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Épisode 22 - Tel père tel fils

Épisode 22 - Tel père tel fils

Published Nov 20, 2025 Updated Nov 20, 2025 New Romance
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Épisode 22 - Tel père tel fils

POV Logan


La fête battait son plein. Toute l’équipe était déjà réunie sur la terrasse qui surplombait la piscine olympique couverte de Loïc. Des bouées de toutes les couleurs et de toutes les formes flottaient à la surface de l’eau turquoise. Quelques filles barbotaient, un verre à la main, criant et gloussant bruyamment, désespérées d’attirer l’attention.


Steve fut le premier à me remarquer. Il s’approcha en me tendant une bière fraîche que j’acceptais avec joie. J’avais grand besoin de me détendre et, même si je n’étais pas fan de l’alcool, j’en appréciai les effets immédiats.


― Des nouvelles de Lili, me demanda-t-il nonchalamment alors qu’il profitait du spectacle que nous offraient les pom-pom girls dans leurs bikinis ridiculement petits.

― Pourquoi j’aurais des nouvelles, sifflai-je en feignant l’indifférence. C’est pas comme si on était proches…


Tout en prenant une longue gorgée de sa bière, Steve me jaugea d’un œil perçant, comme s’il avait des choses à dire, mais qu’il préférait se retenir. Ce qui était probablement pour le mieux, je n’avais aucune intention de me battre ce soir.


― Arrête tes conneries, Cohnrad ! Te fous pas de ma gueule. Y’a quelque chose entre vous, même un aveugle s’en rendrait compte.


Je reniflai avec dédain, mais ne fis aucun commentaire. Mes lèvres, étirées en un rictus exaspéré, restèrent scellées.


― Elles devaient être là aujourd'hui, continua mon coéquipier sans se soucier de la colère s’embrasait en moi. À moins que ça se soit mal passé avec ta grand-mère, je vois…


― Quoi ? lâchai-je en recrachant ma bière.


Il leva les yeux au ciel devant ma réaction, puis haussa les épaules avant de se concentrer à nouveau sur les filles dans la piscine.


― Anny voulait absolument que Lili l’accompagne. Elle devait poser des questions à ta grand-mère.

― Quand ? m’écriai-je en l’attrapant le bras pour le forcer à se retourner.


Son regard pétillait d’amusement.


― Pendant l’entraînement, cet aprèm. D’après Anny, ta grand-mère est moins confuse à cette heure.


Avec un air de défi, il esquissa un rictus narquois, qui me fit grincer des dents, alors l’irritation s’infiltrait lentement en moi.


― Mais apparemment, tu disais pas de conneries. Vous n’êtes pas si proches que ça… Tiens, Morgan ! cria-t-il en regardant par-dessus mon épaule. Tu as pu venir, finalement ?


Je l’entendis ricaner, répondant à Steve d’une voix stridente qui me donnait la nausée. Je pouvais l’imaginer se trémousser dans une tenue vulgaire, jouant avec une mèche de ses cheveux impeccablement coiffés.


Mes mâchoires se crispèrent et mon rythme cardiaque s’emballa. Je n’avais aucune envie de l’affronter. De la supporter, même le temps d’une soirée. Mais je le devais. Pour Lili.


Je pris une profonde inspiration tout en essayant de composer un sourire éclatant. Je réprimai le dégoût qui me montait à la gorge avant de faire face à Morgan.


― Mon chéri, geignit-elle en plantant ses griffes dans mon biceps.


Elle se faufila près de moi et se blottit contre mon torse, sa poitrine siliconée se fondant contre mes muscles durs.


― Tu m’as manqué aujourd’hui, ronronna-t-elle en se donnant en spectacle.


Une performance des plus incroyable. Je gardai le silence, me contentant d’un hochement de tête distrait tout en sirotant ma boisson.


Elle posa ses mains sur mes pectoraux et les glissa lentement jusqu’à la ceinture de mon jean. Son contact déclencha un frisson désagréable le long de ma colonne vertébrale. Je n’avais qu’une envie : la repousser, mais je me retins.


Face à mon stoïcisme, elle prit une moue qui aurait pu sembler adorable chez quelqu’un d’autre, feignant une inquiétude exagérée.


