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Nous vous souhaitons un joyeux Noël de merde

Nous vous souhaitons un joyeux Noël de merde

Publié le 30 mars 2023 Mis à jour le 1 mars 2024 Humour
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Nous vous souhaitons un joyeux Noël de merde

Au départ, je voulais juste me faire un peu d’argent. De quoi changer de vie, repartir à zéro, réaliser divers projets et me payer quelques mignardises alcoolisées pour le réveillon. Quitte à se retourner le cerveau, autant le faire avec raffinement, plutôt que de se noyer dans un gobelet en plastique rempli d’une liqueur discount. D’autant plus lorsque l’on fête la fin d’une année particulièrement pénible, seul dans un appart délabré, en regardant le top 100 d’un bêtisier de Noël spécial chats, doublé par un comédien hystérique à deux doigts de s’autolicencier pour maltraitance animale.

J’étais prêt à tout accepter, n’importe quel contrat. J’aurais pu travailler avec n’importe qui…

N’importe qui, et je suis tombé sur Hank !

***

Tout commença un 21 septembre, dans la grande ville d’Alensir alors que je posais mes cartons dans mon nouvel appartement. Un deux pièces avec vue sur la mer. Évidemment, vous n’êtes pas sans savoir qu’Alensir est à des heures de la côte mais, avec de l’imagination, une fenêtre peut s’ouvrir sur n’importe quoi.

Je tentais donc de transformer l’arrière-cour de la poissonnerie voisine en vaste rivage lorsque Charly, un ami, vînt à ma porte.

« Tout est là j’crois, t’as plus qu’à ranger tes strings dans la commode et planquer tes pornos sous l’matelas ! »

J’ai dit ‘’un ami’’, je n’ai pas parler de meilleur ami, ou d’ami de longue date, juste ‘’un ami’’. ‘’Un ami’’ à l’humour douteux, certes, mais très charitable, sans qui mon emménagement aurait été bien plus éprouvant.

« Tu sais que plus personne ne cache ses magazines sous son lit ! D’ailleurs plus personne n’achète de porno, y a internet pour ça !

— Oh pardonnez-moi, j’ignorais que Môssieur se paluchait en HD ! Et bien pour c’qui est du rouleau d’essuie-tout en cachemire, j’te l’ai délicatement déposé sur le napperon du guéridon ! 

— Merci Charly !

— De rien Larry ! Alors ça y est, te v’là officiellement Alensien ! Bienvenue mon pote !  Reste plus qu’à faire ton trou ! T’as contacté Éphémèris ? Tu commences quand ?

— J’ai rendez-vous demain matin.

— T’es prêt à vendre ton p’tit cul au plus offrant ?

— J’suis prêt à offrir mes services à qui voudra, il me faut d’la thune, j’vais pas faire la fine bouche.

— Méfie-toi des grandes gueules surtout, elles te promettent monts et merveilles mais ne brassent que d’l’air. Va pas t’embourber dans des plans foireux sans avenir !

— T’inquiète pas pour ça, j’ai toujours su flairer les arnaques ! » 

Nous observâmes tous deux, en silence, la désuétude de mon nouveau logement et puis Charly me demanda :

« Tu payes combien pour ça ?

— Beaucoup trop… allez viens ! Tu choisis le bar et j’t’offre le verre.

— Vendu ! »

***

Le matin suivant, je quittai l’appartement, rasé, coiffé, bien habillé, en direction de mon premier entretien avec l’agence que m’avait chaudement recommandé Charly. Je découvrais, pour la première fois, ce qui allait devenir mon nouveau terrain de jeu et ne résistais pas au plaisir de prendre quelques clichés durant le trajet :

un banc de bois à la peinture écaillée. Un réverbère d’une autre époque. Une plaque commémorative. La façade d’une charmante maison aux balcons fleuris, une ruelle pavée, baignant dans la pénombre, dont l’entrée, en forme d’arche, était fermée par un portail en fer forgé. Gros plan sur les maillons de la chaîne et sur son cadenas gravé d’un symbole en forme de croissant de lune. Une statue dans un jardin public. Une pâquerette, se dressant fièrement au milieu d’un trottoir recouvert de chewing-gums écrasés, de mégots et de fientes d’oiseaux. Un arbre poussant de travers. La devanture d’une ancienne librairie dont le local était à louer. La vitrine vide d’un disquaire sur laquelle on pouvait lire ‘’fermeture définitive’’…

