Félicitations ! Ton soutien à bien été envoyé à l’auteur
avatar
Chapitre 13 et 14 

Chapitre 13 et 14 

Publié le 20 avr. 2022 Mis à jour le 20 avr. 2022 Culture
time min
0
J'adore
0
Solidaire
0
Waouh
thumb 0 commentaire
lecture 226 lectures
0
réaction

Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 6 articles à découvrir ce mois-ci.

Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit ! Se connecter

Chapitre 13 et 14 

 

13.

                — Monsieur, votre fils demande à vous parler, expliqua l’androïde installé à l’accueil dont le visage holographique avait surgi suite à l’acceptation de son appel par le ministre.

                — Qu’il monte, je l’attends, répondit-il sèchement avant de mettre un terme à la communication ?

                Ruben Valdetrez était de très fâcheuse humeur depuis son arrivée matinale à l’institution. Dès le départ, les mauvaises nouvelles reçues l’avaient irrité. Le premier rapport affiché concernait les activités du MMSC démontrant qu’elles restaient exécrables malgré la campagne publicitaire. La suite n’était guère plus réjouissante puisque le second dossier soulignait qu’une fronde de colère du personnel des transports aériens croissait dangereusement. D’autres affaires requéraient son attention tantôt pour une soumission de marché quant à l’achat de nouvelles nacelles, tantôt pour l’extension du réseau du métro. Cependant, sa préoccupation présente était telle qu’il ne pouvait s’y concentrer.

                Bien que Ralph connaisse parfaitement le ministère, l’androïde impassible lui avait expliqué le chemin menant au bureau de son père. N’étant pas pressé de rencontrer ce dernier, il s’était abstenu d’interrompre le robot, gagnant ainsi quelques minutes sur le savon qu’il n’allait pas manquer de prendre. Depuis la découverte, par le professeur d’autopsie, du microémetteur implanté près de son oreille, il n’avait pas remis les pieds à la FMC, sans le signaler à sa famille. Il présumait donc que son père avait eu vent de son absence. La convocation laconique qui l’avait éveillé aux aurores présageait incontestablement une sévère remontrance comme seul son père pouvait en être l’auteur. L’ascenseur vitré parcourant le mur extérieur du bâtiment se déplaçait trop rapidement au goût du jeune homme dont les pensées demeuraient aussi grises et nuageuses que le ciel. Le freinage doux et une voix mécanique annonçant l’arrivée au 16e étage lui arrachèrent un soupir.

                — Bonjour Monsieur Valdetrez, l’accueillit une secrétaire dont Ralph était en peine de dire si elle était vivante ou robotisée. Votre père vous attend, termina-t-elle en lui faisant signe de se rendre directement dans le bureau du ministre.

                Pour toute réponse, le jeune homme lui sourit et se dirigea vers le lieu désigné. Pour se donner de la contenance tout en se rassurant quelque peu, il se redressa.

                Avant même de voir son père, l’entrée dans la pièce lui confirma une ambiance glaciale et manifestement énervée. Le ministre ne leva pas les yeux vers lui, continuant une lecture holographique entreprise depuis peu. Tout juste fit-il un signe à l’arrivant, lui indiquant de s’installer sur le seul siège situé en face du bureau en acajou. Il s’agissait d’un mélange de chaises et de fauteuils dont l’assise et le dossier étaient en cuir rembourré. Deux choses intriguèrent Ralph : l’absence d’accoudoir et la présence de quatre pieds métalliques en non-adéquation avec l’ensemble.

                Le visage fermé de son père lui fit perdre un peu de son maintien. Le ministre, toujours plongé dans sa lecture, semblait ruminer de sombres discours, ajoutant au malaise du jeune homme qui ressentait le besoin de marcher pour minimiser la tension. Il s’abstint cependant de bouger, sachant que cela n’aurait d’autre effet que d’attiser la colère de cet homme pour lequel, il devait se l’avouer, il n’avait jamais éprouvé de sympathie et encore moins d’amour.

