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Tesson, la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine ?

Tesson, la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine ?

Publié le 22 janv. 2020 Mis à jour le 1 oct. 2020 Culture
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Tesson, la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine ?

Allez ce soir, je vais me déguiser en critique littéraire. Je suis en train de terminer « la panthère des neiges » de Sylvain Tesson. Et en plus je fais dans la critique Tendance, puisque Prix Renaudot il y a. Pourvu que Jean Antoine Loiseau ne m'en veuille pas de marcher sur ses brisées.... Tout de suite, allons à l’essentiel : je recommande la lecture. Le style est magnifique, concis, agréable à lire.Chapitres courts, phrases ramassées, souvent sans verbes. Mais avec plein de bémols.

 

Premier bémol de ma part, certes de vieux blasé... Tesson découvre l’affût (de chasse photographique), que moi je pratique depuis 50 ans. Certes il dit des choses très vraies que je pourrais revendiquer en les modifiant un peu, ce que je fais dans cette fausse citation de la p57 «  L’affût est une transcendance. En regardant l'animal, et encore plus en l'attendant, on fait comme les mystiques : on salue le souvenir primal. » Mais j'ai un doute. Est-il sincère ce Tesson ?

 

Déballage. Ce déballage de citations, de connaissances scientifiques, ces théories philosophiques, je pourrais en faire miennes certaines, sauf que là, il y en a trop. Mais moi aussi, on pourrait me mettre en face de cette tendance en lisant mon blog, il n'est qu'à lire ce qui suit...

Comme le dit une amie, notre aventurier semble « éprouver un certain plaisir à se regarder écrire ». Un poseur littéraire en somme ?

Et de plus, il cite des auteurs que je découvre seulement depuis peu. HOLDERLIN.... ST AUGUSTIN …. Il y a aussi le livre du Tao qui est convoqué par lui. Pas par moi car je suis suis loin de tout y piger, même s'il me souvient de la lecture du « Tao de la Physique » de Fritjof Capra.

Et si j'étais un peu jaloux ?

Certes écrire, c'est s’étaler, se disséquer. Mais Tesson a un coté exhibitionniste, genre « regardez comme je suis intelligent, sachant, expérimenté, baroudeur ». Il y a quelque chose d'un peu égocentriste dans cette avalanche de citations.

Toutefois, si une certaine partie de la forme est critiquable, le fond l'est beaucoup moins. Il y a tant de choses qui sont narrées et qui font écho.

Echos

Pouf commencer, il y a la réalité du travail photographique de Munier qui est évoquée. Des nuits à -30°C, des sacs de 35 kg, des randos à 5000 m avec tout ce matos sur le dos. Chapeau ! Respect ! Moi pas ou plus capable....

La mystique de l'affut

Il y a, je l'ai évoqué plus haut, ce qui est décrit sur l’affût. Attention : l’affût du chasseur est un affût de prédateur. Même si les instincts et les techniques sont très similaires, la finalité est opposée à celle du photographe. D'un coté c'est tuer, bousiller, réduire à néant, briser la beauté du monde. De l'autre, et c'est celui du photographe animalier, c'est se fondre, surprendre l'intimité, et comme le dit mon pote Francis, « participer à la beauté du monde », en témoigner. Voyeur ? Peut-être...

En affut dans le fossé, mais repéré quand même

 

 

 

 

 

Et puis cette allusion fréquente à la recherche des origines.

« Nous étions de nombreux hommes à rêver aux ages primordiaux... » Le voyage en Islande et le face à face avec ces paysages de commencement du monde m'ont remué violemment. De même que mes têtes à têtes avec les oiseaux, les fous de Bassan des Faroes ou bien les macareux islandais ou féringiens, m'ont fait me souvenir que les oiseaux sont les plus proches cousins vivants des dinosaures. Et cette parenté ne laisse guère indifférent. J'ai été très intéressé par les théories de Henri Laborit sur le cerveau humain, somme de tous les cerveaux y compris des plus archaïques, et par le film de A Resnais « mon Oncle d’Amérique » qui présente de manière très simple ces théories. Laborit dit « nous sommes les autres » et non seulement ceux qui nous entourent mais aussi ceux qui nous ont précédé, et peut être (le dit-il?) les espèces végétales. Le charme féminin et la fleur.... parallèle éculé, mais combien vrai. Tesson dit, faisant parler une de ses maîtresses qui l'a répudié « les bêtes, les plantes, les organismes unicellulaires et le néocortex sont les fractales du même poème » : je le crois profondément. Et en plus c'est joliment dit.