Je capturais toutes ces images et en stockais les souvenirs dans la mémoire de mon appareil. Une façon comme une autre de ne rien oublier, de garder une trace du réel, de ce qui fut, de ce qui est, de ce qui ne sera peut-être plus jamais. 

***

« Bonjour, Larry Pepperwood, j’ai rendez-vous avec madame Core. »

Éphémèris était une agence d’intérim, apparemment très réputée, qui avait le monopole dans la région. Charly m’avait expliqué qu’elle était surtout ‘’la seule agence d’intérim de la région’’. L’accueil était assez sommaire, derrière la grande baie vitrée et sa porte en verre ornée d’un logo en forme de papillon. Une simple pièce avec deux bureaux, des tableaux représentant des gens souriants se serrant la main, et une phrase en lettres adhésives sur le mur du fond qui disait :

« Chez Éphémèris, les papillons sont immortels ».

Deux femmes étaient affairées derrière leurs écrans d’ordinateurs. L’une d’elles agrafait vigoureusement des piles de documents tandis que l’autre ouvrait ses tiroirs, visiblement en quête de quelque chose.

C’est d’ailleurs cette dernière qui m’accueillit :

« Bonjour Monsieur Pepperwood, asseyez-vous, je vous en prie. Je suis Madame Core mais appelez-moi Ada.

— Ah d’accord.

— Non, non, juste Ada ! Alors, j’ai regardé attentivement votre curriculum vitae entre deux rendez-vous et, ce fut bref ! Un simple coup d’œil ! C’est fou ce qu’il était vide ! J’ai même eu le temps de me préparer une collation, je vous remercie pour ça !

— Euh…  je vous en prie…

— Ne vous inquiétez pas Larry, je vous taquine.

— Ah… d’accord.

— Ada, juste Ada, ne soyez pas timide. Bon, eh bien, sachez mon cher Larry que malgré votre inexpérience flagrante, j’ai une mission pour vous !

— Super !

— Mais je compte sur vous pour ne pas entacher la réputation d’Éphémèris. Nous nous sommes fait un nom à Alensir. Nos papillons, car c’est ainsi que l’on surnomme nos intérimaires, sont des valeurs sûres pour nos clients. Ils butinent de mission en mission sans jamais battre de l’aile. Il serait fâcheux que l’un d’eux s’écrase sur le pare-brise d’une voiture sillonnant l’autoroute de la médiocrité. Nous sommes très sélectifs, voyez-vous. Un papillon qui ne serait qu’une chenille déguisée aurait beaucoup de mal à passer à travers les mailles de notre filet. Et si, je n’ose l’imaginer, vous étiez né d’une chrysalide défaillante au point que nous serions obligés de vous bannir d’Éphémèris, je vous garantis que vous ne trouverez aucune autre agence d’intérim aussi prestigieuse et populaire dans le secteur.

— Je veux bien vous croire et je ferai de mon mieux.

— À la bonne heure ! Vous avez donc rendez-vous dès demain matin 10h à l’accueil du Mall’s Kingdom !

— Le Mall’s Kingdom ?

— Oui le centre commercial situé au nord d’Alensir dans la zone culturelle.

— Ah d’accord !

— Ada… Bon, eh bien, c’est tout bon pour moi. Votre dossier est complet. Les renseignements pour votre entretien sont inscrits sur cette carte, tenez. Si vous n’avez pas de question je vous souhaite une belle aventure !