― Tu es encore fâché ? couina-t-elle. Je suis désolée. Tu sais bien qu’il n’y a que toi, mon chéri. Je ne te trahirais jamais…


Mon regard tomba sur elle, mais je me refusai de lui répondre. Je ne me faisais pas confiance pour garder mon calme en sa présence. Frustration, fatigue et alcool formaient un cocktail parfait pour que j’explose et que je lui avoue tout ce qu’elle m’inspirait.


― Et si je me faisais pardonner, minauda-t-elle. Je suis sûre que tu as la clé d’une des chambres d’amis. Ce ne serait pas la première fois que tu t’amuserais sur le lit d’un de tes potes pendant une soirée, pas vrai ?


Je déglutis péniblement sous l’intensité de son regard inquisiteur et froid. Elle savait. Malgré toutes nos précautions, elle savait.


Je lui pris la main et l’entraînai à l’étage. Je l’entendis glousser derrière moi, devinant le cinéma ridicule qu’elle réservait à son fan-club : sourires timides, battements de cils et signes innocents. Et même si tout le lycée connaissait pertinemment la réputation de Morgan Johns, ils faisaient tous comme si nous étions le couple de l’année. Complètement épris l’un de l’autre, alors qu’hier encore, elle se donnait en spectacle dans les bras de Loïc, au beau milieu de la cafétéria.


J’ouvris rapidement l’une des chambres et la poussai à l’intérieur avant de claquer la porte derrière nous.


Son masque s’envola aussitôt, révélant son véritable visage : manipulation, froideur et méchanceté.


― Je t’avais prévenu, il me semble Logan, cracha-t-elle. Je t’avais dit de ne pas t’approcher d’elle. Et qu’est-ce que j’apprends ? Que dès que j’ai le dos tourné, vous vous retrouvez en cachette. D’abord samedi soir chez Ethan. Et puis hier à la bibliothèque ! J’aurais pu laisser couler pour hier. C’était mesquin, mais je n’aurais pas dû m’amuser avec Loïc. Mais pour la semaine dernière… Tss tss tss.


Elle s’avança vers moi, comme un félin chassant sa proie, enroula ses mains autour de ma nuque avant d’agripper violemment mes cheveux, me faisant siffler de douleur.


― Tu sais ce qui va se passer ? Je vais partager une jolie photo de cette petite pute. Mais pas maintenant. Pas aujourd’hui. Non… je veux voir sa tête quand tout le monde découvrira qui elle est vraiment. Je vais savourer chacune de ses larmes…


Un sourire machiavélique effleura ses lèvres brillantes de gloss.


― Juste pour lui rappeler où est sa place…


Mon téléphone se mit à vibrer dans ma poche. Je ne fis aucun geste pour le récupérer, de peur de la contrarier plus qu’elle ne l’était déjà.


― Tu ne réponds pas, chéri ?


Sans même daigner attendre une réaction, elle passa sa main à l’intérieur de ma veste, en profitant pour caresser mon torse, avant d’en sortir mon smartphone.


― Tu as six appels manqués de ton père. Tu devrais peut-être prendre cet appel, dit-elle en décrochant et activant le haut-parleur.

― Logan ! tonna la voix grave de mon père. Rentre immédiatement à la maison !


Il aboya son ordre et raccrocha aussitôt sans plus d’explications. Et pour la première fois, je lui en étais reconnaissant.


― Il faut que j’y aille, pestai-je en reculant d’un pas.

― Tu veux que je t’accompagne ? Je pourrais lui dire que c’est de ma faute si tu n’as pas répondu avant, je suis certaine qu’il comprendrait, minauda Morgan en papillonnant des paupières.


Je ravalai un rire amer tout en refusant sa proposition.


― Il vaut mieux pas. Philip Cohnrad n’est pas connu pour être... compréhensif.


Sans oublier que tu es la fille de son plus grand concurrent dans les affaires.


Elle acquiesça d’un air distrait et se jeta à mon cou avant de poser violemment ses lèvres sur moi. Son baiser était brutal et désagréable. Chargé d’une haine sourde et d’un désir non réciproque.


