

Chapitre 1
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Chapitre 1
Mes yeux se perdirent sur les horizons de la ville, battue par la pluie. Un voile nuageux, d’un gris cendre et argent, drapait le ciel. Les éclairs déchiraient les nuages, illuminant les environs d’une brève lumière, tel le flash d’un appareil photo.
Un ruban figé de phares rouges et de carrosseries luisantes couvrait les routes. Les parapluies noircissaient les trottoirs dans une valse désordonnée.
Assis près de la fenêtre, je posai une main sur la vitre. Le froid du verre traversa ma peau et fit courir un frisson dans mon bras.
Les gouttes s’élançaient en file désordonnée, traçant des sillons fuyants sur la surface. Ma respiration y laissait un voile trouble, aussitôt dissipé.
Ce ballet de pluie réveillait en moi le souvenir des ruines, quand le ciel avait pleuré sur nos cendres comme pour partager notre deuil.
Chaque éclair se ressemblait, chaque goutte se confondait avec la précédente. La pluie semblait tomber à l’infini. Telle une note obstinée, lancinante.
Un souffle traînant me quitta, lourd de lassitude.
- DIAZ !
Je tournai la tête dans un saut, manquant de me briser la nuque. Je clignai des yeux plusieurs fois, avant de finalement pincer mes lèvres.
Le silence pesant de l’amphithéâtre m’accueillit. Tous les regards étaient braqués sur moi. Certains s’amusaient clairement de mon désarroi, d’autres étaient plus circonspects. Quelques murmures flottaient dans l’air.
Si les yeux du professeur étaient des fusils, je serais déjà mort. Je serrai les poings sous ma table, les yeux braqués sur le bois. Mes doigts fourmillaient, mon corps tremblait comme si un seau d’eau glacé venait de me frapper.
- Puisque mon cours vous passionne tant, auriez-vous l’amabilité de répondre à cette question, jeune homme ?
Mon souffle se bloqua. Je levai les yeux doucement au tableau. Mon bras s’étaient décrispés, mais mon cœur tambourinait encore. Mes yeux croisèrent à nouveau celui de mon professeur de science. Il plissa leva un sourcil, ses yeux se plissant d’impatience.
Je gigotai sur ma chaise, me redressant avec peine. Je frottai mes mains sur mon jean, devenues moites et déglutis. Je parcourus à nouveau la question, ignorant le reste de l’amphithéâtre :
“Si la trame de l’espace-temps se révélait fractale à l’échelle quantique, comment cela affecterait il la naissance des étoiles et la propagation de la lumière ?”
Je relus la question une deuxième fois. Mes yeux parcoururent l’ensemble de l’amphithéâtre. Tout le monde semblait suspendus à mes lèvres, impatient de voir comment j’allais me ridiculiser sans doute.
Je baissai les paupières un instant, laissant l’engourdissement me traverser. Puis, je soufflai et levai les yeux.
L’enseignant croisa les bras, appuyé négligemment sur son bureau. Son doigt tapait nerveusement son bras. Son regard était devenu sombre.
- Je n’ai pas toute la journée Diaz.
Je mordis l’intérieur de ma joue, me retenant avec violence pour ne pas lever les yeux au ciel.
- Si la trame de l’espace-temps est fractale, les mêmes structures se répètent à chaque échelle. Cela signifie que la formation stellaire ne résulte pas d’un hasard local, mais d’un schéma récurrent inscrit dans le tissus de l’univers.
Le silence semblait s’épaissir comme une fumée. Le professeur, figé, le menton appuyé dans sa main, semblait suspendu à mes mots.
Certains camarades me regardaient fascinés, d’autres avec mépris. Je laissai mon regard parcourir le tableau, notant les équations griffonnées qui ne menaient à rien. Certaines étaient complètement absurde.
- La lumière, en traversant ces niveaux imbriqués, verrait sa propagation altérée : non pas constante, mais variable selon l’échelle observée. Ce qu’on prend pour une loi universelle ne serait alors qu’une approximation limitée à notre point de vue.
Je me redressai sur ma chaise, laissant mon dos heurter le dossier. Je rabattis mes mains sous le bureau, tentant de cacher mon tremblement.
Monsieur Vaughn, notre professeur de science, demeura silencieux. Son regard était sombre, égaré dans le vide. Il ne montrait aucune émotion, même pas la plus infime qui soit. J’avais du mal à deviner ses pensées.
- Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
Je fronçai les sourcils un instant, perdu dans mes pensées. Mes prunelles s’ancrèrent naturellement dans les siens.
Tout était évident.
- Parce que l’univers fonctionne en miroir. Ce qui se répète dans le minuscule se rejoue dans l’immense. Il n’y a pas de différence, juste des échelles.
Je le dis sans insister, comme si l’évidence se suffisait à elle-même.