— Euh… merci, mais euh… juste, c’est quel genre de mission ?

— Surprise ! Au revoir Larry, fermez bien la porte en sortant, elle est capricieuse !

— Ok… et bien merci… Ada ! »

Je lui souhaitai une bonne journée mais elle s’était déjà tournée vers sa collègue :

« Sylvie ! Ma chérie ! Si tu continues de me piquer mes trombones, j’te jure, j’t’agrafe la gueule ! »

Je quittai l’agence, quelque peu déconcerté et jetai un œil à la petite carte qu’Ada venait de me remettre.

Il y était écrit :

« RDV demain 10H – accueil Mall’s Kingdom, demander Mr Netyste »

***

De retour dans mon appartement, j’entrepris de ranger le reste de mes affaires. Je vivais là mon troisième déménagement, j’étais donc rompu à la tâche. Et puis, n’étant pas très matérialiste, je n’emportais jamais grand-chose dans mes cartons. Les objets sont encombrants, et lourds de sens. Certains vous rappellent une personne, d’autres une époque, parfois une erreur, ou bien tout cela en même temps.

Je me contentais du strict nécessaire. Quelques vêtements, une ou deux tenues pour chaque occasion. Quelques livres, carnets, crayons… un ordinateur portable obsolète, et de la vaisselle que j’utilisais rarement. Quand on mange seul, on ne surcharge pas ses bagages avec des ustensiles culinaires. Les magasins regorgent de plats préparés qui se consomment à même l’emballage.

Il existait cependant trois objets dont je ne pouvais me défaire ; mon reflex mono-objectif, un petit flacon rempli de sable et de coquillages, et deux photographies glissées dans une boule à neige. Le premier étant essentiel à ma passion, le second pour ne pas oublier d’où je viens, et le dernier… juste pour me souvenir d’une personne, d’une autre époque, d’une erreur...

Plus tard dans la soirée, mon téléphone se mit à vibrer. Mais je ne répondis pas…

***

« Un putain de labyrinthe ! »

Planté devant le plan du Mall’s Kingdom, je cherchai l’emplacement de l’accueil avec difficulté. La galerie était gigantesque, le nombre de boutiques exorbitant. Magasins de vêtements, de jouets, de produits culturels, de décorations et d’ameublements, maroquinerie, cordonnerie, agence de voyages, salle d’arcade, fleuriste, salon de coiffure, de toilettage, pharmacie, bars, sandwicheries, bureaux de tabacs, restaurants, banques…  Une ville entière sous cloche. Après une errance d’apparence interminable dans le dédale commercial, j’aperçus enfin le pôle d’accueil quand une énorme main couverte de poils m’agrippa l’épaule. Je poussai un cri d’effroi alors qu’une créature de deux mètres se tenait derrière moi, gesticulant sur ses membres inférieurs, tout en me saluant de ses deux autres pattes. Puis, d’une voix quelque peu étouffée, la bête gronda :

« Larry ? Qu’est-ce tu fais là ?

— Ch… Charly ? C’est toi là-dedans ?

Il ôta son horrible tête et, tout souriant, lança un « Tadam ! » triomphant.

— Mais qu’est-ce tu fous déguisé en Bambi ?

— T’es con, c’est pas un cerf, c’est un renne ! C’est pour l’animation avec le père Noël qui commence en novembre.

— Et quoi, tu vas jouer la mascotte ?

— Ouais, c’est ma mission de papillon !

— Ah d’accord !

— Oh ! Tu l’as rencontrée ? Elle est sympa hein !?

— Qui ça ?

— Ada Core !

— Hein ?

— Laisse tomber. Alors tu me trouves comment ? BONJOUR LES ENFANTS JE SUIS CHARLY LE RENNE !

— T’es pas obligé de hurler tu sais. En plus le père Noël n’a aucun renne prénommé Charly !

— Bein si, cette année il a moi ! Et je serai pas d’trop si tu veux mon avis.