Je la repoussai, aussi délicatement que mes nerfs me le permettaient, en la tenant par les épaules. Elle sourit en glissant ses doigts dans sa crinière pour afficher un air un peu plus sauvage. Son maquillage qui bavait, ses cheveux en bataille et son débardeur débraillé comme si nous avions passé notre temps à nous embrasser.


J’essuyai ma bouche du revers de la main en déverrouillant la porte pour sortir sans prendre la peine de l’attendre.


À l’extérieur, je cherchai les autres pour les avertir de mon départ. Je trouvai Loïc avachi sur l’un des transats près de la piscine, Veronica sur ses genoux. Mais aucune trace de Ryan, ni de Steve.


Lorsque Loïc m’aperçut, il me fit un signe de la tête avant de m’offrir un sourire complice.


― Hé, mec ! Tu t’es bien amusé, on dirait…


Ignorant son sous-entendu, je lui demandai où était passé mon meilleur ami.


― Lui, Steve et Ethan sont partis, y’a quoi ? 30 minutes, peut-être. Je crois qu’Anny l’a appelé…

― Lili va bien ? m’inquiétai-je aussitôt.


Il se contenta de lever les épaules, trop occupé à caresser la fille qui se trémoussait dans ses bras pour se soucier réellement de notre conversation.


Je n’avais pas le temps pour ces petits jeux. Mon père m’attendait et à présent, je craignais qu’il soit arrivé quelque chose à Lili. En me frayant un chemin dans la foule vers la sortie, j’entendis Loïc râler qu’il ne pouvait pas compter sur ses potes. Mais j’étais déjà loin, mon téléphone collé à l’oreille, tentant de joindre Ryan. Une fois. Deux fois. Trois fois. Sans aucune réponse.


― Fait chier !


Je montai dans mon pick-up et jetai mon smartphone sur le siège passager. Partagé entre l’envie de filer chez Lili pour m’assurer qu’elle allait bien et l’impératif de suivre l’ordre de mon père. Je savais que je ne serais pas capable de rester seulement quelques minutes auprès de Lili. Surtout si elle avait un problème.


Je mis le contact et pris le chemin vers l’antre du Diable. Celui qui avait emménagé chez moi depuis plusieurs semaines déjà.


***


― Logan ! rugit mon père alors que je passais la porte d’entrée.


Je suivis sa voix et les bruits de casse jusqu’à son bureau. Des papiers gisaient au sol parmi les éclats de verre. Comme si une tempête s’était abattue ici. Mon père debout dans l’œil du cyclone, le regard empli de colère, les veines de son cou gonflées et sombres et les mâchoires serrées.


Je redressai les épaules, rassemblant mon courage, prêt à plonger en zone de guerre quand mon téléphone vibra. Deux fois. Deux messages de Ryan qui me firent l’effet d’un coup dans l’estomac.


Ryan. 22h25 SMS : Lili et Anny vont bien.


Ryan. 22 h 27 SMS : Lili est l’héritière William.


Je manquai de m’effondrer. Le souffle court, le cœur rugissant dans ma poitrine, je parvins à tituber jusqu’au fauteuil devant le bureau massif et m’y laissai tomber.


Une avalanche d’émotions contradictoires s’abattit sur moi – colère, frustration, joie, soulagement, inquiétude. Mon esprit s’emballa, cherchant une échappatoire à toute cette merde. Les cris de mon père, ses menaces, ses mouvements brusques autour de moi, rien ne réussissait à perturber ma réflexion.


J’ignorais combien de temps j’étais resté pétrifié ici, mais lorsque je levai enfin les yeux du sol tout était parfaitement limpide. Je savais ce que je devais faire. Je savais que c’était ma seule option.


Je m’éclaircis la gorge pour me donner un peu de contenance, et annonçai d’une voix claire et assurée :


― J’ai besoin de ton aide.


Mon père se figea, me dévisageant comme si j’étais une sorte de phénomène étrange. Et, l’espace d’un instant, la panique me griffait la poitrine, jusqu’à ce qu’il lâche un rire sans chaleur. Parfait, j’avais piqué sa curiosité.


