Le secret d'Alma
Le secret d'Alma
Il était une fois une chasseuse

Elyna avait tout préparé avec un soin méticuleux. Chaque point de sa check-list avait été coché dans l’ordre, comme un rituel sacré auquel elle ne pouvait déroger. Pragmatique jusqu’à l’obsession, elle organisait ses missions avec la précision d'un horloger, trouvant dans cette discipline méthodique un fragile rempart contre l’incertitude.
À mesure que les quêtes devenaient plus périlleuses, elle s'accrochait à ce rituel avec une ferveur presque superstitieuse. Son supérieur, implacable, exigeait toujours davantage, plus de rareté, plus d'intensité, plus de profit. Les objectifs grimpaient comme des tours de verre que l’on savait vouées à se briser. La dernière extraction avait été un triomphe retentissant. Le bonheur brut, capté dans l’étreinte bouleversante d’une mère et de son enfant, arrachés aux décombres du tremblement de terre de Sakarope, avait enflammé le marché. Les clients s’étaient rués pour acquérir cet instant volé au chaos, cette émotion nue devenue produit de luxe.
Dans un monde qui avait troqué ses rêves contre un réalisme cartésien, les moments de gaité étaient devenus une denrée précieuse. On la captait, on la mesurait, on la vendait sous forme de minuscules ampoules sensorielles, injectées aux citoyens épuisés pour leur redonner le goût de vivre. Un moment intense avant l'inévitable retour à l'indifférence. Bien sûr, il subsistait les plaisirs infantiles. Il jaillissaient sans filtre, sans attente, sans calcul. Un rayon de soleil sur la peau, un bâton ramassé au bord d’un chemin, un animal furtif traversant le regard. Tout suffisait à déclencher l’émerveillement. Un enfant riait aux éclats, pleurait l’instant d’après, avec cette intensité fragile et brute qui échappait à toute mesure. Leur euphorie avait la fulgurance d’une étincelle, l’éclat incandescent d’un feu qu’aucune machine n’avait su capturer proprement. Il en résultait des capsules auto-injectables de mauvaise qualité, vendues au rabais à un public depuis longtemps amputé de son âme d’enfant. L’adulte s’observait, se surveillait, se censurait. Il riait à demi-mot, sautait à peine, demandait la permission à sa raison avant d'oser aller plus loin. Quand l’enfant est heureux de courir dans une flaque, l’adulte se demande à quoi sa sert. La joie était devenue un objectif à atteindre, un résultat à mériter, un produit à consommer. Elle avait perdu sa gratuité.
Elyna était une collecteur d’émotions positives, une émovore comme on disait dans la profession. Son équipement dernier cri, un extracteur sensoriel sensible aux ondes affectives, l’avait mené aux quatre coins du globe. Elle avait saisi des larmes de bonheur dans une maternité effondrée d'Amarisa, capturé le frisson d’une victoire improbable dans un stade abandonné, recueilli l’éclat d’un rire d’enfant sous les décombres d’une ville bombardée.
Mais aujourd'hui, la mission était différente. La Compagnie lui avait parlé de l’émergence. Une anomalie émotionnelle, un point de chaleur sur leurs radars froids. Le comité scientifique s’était réuni. Les preuves étaient là et leurs conclusions étaient irrévocables. Une source d’extase continue avait été détectée. Une rareté absolue. Un phénomène inexpliqué qui méritait que l’on envoie sur le terrain le meilleur émovore.
— Si tu parviens à la trouver, Elyna, lui avait dit son supérieur, c’est toute l’entreprise qui te sera redevable. Te rends-tu compte ? Une source de joie inaltérable.
Elyna connaissait bien le problème. L’aspect éphémère des manifestations permettait de synthétiser qu’un nombre limité de capsules.
— Avons-nous réussit à la localiser ?
— Non, les radars drones manquent de précision. Le point se trouverait au sud du désert d’Armaz. C’est à toi de trouver l’émergence et d’identifier son origine. J’espère que ce n’est pas encore un de ces sale cabot. J’ai horreur de ces animaux qui transpirent par la bouche et sourient par la queue.
