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Chapitre 4 - C'est la seule chose que je sais faire

Chapitre 4 - C'est la seule chose que je sais faire

Publié le 24 janv. 2024 Mis à jour le 1 avr. 2024 Policier
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Chapitre 4 - C'est la seule chose que je sais faire

Alexander avait très vite compris pourquoi le loyer de l’appartement était aussi abordable. Il avait aussi compris pourquoi miss Whitmore était aussi soulagée de trouver un colocataire. Et pourquoi elle n’en avait pas trouvé avant.

Pourtant, l’appartement était vraiment confortable et aurait fait rêver beaucoup de gens. Les chambres à coucher étaient agréables et lumineuses, avec une décoration apaisante et légère. Le studio était grand et bien éclairé. Alexander ne pouvait s’empêcher de penser qu’une fois les documents de son colocataire rangés, cette pièce serait parfaite. Un canapé et un fauteuil en cuir étaient installés de part et d’autre d’un épais tapis, devant l’âtre de la cheminée. Une table à manger en bois était en face de la fenêtre, avec deux chaises matelassées. Des armoires couvraient une partie des murs, avec de nombreux livres. Dans un coin de la pièce, un bureau était installé, mais il ne semblait pas avoir été beaucoup utilisé. À l’extérieur de l’appartement se trouvait la salle de bain, simple, mais efficace.

Pour finir, un avantage inattendu de ce logis était la présence d’Annie, une cuisinière engagée par miss Whitmore, qui préparait les repas pour tout le monde. Alexander en avait même trouvé étrange que personne ne se jette sur l’opportunité d’occuper cet endroit.

Mais il n’avait pas tardé à comprendre que tous ces points positifs étaient contrebalancés par la présence du premier locataire.

Strange était sans doute l’individu le plus étrange qu’il n’avait jamais rencontré. Bien qu’il soit âgé d’un peu plus de trente-cinq ans, d’après les estimations du militaire, il se comportait davantage comme un enfant que comme un adulte. Lorsque l’ancien soldat s’était réveillé vers six heures du matin le premier jour, encore habitué à sa routine militaire, il avait été fort surpris de trouver son compagnon allongé sur le canapé, profondément endormi. Ne voulant pas l’éveiller, Alexander était resté silencieux patientant durant de longues heures. Il avait décidé de mettre ce temps à profit pour faire ses ablutions et se raser. Ce ne fut qu’à l’arrivée d’Annie qui apportait le petit déjeuner vers dix heures, que Strange émergea de son sommeil. Mais après le repas, il était retourné s’installer dans le canapé, encore vêtu de sa robe de chambre et non rasé.

Contrairement à ce que leur rencontre avait fait croire au blond, Strange n’était pas très bavard. Il semblait préférer la lecture des journaux, de ses papiers ou d’un livre à la conversation. Il restait silencieux durant des heures, assis sur son canapé, des documents à la main, une cigarette entre les dents. Il semblait fumer plutôt régulièrement, mais oubliait en général d’aérer le studio.

Le second jour, le noiraud dormait toujours au même endroit, et à nouveau condamné à la discrétion, son colocataire avait laissé sa curiosité l’emporter sur lui. Grâce à la fine ligne de lumière entre les rideaux du studio, il avait commencé à lire un paquet de papiers qu’il avait ramassé sur la table.

Il s’agissait de dossiers d’enquêtes criminelles, remplis par des notes brouillonnes. S’y joignaient aussi des pages de journal découpées, des photographies en grand nombre, que ce soit d’hommes, de femmes ou de lieux.

Alexander ne savait pas grand-chose de son camarade, si ce n’était son nom et son ancien travail. Pourtant, en voyant le nombre de documents qui traînaient dans l’appartement, il ne put s’empêcher de penser qu’il avait été un inspecteur avec une sacrée carrière.

La journée fut ensuite semblable à la précédente, calme et silencieuse. Malgré la monotonie de cette vie, le blond ne pouvait nier qu’il l’appréciait. Les tourments de la guerre, le divorce avec sa femme, tout cela l’avait bien souvent amené aux bords de la crise de nerfs. Bien que son esprit aventureux se révolte contre son apathie, il sentait que cette tranquillité et ce confort lui faisaient du bien. Après de nombreuses années à combattre en Afrique, il avait pensé qu’il aurait retrouvé une vie agréable. Cependant, il avait fait une découverte qui l’avait autant horrifié que révolté. Sa femme, son amour, avait pris un amant pendant son absence, et avait même déserté leur petite maison dans la campagne pour vivre chez lui.