― Tu crois vraiment que ça marche ainsi, fils ?


Sa voix était froide. Cruelle. Jamais il ne m’avait parlé avec autant de mépris. Je déglutis difficilement, mais restai concentré pour ne pas lui montrer ma peur et mon désarroi. Il était ma dernière chance.


― Sais-tu même pour quoi je t’ai convoqué ce soir ?


J’avais bien une petite idée, mais je préférai jouer la carte de l’ignorance. Inutile de lui donner plus de raisons de me détester.


― J’ai consacré toute ma vie à cette famille. J’ai tout sacrifié, jusqu’à la femme que j’ai toujours aimée. Le nom Cohnrad a prospéré grâce à moi, expliqua-t-il d’un ton sans émotion. Je pense avoir été plus que généreux avec tes frères et toi. Vous n’avez jamais manqué de rien. En échange, je t’ai demandé une chose ! Une chose qui devait t’assurer un avenir glorieux et consolider l’empire Cohnrad pour des générations. Je t’ai demandé de respecter un accord que ton grand-père avait passé pour toi. Pour la famille.


Il s’arrêta un instant, comme s’il voulait créer une tension insupportable. Un effet scénique qu’il maîtrisait à la perfection.


― Et j’apprends que, non seulement, tu préfères jouer les jolis cœurs, mais qu’en plus tu le fais avec la fille Tomson. La salope du lycée ! rugit-il. Tu savais qu’Henry l’avait mise dans son lit lors de sa dernière année de lycée ?


J’avais le droit à la spéciale Philip Cohnrad : il essayait de me déstabiliser pour me pousser à l’erreur en suscitant ma jalousie. Mais c’était peine perdue. Je n’éprouvais rien d’autre que du dégoût pour cette fille. Alors, plutôt que de rentrer dans son jeu, je me tus et soutins son regard gris glacial.


― Tu vas mettre fin à cette relation ce soir. Et séduire cette Lili William au plus vite ! Avant que son père ne quitte la ville et ne disparaisse une fois de plus avec elle.


Ce fut mon tour de rire. Et je pouvais voir que ma réaction l’énervait au plus haut point.


― Pourquoi te moques-tu ?


Je me levai, les paumes appuyées sur le bois acajou devant moi.


― Parce que c’est exactement pour cette raison que j’ai besoin de ton aide. Je supporte cette garce de Morgan pour protéger Lili.


Le sang quitta son visage. Il se dirigea vers le bar et se versa un verre de whisky, qu’il avala d’un trait avant de se resservir.


Quand il s’installa dans son fauteuil en cuir, je savais que j’avais enfin toute son attention. Que je pouvais lui parler sans détour.


― Alors ton plan était de détourner les ressources de mon entreprise pour protéger Lili ? Audacieux, déclara-t-il après avoir écouté patiemment toute l’histoire. Et après ?

― Quoi après ?

― Qu’avais-tu prévu après avoir joué les chevaliers servants ? Ton avenir m’appartient grâce à ce bout de papier… dit-il en me montrant le contrat que nous avions signé quelques semaines plutôt.

― Rien. Je voulais juste l’aider. Faire en sorte qu’elle puisse avancer sans cette ombre menaçante qui la poursuit depuis des mois. Elle ne mérite pas toute cette merde.


Mon père se détendit contre son dossier et esquissa un sourire. Un sourire authentique, pas celui qui réservait à ses collaborateurs lorsqu’il venait de gagner une affaire.


― Il semblerait que l’on se ressemble plus qu’on veut bien admettre. Et peut-être qu’au moins l’un de nous aura sa fin heureuse, souffla-t-il avec une pointe de tristesse.


Je faillis lui demander de quoi il parlait, mais son regard m’en dissuada. La mélancolie et la douleur sur son visage me déstabilisèrent. Jamais je n’avais vu mon père aussi vulnérable qu’à cet instant. Aussi humain.