— Pourquoi ça ?

— À cause que l’vieux qui tient l’premier rôle tous les ans est un emmerdeur. Personne n’arrive à le joindre, il se terre chez lui comme un vieil ermite.

— Qu’est-ce qu’il a, il veut plus porter le costume ?

— Apparemment ! Le truc c’est qu’les familles l’adorent, il est l’meilleur faux père Noël de la région. Les parents s’déplacent en masse pour lui coller leurs gosses sur les genoux. Une telle foule, forcément, c’est d’l’or en barre pour le big boss !

— Je vois. Eh bien, bon courage, Charly le renne ! Tu m’excuses mais j’ai rendez-vous. On s’voit plus tard !

— Larry ! Attends ! Reviens ! Larry, me fais pas ça ! Me laisse pas tout seul, le monde est cruel Larry !

— Au revoir Charly !

— J’ai froid Larry ! Mon p’tit cœur se meurt écoute !  ARGH ! 

— J’suis parti !

— Je t’aime Larry ! T’as pas le droit de m’abandonner !

— Je suis déjà très loin…

— T’as pensé à nos enfants ? Les p’tits faons ! Ils vont pas s’en r’mettre ! LARRY ! PENSE AUX ENFANTS ! LARRY ! REVIENS ! LAISSE-MOI ÊTRE TA RENNE ! HAHA ! T’AS COMPRIS LA BLAGUE ? TA REINE, TON RENNE… C’EST UN JEU D’MOTS ! »

Charly…

Juste un ami.

***

Je fus accueilli par un homme très élégant, trop peut-être au regard des autres employés. Alors que tous étaient affublés d’un uniforme inesthétique aux couleurs du Mall’s, Monsieur Netyste, car c’est de lui dont il s’agissait, portait fièrement un costume aux nuances de bleu sans le moindre pli ; chemise à col britannique, gilet à revers en pointe, pantalon à pince, blazer et nœud papillon diamond tip, le tout chaussé d’une paire de Richelieu cap-toe noire, aussi brillante que le badge plaqué or épinglé à sa veste, sur lequel était gravé Mr Mario N. DRH :

« C’est vous Monsieur Paperlood ?

— Pepperwood, mais je vous en prie appelez-moi Larry.

— Certainement pas ! Aucune familiarité entre nous. Je ne vous connais pas et vous ne me connaissez pas.

— Très bien comme vous voudr…

— Quelle impolitesse ! Je n’ai pas fini, veuillez ne plus me couper la parole je vous prie. Vous êtes ici pour travailler Monsieur Peppermood ! Et sachez que travailler pour le Mall’s est un honneur car, voyez-vous, notre politique est celle de l’excellence. Nous ne nous entourons que des meilleurs, quel que soit le poste, de l’hôtesse de caisse au magasinier !

— Je tâcherai de m’en souv…

— Silence ! Je suis un homme très occupé Monsieur Pepperfood ! Soyez attentif car je ne perdrais pas une minute de mon précieux temps à combler de probables lacunes dues à un inévitable défaut d’attention. Êtes-vous suffisamment concentré Monsieur Tupperwood ?

— Oui Monsieur, par contre c’est Pepperwood…

— Bien ! Tous les ans, à partir de novembre, nous avons pour habitude d’organiser une animation autour de Noël. Un grand sapin, des décorations, de la musique, un carrousel, un marché, des ateliers pour les enfants et, surtout, la possibilité de rencontrer le père Noël, accompagné, cette année, d’un de ses rennes. Pour ce faire, nous louons les services de deux comédiens, respectivement, Monsieur Hank Joulupukki et un dénommé Charly Miller. Hank est le meilleur faux Santa Claus que l’on puisse trouver. Une véritable star !  Les familles l’adorent et j’ose espérer qu’il en sera de même pour vous.

— Pour moi ?

— Vous allez être son assistant. Vous savez vous servir d’un appareil photo n’est-ce pas ?

