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Le vieil arbre et le jeune homme

Le vieil arbre et le jeune homme

Published Jun 8, 2025 Updated Jun 8, 2025 Tale
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Le vieil arbre et le jeune homme

Il était un été, un de ceux qui ravinent la terre et assèchent les branches. Il était un été comme tant de saisons ont traversé ma vie... Mais cet été là, je ne l'oublierai jamais.


Et si le temps passait autour de moi sans véritable emprise, il semble en avoir une sur eux. Parfois, ils traversent le chemin qui borde les haies, parfois ils se posent et s'arrêtent auprès de moi, pour se reposer à mon ombre, et parfois même dans le printemps qui est le leur, ils batifolent à mes pieds. Mais j'avoue que jamais l'un d'entre eux ne s'est vraiment intéressé à moi, si ce n'est pour graver leur amour à mon écorce.


Et puis un jour, au hasard d'une ondée, l'un de ces humains est venu se protéger sous mes branches. Peut-être a-t-il apprécié le calme de ces lieux, il s'est assis en tailleur puis a commencé à méditer. Ce n'était pas la première fois que cela m'arrivait, mais ce jour-là, à peine s'était-il installé, que tout a coup j'ai pu entendre ses pensées. Il communiquait avec toute la nature autour de nous, et je pouvais sentir ses vibrations intentionnelles.


M'offrant de l'attention dont j'avais tant manqué, me disant qu'à mon contact, il se sentait apaisé ; j'en étais fort étonné. Au bout d'un moment, je lui ai déclaré :


- Toi qui me sembles plus réceptif que les autres de ton espèce, j'aimerais te questionner : Pourquoi êtes-vous si violent envers vos semblables ? Depuis que j'ai germé, il y a quelques siècles déjà, j'ai vu défiler dans cette plaine de nombreuses guerres, de nombreux conflits. J'ai vu passer de nombreuses vies et de nombreuses morts aussi.

- Malheureusement c'est ainsi. Certains hommes déclenchent des guerres, par appât du gain, pour obtenir du pouvoir sur les autres, des possessions... J'imagine que tu ne peux pas comprendre ; vous les arbres, vivez en symbiose avec ce qui vous entoure. Le concept même du pouvoir et de l'argent doit vous échapper. Un peu de terre, un peu d'eau et d'attention vous suffisent ; mais nous, nous sommes des êtres d'envie et de désirs.

- J'entends parfois vos mots et j'en saisis le sens, mais lorsque vous parlez d'argent et de pouvoir, cela me semble absurde...

Comment peut-on avoir envie de détruire ses semblables, sa terre et son eau pour ceci. J'ai été témoin de la violence que vous propagez, telle ces tempêtes qui tentent parfois de me déraciner... mais la tempête a une raison d'être, elle n'est ni cruelle ni intentionnelle, elle est ce qu'elle est. Tandis que vous, vous semblez prendre du plaisir à abattre vos pairs, oubliant qu'ils sont vos racines, vos branches et vous lient à cette terre et à ce ciel.

- Je comprends ton désarroi, mais écoute, je vais tenter de te faire comprendre. L'eau qui tombe du ciel, la chaleur du soleil, la fraîcheur de la terre qui t'apportent tes racines, pour toi, tout ceci est gratuit. Tu es libre de recevoir la nature et de t'y intégrer et tu acceptes les aléas qu'elle t'apporte au gré des saisons. Mais vois-tu, l'homme de son côté n'accepte pas le monde tel qu'il est, il voudrait le contrôler, en faire un havre de paix et, paradoxalement, c'est pour cela qu'il fait la guerre. Le pouvoir et l'argent lui permettent d'obtenir l'illusion de ce contrôle... mais c'est au prix de nos libertés que nous abîmons le monde...