                Lorsque la mélancolie la submergeait, sa mère aimait lui raconter sa rencontre avec celui qui l’avait alors éblouie, lors d’une réception donnée par son grand-père paternel, récemment élu à la tête du parti BPC. Sur base d’informations patiemment recueillies, Ralph soupçonnait son père et son grand-père d’avoir mis sur pied une alliance d’intérêt plus que d’amour. Peu de temps après leur mariage, une grossesse s’était annoncée avec la particularité qu’il s’agissait de faux jumeaux dont seul le jeune homme avait survécu. Malgré toute sa science, l’obstétricien n’avait pu sauver sa sœur qui avait perdu la vie avant même sa naissance. Outre ce décès, sa mère avait eu à supporter une hystérectomie, la privant à tout jamais de l’espoir de serrer un autre enfant sur son cœur.

                Selon des rapports médicaux qu’il avait trouvés après avoir piraté le terminal personnel de son père, un internement pour dépression grave s’était avéré nécessaire. Encore aujourd’hui, cette femme qui avait été d’une grande beauté était fanée et pouvait demeurer prostrée des heures durant. Dans ses moments les plus sombres, elle ne cessait de marmonner à l’encontre de son père et de son mari, les accusant de lui avoir volé son enfant. Un soir qu’ils n’étaient qu’eux deux à la maison, Ralph avait doucement interrogé sa mère, ne comprenant pas ses propos. Elle lui avait alors révélé que, pour toute consolation devant le décès de sa fille, son père avait eu des paroles dures et démoralisantes à son égard, la seule chose lui important étant la survivance de leur patronyme au travers de son bébé mâle. Des complications intervenues après la césarienne nécessitant le prolongement de son hospitalisation, son mari avait, de surcroît, organisé un placement de longue durée tout en confiant Ralph à une nourrice. Elle n’avait pu regagner le domicile conjugal avant une paire d’années, sans jamais obtenir l’autorisation des deux hommes de prendre en charge l’éducation de cet enfant.

                Nonobstant cette adversité et la démence qui l’emportait de plus en plus, des liens s’étaient tissés entre eux, octroyant à Ralph de prendre conscience des dysfonctionnements de leur cellule familiale. Si au départ, l’absence de cette mère dans sa vie lui avait été présentée comme un abandon par celle-ci, au fur et à mesure de sa croissance, sa compréhension des choses s’était notablement éclaircie, permettant de rétablir la vérité. N’ayant jamais connu d’échanges avec son géniteur, tel qu’un père et un fils peuvent vivre, et sentant qu’il ne répondait aux attentes ni de ce dernier ni de son grand-père, il les avait rejetés tous les deux, donnant tout son amour filial à celle dont la vie avait été piétinée par ces hommes.

                — J’ai reçu une alerte, murmura rageusement Ruben Valdetrez ayant clôturé sa session holographique. Peux-tu m’expliquer ?

                — Un avertissement ? interrogea Ralph ne comprenant pas la question.

                — Ne joue pas à ce jeu avec moi ! cria le ministre en frappant du point sur le bureau.

                Face à cette colère exacerbée, le jeune homme s’enfonça dans le siège tout en réfléchissant. Son père se méprit sur ce silence ce qui eut pour effet de décupler sa fureur. Il se leva et pointa un index menaçant devant le nez de son fils.

                — J’attends ton rapport ! hurla-t-il. Pourquoi as-tu désactivé la caméra de l’androïde ?

                — Désactivé ? Je n’y suis pour rien…

                Il n’avait rien remarqué, mais ne pouvait avouer s’être détourné de la mission d’espionnage dont cet homme l’avait chargé, ayant personnellement d’autres objectifs.

