I. Le mouvement féministe au cœur de l'histoire politique française

Le féminisme français s'inscrit dans une histoire politique et intellectuelle riche qui remonte au XVIIe siècle. En 1622, Marie de Gournay, proche de Montaigne, publie « L'égalité des femmes et des hommes », posant les premières pierres de cette réflexion. Puis, en 1792, Olympe de Gouges proclame la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », un acte audacieux qui lui vaudra d'être guillotinée l'année suivante.

Ces idées progressistes influencent peu à peu la société et permettent des avancées significatives, telles que l'autorisation du divorce par consentement mutuel en 1792 (supprimé en 1816) ou encore la possibilité pour une femme de passer le baccalauréat en 1861, comme le fit Julie Daubié, autodidacte.

Jusqu'au XXIe siècle, le féminisme européen demeure essentiellement politique et philosophique. Il vise à changer la perception sociétale de la femme, longtemps considérée comme opprimée. Simone de Beauvoir, figure incontournable du mouvement, déclare : « On ne naît pas femme, on le devient », résumant ainsi l'un des grands enjeux des féministes du XXe siècle. À cette époque, l'aménagement urbain ne fait pas encore partie des revendications, et aucun lien explicite n'est établi entre la conception des villes et les droits des femmes.

II. Une approche pragmatique du féminisme aux États-Unis

Aux États-Unis, le féminisme suit une trajectoire différente. Les sœurs Beecher, figures de proue d'une idéologie féministe distincte, mettent en avant une distinction entre les caractéristiques « féminines » et « masculines », influençant ainsi l'organisation des villes américaines.

Après l'indépendance du pays au XVIIIe siècle, les Américains cherchent à se démarquer des modèles européens. Thomas Jefferson dirige en 1784 une commission sur l'aménagement urbain, influencée par trois courants majeurs : la religion, le transcendantalisme et le féminisme américain.

Dans leur ouvrage « Woman's Home » (1869), les sœurs Beecher défendent une répartition stricte des rôles : les hommes occupent des fonctions économiques, tandis que les femmes se consacrent aux tâches domestiques et éducatives. Elles conçoivent ainsi un cadre de vie idéal où la maison, située en périphérie et proche de la nature, devient le domaine de la femme, tandis que les hommes travaillent en centre-ville.

Cette vision, marquée par la religion, contraste avec le féminisme européen, qui revendique l'égalité et la mixité. Selon ce dernier, les rôles ne doivent pas être dictés par la biologie, mais chaque individu doit pouvoir choisir librement sa trajectoire. Ce principe fondamental inspire aujourd'hui les bases de l'urbanisme féministe.

III. L'urbanisme féministe, un nouvel enjeu sociétal

En 2017, le gouvernement français révèle que 72 % des tâches domestiques sont assurées par les femmes et que 30,4 % d'entre elles travaillent à temps partiel pour s'occuper de leurs enfants. Cette réalité alimente le débat féministe actuel : comment permettre aux hommes d'être plus impliqués dans l'éducation des enfants et aux femmes d'accéder à des postes à responsabilité tout en conciliant vie familiale et professionnelle ?

L'aménagement du territoire constitue une piste de réponse pertinente. Aujourd'hui, la ville est conçue pour les actifs, majoritairement masculins et sans contraintes familiales. Les logements sont éloignés des quartiers d'affaires, et les transports en commun, optimisés pour les trajets domicile-travail, n'intègrent pas les besoins des enfants (accès aux écoles, activités extra-scolaires, etc.).

Des expertes comme Sandra Huning (Allemagne) et Edith Maruejouls (France) proposent une refonte des villes pour offrir davantage de libertés aux individus. Elles défendent un aménagement polycentré, intégrant le télétravail et adapté aux adultes comme aux enfants.

IV. Vers un urbanisme repensé au XXIe siècle

Une ville « féministe » pourrait se structurer autour de quatre axes : l'espace public, les transports, l'architecture et la mixité des fonctions.

1. Espaces publics : favoriser une mixité accrue avec des espaces pensés pour tous, au-delà des terrains de sport traditionnels. Des initiatives comme les vitres de la Bibliothèque Nationale de France, où filles et garçons viennent répéter des chorégraphies, illustrent cette dynamique.
2. Transports : développer des trajets plus courts et sûrs, reliant domicile, travail et lieux fréquentés par les enfants, avec une approche plus locale et connectée.
3. Architecture : encourager des habitats favorisant les interactions sociales et le « contrôle passif » de l'environnement, avec des logements orientés vers l'espace public et les transports.
4. Mixité des fonctions : rapprocher logements, bureaux, commerces et services pour favoriser des déplacements limités et une meilleure qualité de vie.

En conclusion, l'urbanisme féministe ne se limite pas aux femmes : il bénéficie à l'ensemble de la société. Adaptable aux villes actuelles, il propose une approche inclusive et équilibrée, offrant aux hommes et aux femmes la possibilité de mieux vivre ensemble.

Fanny Azan-Brulhet