de regarder le temps avant de sortir. Il laissa Athos s'élancer dans le parc, et si ses yeux restaient accrochés aux accélérations et aux revirements de son chien, son esprit peinait à s'éloigner de ce qui venait de se passer entre sa mère et son père. Il ne se résignait pas à qualifier la pièce dont il avait été spectateur de « scène de ménage », mais il comprenait parfaitement que sa mère venait de poser de nouveaux jalons et qu'il leur faudrait s'adapter. De plus il avait conscience de bénéficier de conditions favorables en tant qu'enfant et il pensait pouvoir s'en tirer à bon compte. Cependant, il semblait s'inquiéter pour son père qu'il savait beaucoup moins flexible, comme un arbre dont l'écorce a naturellement durci avec l'âge.


« Je pourrais essayer d'arrondir les angles entre eux », pensa-t-il, avant de se remémorer comment son père s'était emparé de lui pour atteindre Mathilde. Finalement, il éprouva un sentiment de colère vis-à-vis de lui et abandonna aussitôt cette idée à peine ébauchée.

« Ce n'est pas parce qu'il a les boules que je dois tout lui pardonner », se dit-il, comme pour se justifier.

Il en vint finalement à la conclusion qu'il aurait assez à faire pour être simplement lui-même dans cet imbroglio sans se mettre à la place des autres. Sa mère avait dû avoir ses raisons pour agir de la sorte, son père devrait trouver en lui ses propres forces pour composer sans brusquer, pour changer sans se perdre. C'est à cette condition qu'ils retrouveraient un équilibre.


Avec le sentiment intuitif d'avoir à assumer de nouvelles responsabilités et de devoir refuser les avances unilatérales que son père et sa mère tenteraient probablement vers lui, Pierig rappela son chien, un long sifflement posé, comme l'était son état d'esprit. En rentrant, il sentit le poids de la confrontation sur ses épaules.


Ses parents étaient assis sur le canapé ; Mathilde avait terminé sa pizza et apparaissait dans un laisser-aller que Pierig ne lui connaissait pas, elle d'habitude si attentive à son apparence. Ronan semblait refuser cette image de sa femme qui ne cadrait visiblement pas avec ses désirs sur elle. Il avait donc déplié devant lui les larges pages d'un quotidien aux nouvelles déjà bien dévaluées par le temps. Qu'importe, il s'absorbait dans le déficit de la balance commerciale avec une attention qui n'avait rien à envier à celle d'un chroniqueur économique.


Pierig vint s'asseoir au milieu d'eux, les baskets luisantes, quelques herbes collées à la semelle, et il réveilla brusquement la pièce en appuyant sur la télécommande de la télévision. Des silhouettes aux préoccupations insignifiantes tâchèrent de prendre sur eux l'immense tâche de dérider quelque peu les protagonistes de cette scène, mais sans savoir qu'elles n'étaient en fait que les outils d'un conflit sur lequel elles n'avaient pas prise.


« Il a laissé ses tatanes uniquement pour nous faire réagir. », pensa Ronan.

Il attendit instinctivement la remarque de Mathilde qui aurait dû tomber comme un couperet. Il jeta discrètement un œil derrière son journal et ne fut finalement qu'à peine surpris de constater l'indifférence manifeste que sa femme éprouvait pour tout ce qui pouvait se dérouler dans leur maison.

Pierig n'avait rien perdu de la scène et ne portait pas plus attention que les autres aux multiples messages publicitaires qui se déroulaient sur l'écran, avec un déterminisme et une insouciance qui n'avaient d'égal que leur espoir de ratisser large, ici ou là, au hasard des foyers.

— Pierig ? hasarda Ronan.

— Oui papa ? enchaîna le fils, sûr de son rôle de victime.

— Tes chaussures… Depuis le temps qu’on te le dit…


Et Pierig attaqua, sans ménagement :

— D'habitude, quand maman est absente, tu te moques bien de ce que je fais.

Curieux dialogues où chaque réplique ne s'adressait en fait qu'à la seule personne qui, de toute manière, n'interviendrait pas.

— Aujourd’hui, je n'ai pas envie de discuter avec toi, Pierig. Obéis !

Le ton avait été plus tranchant ; Ronan n'avait eu que son agressivité pour marquer son impuissance. Pierig se leva, cédant aux exigences de son père, mais cela encore faisait partie de son jeu.

— Avec toi, c'est tout l'un où tout l'autre ! répondit-il en rechignant à la perfection. Avec maman, ce n'est pas mieux ; elle ne m'écoute jamais ! C'est difficile de vivre avec quelqu'un qui croit qu'en dehors de son avis à elle, rien ne peut exister.


Cette dernière tirade renforça le silence entre l'homme et la femme, un silence qu'heureusement la télévision encore allumée couvrait de ses propos anodins. Pour la première fois de ce début de soirée néanmoins, ce petit jeu auquel ils se soumettaient fut un allié pour l'un et l'autre ; ils n'eurent pas à se mettre en cause mutuellement suite aux attaques de fond de court qu'ils venaient d'encaisser chacun à son tour.


Ronan releva les pans de son journal pour faire barrage à sa colère rentrée et retenir sa satisfaction de ne pas avoir été la seule cible de son fils. Mathilde, quant à elle, resta bravement stoïque, prise en défaut à son propre jeu et par un adversaire qu'elle n'attendait pas.


La partie serait difficile.


Panodyssey - Chapitre 2.1 : Exaspération - Erwann Avalach

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