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Une experience interdite...

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Publié le 30 juil. 2024 Mis à jour le 30 juil. 2024 Horreur
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Une experience interdite...

Londres, 1928

 

Toute la ville était en émoi. Partout on parlait de ce qui fut le « procès du siècle ». Les journaux, la radio, la télévision, tous les médias débattaient et rivalisaient de théories à propos de l’un des faits divers les plus étranges qui eurent lieu à Londres. Pas moins de dix-sept corps retrouvés dans les rues de la capitale.

En outre, deux détails attiraient particulièrement l’attention. Premièrement, les victimes ne semblaient pas avoir été agressées. Au contraire. On trouvait chez chacune une lettre d’adieu expliquant les raisons pour lesquelles elles s’étaient suicidées, ainsi qu’un pistolet qui correspondait à chaque fois à la blessure par balle dans la tête du cadavre.

Le deuxième élément, le plus surprenant mais aussi le plus macabre, était l’absence du cœur, qui, d’après les médecins légistes, avait été extrait avec une précision chirurgicale extrême, la plaie ayant été suite à l’acte recousue et nettoyée, ne laissant presque pas de trace.

 

La police s’arrachait les cheveux. Le tueur en série ne semblait pas suivre de schéma, chaque meurtre ayant l’air complètement aléatoire, les victimes ne se ressemblant pas et étant retrouvées dans des endroits complètement différents, le tout ne suivant pas de « planning ». Il pouvait se passer des jours entre deux découvertes de corps comme à peine quelques heures.

De quoi rendre fou les détectives de Scotland Yard, qui s’étaient mis à accuser à tour de bras, provoquant une dizaine d’arrestations en seulement deux semaines. Ce qui avait conduit au fameux procès : celui de Lord Edward Carlson.

 

Lord Carlson était un éminent psychiatre spécialisé en criminologie, reconnu et admiré par ses pairs. Membre de la Chambre des Lords, il ne s’y rendait pas souvent. Car même s’il se montrait brillant, attentif envers ses patients et tout simplement passionnants lors de conférences ou de débats, c’était un homme introverti, préférant la quiétude de son cabinet au brouhaha de la ville du genre humain.

C’est pourquoi la police avait vite été tournée en ridicule lors de son emprisonnement et interrogatoire. Accuser une personne si calme et réservée, d’autant plus qu’il était la treizième personne à être pointé du doigt par les inspecteurs.

 

Mais cela n’avait pas fait rire la famille de l’accusé, notamment son frère cadet, Auguste Carlson, également membre de la Chambre des Lords, qui s’était attaquée juridiquement à Scotland Yard. Le concerné ne s’était que très peu montré au tribunal affirmant que :

 

-J’ai un travail à accomplir. Les personnes que je soigne ne peuvent attendre à cause d’un motif aussi futile.

 

Le « duel » entre les deux camps s’était donc déroulé sans le principal intéressé, qui avait fini par être acquitté par manque conséquent de preuves, pour sa plus grande indifférence. Mais l’affaire avait été rendue publique, et les journalistes se pressaient alors par dizaines sur son lieu de travail, l’adresse de son logement étant inconnue.

De plus, le docteur passait le plus clair de son temps entre l’hôpital psychiatrique et son cabinet en centre-ville. Ils essayaient donc de le surprendre pendant son déplacement entre les deux endroits, se rassemblant par dizaine aux pieds du bâtiment de brique.

 

L’homme contemplait, pensif, cette foule qui s’agglutinait en bas de chez lui avec pour seul but de l’entendre prononcer quelques mots sur une affaire qu’il n’avait que très peu suivie. Mots qui seront ensuite retournés à toutes les sauces pour le faire passer pour un grand méchant loup, ou bien servir multiples intérêts politiques. Tels étaient les journalistes d’aujourd’hui.