Il n’en avait pas fallu plus pour qu’il entre sa demande de divorce, pour ensuite déménager à Londres avec ses maigres économies, ne supportant plus la solitude. Pourtant, après seulement un jour en présence de Strange, sa curiosité à son sujet ne faisait que croître.

Lorsqu’Annie déposa leur repas du soir, ils passèrent à table dans leur mutisme habituel. Le noiraud avait cette fois fait l’effort de se vêtir d’une chemise et d’un pantalon, mais ne se souciait toujours pas de son rasoir.

— Très bien, Wilson, allez-y, déclara brutalement l’ex-inspecteur sans même le regarder.

— Pardon ? s’étonna le concerné en se redressant.

— Vous avez des questions à me poser, n’est-ce pas ? Je vous écoute.

Le blond resta silencieux quelques secondes, hébété, avant de reprendre ses esprits.

— Vous ne vous rasez pas ?

Ce fut au tour de Strange de s’immobiliser, son verre d’eau à la main. Ses yeux bleus ne lâchaient pas ceux de son interlocuteur. Finalement, il esquissa un sourire amusé.

— Est-ce vraiment cela qui vous intéresse ? ricana-t-il avec malice. Je pensais que vous me poseriez une question plus… constructive. Cela dit, pour vous répondre, je ne sors presque jamais, et mon apparence m’importe peu.

— Pourquoi ne dormez-vous pas dans votre chambre ? continua Alexander.

— Comme vous l’avez sans doute remarqué, je veille jusque tard le soir. Il m’arrive de m’assoupir sans que je le remarque. Cela vous dérange-t-il ?

— Contrairement à vous, je ne suis pas vraiment un oiseau de nuit, répondit le militaire en dissimulant soigneusement ses reproches. Je me lève à l’aube, et je vous avoue que votre présence me contraint au silence.

— Je m’en excuse…

— Pouvez-vous me dire ce que vous lisez toute la journée ?

— Des romans que j’ai déro… emprunté à miss Whitmore. Connaissiez-vous Charles Dickens ?

— Bien sûr, affirma l’ancien soldat, reconnaissant ce nom connu de la littérature. J’ai lu certains de ses ouvrages.

— Je les trouve d’un ennui épouvantable, répliqua son interlocuteur avec agacement.

Alexander resta muet de stupeur face à cette critique piquante de l’un de ses auteurs favoris. Les personnages des romans que Charles Dickens avait rédigés connaissaient des péripéties extravagantes et des aventures inoubliables. Son réalisme et son humour avaient été reconnus de par le monde.

— Ces histoires sordides sont bien loin de la logique et de la raison, déplora Strange. Et sans cela, je suis véritablement perdu…

— Pourtant, le monde n’est pas totalement rationnel, fit observer le blond.

— J’espère que si, répondit l’ex-inspecteur avec conviction. Quand on enquête, il vaut mieux se fier aux faits. Les sentiments et les émotions n’ont rien à y faire. Autre chose ?

Le soldat resta silencieux quelques instants, avant de brusquement se remémorer une question qu’il avait en tête depuis son arrivée.

— Votre système pour feindre la pendaison, vous disiez qu’il devait servir à faire condamner un cadavre. Qu’entendiez-vous par-là ?

— Ah oui…se réjouit Strange avec un sourire nostalgique. C’était une affaire intéressante…Je l’avais commencée quand j’étais encore de la Police Métropolitaine. Un noble complètement fou s’est lancé dans une série de meurtres sacrificiels, je l’ai arrêté et il a été condamné à mort. Normalement, il était mort et enterré, l’affaire était classée. Pourtant, quelques jours avant que je ne sois renvoyé, il a été aperçu plusieurs fois à Londres. Il était revenu à la vie, sans explication plausible à cela. J’avais commencé à mener mon enquête quand j’ai perdu mon travail. Je n’ai pas baissé les bras et j’ai continué de chercher comment il avait fait pour simuler sa mort. Ainsi, il y a deux jours, Scotland Yard a reçu une lettre anonyme qui explique la façon dont il a procédé, avec une recommandation d’arrêter le bourreau et le médecin légiste, tous deux complices du présumé cadavre.

— Vous n’avez donc pas à renoncer à résoudre des affaires, constata Alexander.

— C’est la seule chose que je sais faire, répliqua le noiraud en jetant sa serviette sur le bord de la table. Et de toute façon, si ce n’est pas moi qui vais aux énigmes, ce sont elles qui viennent à moi…

Comme s’il considérait que la discussion était close, Strange se leva de sa chaise et rejoignit son canapé sur lequel il se laissa tomber. Allongé sur le dos, l’ancien inspecteur resta silencieux, un bras derrière la tête, et fixa le plafond.