De même les gestes d'affection, de tendresse certaine, dont font preuve les oiseaux et que j'ai vu (sans parler ceux des ours polaires photographiés par Michel Rawicki). Ou encore leur communication qui, sans les mots, est aussi précise et nuancée que la notre. Il faut avoir passé des jours entiers à les observer, pour comprendre à quel point nous n'avons aucune supériorité dans la communication, possédons juste un media différent, la parole. Et un chant ou un cri d'oiseau est un son qui doit en dire autant que la parole humaine, même si nous savons à peine les décoder, tout le monde n'est pas Konrad Lorenz et ses oies. Oui je suis convaincu, malgré la tentation de l’anthropocentrisme, que ces animaux se parlent s'aiment se comprennent, et s'engueulent comme nous savons le faire.

L'attente : « l’affût commande de tenir son âme en haleine.... Jamais je n'avais vécu dans une vibration des sens aussi aiguisée...Une fois chez moi, je continuerai à regarder le monde de toutes mes forces, à en scruter les zones d'ombre. Se tenir à l’affût est une ligne de conduite » Oui ; trois fois oui, même si je bannis les lignes de conduite, les gurus, les directeurs de conscience et tout ce qui développe le surmoi. Mais la posture que l'esprit adopte lors de l’affût est une posture unique, qui procure un état très spécial. Allez, soyons fashion, et baptisons cela « éveil » ou « pleine conscience ». En tous cas, on ressent quelque chose d'unique, et de difficile à décrire, comme si tout ce dont on est témoin (et au delà, tout ce que l'on ressent) revêtait un relief différent. Depuis que je me mets à l'aquarelle, et que je scanne les paysages en me demandant quelles couleurs, quelles valeurs, dans quel ordre peindre ce que je vois, je retrouve ce sentiment de conscience, différente et aiguisée, du monde qui m'entoure.

Par contre : « on gagne toujours à augmenter les réglages de sa propre fréquence de réception » plus creux et vide de sens : tu meurs !

Voir au delà des yeux : « la panthère pouvait être un rocher et chaque rocher une panthère. Il s'agissait d’être minutieux. Je croyais la voir partout. Sur une tache d'herbe, derrière un bloc, dans l'ombre. L’idée de la panthère m'avait envahi. C'est un phénomène psychologique ordinaire : un être vous obsède, il apparaît partout »

Combien de fois dans les fourrés de Chambord, j'ai vu des bois de cerfs là où il n'y avait que branchages sans vie, oreilles de biches au lieu de feuilles, hures de sanglier en lieu de broussailles. L'obsession crée la vision. Et la dernière phrase de la citation ci dessus s'applique aussi aux « dames de pensées » comme le disait Don Quijote. Mais en ce cas avec un autre relief ,que le § « l'amour dans la foret » décrit fort bien. Sous ses deux versants : l’être aimé, quand il s'agit d'un amour impossible ou terminé, est omniprésent et lancinant, mais la nature aide à s'en détacher. Colette (il me semble) écrivait : « il n'est pas de peine de cœur qui ne résiste à une promenade en foret » Ô combien vrai ! L'autre versant est qu'un amour qui semble partagé sublime le spectacle de la Nature, le rend plus beau et profond. Surtout plus émouvant : savoir que l’être aimé existe donne l'impression qu'il est partout, et les larmes de joie ou de communion coulent tout de suite plus facilement quand ce sentiment amoureux est en vous.... Peut-être les mystiques chrétiens éprouvaient-ils cette émotion ?

 

L'apparition de l'animal tant espéré, après des temps d'attente quasi infinis : « ce fut une apparition quasi religieuse. Aujourd'hui, le souvenir de cette vision revêt en moi un caractère sacré »

Ça me rappelle une photo, celle du 13 de la pièce du Chêne, dont le souvenir est gravé à jamais dans ma mémoire. Cela faisait trois matins que je l'entendais bramer sans le voir, et pourtant il était proche mais se tenait en dehors de la place de brame. Depuis le mirador, je l'avais entraperçu. Et puis un matin, en arpentant un layon « en pleine conscience » (et allez hop) après avoir choisi un itinéraire à bon vent1, les sens affûtés, les pieds se posant comme une danseuse, juste à l'endroit précis où aucune feuille, aucune brindille ne sonnerait l'alarme par ma chaussure activée.... je Le vis. A 50 mètres, seulement les épois dépassaient des brandes. Tétanisé j'étais. Tachycardie. Je cadrais, appuyais. Le cri du déclencheur était insoutenable. Puis silence. Puis un raire. Les épois se levèrent. Et la tête apparut, mais ne regardant pas dans ma direction (ouf). Photo. Pas alerté, le 15. J'avais quelques secondes pour contempler Sa majesté. Je vivais la légende de St Hubert. Bloquer la respiration. Immobilité de pierre. Il se recoucha avec un raire un peu fatigué. Battre retraite pour ne pas briser l'alliance entre Lui et moi, le miracle d'avoir été accepté dans Son monde. Oui, un souvenir comme à Lourdes. Sauf que du temps des hommes préhistoriques, quand la Vierge faisait une apparition dans une grotte, elle se prenait un coup de massue (Brèves de comptoir)