Edward n’avait pas particulièrement envie de sortir, mais son travail primait. Il se leva donc de son fauteuil de cuir avec un lent soupir, ses yeux bleu-gris balayant la pièce rapidement. Il connaissait l’emplacement de chaque livre, chaque photo, chaque dossier, et c’était devenu un réflexe pour lui de s’assurer que tout était à sa place, que nulle poussière n’avait été déplacée, que les moindres recoins de la pièce conservaient l’apparence qu’il lui avait donnée. Une façon de se rassurer.

 

À peine un pied posé dehors, les voix, les flashs l’agressèrent, chaque journaliste voulant être le premier à recevoir les impressions de l’homme.

 

-Docteur Carlson, êtes-vous soulagé d’avoir été innocenté ?

-Avez-vous un mot à transmettre à Scotland Yard ?

-Quel est votre avis sur les meurtres qui ont lieu actuellement, en tant que professionnel de renom ?

-Avez-vous demandé à votre frère, le dénommé Auguste Carlson de vous défendre pendant le procès ?

-Qu’en pense votre fiancée, Kathleen Mclaod ?

 

Les questions fusaient, étourdissant le psychiatre qui sentait la panique le prendre. Ne laissant rien paraître, il leva la main pour capter l’attention de la foule qui se tut à son geste, suspendue à ses lèvres.

 

-Tout d’abord Monsieur, votre question concernant Miss Mclaod est extrêmement inappropriée, et je n’y répondrais pas au vu de la grossièreté avec laquelle elle m’a été posée.

 

Des rires fusèrent, faisant rougir de gène le journaliste, qui balbutia des excuses.

 

-Concernant mon procès, reprit l’homme, sa voix profonde résonnant dans le silence, je n’ai strictement rien à dire, ne m’y étant pas intéressé.

 

La remarque entraîna quelques murmures perplexes et grognements agacés. Ces derniers venaient en partie de deux officiers de police adossés à la maison. Chargé au départ de la protection du médecin, Edward les soupçonnait surtout de garder un œil sur lui, de par leur manque de volonté et d’efficacité.

 

-Enfin, pour ce qui est des assassinats qui ont eu lieu, je ne me prononcerais pas dessus non plus. Je ne me suis pas penché sur la question, les agents des forces de l’ordre l’ayant largement fait à ma place. Il jeta un coup d’œil aux policiers, qui avaient blêmi sous la colère. Je n’ai rien à ajouter et vous prierais de me laisser partir, si vous avez un minimum de respect pour ma personne.

 

Cette déclaration provoqua nombre de protestations et encore plus de questions supplémentaires, ce qui fit reculer l’homme. Soudain, il sentit une main le tirer vers la droite, l’extrayant des reporters ahuris.

 

-Suivez-moi ! lui lança la voix d’une femme.

 

Celle-ci l’entraîna jusqu’à la voiture du Lord, semant la horde de journalistes. Une fois installé à l’intérieur, il prit le temps de la détailler. Avec ses cheveux de jais, son visage fin et ses yeux bleu azur, elle devait sans doute être considérée comme une grande beauté. Il ne pouvait en juger convenablement de par son manque d’expérience.

 

-Vous allez provoquer nombre de rumeurs sur notre relation qui pourrait nous porter préjudice, Miss.

-Vous comme moi savez que vous n’en avez éperdument rien à faire, fit-elle, moqueuse. À moins que je ne me trompe ?

-Certes non, je ne peux vous donner tort, rétorqua-t-il, sourcils froncés. Dans ce cas pourquoi m’aider ?

-Pour mon intérêt personnel je le crains. Au revoir docteur. Et à bientôt je l’espère.

 

Sur ces mots, elle sortit la voiture arrêtée à un carrefour et s’évanouit dans la jungle urbaine, le laissant légèrement perplexe sur les intentions de cette femme au caractère bien trempé et à l’accent rappelant les contrées les plus chaudes de l’Andalousie.

De plus, il avait l’impression de la connaître, de l’avoir déjà croisée à maintes reprises, que ce soit dans Londres, aux abords de la Chambre ou encore près de l’hôpital où il se rendait.