- Je pense comprendre ce que tu me dis là. Pour reprendre l'une de vos phrases : l'enfer est pavé de bonnes intentions. Mais j'ai vu pire encore... j'ai été le témoin impuissant d'horreurs dont vous seuls semblez capables... J’ai vu un nombre incalculable de massacres, j'ai ressenti le viol de vos êtres, j'ai éprouvé de la colère quand vous avez battu vos enfants, utilisant parfois l'une de mes branches, me rendant indirectement complice de vos actes. Mes racines ont été imbibées de votre sang et de vos larmes... j'ai cru être contaminé par votre colère, car tout arbre que je suis, je n'ai jamais pu y faire quoi que ce soit. J'ai dû exister avec cette culpabilité de ne pouvoir lever la petite branche pour protéger les innocents. J'en ai pleuré tu sais...

- Je suis désolé que tu ai dû assister à tout cela. Mais sache que même pour moi, et pour beaucoup de mes semblables, ces actes dont tu parles nous apparaissent horribles, injustes, intolérables... Et comme toi, beaucoup d'êtres humains se sentent impuissant face à tout ça. Tu comprends, nous-mêmes ne pouvons pas faire grand-chose, nous-même portons cette culpabilité dont tu parles...

- Mais si beaucoup des tiens trouvent tout ça intolérable, pourquoi ne faites-vous rien ? Pourquoi n'arrêtez-vous pas tout ça ?

- Ces guerres dont tu parles sont justement nées de cette envie de changer les choses...

- Je vois... C'est compliqué. Et toi ? As-tu déjà fait cela jeune homme ?

- Je ne suis plus si jeune tu sais...

- Moi qui ai près de 800 ans, vous me paraissez tout jeune...

- Je vois. Et pour te répondre honnêtement Vieil arbre majestueux... J'ai moi-même, dans ma jeunesse, fait des choses dont je ne suis pas fier.

- Je t'écoute. Si tu veux bien m'en parler bien sûr.

- Des meurtres, des combats, de la torture... Moi aussi j'en ai commis des forfaitures.

- Pour quelle raison ? L'argent, le pouvoir, la possession, le plaisir ? L'eau, la terre ?

- Rien de tout cela. La simple vengeance. Des hommes ont assassiné mon aimée Déborah. J'ai pleuré quand elle a subi le pire, j'ai pleuré sur son corps sans vie... J'ai voulu leur infliger autant de souffrances qu'ils n'en ont infligées à celle que j'aimais. Et malgré ma colère insatiable, j'ai pleuré après avoir assouvi mon inutile vengeance. Ma conscience est lourde Vieil arbre et toi, tu n'as rien à te reprocher. Tu n'es pas responsable des horreurs des autres. Ton seul tort est d'avoir poussé ici, sur cette terre convoitée. Es-tu responsable du lieu où le vent a porté ta graine ?

- Cela ne change rien, jeune homme. La tristesse de voir ces vies gâchées devant moi, ces violences subies par des innocents... Nous sommes tous connectés, même si vous, les humains, n'en semblez pas conscient. La souffrance des uns nous touche tous. Il faut que tu comprennes que ce que tu appelles nature est un tout. Moi-même, je ressens la peine de l'animal qui meurt là-bas dans les fourrés, la sensation de l'herbe quand elle est mâchée, la branche cassée de ce buisson là-bas ; nous sommes un tout... Là par exemple, alors que tu me racontes ton histoire, je sens au plus profond de mes racines la souffrance, la peine et les regrets qui t'ont traversé.

- Et je ressens la culpabilité et la tristesse dont tu me parles également. Mais nous autres humains, bien souvent, devons passer par de douloureuses expériences pour arriver à cette conscience. C'est assez nouveau pour moi en fait. Avant, je serais passé à côté de toi sans même te regarder.

- Nous ne sommes pas si différents jeune homme. Alors que je n'étais qu'une jeune pousse au bord de ce lac, je ne m'intéressais nullement à ce qui m'entourait. Mais d'être confronté à la violence du monde, ça vous change un arbre. J'ai pleuré une bonne partie de ma vie à cause de tout ce gâchis...

- Ça doit être pour ça que l'on te nomme le saule pleureur.

- Oui, de l'ironie mal placée sans doute. Mais dit moi jeune homme, as-tu des souvenirs heureux ? Si oui, égalent-ils dans leur intensité, les drames dont tu m'a fait part ?