                Ralph se souvenait encore de leur dernière conversation dans ce bureau, juste avant la reprise des cours. Pendant celle-ci, son père lui avait signifié son obligation d’intégrer la Faculté de Médecine de Complaisance sans tenir compte de son désir d’entamer des études de technicien en communications. Les arguments paternels étaient que les compétences pour la carrière qu’il avait choisie lui manquaient et que, de plus, il devait inéluctablement suivre un cursus situé dans un espace géographique bien précis. Aucune de ses assertions n’avait trouvé d’écho chez cet homme, lui imposant d’abandonner la lutte au risque de vivre le même enfer que sa mère.

                C’est donc contraint et forcé qu’il avait intégré la FMC et endossé un costume qu’il honnissait : celui d’espion. Pour cette fonction, sans entrer dans les détails, son père lui avait expliqué avoir des difficultés avec une jeune fille qui avait malencontreusement conservé de légères séquelles d’un accident survenu sur le MMSC. Il avait généreusement offert de l’aider, cependant, cette œuvre charitable s’était retournée contre lui, la demoiselle le faisant chanter. En procédant à une surveillance, il souhaitait trouver son talon d’Achille et clôturer cet odieux manège. Pour ce faire, Ralph devait demeurer sur le même campus qu’elle sans toutefois poursuivre des études similaires, ceci dans un souci de discrétion. Le jeune homme ne comprenait pas que son père refuse de s’en remettre aux forces de l’ordre afin de régler le problème, mais n’osait insister connaissant le caractère colérique de ce dernier.

                Sans alternative, il n’avait eu d’autre choix que d’obéir. Son père faisant preuve de générosité l’avait installé dans un appartement situé en face de celui destiné à la jeune étudiante. Il avait obtenu l’horaire de base de celle-ci ainsi que des instructions consistant à procéder à des investigations afin d’être au fait de l’ensemble de ses activités, dans le but de mieux la pister. Pendant qu’un androïde était livré à l’escroc, le jeune homme recevait le matériel de surveillance donnant accès à la caméra implantée dans le robot ainsi qu’à quelques fichiers de données.

                Dès le départ, il s’était amusé à espionner sa victime au travers des yeux de l’humanoïde tout en se rendant compte, très rapidement, que la demoiselle utilisait la machine uniquement comme un terminal. Il s’en était étonné et se souvenait l’avoir considérée comme une idiote. S’il avait eu la possibilité de posséder un matériel technologique de ce niveau, il l’aurait rentabilisé au maximum, élevant sans doute l’automate au rang d’alter ego. La découverte du surnom donné à cet ordinateur haut de gamme avait été facile, contrairement au patronyme de sa propriétaire, resté une énigme jusqu’à un échange holographique.

                Alors que la vie studieuse de la jeune fille l’ennuyait au plus haut point, un fait nouveau avait retenu son attention et jeté un doute dans son esprit quant aux intentions réelles de son père. Un soir après les cours, Mel dictait une synthèse à l’androïde tout en procédant au retrait de sa prothèse fémorale. Il en était resté médusé et avait eu à cœur de vérifier la véracité de ce qu’il avait vu en passant l’enregistrement de la scène à plusieurs reprises. Quelques investigations plus tard, il avait compris que ce genre de membre de substitution n’était accessible qu’à une élite dont l’étudiante ne faisait assurément pas partie. Il soupçonnait son père de lui avoir menti quant aux légères séquelles dont il avait parlé, expliquant sans doute son refus de confier le dossier à la police. Ses recherches d’un probable accident d’une nacelle du MMSC s’étaient avérées vaines, laissant à penser que ce transport présentait une sécurité hors norme.