— Oui, bien sûr, la photographie est ma passion, je…

— Excellent ! Voici les coordonnées de Monsieur Joulupukki, je vous laisse jusqu’en novembre pour faire connaissance.

— Pourquoi faire appel à moi maintenant si l’animation ne commence que dans un mois ?

— Hank Joulupukki est un personnage complexe. Il vit tel un ours dans sa grotte, en solitaire, et il vous faudra l’apprivoiser afin d’en tirer le meilleur. Beaucoup s’y sont cassés les dents, sachez-le. Certains n’ont même jamais pu lui parler. Voilà pourquoi je vous octroie ce délai, afin que vous puissiez le convaincre de nous honorer de sa présence, cette année encore. Vous devrez également penser et créer le décor de votre stand. Il devra être aussi prestigieux que l’est le Mall’s. Il est hors de question de souiller l’acrylate pailleté avec je ne sais quelle caravane bohémienne relookée pour l’occasion.  Je veux du standing, de l’élégance, du sensationnel ! Et je vous veux tous les deux, souriants et costumés. Vous serez un elfe, vous n’avez rien contre les collants jaunes ?

— Je ne crois pas que…

— Merveilleux. Je dois prendre congé. Surtout n’oubliez pas ; ici, tous les deux, le premier jour de novembre ! »

Et il s’en alla, à pas pressés, le corps raide comme une perche. Mario était un homme svelte au regard hautain dont l’attitude emphatique était particulièrement agaçante. Il avait tout de la caricature du majordome anglais : un chichiteux guindé, snobinard et collet monté.

Je le regardai s’éloigner, fendre l’air de sa démarche sans écart, imposant ses manières appuyées au personnel qui ne se privait pas de le singer une fois le dos tourné. 

***

12ter, chemin des Sapins. La maison de Hank Joulupukki n’était pas visible depuis la rue. Il fallait emprunter un sentier de terre qui passait au travers d’un boqueteau de conifères, contournait les lotissements, et débouchait devant une clôture végétale. Une immense porte charretière amplifiait l’impression d’être au pied d’une forteresse imprenable. Il était impossible de voir quoi que ce soit depuis l’extérieur. À côté de la plaque de maison indiquant le 12ter, une seconde, bancale et légèrement rouillée, maintenue tant bien que mal par un seul clou oxydé, sur laquelle était écrit : « Tirez-vous ! »

Je saisis, malgré tout, la poignée du heurtoir, coincée entre les mâchoires d’une créature indescriptible, et frappai trois coups. Au bout de quelques minutes, n’ayant eu aucune réponse, je décidai de recommencer avec plus de force pour être sûr d’être entendu. Cette fois, la puissance des chocs produisit un tel boucan, qu’une nuée de corbeaux s’envola en croassant de mécontentement. Toujours aucun signe de vie.

J’étais d’un naturel patient et assez optimiste. Je m’accordai donc encore trois essais avant de faire demi-tour. Au premier, un chien aboya quelque part dans le voisinage, au second je crus entendre une porte s’ouvrir mais peut-être n’étais-ce que le craquement d’une branche sous l’effet du vent. Au troisième coup…

Un silence de mort.

J’ai fini par laisser tomber. Il était peut-être absent, tout simplement. Je rentrai chez moi après avoir capturé un peu de nature avec mon appareil photo :

un sapin mal-en-point, des champignons aussi beaux que vénéneux, un couple de mésanges, quelques insectes effrayants… Dans un jardin du voisinage, je pus même immortaliser un colibri faisant la cour à l’hellébore fleurissant au pied d’un saule pleureur. Alensir est une ville des plus étonnantes.