Le département de recherche avait tenté de synthétiser l’enthousiasme simple et éclatant d’un chien retrouvant son maître après une longue journée d’absence. Mais l’expérience tourna court. Lorsque les bêta-testeurs furent exposés à l’émotion canine, ils commencèrent à s’agiter de manière incontrôlable, incapables de contenir l'élan brut qui les traversait. La charge émotionnelle, trop sauvage, débordait le cadre fragile du psychisme humain. Ce que l’animal acceptait comme une évidence, l’homme, lui, était incapable de le recevoir sans vaciller.
— Une dernière chose Elyna. La discrétion est impérative. Nos adversaires nous talonnent. Si tu trouves la source, tu lui propose de revenir ici, avec toi. Son prix sera le notre.
— Si vous enfermez la joie dans une prison dorée, vous risquez de la perdre.
— Laisse-nous nous occuper de cet aspect. Contente-toi de faire ton boulot.
Le désert gagne toujours

La brise glaciale venue des hauteurs du nord avait décidé de s’aventurer, téméraire, vers les vastes étendues dorées du désert. Une rencontre inattendue se préparait. C’était l’étreinte de deux mondes, deux royaumes antagonistes. L’un glacial et rigide, l’autre incandescent et indompté. L’air froid, lourd et dense, avançait comme un cortège solennel et l’air chaud, volatil et impétueux, s’élevait en une danse fiévreuse, cherchant à dominer cet intrus polaire. Le ciel, jusque-là paisible, se troubla. L’horizon, d’ordinaire si net sous l’écrasante lumière du soleil, se brouilla dans une vague d’effroi. Le sol aride, habitué à la caresse brulante de l’air, se sentit soudain trahi. Les grains de sable, réveillés de leur torpeur millénaire, s’agitèrent, formant des tourbillons fous, guidés par les forces irrésistibles qui s’affrontaient au-dessus d’eux. Les courants d’air s’entrechoquaient, se séparaient puis se mêlaient à nouveau en une lutte sans merci. L’air chaud, exalté par sa propre fougue, montait en spirale, tandis que l’air froid, impassible, cherchait à imposer son ordre rigoureux. De cette joute dantesque naissaient des tempêtes de sable d’une envergure titanesque.
Le vent, devenu furie, hurlait sa rage, emportant dans son souffle des montagnes de poussière qui obscurcissaient le jour, transformant la lumière dorée en une ombre sépia, presque irréelle. Et parfois, au cœur de cette frénésie naissait un être de vent et de poussière. La sorcière surgissait du néant comme un djinn dansant, un tourbillon de sable et de vent emporté dans une transe mystique, unissant les lois de la terre et du ciel. Elle serpentait, menaçante, éphémère, capable de ravager tout ce qui osait croiser son chemin.
C’est dans ces conditions apocalyptiques qu’Elyna avançait. Son véhicule, glissait en direction d'un village dont personne ne parlait plus depuis des décennies. Sur son capteur, une aiguille vacillait légèrement, signe qu'une émotion vive, authentique, palpitait quelque part. Elyna souriait, par habitude plus que par conviction. Bientôt, elle ajouterait une autre fiole à sa collection. En qualité d’émovore, elle avait le privilège de conserver un échantillon de chacune de ces extractions. Elyna ne les consommait pas, elle les collectionnait. Précieusement conservés dans un coffre. La joie se faisant de plus en plus rare, sa valeur marchande grimpait années après années. Après toutes ces pérégrinations, elle avait amassait un joli pactole. Elyna rêvait de sédentarité, de rivages paisibles où le sable doré filerait entre les orteils de ses pieds.
— Comment se passe ton voyage ?
L’écran de son intercom l’arracha à ses rêveries laissant apparaître le visage replet de son patron.
— Long et ennuyeux.
— La tempête ne t’a pas trop secouée ?
Elyna mit un peu de temps à réagir.
— Vous me suivez ?
— J’ai deux patrouilleurs qui sont au-dessus de ta tête.
— Vous ne me faites pas confiance ?
— Mais pas du tout voyons. Tu est notre meilleur élément. Ta sécurité fait partie de mes responsabilités.
Cela ne faisait aucun doute, elle excellait dans son domaine. Elyna appartenait à cette infime poignée d’êtres chez qui le circuit de Papez-Jakob demeurait intact, préservé comme un sentier sacré dans la forêt ancestrale du cerveau. Là, dans les replis obscurs de l'esprit, une lueur s’allumait chaque fois qu’une émotion naissait. Elle empruntait ce vieux chemin serpentant à travers le système limbique, jusqu’à atteindre le sanctuaire de la mémoire, où elle pouvait enfin s’abandonner au repos. Chez la plupart, ce passage s’était depuis longtemps éteint, effacé par les générations comme un sentier oublié sous les broussailles du progrès. Ils ne ressentaient plus. Incapables de vibrer. Fermés à l’empathie. Ignorants toute forme de sympathie.
