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Flore-essence

Flore-essence

Publié le 14 juil. 2025 Mis à jour le 15 juil. 2025 Poésie et chanson
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Flore-essence


Ça a poussé. Alors qu'une particule extra-terrestre en expansion telle une nébuleuse annihilante avait pris naissance dans ma poitrine, sans qu'aucuns signaux ne soient venus m'alerter. Sans que personne ne s'aperçoive de rien.


Ça a poussé peut-être dès l'instant où la spécialiste, satisfaite, m'a jetée au visage en même temps que les imageries de mon sein sur son bureau :


« On a bien fait de la faire, cette biopsie ! »


Et que, piégée dans l'irréalité brutale et cauchemardesque de cette annonce, mon dos s'est lui soudainement redressé en contre-coup, en une dignité stoïque telle une rose trémière ayant pris racines là où personne n'aurait parié que cela soit possible.

Oui, telle une passe-rose qui après avoir pulvérisé le bitume se plantait fièrement libre aux vents des agressions et littéralement, s'en balançait. Telle une althaea rosea affranchie, rétorquant de toute sa posture muette qu'elle resterait sauvagement inextirpable :


« Je vous préviens : je vais m’accrocher ! »


Ça a poussé, peut-être même avant l'annonce. Si la tumeur était là au chaud, complètement au-dessous de tous soupçons, dans l'innocence de mon sein qui n'avait donné jusqu'alors que lait de tendresse et terre d'accueil au plaisir, comment ne pas imaginer que les graines de résistance puis celles de résilience n'aient été elles aussi en attente de me passiflorer d'un élan de vie stupéfiant d'inventivités ?


Sans doute aura-t-il fallu le début du dépouillement de mes attraits féminins pour que la jachère déclenchent réellement l'éclosion et la profusion. Les produits rendaient stérile en-dehors et en dedans la moindre parcelle de ma peau hyaline et c'est alors qu'a poussé comme un contre-fort végétal pour prévenir tout affaissement.


Ça a poussé de plus en plus fort. Et surtout : plus fort que tout !


Je n'ai pas vu se débourrer de délicates roses ou de nobles lys : de ces précieuses fleurs fragiles ou capricieuses. Pas le temps aux hybrides recherchées, à l'élégance composée, ni à une quelconque envolée lyrique de métaphores florales. Non. Ce qui poussait se devait d'être persistant. Ou tout du moins endurant ou dissident. Alors, cela a poussé sous la forme de réjouissantes fleurs sauvages de toutes les couleurs. D'une variété impressionnante ! De celles surtout auxquelles on ne prête pas toujours attention. De celles dont on n'a pas retenu le nom, si jamais on l'a un jour connu...

Oui, c'est ainsi que mes fleurs me sont apparues : comme des insoumises follettes, infiltrées au coeur des champs - pour moi, un champ de batailles.


Bien sûr, avant de les approcher, j'ai dû franchir quelques orties aux abords de mes chemins de traverse. Ambivalentes urticas. Inoffensives en apparence cependant venues gentiment mais sûrement me piquer et gratter la conscience :


« Qu'est-ce que tu as fait de toi durant toutes ces années ? Est-ce que tu te vois maintenant ? Maintenant que ta vie ne repose plus que sur la résistance de ton corps douloureux ? Est-ce que tu réalises ? Est-ce que tu réalises qu'on ne devrait jamais s'abandonner soi-même, avant de n'avoir d'autre choix que de ne pas abandonner ? Qu'on ne devrait jamais se faire souffrir bêtement quand on peut l’éviter. Sans avoir à souffrir violemment et impuissamment pour le comprendre enfin ... »


De petites bourrasques ont continué de balayer deci, delà, les feuilles au fiel mordant :


« Vous, pourquoi ne me regardez-vous pas dans les yeux ?... Et vous, pourquoi ne me regardez-vous pas du tout ? Je vous fais peur avec ma mort apparente ? Mais ne voyez-vous pas tout ce qui pousse au contraire ?... « Aux contre-airs ». Oui, j'en joue ! Car ne me voyez-vous pas ?! Tout n'est pas triste ! Je n'ai jamais été aussi proche de ma propre essence ! De ma « flore-essence ». »



Certes, mes fleurs de pavot se sont vite froissées sous mes larmes qui pleuraient ma jeunesse flétrie subitement et à jamais. Mais je pouvais composer avec la rêverie grimpante de mes pois de senteur et les bellis perennis que tout enfant emporte pour plus tard dans son coeur.