                Outre le fait que le cursus qui lui avait été imposé ne l’intéressait pas, Ralph constatait qu’il était loin d’être à la hauteur pour de telles études. Il en devenait irascible et envieux. Bien que traînant avec certains fils à papa qui n’avaient cure de réussir brillamment, il se sentait seul et méprisable. D’autant plus face aux deux têtes de classe qu’étaient Jacky et Hanna. Aux yeux de Ralph, ce condisciple ne se contentait pas d’être un excellent élément, il fallait encore qu’il soit doté d’une haute stature et d’une sympathie affligeante. Il l’exécrait au point de désirer lui nuire par tous les moyens. Cette quête avait tôt fait de le détourner de sa mission première, le poussant à espionner le jeune homme afin de trouver son point faible ou une faille le concernant. Il avait été jusqu’à le suivre à la piscine, alors que l’aurore se levait, mais n’y avait vu qu’un nageur faisant corps avec l’eau. Sa seule consolation avait été de découvrir l’amitié existant entre Jacky et Mel. Grâce à elle, en épiant l’une, il surveillerait l’autre.

                Malheureusement, tout ce questionnement ne lui indiquait pas la raison pour laquelle la caméra de l’androïde de la jeune fille avait été désactivée ni qui en était l’auteur.

                — J’ai beau réfléchir, j’ignore totalement qui a contrôlé le robot. Cela doit être récent, car je n’ai rien remarqué.

                — Pour ton information, le signal a été coupé il y a exactement une semaine ! Il me semblait t’avoir chargé d’une surveillance journalière. Le matériel qui t’a été fourni possède également une alerte sonore et lumineuse. Que tu n’aies pas été présent dans ton appartement au moment où la sonnerie s’est fait entendre est une chose. Mais tu comprendras que je m’interroge sur la raison qui ne t’a pas permis de voir le clignotement de la diode !

                Une semaine ! Le jeune homme savait qu’aucun argument ne pourrait être avalisé sur un délai aussi grand. Il ne pouvait indiquer à son père qu’il avait volontairement réduit le système de surveillance au silence et à l’aveuglement rendant celui-ci inopérant quant aux alarmes. Avant même qu’il ne puisse articuler un mot, Ruben Valdetrez repris :

                — Il y a autre chose que j’aimerais comprendre. Pourquoi mon génie de fils s’est-il mis en tête de pénétrer dans l’appartement de Mélanie Mioras et, comble de l’idiotie, de se tromper ?

                Le mutisme de Ralph provoquait une sérieuse augmentation de la colère de son père. Le jeune homme savait qu’il jouait avec le feu, mais ses indications l’auraient décuplée plus encore. Comment pouvait-il expliquer que sa volonté première était de saccager le logement de Jacky ? Son erreur était donc à l’inverse de ce que pensait le ministre. Il avait pu pénétrer dans le bâtiment à la faveur d’un étudiant distrait n’ayant pas vérifié s’il demeurait ou non dans la résidence. Lorsqu’il avait tenté de déverrouiller la porte de l’appartement, il ne s’était pas attendu à ce que le cryptage ait été modifié et encore moins au fait que l’androïde de celui qu’il considérait comme son ennemi, pourtant obsolète à ses yeux, soit capable de rivaliser d’ingéniosité pour réduire à néant tous ses efforts. Cet échec l’avait doublement démoralisé. Il n’avait pu apaiser sa hargne n’ayant pu dévaster le logement du jeune homme et doutait maintenant de ses compétences technologiques. Son émoi aurait certes été plus important s’il avait su que Vésa et Lunar, croisant leurs intelligences artificielles, l’avaient identifié formellement, projetant son visage au grand étonnement de Jacky et de Mel.

                — Tu n’as donc rien à dire ? tonna son père. J’exige de toi un rapport complet sur les activités de cette jeune fille. Il devra me parvenir par fichier holographique crypté le soir de chaque jour de repos. Cette journée te permettra ainsi de le rédiger consciencieusement. D’autre part, ne crois pas que j’ignore tes projets quant au jeune étudiant en médecine. Je t’interdis, hurla-t-il, de les poursuivre ! Me comprends-tu bien ? Sans même laisser répondre Ralph, il continua : maintenant, hors de ma vue !