— Je n’ai pas besoin de chiens de garde.
— Je te promet qu’ils n’interviendront que si tu es en danger.
Elyna avait l’habitude des promesses dans le sable de son supérieur.
— Rappelez vos sbires ou je rentre à la maison.
— Tu t’exposes à des sanctions.
— Je peux aussi démissionner et me tourner vers la concurrence.
— Tu n’oseras jamais.
— Ne me provoquez pas.
La communication s’interrompit, laissant derrière elle un silence chargé d’électricité. Elyna bouillonnait de colère. Dix années entières au service du même employeur, dix années à sillonner le globe sans relâche, à reléguer sa vie de femme au second plan, comme une robe oubliée au fond d’un placard. Que pouvait-elle réellement espérer de ces hommes, sinon leur indifférence froide et calculée ? Des hommes pour qui le mot loyauté ne signifiait rien, pour qui seule comptait la logique de l’intérêt, nue, implacable. À leurs yeux, elle n’était qu’un rouage dans la mécanique, une ressource parmi d’autres. Rien de plus. L’écran se ralluma. Son directeur affichait un faux sourire contrit.
— Tu as gagné. Je fais revenir les patrouilleurs.
Le village

Le village semblait endormi sous la chaleur. Quelques maisons de pierre ocre, une placette centrale où s'étirait un arbre tordu par le vent, un puits sec au milieu. Le genre d'endroit que même les cartes avaient cessé de nommer.
Elyna descendit de son véhicule, balayant les lieux du regard. L’air était lourd. Dans son oreillette, le capteur grésillait doucement. L’aiguille vibrait plus fort. Il y avait bien quelque chose ici. Un groupe d'enfants jouait à l’ombre de l’arbre, riant d’un jeu simple avec une balle faite de chiffons. Leur rire était léger, sans calcul. Elyna sentit un pincement au cœur. Une fissure s’ouvrait en elle, infime, mais suffisante pour laisser s’infiltrer une inquiétude sourde. Son patron attendait des résultats, pas d’inexploitables enfantillages.
— Bonjour, lança-t-elle d'une voix neutre.
Les enfants s'arrêtèrent de jouer pour la regarder, méfiants. Puis l'un d'eux, un garçon maigre, pointa du doigt une silhouette qui avançait lentement depuis une ruelle.

C’était une vieille femme, voûtée mais vive, un panier d'herbes fraîches sous le bras. Son visage était buriné par le soleil. Mais l’élément anatomique le plus marquant était les deux opales bleues et étincelantes qui illuminaient sa face, ne laissant aucun doute sur ses origines. Une calbétienne. Elle s’approcha, salua Elyna d’un hochement de tête, puis s’accroupit pour caresser les cheveux d'une petite fille. Le capteur d’Elyna explosa de signaux. L’aiguille oscillait comme folle. C'était elle. L’émergence.
Sans perdre une seconde, elle sortit discrètement son extracteur et enclencha la capture.… Rien. Pas de flux, pas de données, pas même une onde résiduelle. Elle fronça les sourcils, réajusta son appareil, fit un second essai. Toujours rien. Elle vérifia son capteur, tous les signaux étaient au vert. Pendant ce temps, l’ancienne riait doucement avec les enfants, leur distribuant des fruits secs de son panier. Le son de sa voix flottait dans l’air comme un parfum oublié. Elyna resta figée, incapable de comprendre. Jamais son équipement ne l’avait trahi. Jamais une émotion vraie ne lui avait échappé. Elle se força à sourire poliment et s'approcha.
— Bonjour... Je suis… voyageuse, dit-elle maladroitement.
La femme la regarda sans répondre tout de suite, comme si elle jaugeait autre chose que ses mots. Puis, avec un clin d'œil malicieux, elle répondit simplement.
— Et bien, voyageuse, tu es arrivé juste à temps pour le festin.
Sans lui laisser le temps de répliquer, elle s’éloigna en riant, suivie de la ribambelle d'enfants. Elyna resta seule, le cœur battant et l’esprit troublé. Elle retourna à son véhicule. Elle hésitait à appeler son boss. Heureusement elle avait un extracteur de secours.
