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Chapitre 1.2 : Explosion

Chapitre 1.2 : Explosion

Publié le 10 juin 2025 Mis à jour le 10 juin 2025 New Romance
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Chapitre 1.2 : Explosion

Mathilde découvrit alors à quoi Valentin et Ronan avaient passé leur journée. Ils avaient emboîté le pas à une femme, émoustillés à l'idée des découvertes qu'ils allaient faire, des rencontres et des événements qui les attendaient au bout de ses pas, mais ils s'étaient fait sortir du rayon « lingerie fine » d'un grand magasin par l'employé de sécurité qui les avait traités de voyeurs et, après moult détours, ils s'étaient retrouvés devant la gare SNCF.


Ce clin d'œil du destin les avait décidés à entrer et à imiter en tous points la première personne qui prendrait un billet au guichet, devant eux. Ils avaient ri de l'étonnement de l'employé à qui ils avaient annoncé « La même chose, s'il vous plait. » Sans même avoir jeté un œil sur la destination, ils avaient suivi leur guide sur le quai, aveugles aux multiples tableaux d'affichage et sourds aux informations annoncées par haut-parleur. Ils n'avaient pas non plus regardé leur billet au moment du départ, ni même en le présentant au contrôleur avec un sourire amusé, comme si l'idée de faire une grosse bêtise les avait excités au plus haut point.


Les gares s'étaient succédé une à une, les noms blancs sur fond noir qui avaient défilé devant leurs yeux avaient été les seuls repères qu'ils s'étaient autorisés afin de se rapprocher par l'esprit un peu plus à chaque fois de la destination de leur illustre inconnu.

Changement à Paris. Métro direction Porte de Clignancourt, gare Montparnasse. L'aventure continuait. Leur pseudo-guide était allé en Bretagne, jusqu'à Guingamp. Là, sur la Place du centre, ils avaient ri de nouveau, devant la fontaine de la Plomée, pendant que Julie préparait les valises et que Mathilde se penchait sur les cutters et autres poussoirs à saucisses. Leur inconscience les avait fait tirer à pile ou face dans quel hôtel ils entreraient, et rarement une pièce d'un euro aura été à l'origine de la note salée que promettait l'hôtel ainsi retenu, sur la foi des tarifs annoncés.


A l'employé qui s'était inquiété de leur tenue et de l'absence de bagages, Valentin et Ronan avaient raconté par le détail les évènements qui les avaient finalement conduits jusque-là.


Mathilde en eut honte pour eux, Julie avait l'habitude, elle. Le directeur de l'hôtel s'était amusé de leur histoire et, comme la saison n'était pas réellement commencée, il avait, lui aussi, tiré au sort pour savoir quelle suite il donnerait à ce périple.

Ronan s'arrêta quelques secondes, marquant ses effets, comme Valentin devait le faire au bout du fil.


« Le directeur avait effectivement proposé une suite, une belle suite à cette histoire. Julie entendit alors le bruit caractéristique d'un bouchon de liège que l'on extirpe du col d'une bouteille et des bulles de champagne vinrent pétiller jusqu'à son oreille sans rien avoir perdu de leur fraîcheur le long des fils du téléphone.

— Je t'appelle depuis la suite bleue de l'hôtel dans lequel je suis invité à rester une semaine ! annonça enfin Valentin d'une voix triomphante, et le maître d'hôtel accepte que tu me rejoignes.

— Je ne sais pas, répondit timidement Julie, je préparais nos affaires pour notre séjour au ski.

— Ecoute, laisse tomber les bottes fourrées et prends le premier train ; tu ne vas pas passer à côté d'une pareille occasion pour une sortie dont on ne rapportera qu'engelures, courbatures et ampoules aux pieds, tout de même ! »

— Voilà, ils en sont là… termina Ronan en endossant de nouveau son rôle de géniteur de l'imaginaire.

Mathilde avait les yeux fermés et semblait maintenant vivre intensément l'histoire de ce couple, ce qui surprit un peu Ronan. Elle ne réagissait pas aussi fort, d'habitude.

— Pour une première rencontre, je trouve que tu ne t'es pas tellement occupé du personnage féminin, dit-elle enfin.

— Eh bien, c'est à elle de jouer, à présent, répondit Ronan, de plus en plus gêné, comme s'il avait risqué des revendications de la part de ses propres personnages.

— Que vas-tu lui faire décider, à propos de cette invitation ?

— J'ignore encore, je dois laisser faire mon inspiration.

— Il est trop facile de la laisser toute la nuit dans le doute et l'incertitude. Décide-toi maintenant, reprit Mathilde, l'air déterminé.