― Le juge Garison me doit un service. Je suis certain qu’il peut tirer quelques ficelles jusqu’en Californie pour faire tomber ce petit merdeux de violeur et tous ceux qui ont blessé Lili. Quant à Morgan, elle ne sera pas épargnée. Que dirais-tu d’une humiliation en public ? Une arrestation dans les couloirs du lycée, devant les caméras de tous les élèves, sera difficile à étouffer. Même son cher papa ne pourra rien pour elle…

― Je peux faire quelque chose ? Je…

― Contente-toi d’occuper Morgan. Elle ne doit se douter de rien avant que tout soit mis en place.


Je hochai la tête, sans un mot. Mon père était en mode action et rien ne pouvait plus le stopper. Ce que j’ignorais, c’était sa véritable motivation. Sa réaction était beaucoup trop intense. Le flegme légendaire de Philip Cohnrad avait totalement disparu. Comme s’il en faisait une affaire personnelle.


Il me congédia soudain d’un simple geste de la main alors qu’il appelait le juge Garison. Sans un regard vers moi.


Je sortis en fermant la porte doucement derrière moi, déconcerté. Incertain de ce qu’il venait de se passer.


― Pourquoi fais-tu tout ça ? murmurai-je pour moi-même.

― Pour Mary, confessa ma mère d’une voix serrée avant de disparaître dans le salon.


Je la suivis, curieux et inquiet. Je ne l’avais pas vue aussi bouleversée depuis la semaine dernière, lorsqu’elle avait entendu le nom William.


Elle se tenait devant la fenêtre, sa silhouette découpée dans la lumière fantomatique de la pleine lune, les yeux perdus dans l’immensité de la forêt qui bordait la propriété. Elle, qui affichait toujours une assurance incroyable, semblait soudainement si petite. Si fragile, les épaules voûtées et la tête basse.


Je m’approchai doucement, mais avant que je l’atteigne, elle expira bruyamment. Je me figeai lorsqu’elle commença à parler avec un ton hanté.


― Mary était son premier et unique amour. Elle, Philip et David ont grandi ensemble. Ils étaient inséparables et ton père était fou amoureux d’elle. Tout comme David, même s’il était plus jeune.


Un sanglot désespéré secoua le corps de ma mère. Mon instinct me poussa à aller vers elle et la serrer contre moi pour la réconforter, mais elle me fit signe de garder mes distances.


― Et puis il y a eu cette rumeur dans les couloirs du lycée. Sur Mary. Des choses abjectes. Elles ont été rapidement démenties, mais le mal était fait. À partir de ce jour, Philip et elle ne s’adressaient plus la parole… Et elle est partie. Elle a changé de lycée. J’ai entendu dire qu’elle avait été envoyée dans un internat au Canada. D’autres pensaient qu’elle était en Floride…


Un soupir chargé de mélancolie s’échappa de ses lèvres, tandis que je restais immobile. Impuissant.


― Ton père est devenu fou et a failli gâcher son avenir : il séchait les cours, répondait aux professeurs… Tout ça pour elle. Il l’a cherchée pendant des semaines, mais de toute évidence, elle ne voulait pas qu’il la retrouve. Alors il a fini par laisser tomber et l’été avant son entrée à Princeton, il a épousé Chloé Moore. Le mariage de l’année à Lake City.

― Quoi ?


Ma mère ignora simplement ma question, emportée par le poids écrasant de ses souvenirs douloureux.


― C’était un mariage de convenance, bien sûr, pour asseoir une alliance commerciale qui ne dura que quelques mois. Chloé était une passionnée d’équitation, mais une piètre cavalière. Elle est tombée de cheval et est morte de ses blessures une semaine plus tard à l’hôpital. Le jour de son enterrement, je n’avais pas vu Philip aussi soulagé depuis longtemps. Presque heureux, malgré les circonstances…


Un rire sans joie lui échappa.


― Ce soir-là, je l’ai croisé au bar de l’Université. Il était seul et j’ai tenté ma chance. J’ai honte, mais je ne voulais pas qu’une autre me le vole… On a discuté. Bu. Et une chose en entraînant une autre, j’ai fini par le suivre dans sa chambre…


Un silence lourd de sens s’abattit sur nous un court instant.


― Quand Mary est revenue cette année-là, pendant les vacances de printemps, Philip a tout fait pour la revoir. Il était aux anges, et moi, j’étais redevenue invisible. J’ai découvert plus tard qu’il avait prévu de la demander en mariage. Avec cette même bague que j’ai au doigt.