Le festin n’avait rien d’extraordinaire. Quelques tables branlantes avaient été sorties devant une grande maison au toit de paille. Les habitants du village apportaient des plats simples, du pain croustillant, des légumes grillés, des fruits, des pots de miel. Une odeur de thym flottait dans l’air, et la bonne humeur coulait comme un ruisseau. Elyna, restée en retrait, observait en silence. Son extracteur pendait à sa ceinture, inutile. Les cartouches de confinement resteraient vides. Elle en avait une dizaine sur elle et encore toute une caisse dans son véhicule. L’aiguille de son capteur vibrait toujours, comme attirée par une lumière impossible à saisir. Elle devait convaincre Alma, car tel était son nom, de la suivre. Les scientifiques fabriqueraient un extracteur adapté à sa signature émotionnelle. Cette dernière s'approcha d’elle.
— Tu as faim, voyageuse ?
— Je... suppose que oui, répondit Elyna.
Alma lui tendit un morceau de pain encore chaud, accompagné d’une poignée d’olives brillantes. Elyna hésita. Accepter ce don, c'était franchir une ligne invisible qu’elle n’avait jamais osé franchir.
Un festin inattendu

On n’avait jamais vu un chasseur déjeuner avec ces proies. Mais partager un repas crée immédiatement un cadre commun, apaisant et souvent convivial, qui favorise l’échange. Elle se donnait la soirée pour convaincre son hôte de la suivre. Finalement, elle prit le pain. À la première bouchée, quelque chose d'inattendu se produisit. Un goût simple, rustique, mais vibrant. Une saveur oubliée. Celle d’un moment partagé sans attente, sans échange mesuré. Autour d’elle, les voix s’entrelaçaient. Des murmures en fête, virevoltaient dans l’air emportés dans un ballet de confidences. Les enfants se poursuivaient en riant. Un vieil homme racontait une histoire à voix haute, imitant les voix de dragons et de reines. Les gens écoutaient en souriant, hochant la tête, ajoutant parfois une anecdote. Personne ne cherchait à impressionner, à convaincre, à prendre. Ils étaient là, ensemble, et cela suffisait. Elyna sentit son torse se relâcher, une tension qu'elle n'avait même pas conscience de porter s'évapora. Sans le vouloir, elle sourit. Un vrai sourire. Pas une grimace professionnelle. Pas un tic de façade. Alma, assise à ses côtés, la regarda du coin de l'œil et murmura.
— Tu trouveras ici ce que tu cherches mais tu ne pourras pas l’emporter dans une boîte.
— Il faudrait que vous veniez avec moi.
— La joie est la rivière qui irrigue notre communauté. Si tu essaies de la capturer, elle cesse de couler. Tu ne pourras la contenir ni la posséder. Elle est un don mouvant, un souffle vivant, qui ne se répand que parmi les semeurs de liberté.
La vielle dame avait-elle deviné ces intentions ? Connaissait-elle l’existence des émovores ? Elle qui vivait dans un village coupé du monde technologique.
— La joie qui vous habite pourrait profiter à d’autres.
— Cette humeur est liée à cet endroit, aux gens qui m’entourent, à ces enfants qui jouent. Seule je ne suis rien et je n’ai rien à donner. Regarde autour de toi. Tu ne verras que don et partage. C’est cela que vos radars ont détecté et c’est pour cela que tu es là.
— Vous savez cela ?
— Tu n’es pas la première à venir ici dans ce but. Tu n’es pas la première dévoreuse d’émotions que je rencontre. Loin d’ici je serai malheureuse.
Elyna baissa les yeux sur son extracteur. L’avertissement était clair. Privée de son environnement, l’émergence disparaitrait.
— Nous devons comprendre d’où vient votre allégresse, comment elle est fabriquée ?
La vieille femme s’esclaffa sans retenue.
— Mais la joie ne se fabrique pas, Elle se manifeste par un sentiment de bien-être, de plaisir, parfois d’exaltation ou de félicité. Elle peut être provoquée par une réussite, une bonne nouvelle, un moment agréable ou un lien affectif. Tous ces phénomènes agissent comme des déclencheurs et libèrent les muses du bonheur.
— De quoi parlez-vous ?
