

ÉLÉGIE DES TEMPS DU FEU
Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 8 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
ÉLÉGIE DES TEMPS DU FEU
Le monde est tombé,
non d’un fracas soudain,
mais d’un effritement lent,
pernicieux, invisible,
comme la chair rongée par le sel et le vent.
Sous nos pas vacille la terre.
Sous nos paupières, l’aube s’est tue.
Le ciel s’est vidé de ses astres.
Le vent n’apporte plus que cendres.
Ô civilisations pourrissantes !
Vos colonnes de marbre suintent l’abandon,
vos bibliothèques muettes exhalent la poussière des vérités mortes.
Les enfants naissent sans mémoire,
les vieillards meurent sans espoir.
Les villes s’éclairent de feux froids,
les forêts hurlent dans l’indifférence des dieux éteints.
Nous avons cru dompter le temps,
enchaîner la matière,
soumettre la vie.
Nous avons cru voler le feu aux étoiles.
Mais c’est nous-mêmes que nous avons brûlés.
Le progrès est devenu fléau,
la science, aveugle, tourne sur elle-même
comme une toupie folle au bord du vide.
Le verbe est corrompu.
Le chant se meurt dans la gorge des poètes.
Même l’amour est devenu simulacre,
souillé de plastique et de solitude.
Frères, sœurs, voyez :
le désert croît — il n’est plus métaphore.
Les fleuves s’assèchent,
les océans montent,
les glaciers pleurent des torrents amers.
Les forêts s’embrasent sous nos regards vides.
Les hommes se dressent contre les hommes,
non pour la gloire, non pour l’honneur —
mais pour un souffle d’air, une goutte d’eau,
un dernier éclat de lumière artificielle.
Le Léviathan est fendu.
Les lois, chiffons de sang.
Les Empires s’effondrent dans le rire des spectres numériques.
La guerre est diffuse,
liquide, insidieuse,
dans les flux des réseaux,
dans les pulsations des marchés fous.
Les peuples errent sans boussole,
les esprits se disloquent.
Le néant gagne,
grain à grain, souffle à souffle.
Ô temps du feu !
Ô crépuscule sans fin !
Nous marchons sur les braises du monde,
nus, blessés, ivres de désespoir muet.
Nous pleurons,
nous saignons,
nous chantons —
car il nous reste cela :
le verbe nu,
la parole noire,
le chant du cygne des hommes.
Bon courage, mes semblables,
en cette nuit sans étoile.
Il n’est plus d’aube —
seulement la flamme noire du néant.
Mais si nous devons choir,
choirons nous debout,
la plume dressée contre l’abîme,
le regard clair dans l’ombre.
Voici l’Élégie des Temps du Feu.
Voici notre testament.
Voici le dernier chant
des hommes qui furent.