 

Après une trentaine de minutes de route vers l’extérieur de la ville, il arriva au milieu d’un vallon de verdure, dans lequel, dissimulé par de grands portails de fer forgé, se trouvait l’asile de Wendmore pour cas désespérés. Contrairement à beaucoup d’établissements de ce genre, le bâtiment était séparé en deux ailes bien distinctes, habitant chacune un type de patients. A l’est, les « rêveurs », déconnectés de la réalité, paisibles, évoluant comme une petite communauté dans les jardins de l’hôpital.

Edward les aimait bien ceux-là. Silencieux la plupart du temps, avec qui il était plaisant de philosopher sans qu’ils ne s’en rendent compte de la vie, de l’humanité, à parler des astres ou de la croissance des plantes, s’extasier de la pluie comme du beau temps ou simplement rester à leurs côtés pendant des heures pour admirer la course des nuages.

 

Malgré ce petit havre de paix, la partie ouest de Wendmore accueillait des personnes bien différentes. Les « irrécupérables ». Les patients les plus violents, dérangés, parfois même d’anciens meurtriers qu’on avait tenté de soigner, mais qui avaient finalement succombé à la folie qui imprégnait les lieux.

Chacun dans une cellule séparée avec son médecin attitré. Médecins qui ne restaient jamais bien longtemps d’ailleurs, ne pouvant supporter l’ambiance insoutenable qui y régnait. C’était en partie pour cela qu’avait été créée l’aile est. Pour permettre au personnel de se reposer sans démissionner. Système qui marchait étonnamment bien, et mis en place grâce à la volonté et aux immenses ressources financières de Edward Carlson en personne.

 

Comme à son habitude, il commença sa tournée dans l’aile des rêveurs, discutant avec ses confrères et les soignés. Apprécié de tous grâce à son tempérament, il n’avait pas eu de mal à s’intégrer parmi les soignants malgré son arrivée pistonnée par ses parents.

Il appréciait évoluer au milieu de ces gens, qui lui montraient que l’être humain, vide de toute noirceur, pouvait redevenir des créatures amicales et bienveillantes. Sentiment vite éloigné par sa visite quotidienne de l’aile ouest.

Parcouru de hurlements, de gémissements, d’insultes, de menaces de mort, l’homme était le seul capable de rester dans cette partie de l’asile plus de quelques heures. Ils les trouvaient fascinants, mais aussi répugnants. L’Homme privé de raison, revenu à son état le plus primaire.

 

C’est pourquoi, en un sens, il aimait l’asile de Wendmore. La réunification du blanc et du noir. Du ying et du yang. Du bien et du mal. De la paix et du chaos. Ce qui avait fait naître chez lui un désir profond : celui de comprendre et d’expliquer la nature humaine. Il avait commencé par de simples observations, des questions qu’il posait aux deux « types » de patients, mais aussi à des personnes dites « saine d’esprit ».

Non content du résultat, il avait réessayé tout en administrant aux participants un médicament de son invention, censé embrumer leurs esprits comme une drogue tout en les gardant maîtres de leurs sensations.

Il avait alors compris ce qui clochait. Un être « sain » ne pourra jamais être complètement honnête. Mais l’état de l’esprit impactait-il sur le corps directement ? Voire sur l’état même de l’âme ?

 

Il s’était alors plongé dans diverses recherches afin de répondre à cette nouvelle question. Il y pensait jour et nuit, sans interruption, sacrifiait sommeil et alimentation pour ne pas se laisser distraire. Au fil du temps, il avait découvert que dans de nombreuses cultures, on situait l’âme au niveau du cœur.

Pour résoudre sa problématique première, il devait passer par-là, faire le lien entre corps et esprit. Il arriva donc à la conclusion suivante : pour savoir quelle était l’influence de l’âme sur le corps, il devait essayer de consommer différents échantillons de cœur humain.

 

Au début, il s’était contenté des patients de l’hôpital, agissant en secret, collectant l’organe essentiel à ses expérimentations après le décès de l’individu sélectionné. Cependant, son analyse ne pouvait pas être complète, car il lui manquait un large échantillon de la population.