C'était la première fois que sa femme le harcelait jusque dans ses retranchements d'auteur, où il s'était toujours cru en parfaite sécurité, seul maître à bord de son inspiration comme un commandant l'est sur son navire.

— Pourquoi cet ultimatum ridicule ? s'étonna Ronan, réellement troublé.

— Parce que tu joues avec les personnages sans t'en apercevoir, tu les attaches, tu les bâillonnes et tu les plies selon ta volonté. Je me sens proche de cette Julie, et ce que tu lui donnes à vivre dans tes livres n'est pas tellement différent de ce que tu m'offres dans la vie. Je ne te dicterai pas tes actes, je veux simplement savoir ce que tu comptes faire avec elle, je veux savoir quelle liberté d'action tu lui laisseras, je veux savoir si elle va courir vers son idiot de mari comme un vulgaire chien qui dresse l'oreille quand on le siffle, ou si elle va lui raccrocher au nez, ou bien encore si elle va partir avec des amies, des amis ou bien toute seule pour la sortie dont elle a envie, la sortie que TU lui as promise. Même avec des brûlures ou des gerçures, ce serait SA randonnée, SA décision, SES brûlures et SES gerçures. Valentin aurait pu lui dire : « Je t'invite à me rejoindre, si tu le souhaites, j'en parlerai au maître d'hôtel. » Au lieu de cela, je te laisse relire ce que tu lui as fait dire.


Ronan se replongea quelques secondes dans son travail et reprit :

— Ecoute, Mathilde, si ce n'est que cela, je peux changer cette phrase.

— Tu peux changer ce qui est écrit, mais pas ce qui a été exprimé, et ce sont ces mots-là que Julie a entendus. Alors dis-moi ce qu'elle va décider !

Ronan s'assit sur un fauteuil, laissant échapper un soupir dérouté. Il ne comprenait plus sa femme ; il la sentait déterminée, mais déterminée à quoi ?

De toutes les solutions qui lui vinrent à l'esprit, pourquoi retint-il celle-ci précisément ?

— Peut-être va-t-elle laisser elle aussi le hasard choisir à sa place. Cela créerait un bon rebondissement à l'histoire et Julie cesserait d'être la femme absente et soumise pour laquelle tu as de la compassion.

Mathilde n'eut aucune réaction. Puis, elle se leva.

— C'est une réponse d'homme…, dit-elle.


Et elle partit. Ronan la vit délaisser la cuisine, se diriger vers leur chambre et fermer la porte. La clé qui joua dans la serrure lui apparut comme un bruit incongru et le laissa pantois. Il se leva à son tour et vint s'échouer devant le blanc sec de la porte.

De sa chambre, attenante à celle de ses parents, Pierig ne perdait pas une bribe des évènements, étonné néanmoins que le conflit se jouât dans cet espace de la maison habituellement protégé. Depuis l’épisode du paquet de biscuits, il s'était fait oublier, il s'était allongé sur son lit et s'était plongé dans la lecture d'une bande dessinée, bien vite rejoint par Athos. Maintenant, il n'allait tout de même pas retourner au salon.


Les deux « hommes » s'observèrent un instant et Ronan sentit son image flétrir dans les yeux de son fils. Soudain des bruits de placard lui parvinrent de la chambre.

— Mathilde ? quémanda-t-il d'une voix humble.

Les bruits continuèrent sans réponse.

— Mathilde ? reprit de nouveau Ronan. Que fais-tu ?

— Je pars… pour elle, à sa place. Je prends le large quelques jours.

Un rire d'une grande stupidité lui répondit, faisant éclater l'atmosphère gelée de la maison. Puis plus rien. Sur le visage de Ronan, un reste de surprise se mua en inquiétude.

— Tu… tu pars ? demanda-t-il, comme si ces mots, sortis du contexte d'un roman, lui semblaient totalement ahurissants.

— Il faut bien que quelqu'un t'incite à donner un peu de considération à tes personnages.


Ronan était littéralement abasourdi. Pierig regardait le visage de son père se décomposer avec l'impression de ne plus rien comprendre aux adultes.

Les bruits de préparatifs continuaient imperturbablement de l'autre côté de la porte. Ronan avait eu l'espoir de les entendre cesser comme cesse de siffler un autocuiseur une fois que la pression est retombée. Mathilde avait expulsé ses griefs, mais la tension ne tombait pas.

— Tu n'es pas sérieuse ?


Sursaut vers une logique bafouée. C'était lui qui, le premier, recadrait le débat sur le plan de la réalité, lui qui se vautrait pourtant dans l'imaginaire toute la journée.

Quelques secondes de silence pour s'apercevoir si le coup avait porté. Les préparatifs semblaient se poursuivre, non pas précipitamment, mais calmement, sans à-coups.