La soirée fut assez quelconque. Carbonara réchauffée au micro-ondes, directement dans sa boîte, devant un western spaghetti avec Terence Hill. Mon portable vibra pendant la pub. Mais je ne répondis pas…

***

Six jours ! Six putains de jours que je me tapais ce sentier de merde pour espérer rencontrer le père Noël ! À croire que ce mec n’existait pas ! J’avais tambouriné nombre de fois à sa porte moyenâgeuse, gueulé à m’en péter le larynx et rien ! Un silence monastique que même les corneilles n’osaient troubler. J’ai contacté Mario, évidemment, pour lui faire part de mon problème, mais je n’eus droit qu’à l’une de ses grandes tirades méprisantes dont il avait le secret :

« Le temps passe vite Monsieur Pikerflood ! Et le temps, comme vous le savez, c’est de l’argent ! Il ne vous reste plus qu’un mois pour préparer votre stand ! Vous avez tout intérêt à ne pas désappointer le Mall’s si vous ne voulez pas que le Mall’s vous traite comme un paria. Nous n’avons jamais été déçus par les papillons d’Éphémèris, Mme Core risque d’être particulièrement contrariée si vous ne menez pas votre mission comme nous le souhaitons ! À présent, veuillez m’excuser mais j’ai bien mieux à faire que d’écouter vos jérémiades. Je dois prendre congé, aurevoir Monsieur Parkernood… »

Quant à Mme Core :

« Seriez-vous une chenille Monsieur Pepperwood ? »

Pour Charly, la solution était évidente :

« T’as qu’à l’assiéger !

— Quoi ?

— Tu t’fais ton barda, tu plantes une tente et quand il se pointe tu lui sautes dessus avec un grand sac en toile de jute !

— Mais pourquoi j’ferai ça ? Je veux le rencontrer pas l’kidnapper !

— Aux grands moyens les grands maux… nan attend, c’est pas ça, aux grand maux… les moyens…

— Je vais devoir changer de mission, c’est tout, Ada aura bien autre chose pour moi.

— Changer de mission ? Aha mec t’es une putain de ch’nille !

— Mais c’est quoi votre délire avec ça, les papillons, les chenilles, butiner de mission en mission, c’est n’importe quoi !

— Moi j’trouve ça poétique !

— On est des putains d’intérimaires précaires à la merci du patronat !

— Moins poétique…

— Ok je vais me détendre un peu, demain je vais faire un tour en ville, acheter de quoi faire une planque et j’y retourne à la nuit tombée.

— En ville ? Bah nan, viens au Mall’s, y a tout c’qui faut là-bas !

— Je sais pas trop, tout y est si… excessif, que ça me donne le tournis. Et puis je préfère le contact direct avec les petits commerçants, c’est plus convivial.

— Comme tu veux Larry. Mec tu vibres !

— Hein ?

— Ton téléphone !

— Ouais laisse c’est rien, faux numéro.

—  Jia… C’est qui Jia?

— Personne.

— Tu décroches pas ?

— Nan t’inquiète.

— C’est p’têt important !

— C’est rien j’te dis.

— T’es sûr ?

— Oui !

— Ça me dérange pas tu sais !

— Non ! C’est bon ! Merci Charly. Écoute, il est tard, je suis fatigué, tu devrais rentrer.

— Ok… d’accord mec. Bonne fin de soirée. »

De nouveau seul dans l’appartement, debout devant l’unique fenêtre, j’essayai d’entendre le son des vagues, le chant des goélands… Mais j’avais beau y croire de toutes mes forces, ne parvenaient jusqu’à moi que les rires gras des poissonniers fermant boutique. Ici, la mer ne chante pas, elle pleure ses petits ; cadavres exposés sur l’étalage glacé.

Mon portable vibra une nouvelle fois,

je répondis : 

« Ah t’as décroché cette fois ?

— Oui Charly, j’ai décroché.

— Je voulais juste te dire, pour tout à l’heure, je suis désolé si j’ai été lourd. J’suis maladroit je sais, mais j’t’aime bien, t’es mon pote et j’ai pas envie de perdre un ami, encore…»

*** 

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Odette Charlier il y a 2 mois

Je vois bien ce récit en bande dessinée !

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