                Le visage rubicond et l’index pointé vers la porte par laquelle le jeune homme était entré décidèrent Ralph qui courut presque vers le couloir. Il tenait la clenche, prêt à bondir à l’extérieur lorsqu’il entendit son père l’interpeller de nouveau :

                — Dernière chose ! Si tu ne reprends pas immédiatement les cours, je te coupe les vivres. Dans l’hypothèse où tu désirerais passer outre cette menace, sois assuré que je ferais tout mon possible pour que tu ne puisses obtenir aucune aide ou bourse de notre mégalopole. N’oublie pas la puce implantée sous ton oreille…

                Le jeune homme ne se retourna pas sur cette ultime diatribe. Il n’avait plus qu’une idée : quitter ce lieu, le ministère et surtout ce père qu’il haïssait. Il se sentait prisonnier de ce dernier et comprenait mieux encore la situation vécue par sa mère. Machinalement, il avait posé la main sur cet espion implanté sous sa peau et que venait de lui rappeler cet homme. Son désir était de l’arracher tandis que sa raison l’en dissuadait. La tête rentrée dans les épaules, il reprit l’ascenseur. S’il était arrivé avec une certaine peur, il partait accablé autant de tristesse que de crainte, le tout enserré dans un ressentiment sans limite envers ce géniteur. Une nouvelle quête venait de germer dans son esprit : s’émanciper de cette poigne de fer qui le maintenait fermement à sa merci. Il s’agirait dorénavant de son combat, son idéal. Son seul espoir était d’y parvenir avant que la démence de sa mère soit telle qu’elle ne puisse s’en réjouir.

                                                                                          * * *

                Mel s’installa dans la salle d’attente. Moins d’une semaine s’était écoulée depuis la réception électronique de sa convocation pour ce matin. Elle n’en comprenait pas la motivation, la prochaine vérification de sa prothèse ne devant intervenir que dans les six mois environ. Jacky, à qui elle avait partagé ses inquiétudes, cherchait tous les moyens pour la rassurer, mais sans parvenir au but. La jeune fille craignait que l’avantage qui lui avait été offert ne lui soit brutalement retiré, pour une sombre raison dont elle ignorait la teneur. Ce membre de substitution lui était indispensable. Même si elle connaissait l’existence d’appareillages différents, moins performants et donc plus abordables, force était de constater qu’ils demeuraient hors de ses possibilités financières. Une autre question la taraudait. Qu’en serait-il de la bourse ? Continuerait-elle à en bénéficier ou cette aide providentielle touchait-elle à sa fin ?

                C’est dans cet état d’esprit que Mel avait quitté son appartement avant même le lever du soleil, partant exagérément en avance dans le but d’éviter que Jacky ne l’y accompagne. Elle éprouvait une profonde sympathie ainsi qu’une réelle affection pour le jeune homme. Cependant, elle refusait que leur amitié soit basée sur l’empathie suscitée par son handicap. Elle demeurait convaincue de la sincérité de son ami tout en continuant à suspecter en lui un sentiment de pitié à son égard.

                — Mademoiselle Mioras ? Appela un infirmier.

                Mel se leva pour se diriger vers le jeune homme dont le teint hâlé donnait à penser qu’il revenait d’un séjour au soleil. Tout sourire, il l’invita à entrer dans le cabinet du professeur responsable des prothèses fémorales. Arrivée à sa hauteur, elle constata que ses yeux la scannaient. Elle en ressentit un malaise et soupira. Bien qu’appréciant les nouvelles technologies, elle estimait que la place laissée aux androïdes était dangereusement exagérée. Tout en comprenant le bien-fondé de leur utilisation et la rapidité de traitement qu’ils pouvaient réaliser, il n’en demeurait pas moins que la prolifération de ces intelligences artificielles pourrait s’avérer un risque tangible à brève échéance.

