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Vers une atemporalité numérique ?

Vers une atemporalité numérique ?

Publié le 7 janv. 2020 Mis à jour le 30 sept. 2020 Culture
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Vers une atemporalité numérique ?

 

2020...

Nous sommes au cœur de la révolution numérique, à un moment charnière de l’histoire de notre civilisation : pour la première fois sans doute, l’écriture (au sens matériel) est en voie de disparition.

Paradoxe : SMS, emails, réseaux sociaux… nous ne nous sommes peut-être jamais autant, ni si facilement, écrit. Mais l’écriture en tant que témoignage, trace laissée du passage de l’Homme, depuis son invention 3 300 ans avant J.-C. par les Sumériens, est en passe de perdre sa dimension physique.

À l’heure du 2.0, le papier, fût-il recyclé, est en passe de devenir un support minoritaire, comme en son temps la pierre, à travers laquelle Champollion réveilla pourtant, par-delà trois millénaires, une civilisation.

 

Loin de porter un jugement sur ce qui apparaît comme un véritable changement d’ère, il s’agit ici de dresser un constat, et surtout de s’interroger sur les transformations fondamentales que celui-ci induit du point de vue de l’Homme.

L’homme qui écrit, c’est un témoin, celui qui laisse une empreinte signifiante de celui qui est à destination de celui qui sera, et par là même de celui qui fut à destination de celui qui est.

Un messager, en somme, un passeur éminemment conscient du temps avec lequel il compose. Et, pour ce faire, un vivant pleinement conscient de sa finitude.

L’homme qui écrit, au même titre que celui qui crée, ayant intégré l’idée de sa propre mort, peut en effet espérer défier le temps.

Et accéder ainsi à l’atemporalité.

 

L’homme numérique, lui, est un vivant, mais dont l’unique horizon paraît être le présent, qu’il investit à corps perdu (et quasi dématérialisé), parce que l’idée du temps lui est tout aussi étrangère que celle de la mort, qui lui est insupportable. Et même assez peu envisageable…

Arrêtons-nous un instant sur cette notion. Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, la mort est en effet occultée, repoussée. Alors que 90 % des décès ont lieu en dehors du domicile familial (hôpitaux, maisons de retraite), que l’espérance de vie augmente, il devient possible d’atteindre un âge avancé sans y avoir jamais été confronté. L’évolution sémantique est à elle seule signifiante : le terme « pompes funèbres » est le vestige d’une époque où les voitures s’écartaient pour laisser passer les convois funéraires (quand ceux-ci sont aujourd’hui fondus dans le flot de la circulation automobile), où l’on portait ostensiblement le deuil (quand, de nos jours, le terme « faire son deuil » renvoie plutôt à un travail sur soi)…

Une question surgit : en ce début de XXIe siècle, la relative « invisibilité » de la mort n’est-elle pas liée à une humanité rivée sur son présent, et dans le même temps confinée dans l’hyperindividualisme ?

Facebook, Instagram, Snapchat… les principaux réseaux sociaux consacrent le triomphe d’un moi saturé de présent, d’« instants » célébrés et valorisés dans (et pour) leur plus parfaite éphémérité.

À l’heure où, parallèlement, musées, bibliothèques, centres d’archives accomplissent le gigantesque et nécessaire travail de numérisation de leurs fonds, n’est-il pas urgent de se poser la question de la mémoire ? Individuelle avant que d’être collective ?

 

L’enfant « bombardé » de photos et vidéos prises à longueur de journées depuis le smartphone parental, que conservera-t-il, lui et les générations futures, de cette infinité d’instants ? On pourrait parler d’une réalité virtuelle, et il lui faudrait près d’une vie entière pour la reparcourir… En leur temps, pas si lointain, les albums de famille avaient intrinsèquement une valeur transgénérationnelle, et les portraits photographiques en studio, relève plus aboutie et démocratique des portraits peints, avaient vocation à l’éternité.

À l’autre extrémité de l’existence, le cimetière, lieu du souvenir s’il en est, est lui-même destiné à être délaissé si l’on en croit les statistiques : 45 % des Français (dans les grandes villes) choisissent la crémation (ce terme ayant remplacé « incinération », jugé trop violent) ; ils étaient 1 % en 1981… À Londres, 90 % déjà font ce choix, et ils sont 95 % à Copenhague ! Dématérialisation ultime…

 

Quid de la mémoire, dans ce contexte ? Doit-on renoncer, à l’instar de la suppression partielle (mais ô combien symbolique) du passé simple dans les programmes scolaires français, à une temporalité qui ne relèverait pas du seul présent ? Sommes-nous condamnés, à l’issue d’une vie envisagée comme une succession d’instants, à l’oubli, comme on désactiverait un compte ? Oubli de soi, et de ceux qui nous sont chers…?

Assurément non. Et nous sommes ici convaincus que le numérique, appréhendé comme le contrepied de réseaux sociaux friands d’éphémérité, peut nous donner accès ni plus ni moins à ce que Marcel Proust a magistralement recherché au long de sept volumes : le temps perdu, et finalement retrouvé. C’est-à-dire un espace où l’homme s’est émancipé du temps parce que, loin de la fuir, il est parvenu à regarder la mort en face ; à défaut, à en accepter l’inexorabilité.

Or, « réconcilier » vie et mort, c’est pouvoir prétendre, non pas à l’éternité — qui est l’affaire des religions — mais à l’atemporalité. Celle-là même à laquelle, via l’écriture, traversant des millénaires, Sumériens, Égyptiens et tant d’autres civilisations ont accédé.

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