— Tu ne peux pas faire cela ! Que tu me laisses tomber, passe encore, je saurai souffrir en silence, mais pense un peu à Pierig, à tes collègues, à ton travail !


La culpabilité à présent. C'était sur cette dernière corde que Ronan jouait son équilibre et il s'était donné à fond. Pierig se sentait pris en otage et, de son lit, il se voyait jeté en pâture aux sentiments de ses parents. Il n'aurait pas cru cela de son père. Les sens aux aguets, Ronan retenait sa respiration. Les bruits s'étaient tus, apparemment.


« Il aurait pu ajouter ‘‘pense au chien’’ pendant qu’il y était », se dit Mathilde, en se laissant aller sur le lit, au milieu de tout ce qui faisait sa présence dans la pièce, toutes ses marques à elles, éparpillées avant d'être emportées.

« Il a raison pourtant », se dit-elle, d’un ton intérieur devenu las.

« Il a raison pourtant », se dit-elle à nouveau, mais d'un ton déterminé cette fois, ne pouvant se résigner à revenir penaude sur ses pas devant un vainqueur condescendant… « Je sais ce que j’ai à faire. »


« Il s’est bien écoulé une minute, maintenant, pensa Ronan, fébrile, une minute entière. Elle a dû cesser de lutter. »

Il n'en crut pas ses oreilles en entendant soudainement les mêmes bruits reprendre et s'accélérer. Il tenta de se persuader qu'ils étaient uniquement l'envers de ceux précédemment supportés, mais il ne put pas se mentir à lui-même bien longtemps. Plus rien n'arrêterait Mathilde à présent. Il lui parut perdre pied. La porte s'ouvrit sur son désarroi. Mathilde lui apparut une valise à la main, un sourire aux lèvres, une pointe de satisfaction dans le regard.


Il voulut esquisser un geste de refus, une parole de désaccord, mais elle ne paraissait pas accessible à ses états d'âme. Elle le dépassa sans plus s'occuper de lui, et l'impossible de l'un devint le possible de l'autre ; elle partait, elle était déjà hors de vue. Ronan s'attendit à entendre et à subir les gonds de la porte d'entrée se refermer sur elle comme un coup de gong sur son quotidien, petit clic pour une grande claque, petit clic hors-concours sur l'échelle des valeurs au jeu du « connait-moi-toi-même ».


Rien de tout cela pourtant. Ronan perçut uniquement le doux frôlement des pieds nus sur le bois vitrifié des escaliers qui montaient à l'étage. Il eut un froncement de sourcil que Pierig, derrière lui, endossa dans la même expectative. Tel père, tel fils, tous deux sentaient confusément que l'irréel avait rattrapé leurs habitudes.


Les pas se perdirent sur la moquette, le bâillement à peine esquissé d'une porte mit un terme à leurs interrogations ; Mathilde n'était pas réellement sortie de leur vie, tout au plus avait-elle balayé leurs repères, du moins, espéraient-ils pouvoir s'en tenir à si bon compte. Leur inquiétude ressurgit néanmoins en entendant Mathilde composer un numéro sur son téléphone. Elle désactiva la fonction main-libre avant que Ronan ait pu entendre quel était son interlocuteur. Appel téléphonique ou appel au secours, cruelles homonymies qui venaient titiller l’imagination trop souvent sollicitée de Ronan au moment il perçut un « Merci » mettant fin à la communication.


En si peu de temps, elle n'avait sûrement pas pu raconter sa journée de travail à une amie, ni lui demander un conseil, ni même se plaindre de ce qu'IL lui faisait endurer. Non, en un si court laps de temps, elle n'avait sans doute eu la possibilité que de s'offrir un bref impératif ou un jugement sans ambages du type « viens me chercher », par exemple, ou « attends-moi, j'arrive », ou encore « je ne peux plus le supporter ».


« Moins de trente secondes pour briser dix ans d'une vie heureuse », pensa Ronan. Dans son esprit, il imaginait déjà la machine judiciaire se mettre en route et entériner la sentence ; ce coup de fil en aurait été l'instigateur. Déjà probablement, le destinataire des mots brefs, durs et sans appel, que Mathilde avait dû lancer, était en route et bientôt, il serait là, bientôt son doigt accusateur écraserait la sonnette comme on libèrerait la puissance atomique, et le feu de la douleur se répandrait en ses veines, le liquéfierait, le rendrait au néant sans aucune autre forme de procès.


Ronan avait une réelle propension à faire fusionner en un ramassis noir d'incertitude les peurs et les perspectives qui s'accouplaient en d'horribles soubresauts dans son esprit fertile.


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