Abats la lumière

Il fait jour dehors, mais dans la villa d’Alicia, c’est une autre saison. Une saison intérieure. Rideaux tirés, volets fermés, air figé. Le salon ne respire plus. Dans sa chambre, étendue sur le lit comme une ombre, Alicia fixe le plafond, les yeux grands ouverts dans l’obscurité. Pas même un rayon de lumière ne traverse les lames des stores.

La couette est à moitié au sol. Elle n’a pas pris de douche depuis la veille. Peut-être même avant. Son tee-shirt colle à sa peau, pas à cause de la chaleur, mais parce qu’elle n’a pas bougé depuis des heures. À côté d’elle, le téléphone est éteint, écran noir tourné vers le matelas. Trop de notifications. Trop de tout.

Ses bras sont repliés sur sa poitrine, comme si elle cherchait à se contenir.

— Je suis ridicule, pense-t-elle. Juste… ridicule.

Mais la pensée s’écrase aussi vite qu’elle est venue. La vérité, c’est qu’elle n’a pas la force de faire semblant. Pas aujourd’hui. Ni hier. Peut-être pas demain non plus.

Elle se tourne légèrement sur le côté. Une douleur sourde dans la nuque la fait grimacer. Elle a dormi dans cette position trop longtemps, ou pas du tout. Le temps n’a plus de contours précis ici. Le matin, le soir, le lundi ou le dimanche, tout flotte dans un brouillard.

Elle ferme les yeux. C’est pire. Avec les paupières closes, les images reviennent, encore et encore. Les mots aussi. Ceux qu’elle n’aurait jamais cru entendre. Pas dans cette bouche-là. Pas dans ce ton-là.

Elle expire, longuement. Sa gorge est sèche. Elle a soif. Elle le sait. Mais se lever, aller jusqu’à la cuisine, c’est une décision. Et les décisions l’épuisent.

Elle se parle sans parler. Un dialogue muet, maladroit, qui tourne en rond.

— T’es pathétique. Bouge-toi. Va au moins boire un verre d’eau.

— Pour quoi faire ? Continuer à survivre dans cette agonie ?

— T’as du travail. Des gens qui comptent sur toi.

— ..Ils attendront.

Un léger tapotement au loin. C’est Kanda, son lapin, qui gratte doucement à la porte. Elle a oublié de lui ouvrir. Elle hésite. C’est la seule présence vivante qui dépend d’elle ici. Après un moment, elle se redresse lentement, glisse les pieds sur le sol froid, puis avance péniblement jusqu’à la porte. La lumière du couloir entre comme une agression. Elle plisse les yeux. Kanda se faufile et vient se blottir contre elle.

— Au moins, tu es là, toi , murmure-t-elle, la voix cassée.

Mais où est donc A-li-cia ?

Le siège du journal The Daily Voice se trouve dans un immeuble ancien du centre-ville de Johannesburg, un bâtiment à l’architecture un peu défraîchie qui témoigne de décennies d’histoires et de tensions journalistiques. Dès l’entrée, l’ambiance est électrique, entre le brouhaha des discussions, les sonneries de téléphones, et le cliquetis des claviers.

Le bureau principal est un vaste open space encombré de piles de papiers, de tasses de café entamées et d’écrans d’ordinateur diffusant en continu les dernières informations. Les journalistes y tapent à toute vitesse, écrivent des articles ou montent des dossiers en écoutant, parfois, les voix des rédacteurs qui dictent les dernières consignes. Une odeur mêlée de café brûlé et de vieux papier flotte dans l’air.

Là, une équipe prépare un reportage sur la politique locale, tandis qu’un photographe trie ses clichés d’