                L’infirmier se méprenant sur l’attitude de Mel posa une main sous son coude afin de la soutenir. La jeune fille fut étonnée d’en sentir la chaleur à travers son pull. Il s’agissait donc d’un humain.

                — Merci pour votre aide, dit-elle tout en cherchant à cacher son trouble, mais elle est superflue, je vais bien.

                Comment aurait-elle pu expliquer à cet homme qu’elle l’avait perçu comme un robot ? Elle tenta de saisir de nouveau son regard, mais sans plus y discerner aucune animation spéciale. Ses craintes avaient-elles eu une influence sur sa perception des choses ou l’infirmier était-il doté d’orbites électroniques ? Il faudrait qu’elle en parle avec Jacky. Il devait savoir où en étaient les avancées technologiques à ce niveau.

                L’infirmier lui indiqua un siège dont la forme en demi-œuf donnait à penser que son assise était confortable. Mel ne fût pas déçue et apprécia de s’y enfoncer, oubliant — l’espace d’un instant — les inquiétudes qui la tenaillaient. À peine installée en face d’un grand bureau, le professeur entra, venant vers elle la main tendue.

                — Comment allez-vous, ma chère ? interrogea-t-il. Restez assise. Continua-t-il arrêtant le mouvement de la jeune fille.

                — Au mieux, je vous remercie, répondit Mel sur le qui-vive, ne profitant plus du bien-être octroyé par le siège.

                — Vous m’en trouvez heureux. Voyons… Mioras Mélanie… Ah voici.

                Il avait ouvert un document électronique afin d’y chercher le nom de la patiente lui faisant face. Il parcourut rapidement les informations contenues dans la fiche, opinant de la tête à quelques reprises. Ensuite, le professeur afficha une autre fenêtre, y prélevant des éléments pour les placer dans le dossier attribué à Mel. Ces manipulations ne prirent que quelques minutes qui parurent, cependant, une éternité à la jeune fille, avide de connaître le sort qui lui serait réservé. 

                — Quelles sont vos impressions quant à votre prothèse ? questionna-t-il, prêt à inscrire la réponse qu’elle allait fournir.

                — Je l’apprécie toujours autant.

                — Et ?

                — Et quoi ? Tout se déroule sans problème. Si au début j’ai eu quelques difficultés à l’intégrer dans la marche autant que dans ma vie en général, je pense avoir passé le cap et pouvoir affirmer qu’elle me permet de vivre sans que mon handicap soit visible par tout un chacun.

                — Il s’agit effectivement d’un spécimen des plus performants. Grâce aux nouveaux algorithmes reliés aux capteurs, votre marche reste souple et fluide. Est-ce toujours le cas ?

                — Je n’ai éprouvé aucun trouble notoire, réfléchit Mel, autant pour se souvenir si, réellement, elle n’avait rien remarqué d’étonnant que se demandant quel piège pouvait se trouver derrière cet étrange échange.

                — Aucune fatigue inhabituelle ?

                — Si vous parlez de fatigue générale, il est clair qu’un peu de repos me ferait le plus grand bien. Vous n’êtes pas sans savoir qu’à cette période, le travail et la pression deviennent pesants.

                — Désolé pour mon manque de précision. Auriez-vous ressenti l’une ou l’autre lourdeur rendant votre marche plus pénible ?

                Devant cette description, Mel se souvint que lors de sa dernière séance matinale à la piscine, elle avait éprouvé quelques difficultés pour se diriger vers les douches. Sans s’en formaliser plus avant, la jeune fille en avait déduit que sa lassitude physique influençait jusque dans ses déplacements.

                — Je n’y ai pas prêté attention, pensant que mon état général en était la principale cause. Sur le regard du professeur manifestant de façon muette son désir d’avoir des détails, elle continua : j’aime me rendre à la piscine tôt le matin, deux fois la semaine. Lors de mon dernier entraînement, tandis que je regagnais les vestiaires, il m’a semblé que ma marche était moins souple et moins aisée. Comme je viens de vous le dire, j’ai attribué cela à la fatigue tout à fait logique à cette période.