Le silence resta, mais il n’avait plus la même couleur. Ce n’était plus le malaise ou la moquerie — c’était autre chose, plus dense, presque respectueux.
Les yeux fixés sur moi n’avaient plus la même lueur. Les sourires moqueurs s’étaient éteints, remplacés par un mélange de trouble et de curiosité. Même ceux qui m’ignoraient d’habitude semblaient suspendus.
Monsieur Vaughn se redressa lentement, l’air songeur.
- Vous vous en tirez pour cette fois. Mais tâchez de rester concentré.
Je hochai silencieusement la tête. Les regards continuaient de me suivre, mais je n’y prêtais plus attention. Je pris une profonde inspiration, me préparant à replonger dans le cours. Les chuchotements s’élevèrent autour de moi, mais je n’entendis rien.
Les minutes s’étirèrent, étouffantes, jusqu’à ce que la cloche sonne enfin. Le brouhaha des voix me tira de ma torpeur. Je rassemblai mes affaires, prêt à quitter l’amphithéâtre.
- Diaz !
- Oui monsieur ?
Monsieur Vaughn me dévisageait longuement, comme s’il tentait de lire en moi.
- Comment en êtes-vous arrivé à votre raisonnement sur la fractalité de l’espace-temps ?
Un silence me cloua sur place. Les regards de quelques étudiants traînaient encore dans la salle, en suspens. Mes lèvres s’entrouvrirent, mais aucun mot n’en sortit. Pour moi, c’était évident, inscrit dans chaque fibre de l’univers. Je baissai les yeux et haussai les épaules.
- C’est… logique.
Le professeur resta figé un instant, hésitant entre l’agacement et la curiosité, puis détourna lentement le regard.
- Vous pouvez y aller.
Je rassemblai mes affaires et me retournai pour quitter les lieux. Les chuchotements recommencèrent aussitôt derrière moi, mais je ne les entendais pas. Un long soupir quitta mes lèvres ; j’allais encore être le sujet de la semaine. Les cours m’ennuyaient, et j’avais déjà étudié la plupart des matières. Mon esprit divaguait facilement, surtout quand ma réponse attirait autant d’attention.
Je m’arrêtai devant mon casier pour vider mon sac de quelques bouquins avant le déjeuner. Ma main s’arrêta sur une enveloppe posée soigneusement au centre. Je me figeai, la saisis et l’analysai sous tous les angles. D’un rouge grenat étonnant, elle était décorée d’un ruban blanc.
Mon regard balaya les alentours, pris au dépourvu. Qui aurait bien pu me la déposer ? Je n’étais pas du genre à attirer ce type d’attention.
Je tirai sur le ruban blanc et à l’instant où je l’ouvris, une odeur fraîche et acidulée envahit mes narines. Un doux parfum de fleurs et d’agrumes.
Je levai un sourcil et dépliai le papier, le tirant doucement de l’enveloppe. Je parcourus les mots griffonés sur la feuille. L’écriture était lisse et délicate, comme si les mots avait été posés avec justesse et douceur. La plume était élégante, mais c’était le contenu qui me surprenait.
Une lettre… d’amour ?
Je levai les yeux, croisant quelques regards au passage. J’observai une fois de plus la lettre, tentant d’y trouver un indice sur mon expéditeur mais rien.
Je glissai l’enveloppe dans mon sac, fermai mon casier et quittai les couloirs. J’aurais voulu examiner davantage cette enveloppe, mais mon estomac grondait.
Je traversai la cour. Les conversations s’éteignaient peu à peu sur mon passage. L’air semblait plus lourd que d’habitude. Le silence entre les étudiants semblait s’alourdir à chacun de mes pas. Je sentis un poids invisible me suivre jusqu’au château.
Je passai les portes dans un soupir. Je détestais vraiment cette ambiance continue. J’étais conscient d’avoir un physique singulier, mais c’était épuisant à la longue. Et je peinais à me mêler aux autres à cause des trop grandes différences et mon manque de connaissances.
J’aurai aimé être “normal”.
Je m’emparai d’un plateau, le rempli sans vraiment faire attention. Le bruit ambiant de la cafétéria éclipsait mes pensées. Les élèves y mangeaient en groupe ou se reposaient dans le coin détente. Certains profitèrent du temps de pause pour avancer sur leurs devoirs.
C’était le seul endroit où je connaissais le répit, malgré la cacophonie ambiante. Je ne sentais pas le poids de l’attention. Je n’étais plus une bête de foire, juste un étudiant parmi tant d’autres.
Je errai dans les allées, cherchant désespérément une table vide.
Je finis par repérer une table libre, dans un coin près des fenêtres, légèrement à l’écart. J’y posai mon plateau et m’assis. Le brouhaha m’atteignait encore, mais il paraissait plus lointain.