— On dit qu’au commencement, quatre sœurs veillaient dans l’ombre du cœur humain.
Elles étaient quatre

Chacune portait une couronne invisible, et chacune soufflait, à sa manière, sur les braises du plaisir. Dopamina, la fougueuse, danseuse de l’attente et de la quête semait les promesses et nourrissait les rêves de conquête. Elle était accompagnée d’Oxythéa, la tendre unificatrice. Suivait ensuite Sérotina, la sage silencieuse. Dans ses bras, le tumulte se calmait, et l’amour devenait refuge. Endorphé, la consolatrice invisible, fermait le cortège. À quatre, elles tissaient la tapisserie de la joie humaine. Et ceux qui les sentaient, même sans les nommer, savaient une chose. Ce que l’on appelle bonheur est un chant, et ces quatre-là en sont les voix. Je ne sais pas pourquoi les muses ont quitté le cœur des hommes.
Elyna observait Alma avec curiosité. Elle avait reconnu la référence aux hormones du bonheurs. Quelle que soit l’allégorie choisie, le silence chimique s’était installé. Les conclusions des neuroscientifiques étaient sans appel. La D.O.S.E avait disparu et avec elle, l’oubli de ce qui faisait vibrer l’humain.
— Approche-toi, je vais te dire un secret. Reprit Alma.
Tandis que la jeune femme tendait l’oreille aux promesses de la villageoise, celle-ci pris le bras de l’émovore qu’elle pinça fortement.
— Aie ca fait mal. Protesta Elyna.
— Cet échange que nous venons d’avoir provoque une émotion chez toi. Il en est de même pour la joie. Il faut créer une interaction avec quelqu’un d’autre pour libérer ce sentiment. Seule tu n’éprouveras jamais rien. Essaie de te faire des chatouilles. Alors que si je m’approche de toi…
— Ne faites surtout pas ça.
Pour la première fois depuis des années, elle se demanda si elle n’avait pas tout compris à l’envers. Le ciel s’embrasa de teintes orange et pourpres à mesure que le soleil déclinait derrière les collines. Les villageois allumèrent des lanternes de fortune, et bientôt la place s’illumina de mille petites flammes vacillantes. Elyna resta assise, incapable de partir. Elle n’était plus l’étrangère silencieuse. Elle riait doucement aux anecdotes du vieux conteur, elle goûtait aux dattes sucrées que les enfants lui tendaient, elle écoutait les chansons anciennes qu'Alma entonnait d'une voix rauque et chaleureuse. Elle avait essayé de prendre, alors qu’il suffisait de se laissait traverser. À un moment, Alma s’approcha d’elle. Elle s’assit lentement, les jambes repliées sous elle, et lui tendit un objet qu'elle avait gardé serré dans sa main ridée. C'était une petite pierre plate, polie par le temps, sur laquelle un mot avait été gravé maladroitement. Elyna la prit avec respect, la tenant comme on tiendrait un cœur fragile.
— Pourquoi me l’offrir ? demanda-t-elle, la gorge nouée.
Alma la fixa, ses yeux pétillants sous la lumière dansante.
— Parce que la joie n'est jamais dans ce que tu possèdes. Elle naît dans ce que tu offres.
Elle posa doucement sa main sur celle d’Elyna.
— À toi de choisir, voyageuse.
— Je m’appelle Elyna.
Dans l'ombre de la place, son véhicule l'attendait, froid, métallique, rappel du monde d’où elle venait. Sur sa ceinture, l’extracteur clignotait faiblement, témoin inutile d’une mission échouée. Ou peut-être... d’une mission accomplie, mais autrement. Elyna leva les yeux vers le ciel. Les étoiles commençaient à éclore dans l’obscurité, timides, fragiles, mais infiniment vivantes. Un sourire naquit sur ses lèvres, libre de toute contrainte. Elle savait ce qu’elle avait à faire. Elle laissa tomber sa ceinture au sol, l’extracteur s’éteignit dans un dernier souffle électronique. Puis, tenant précieusement la petite pierre gravée, elle se leva, rejoignit le cercle de villageois, et entonna maladroitement les paroles de la chanson.
Et cette nuit-là, Elyna devint, pour la première fois de sa vie, non pas une collectionneuse... mais une porteuse de joie. Son rire éclata à la face de l’assemblée quand elle imagina les radars drones en train de s’affoler.
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