                — Malheureusement, il est possible que ce ne soit pas le cas, répondit le praticien tout en prenant des notes. Aviez-vous votre attelle d’étanchéité ? Et si oui, effectuez-vous toutes les vérifications afin d’être assurée qu’elle est installée correctement ?

                — Bien évidemment ! Je n’oublie jamais de la positionner, de surcroît, de façon adaptée. La meilleure preuve est que lorsque je l’enlève, aucune infiltration d’eau n’est à déplorer.

                — Je vois… murmura le professeur avant d’analyser différentes données.

                Un silence, que la jeune fille ne put s’empêcher de percevoir comme une menace, se fit dans le bureau. Les informations vérifiées s’avéraient très nombreuses augmentant encore l’inquiétude de Mel. Alors que sa crispation se traduisait par des tiraillements musculaires, le praticien leva les yeux et dans un demi-sourire expliqua :

                — Mes investigations n’ont pas été inutiles. Votre convocation de ce jour fait suite à la plainte de deux possesseurs de cette même prothèse. Chacun ayant ressenti une marche plus saccadée, leur appareillage a été revu et une faille a été détectée. L’analyse superficielle que je viens d’effectuer démontre la présence d’un problème identique nécessitant une modification dans la programmation.

                — Cela veut-il dire qu’il me faudra de nouveau connaître le fauteuil roulant et une attelle inopérante prévue uniquement pour masquer la perte de la jambe ? s’inquiéta la jeune fille qui avait blêmi.

                — Rassurez-vous, vous bénéficierez des recherches réalisées sur la première prothèse défectueuse. Les rectifications ne nécessitent que la pose d’un capteur/adaptateur.

                — Cela peut-il se faire immédiatement ? interrogea Mel soulagée de constater que ses appréhensions s’avéraient infondées.

                — Dans la mesure où vous pouvez nous accorder encore environ une heure de votre temps, oui.

                Sur l’approbation muette de la jeune fille, il se leva et l’invita à le suivre dans une pièce située en face de son bureau. Celle-ci ressemblait à un mélange de laboratoire et de cabinet médical dédié à la consultation. Outre quelques terminaux dont l’écran tactile se trouvait soit sur une plateforme en verre, soit directement sur le mur, soit encore flottant dans le vide, Mel aperçut une table d’examen ainsi qu’un capteur physiologique sans fil indiquant les constantes vitales du patient. Elle se souvenait avoir vu un exemplaire similaire lors de son réveil à la clinique, après l’accident qui l’y avait expédiée. L’appréhension la gagnant de nouveau, elle s’arrêta, interpellant le praticien.

                — Pourquoi m’emmenez-vous dans un local médical alors que le problème de ma prothèse se situe au niveau informatique ? demanda-t-elle, essayant de parler d’une voix affermie afin de ne pas trahir son inquiétude.

                — Parce qu’il nous est nécessaire de programmer le capteur/adaptateur en fonction de votre physiologie. Je vous en prie, installez-vous.

                Son enjouement paternaliste n’obtint pas l’effet escompté auprès de la jeune fille qui refusait d’aller plus loin dans la procédure sans éclaircissements complémentaires.

                — Avant toute chose, je désire maîtriser exactement le fonctionnement de ce capteur et la raison qui impose de connaître mes constantes médicales.

          — Pour cela, je vous en remets à notre infirmier qui cumule des connaisses informatiques précieuses pour notre service, soupira le praticien manifestement contrarié. Dès que vous serez prête, celui-ci me préviendra.

                Sans autre mot, il quitta la pièce laissant la jeune fille pantoise. Elle n’eut pas le temps de s’inquiéter plus avant que l’homme qui l’avait accompagnée jusqu’au bureau du spécialiste pénétra dans la salle.