Elle émit un son douloureux alors qu’elle portait son annulaire à la lumière de la Lune, le diamant étincelant ne faisant qu’accentuer son chagrin.


― Mais je ne pouvais pas le laisser partir. Je ne pouvais pas le perdre. Pas alors que j’étais enceinte de son enfant. Donc j’ai fait la seule chose qui m’assurerait une place à ses côtés. Je suis allée trouver ton grand-père et lui ai annoncé la bonne nouvelle. Je lui ai dit que Philip et moi n’étions pas ensemble, mais que je voulais garder le bébé. Et, bien sûr, il a réagi exactement comme je l’espérais. Il m’a promis le mariage. Aucun héritier Cohnrad ne naîtrait bâtard.


Un fracas retentit derrière moi. Je sursautai, me retournant pour découvrir mon père juste là, le visage enflammé par la colère et la désillusion.


― Alors c’était toi… Toutes ces années, je t’ai fait confiance alors que tu es celle qui m’a trahi.


Ma mère, regardant encore vers l’extérieur, rit. Un rire acide et teinté de rancœur. Elle ne chercha pas à se défendre. Ni à s’excuser. Elle haussa les épaules et ajouta d’une voix sans émotion qui me fit frissonner :


― J’ai fait ce qu’il fallait pour mon enfant. Notre enfant. Et je t’ai aimé toutes ces années. Encore aujourd’hui, mais je suis fatiguée de toujours devoir rivaliser avec le fantôme de Mary. Elle n’a jamais vu que tu l’aimais. Elle ne te méritait pas. Et j’espérais qu’avec le temps, tu finirais par comprendre et m’aimer en retour.


― Et je t’ai aimé, Livia… Bon sang ! Si ce n’était pas le cas, je n’aurais jamais pu rester avec toi aussi longtemps. Mais tu as tout gâché. Perdre Mary une fois m’a brisé. Mais deux fois, ça m’a anéanti. Je n’ai jamais compris pourquoi elle était partie sans un mot, sans une explication après notre rendez-vous. J’ai pensé que c’était parce qu’elle ne m’aimait pas. Quel con ! J’étais loin d’imaginer que c’était encore à cause de toi.


Mon père expira bruyamment, un murmure lourd et douloureux résonnant dans l’air.


― Et j’ai cru bêtement que tu étais ma chance d’être heureux. De fonder une famille. Je t’appréciais et on s’entendait bien. Je savais que, même si j’étais incapable d’oublier Mary, je pouvais apprendre à t’aimer. Et je l’ai fait. Je pensais que nous étions une équipe, mais je me suis trompé.


Ma mère tressaillit à ses mots, comme si chaque syllabe la frappait en plein cœur.


― C’est fini, Livia. Les Cohnrad ne divorcent pas et je ne trahirai pas nos valeurs pour toi. Mais je ne veux plus jamais te voir. D’ici demain, je veux que tu aies déménagé dans le penthouse, en ville. Il est à toi. Je le fais pour Logan. Pour les garçons. Ils ont besoin de toi, mais je ne veux plus entendre parler de toi. Tu es morte pour moi.


Un sanglot amer échappa à ma mère tandis qu’elle s’effondrait, écrasée par la brutalité de ses paroles.


Le bruit de la porte d’entrée qui claquait résonna comme un adieu, confirmant que mon père venait de quitter la maison.


Et je restais figé, sous le choc de ces révélations qui avaient brisé ma famille.


Je souffrais pour ma mère qui avait fait les mauvais choix au nom d’un amour aveugle, ou plutôt d’une obsession pernicieuse, et en avait payé le prix toute ses années.


Je souffrais pour mon père pour avoir perdu non pas une fois, mais trois fois l’amour de sa vie sans jamais avoir la chance de lui avouer la profondeur de ses sentiments. Sans avoir eu la chance de la chérir et de l’aimer comme il l’aurait tant souhaité.


Texte de L.S. Martins (3heures, sans relecture).


Image par Robert Karkowski de Pixabay : Lune Pleine Ciel De - Photo gratuite sur Pixabay


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