 

Rentrer bredouille. Ça arrive et c'est ordinaire. Et là, Tesson voit très juste « l'homme moderne dispose, lui dispose d'un viatique : la récrimination. Il suffisait de se considérer victime pour s’épargner l'aveu de l’échec. J’aurais pu me lamenter ainsi : « Munier a mal placé ses affûts, Marie faisait trop de bruit, mes parents m'ont fait myope, en outre les riches ont flingué les panthères pauvre de moi ! » » Oh que oui, nous cultivons, et encore plus les français, cet art de la victimisation

J'ai passé quatre ans en Guyane, terroir de victimes (les créoles qui parfois se réfugient, pour s'exempter de quelque responsabilité, dans le douloureux passé colonial) pouvant l’être réellement mais pas toujours innocentes...

Alors que lorsqu'on rate un affût, c'est quasi normal, et pas comme l'écrit Tesson, un échec. C'est le succès qui est l'exception. Et accepter ce pseudo échec, c'est se ranger à l'ordre du monde et des animaux sauvages qui vous rappellent que « chacun sa place ». Dur pour un vacancier qui a payé très cher un safari photo et veut rentrer avec quelque trophée … photo...

 

Un divin un peu trop germanopratin. Toutefois, et c'est là où le matérialisme et le parisianisme de Tesson se démasque, dans tout son discours, y compris ses citations des philosophes orientaux et du Livre du Tao (auquel je ne comprends pas grand chose), c'est que le divin ou ses ersatz sont toujours muni d'une intentionnalité, d'un projet. Moi qui patine en essayant de comprendre Spinoza, je m'accroche à l'idée du « Deus sive natura » mais aussi du constat très simple que l'homme ayant créé Dieu à son image, il l'a muni d'un projet, d'une intentionnalité ou d'une finalité. Certes ça rassure nos esprits matérialistes, mais c'est peut être bien une vaste foutaise : la nature Est. Sans projet. Elle EST. Attention, ne réfutons pas, au nom de ce constat, l’évolution des espèces et Darwin (et par ces temps de créationnisme, encore moins), mais de là à dire que tout cela obéit à une finalité, il y a un pas que je ne franchis pas. L’évolution, c'est juste la nécessite de s'adapter à un environnement. Je crois que Laborit a écrit là dessus. Quant à la tarte à la crème de « l'Homme stade suprême de l’évolution », mon œil ! Mais Tesson ne défend pas cette thèse qui en plus n'est pas très tendance et se range dans le garde manger des cathos bas de gamme et autres religieux occidentaux.

 

Pour finir...

Si je résume, ce livre est plutôt un truc à lire, même si certains cotés de l'auteur sont un peu agaçants. Mais en bon français, il fallait bien que je râle un peu. Ç’aurait pu être aussi la fête de Matthieu Ricard, dont j'ai vu les photos à Montier en Der, que j'ai un peu écouté là bas et qui m'a un peu agacé, lui aussi. En effet, il a inventé un nouveau concept, le selfie bouddhique qui consiste à se prendre en photo en position de méditation, en costume de moine, au pied d'une montagne même pas népalaise. Mon guru népalais : mais il est moins beau que ce que j'imaginais... Sérieusement, comment peut t-on ne pas s'effacer devant la beauté du monde et au contraire s'y mettre en scène au point d'y devenir le personnage central. Antinomique avec ce que je crois avoir compris du bouddhisme. Un Ricard sinon rien ? Alors rien, et on revient à la quête centrale et à la recherche du vide.

Voilà. Lisez ce livre et réagissez. Ou bien réagissez sans le lire. Mais c'est quand même une bonne base pour avancer dans notre compréhension de notre condition d'humains et notre rapport au monde. Ce qui fait toujours progresser dans les embouteillages.... de la vie ou de la rocade toulousaine, au choix.

 

 

 

(1) c'est à dire que mon remugle ne risquait pas de se répandre en direction supposée de l'animal (quitte à vérifier en cas de soit disant absence de vent palpable aux oreilles (car les oreilles vous disent d'où vient le vent), à l'aide d'une soufflette remplie de talc que celui ci partait dans le bon sens)

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