                — Pauvre professeur, rit-il doucement, aucun de vous trois ayant connu la faille avec la prothèse n’a accepté le traitement sans en comprendre les tenants et aboutissants. Il est pour le moins frustré à l’heure où je vous parle.

                — Je ne voulais pas l’incommoder. Cependant, il me semble qu’il doit être en mesure de saisir notre appréhension. La vie n’est déjà pas simple avec cet appareillage, aussi sophistiqué soit-il…

                — N’en soyez pas affectée, il s’en remettra. La rassura l’infirmier, affirmant ses paroles avec un clin d’œil. Je vais donc vous expliquer le fonctionnement de l’adaptateur.

                Tout en disant cela, il s’approcha du terminal en suspension dans l’air qui, après quelques manipulations, afficha un minuscule carré transparent.

                — Je vous présente le capteur qui vient pallier à la déficience de la prothèse. Il s’agit d’un matériau dont la base est réalisée en graphène. Flexible et résistant même à une torsion, il reste très discret. Malgré sa petitesse, il n’en demeure pas moins d’une grande capacité. Les électrodes extensibles tout autant que transparentes constituent un circuit majoritairement métallique. En y intégrant vos constantes physiologiques, nous nous assurons d’une parfaite corrélation entre votre être et le membre de substitution qui vous est imposé.

                — Je ne comprends pas ? Vous venez de dire qu’il résistait à la torsion. Cela signifie-t-il qu’il est placé sur la cheville ? De plus, pourquoi insister sur la discrétion ? Même si cet appareillage est performant, je ne peux concevoir de l’afficher au grand jour. Dès lors, si cet adaptateur devait se révéler plus voyant que prévu, qu’elle importance ?

                — Vos deux questions font appel à une seule réponse. Ce convertisseur s’installe sur la peau. Mais rassurez-vous, il se fond littéralement avec elle pour devenir quasiment invisible.

                Cette annonce interloqua Mel, la tétanisant. Il n’y avait pas encore si longtemps, un élément de campagne électorale avait attiré l’attention de Jacky qu’il n’avait eu de cesse de le partager avec elle. Le candidat y expliquait, à grand renfort d’exemples, la nécessité pour tout citoyen de Complaisance, de posséder une puce implantée au choix sur le dos de la main ou sur le front. Dans celle-ci figureraient l’identité complète de la personne, sa situation matrimoniale et familiale, son dossier médical, ses informations bancaires ainsi que ses diplômes et la profession exercée. Elle se souvenait que leur discussion s’était prolongée tard dans la nuit, chacun évaluant les dangers d’un tel procédé. Quelle garantie pouvait-on avoir que les données demeuraient pr

Il s’agit d’une publication Prime

Pour en profiter, abonne-toi à la Creative Room
La Cité de l'Emprise de Annette Misen

Tu pourras :

check

Accéder à des contenus exclusifs et aux archives complètes

check

Avoir un accès anticipé à des contenus

check

Commenter les publications de l’auteur et rejoindre la communauté des abonnés

check

Être notifié à chaque nouvelle publication

S’abonner, c’est soutenir un auteur dans la durée

S’abonner à la Creative Room
lecture 226 lectures
thumb 0 commentaire
0
réaction

Le bloc commentaire est réservé aux abonnés.

S’abonner, c’est soutenir un auteur dans la durée

S’abonner à la Creative Room

Tu aimes les publications Panodyssey ?
Soutiens leurs auteurs indépendants !

Prolonger le voyage dans l'univers Culture
Auvergne : la légende du lac Pavin
Auvergne : la légende du lac Pavin

Auvergne : la légende du lac PavinLes variations sur le même thème sont deux visions d'une légende régionale, l...

Jean-Christophe Mojard
3 min

donate Tu peux soutenir les auteurs qui te tiennent à coeur

promo

Télécharge l'application mobile Panodyssey