Quelle vivifiante puissance que cette nature débusquée au détour du vandalisme autorisé, préconisé... béni ! Une permaculture inouïe de richesse intérieure, dont les espèces ne cessaient de se succéder ! Si bien que tout le long des retombées des attaques nucléaires, ça a étonnamment embaumé la vie ! Même si, d'accord, pas réellement une jolie fragrance - parce que les pesticides ravageaient cycliquement tout pétale. Mais ça embaumait comme la promesse du regain.


Et en effet, avec les pousses de crocus, un peu avant le printemps, s'est exhalée l'odeur naturelle de ma peau. Mon identité première - celle d'avant les mots.


Dans ce terrain vague, formé par mes contours schématisés d'humaine, je suis allée puiser des bouquets impromptus au champ lexicale de la vie. Je les ai offerts avec bonheur à qui en voulait bien :


« Tiens, je te donne de mes nouvelles-camomille. Tu peux dormir tranquille : cette corole radiée de blanc pur, tu vois, c'est celle de l'espoir qui triomphe. Pas besoin de s'en convaincre. Ça pousse joyeusement en dedans sans que l'on s'en rende compte ! Je te jure, c'est vrai : ça croît tout seul ! »


Je me gardais certains bouquets aux fleurs inspirantes :


« Tu t’en retournes foetus, te demandant où cela s'arrêtera. Demande-toi plutôt où cela repartira. Regarde ces nigelles de Damas : leurs graines noires ne se ressèment-elles pas abondamment juste par elles-mêmes ?... »



Si bien que j'ai continué à cueillir, cueillir ... Qui aurait cru que tant de fleurs poussent et repoussent cachées … là ?!


Alors, bien évidemment, il n'était pas question d'imaginer la tumeur gagner du terrain. Pfff ! Elle a fini par le concéder et le céder, justement, ce terrain : pas de place pour elle, voilà tout ! Si bien que malgré l'amaigrissement de mon corps, elle a commencé à battre en retraite devant le jaune défi de mes bataillons de boutons-d'or et de dents de lion.


De leurs côtés, pour être sûrs, les spécialistes ont été jusqu'à ôter du terreau. Pourtant, le parasite ne plus donnait plus aucun signe de vie. Mais face à une terre si fertile, sujette à tant d'abondance, il fallait être prudent, d’accord … D'ailleurs, lorsque les tiges d'acier sont venues crocheter l'emplacement du cancer pour marquer son campement dans mon sein, - parcelle bientôt réduite de chair et de sens à un dommage collatéral -, la chicorée a brandi en miroir l'étendard pacifiste de ses pistils : de doux hameçons parmes.


Pour finir et pour être sûrs de sûrs, les spécialistes ont incendié ma terre d'asile. Pour que vraiment plus rien de rien ne repousse ! Alors durant cette période de feux nourris, lors du ballet quotidien quadrillé, millimétré, dont seuls les stigmates rétroactifs attestaient du climat brûlant qui planait chaque jour dans cette pièce froide, je fermais les yeux, ici et en moi isolée et j'imaginais l'iris du bleuet me soutenir en m'hypnotisant pour me faire voyager dans le temps. La mauve, elle, me soufflait : « Respire, respire. ». Tandis que le fumeterre au front de mon épiderme balançait des épis rougeoyants, en toréador devant l’agresseur invisible.


Après un léger temps en dormance, consoude et herbe au soldat ont fini par remblayer mes tranchées désolées.


Aujourd'hui, là où je touche, là où je regarde, ça repousse cheveux, sourires, envies. Si bien et si vaillant qu'un chèvrefeuille s'est même enraciné de moi, comme on s'entiche de quelqu'un, pour que je me retienne à ses lianes et ne tombe plus malade.



Mais surtout, je sais désormais que cette efflorescence, - même si je n'y prends pas toujours particulièrement garde -, ne s'arrêtera de donner qu'à mon dernier souffle.


Et encore ! Comme toutes les « mauvaises graines » dont la poésie est inutilement indispensable, j'ai la conviction que mes fleurs de cosmos viendront de temps à autre parsemer d'un amour prodigue et piqueter d'une gaité singulière, les bocages alentours de tous mes proches.

Et quelques fois-même, les terrains sans labour des rencontres lointaines qui prennent au détour d’un chemin de taire, sous des temps hasardeux mais suffisants. Et redonnent la parole spontanée et fertile à tous les vents.





Illustration : @egon.sw


B.O : https://youtu.be/G4Qg8sD7GXs?si=esrTcvA37ntjsBWr




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Jackie H verif

Jackie H il y a 5 heures

Comme quoi survie et résilience sont dans la tête avant d'être dans le corps et plus que dans des traitements dont on se demande s'ils guérissent, torturent ou tuent...

Et c'est un texte très poétique par ses métaphores et ses jeux de mots 🙂

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