Je sortis machinalement l’enveloppe dans mon sac, mes doigts effleurant le ruban blanc. Je l’ouvris à nouveau, relisant chaque mot avec attention.
“Il y longtemps que je n’avais pas croisé ce regard,
fatigué, glacé, mais toujours lumineux.
Il en dit plus que mille mots.
Tu restes l’ange de mes nuits,
apaisants mes blessures et mon ennui.
Je n’ai jamais pu abandonner,
ce regard d’une pureté nacrée.
Chaque fois que je m’y noie,
dans cet océan argenté,
mon cœur menace de s’égarer.
Même lorsque tu crois être seul,
je surprends ce léger frisson dans tes gestes,
cette fatigue que tu caches aux autres.”
Aucun indice. Rien ne me permettait de deviner l’identité de mon expéditeur.
Je parcourus la cafétéria d’un œil las. Les regards étaient plus lourds que d’habitude. Certains curieux, certains attentifs, comme s’ils cherchaient à lire mes pensées. Des rires s’élevaient par-ci, par-là, des mumures semblaient flotter dans l’air.
Je ne l’avais pas remarqué plutôt, mais un calme étrange s’était installé. Le tumulte de la cafétéria se pousuivait au loin, mais près de ma table, un silence relatif pesait, ponctué par le bruit lointain des couverts et des pas. Je fronçai les sourcils, quelque chose clochait.
Et si ce n’était qu’une farce ?
Je baissai les yeux, la mâchoire serrée. Je repoussai mon plateau, l’appétit perdu, et relu la lettre une fois de plus. Les mots doux contrastaient avec ce poids dans l’air. Je la parcourus encore et encore, cherchant un indice, un message caché, n’importe quoi qui me prouverait que ce n’était pas ce que je croyais.
Mais rien, juste cette sensation étrange d’être observé.
Un souffle irrité quitta mes lèvres. Le papier trembla entre mes doigts.
Dans un mouvement sec, je repliai la lettre et la glissa dans mon sac. Je me levai d’un bon, la chaise râclant le sol dans un grincement sec. Les regards se multiplièrent à mon geste, mais je les ignorai.
Je traversai la cafétéria à grande enjambées, sans même prendre soin de débarrasser mon plateau. Le brouhaha reprit derrière moi, comme si mon départ avait rompu la tension.
Je grimpai les escaliers deux par deux, bousculant quelques élèves au passage, avant de m’engouffrer dans une salle vide. Tant mieux.
Je m’installai sur une table isolée, laissant tomber mes affaires dans un soupir. Ma tête bascula en avant, mes bras croisés sur la table. Mon esprit tournait à vive allure. Qui avait glissé cette lettre ? Et pourquoi ?
Il n’y avait aucune raison pour que je reçoive une quelconque attention, encore moins de ce genre.
Mes pensées furent interrompues par le grincement de la porte. Un petit groupe d’élèves entra en riant, leur voix se mêlant au silence de la salle. Je me redressai dans un sursaut, mes prunelles se braquant sur les nouveaux venus.
Nos regards se croisèrent un instant. J’entrouvris les lèvres mais aucun son ne sortit. Ils s’échangèrent quelques mots à voix basse, tout en me lançant des coups d’œil rapides.
Mais une lueur attira véritablement mon attention. Une paire d’orbes luisantes, comme la lune au zénith. Elles étaient semblables à des diamants incrustés.
Le monde autour de moi sembla s’effacer. Les messes basses se figèrent en murmures étouffés. Je ne voyais plus les silhouettes autour de moi, juste ces yeux.
Un long frisson parcourut ma nuque, comme une douce brise me caressant la peau. Une chaleur étrange explosa dans ma poitrine, sans raison ni avertissement. Chaque battement de mon coeur semblait vibrer dans mon corps.
J’eus l’impression de me baigner dans une mer silencieuse, où chaque étoiles semblait scintiller juste pour moi. Ces yeux… ils brillaient d’un éclat pur, céleste, qui me retenait là, immobile, suspendu entre l’ombre et la lumière.
Puis un bruit de toux me ramena brutalement. Comme si on venait de frapper sur une horloge, le monde reprit son cours. Je clignai, les voix et les visages me revinrent. Des rires étouffés me parvinrent, les murmures semblaient plus prononcés que tout à l’heure.
Je détournai les yeux, mais un éclat argenté attira encore mon regard. Ses pupilles… Je les avais fixé trop longtemps. Et maintenant, je voyais son visage : un léger rougissement, des épaules crispées, paralysée par la gêne. Mon coeur s’emballa, coupable et confus.
Sans réfléchir, je me levai, attrapai mes affaires et quittai la salle à grands pas, laissant derrière moi l’éclat qui m’avait retenu prisonnier.