Il semblait énervé, bien que le soldat ne voyait pas ce qu’il avait dit de mal. Se murant dans son silence, il ne prononça plus un mot de la soirée. Il ne bougea presque pas, si ce n’est pour allumer une cigarette. Et même lorsque Alexander partit se coucher, le noiraud ne manifesta aucun mouvement.

Le lendemain, le blond fut tout de même content de remarquer que Strange ne dormait plus sur le canapé. Il avait manifestement pris en compte leur discussion de la veille et était retourné dans sa chambre. Il en profita donc pour laisser sa curiosité s’exprimer et feuilleter quelques dossiers supplémentaires.

Alors que dix heures allaient bientôt sonner, Alexander entendit des pas dans l’escalier. Il avait appris depuis son arrivée à reconnaître le pas hésitant d’Annie ou celui plus vif et décidé de miss Withmore. Mais celui qu’il perçut ce matin-là était plus lourd que de coutume. Quelques secondes plus tard, quelqu’un toquait à la porte. Ignorant totalement de qui il pouvait s’agir, le soldat alla ouvrir et tomba nez à nez avec un homme de sa taille. Il avait des cheveux châtains et un regard sombre. Il ressemblait à un homme ordinaire, hormis sa large carrure.

— Bonjour, en quoi puis-je vous aider ? interrogea Alexander.

— Bonjour, répondit l’homme d’un air légèrement impatient. J’aimerais parler à M. Strange. Est-il là ?

— Je suis navré, mais il dort encore, s’excusa le blond. Voulez-vous que je lui transmette un message ?

— Non, je dois absolument le voir en personne, se pressa l’inconnu. Je vous en prie, c’est important…

Alexander resta indécis quelques secondes, ne sachant pas ce qu’il devait faire. Finalement, si c’était vraiment urgent, peut-être devrait-il l’aider. S’écartant de la porte, il invita son visiteur à entrer et à s’installer tandis qu’il allait chercher son compagnon.

Il frappa à sa porte plusieurs fois.

— Strange, quelqu’un désire vous voir de manière urgente…

N’ayant aucune réponse ni aucun signe de vie, il toqua plus fort. Cette fois, il entendit du remue-ménage de l’autre côté du battant, ainsi qu’un marmonnement énervé. La porte s’ouvrit brutalement, et le noiraud apparut dans sa robe de chambre, les cheveux encore plus en bataille que de coutume.

— Que vous arrive-t-il, Wilson ? interrogea-t-il avec mauvaise humeur. Un cauchemar ? Miss Withmore qui s’énerve ? Un départ d’incendie ?

— Un homme veut vous parler et a précisé que c’était important, répondit l’intéressé en essayant de rester calme.

— J’ai besoin de votre aide, Strange, intervint l’inconnu derrière lui. Il s’agit d’une affaire sérieuse.

— Ben voyons, soupira le concerné avec un reniflement méprisant en sortant de sa chambre, refermant la porte derrière lui. Le grand inspecteur-en-chef Carter qui vient voir la personne qu’il a virée il y a un mois pour lui demander de l’aide…heureusement pour vous, le ridicule ne tue pas.

Il se laissa tomber sur le canapé, passant une main sur son visage crispé par l’agacement. Annie entra à cet instant de sa démarche hésitante, et posa le petit-déjeuner sur la table à manger.

— Excusez-moi, murmura-t-elle d’une voix timide. Je ne savais pas que vous aviez un invité.

— Ne vous en faites pas, il ne restera pas, s’impatienta l’ancien inspecteur.

— Strange ! Essayez de faire preuve d’un peu de politesse ! le reprit sèchement son colocataire. Excusez-le, Annie. Pourriez-vous apporter une tasse supplémentaire pour le thé ?

— Bien sûr…j’y vais tout de suite.

La cuisinière sortit rapidement en refermant derrière elle. Bien qu’Alexander trouvât son compagnon terriblement aigri, il fit preuve de bonnes manières et lui tendit son thé du matin. L’inspecteur-en-chef tira simplement une chaise et s’assit dessus.

— Désirez-vous que je vous laisse ? demanda le blond.

— Non ! répondit précipitamment son voisin avant que son ancien patron ne puisse parler. Restez ici, je vous le demande…

Croisant le regard du châtain, ce dernier lui adressa un léger hochement de tête signifiant qu’il était d’accord pour qu’il écoute leur conversation. Annie se glissa à nouveau dans l’appartement et servit leur invité.

— Nous avons une affaire complexe à résoudre, et nous n’y parviendrons pas sans vous, annonça Carter sans détour. Il y a eu un meurtre la nuit passée.

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