Ceux évoluant en liberté, de l’âge le plus tendre au crépuscule de la vie. Il avait commencé alors à récupérer à l’extérieur, sans pour autant se montrer violent, de peur que les émotions comme l’effroi et la colère n’affectent les résultats.

 

Ce n’était pas pour autant qu’il appréciait particulièrement la chair humaine. Comparant cela à du porc, il avait du mal à ingérer cet aliment en raison de sa texture. Le sanguinolent ne présentait que peu d’intérêt pour lui. En clair, il n’y aurait pas toucher sans raison valable. Le psychiatre avait d’abord essayé sans faire cuire la viande, pour ne pas faire disparaître certains enzymes présents à l’intérieur, mais s’était vite rendu malade.

De plus, il avait l’impression que, selon l’échantillon qu’il consommait, son humeur changeait, influencée peut-être par son « repas » d’après lui. S’il trouvait cela bénéfique pour son travail, il détestait perdre le contrôle de son attitude, devenant parfois agressif envers son entourage restreint.

Il notait quand même ces observations dans un carnet qu’il gardait avec lui en permanence, de peur de se le faire voler et que quelqu’un ne s’approprie ses recherches. En effet, le sens immoral de son projet ne lui importait que très peu.

 

Edward ne se considérait pas comme un meurtrier, mais plutôt comme un chercheur déterminé à employer tous les moyens à sa disposition pour satisfaire sa curiosité. C’est pourquoi il ne s’inquiétait pas au sujet de la police et du procès dont il avait été l’objet. Il estimait n’avoir rien à se reprocher, ne concevant pas que le reste de la population ne partage pas son avis.

C’est pourquoi il ne sortait que rarement de chez lui. Il trouvait l’humanité engoncée, prisonnière d’une morale incompréhensible à ses yeux et avait l’impression de se retrouver face à des êtres primaires incapables de s’élever par ce fait. Il pouvait tolérer certaines personnes, mais en règle général, il évitait de côtoyer trop longtemps ses pairs.

 

Ces pensées le conduisirent jusqu’à la chambre de sa patiente préférée, Elisabeth. Elle avait perdu raison et mémoire lors d’un accident tragique, dont elle gardait les cicatrices physiques. Cette visite, juste avant son départ de l’asile, faisait partie des nombreux petits rituels qui organisaient sa vie réglée comme une montre à gousset, et auquel il accordait une importance particulière.

Quand il entra dans la chambre, il la vit allongée sur le lit, les jambes dans le vide et fixant le plafond avec intensité.

 

-Ils parlent de vous aujourd’hui. Bonjour docteur.

-Bonjour Elisabeth, lui répondit-il en s’approchant. Et de qui parlez-vous ?

-Des personnes dans les murs.

 

Edward esquissa un sourire. Ce n’était pas la première fois que la jeune femme affirmait de telles choses.

 

-Et que disent-ils à mon propos ?

-Ils demandent que vous leur rendiez quelque chose, mais je ne comprends pas bien quoi, murmura-t-elle en fronçant les sourcils.

 

L’homme fut surpris. Savait-elle quelque chose ? L’avait-elle vu pendant l’une de ses « séances » ? Avant qu’il ne puisse répondre, elle se tourna vers lui pour chuchoter, comme en transe :

 

-Vous les avez mis en colère docteur.

 

Soudainement, elle se releva, pour rapprocher son visage du médecin. Elle ne dit rien, se contentant d’effleurer de son pouce les lèvres fines de son interlocuteur, qui ne réagit pas.

 

-Elles hantent vos yeux et vos mains. Elle se mit à rire, tremblante. Êtes-vous ? Êtes-vous ? Je vois le sang sur vos dents.

 

Enfin, elle retourna s’asseoir, dos à lui, silencieuse d’un seul coup. Et alors qu’il s’apprêtait à quitter la pièce, elle ajouta dans un souffle :

 

-Prenez garde Anubis, ou ils vous emporteront dans l’au-delà.



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