À ces mots, un silence s'est posé doucement sur la plaine. Le vent a rafraîchi mes feuilles et le visage de mon nouvel ami. Pendant un moment, j'ai cru qu'il avait rompu le contact. Au bout d'un certain temps, il reprit la parole, mais je sentis que ses vibrations s'étaient adoucies :


- En fait... J'ai connu une enfance heureuse, dénuée de tracas. Je me suis beaucoup amusé, de manière souvent irresponsable. J'ai connu l'Amour avec Déborah. Un Amour si grand que rien ne peut l'effacer de mon cœur, pas même la mort. Finalement, j'ai trouvé la paix, après de nombreuses années à traîner mes regrets et mes remords... Depuis que cette paix m'a touchée, je peux même ressentir à nouveau sa présence. Si je me laisse écouter le vent, je peux entendre sa voix, sentir ce parfum qu'elle aimait tant. J'éprouve le goût de sa peau sur mes lèvres, et là, j'aperçois son regard au milieu de ces champs d'orges qui ondulent comme le faisaient ses cheveux au vent. Le soir avant de dormir, elle s'allonge à mes côtés et je sens une caresse sur ma main, contre ma joue... Elle me paraît aussi présente que le premier jour où je l'ai embrassée. Tu vois Vieil arbre majestueux : je sens l'Amour me traverser régulièrement. Et toi ? Connais-tu l'Amour ?

- Pas de la manière dont tu m'en parles mais, oui, je connais. De mon propre ressenti, l'Amour est l'énergie qui me fait vivre et grandir. L'énergie qui passe d'une plante à l'autre, de moi à mes frères ici présents. L'énergie que les jeunes amants dégageaient lors de leurs ébats à mon pied. L'énergie que souffle le vent, celle qui tombe par gouttes du ciel et qui m'inonde de chaleur par ce soleil. Cette onde est partout, tout le temps, elle apaise ma tristesse et mes regrets... Mais l'Amour dont tu parles, me semble plus... personnel, intime et d'une douceur sans pareille.

- Tu as tout compris Vieil arbre majestueux... Tu es la preuve de ce que j'ai saisi avec le temps : la nature est d'une sagesse et d'une compréhension infinie. Comme tu le disais, le temps a une emprise sur nous autres et il m'appelle ailleurs, je vais devoir te laisser. Mais je repasserai de temps en temps, si tu veux bien de ma compagnie ?

- Ce sera un plaisir mon jeune ami. Merci pour cette conversation enrichissante.

- Merci pour ton écoute bienveillante... À une prochaine fois Vieil arbre majestueux.

- Au revoir jeune homme.


Puis... Il s'est levé et est reparti comme il était venu. Une conversation avec un être humain qui me traitait d'égal à égal, c'était une première pour moi.

Nous nous sommes souvent revus, jusqu'à ce que la vie l'emporte dans la poussière du temps. Il a bâti un enclos pour protéger mes racines de l'appétit de chèvres, il a coupé mes branches inadéquates, il a creusé un ruisseau pour m'apporter l'eau du lac voisin en période de sécheresse... De mon côté, j'ai partagé avec lui ce que j'avais connu de ce monde, nous avons lu ensemble, nous avons ri... il dormit auprès de moi et, ces longues années, furent celles où le temps a eu le plus d'emprise sur mon âme.


Désormais, il repose à mon pied, comme nous l'avions souhaité, car il voulait éprouver le sentiment de ce lien que je lui avais conté. Avant que son cœur ne s'arrête, j'ai vu un sourire se dessiner sur son visage. Je crois qu'il est heureux maintenant qu'il est lui aussi fait de branches et de racines.


La vie a repris son cours, et je n'ai cessé d'observer le monde. Lui qui était sage m'a enseigné l'espoir d'un monde meilleur pour eux.


Depuis, je pense que cette espèce pourrait devenir bien plus sage et évoluée qu'elle ne l'est... un jour, peut-être. En attendant, je continue d'observer les décennies passer, à pleurer sur la tristesse de ce monde et à goûter à l'Amour qu'il m'envoie...


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