

đ Zazou et fripouille au dĂźner chez Hermine .
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đ Zazou et fripouille au dĂźner chez Hermine .
đ DĂźner chez Hermine
La nuit tombait sur Paris comme un voile de soie dorĂ©e, enveloppant les ruelles de Versailles dâune lumiĂšre ambrĂ©e. Fripouille et Zazou, perchĂ©s sur le muret du chĂąteau, profitaient des derniers rayons du soleil couchant, qui teintaient les nuages de rose et dâorange, comme une toile de maĂźtre oubliĂ©e.
â Franchement, dommage que la journĂ©e sâachĂšve, soupira Zazou en sâĂ©tirant avec une Ă©lĂ©gance feinte. JâĂ©tais bien, moi, ici⊠Et en plus, on nâa mĂȘme pas cherchĂ© de restaurant pour ce soir. Le temps dâaller au Chas-Croute, notre cantine habituelle, et paf : fermĂ©. Il jeta un regard dĂ©sespĂ©rĂ© Ă Fripouille, comme sâil venait de rĂ©aliser lâampleur de la tragĂ©die.
â Pas grave ! rĂ©torqua Fripouille, optimiste, en se lĂ©chant la patte droite avec application. On va en trouver un autre dans le coin, non ? Un endroit qui accueille les animaux comme nous ? Zazou leva les yeux au ciel, lâair dâun chat qui a vu trop de dĂ©ceptions gastronomiques.
â Je sais pas, Fripouille, je sais pas⊠En plus, je ne connais personne dans cette zone ! Aaaah⊠Il se laissa tomber sur le trottoir avec un soupir dramatique. Quoique⊠ce sera repas blanc pour ce soir ?
â Repas blanc ? Fripouille cligna des yeux, interloquĂ©. Ăa veut dire quoi, ça ?
â Câest comme une nuit blanche, expliqua Zazou avec lâair dâun professeur las. Sauf que lĂ , câest pour le repas. Tu vois : tu restes le ventre vide Ă regarder les Ă©toiles en te demandant pourquoi tu nâas pas Ă©coutĂ© ton instinct et mangĂ© ce moineau Ă midi.
â Ah ouais⊠Fripouille rĂ©flĂ©chit, la patte en lâair. Je savais pas quâon pouvait le dire comme ça.
â Ăvidemment que les chats expĂ©rimentĂ©s le disent entre eux, rĂ©torqua Zazou avec un haussement dâĂ©paules. Câest du langage chat chic. Comme "miamdelicieux" ou "crotte-de-luxe".
Fripouille Ă©clata de rire, puis son regard fut attirĂ© par un mouvement prĂšs dâune devanture Ă©lĂ©gante, Ă moitiĂ© cachĂ©e par du lierre grimpant. Les briques anciennes et les lanternes dorĂ©es au-dessus de la porte brillaient faiblement, Ă©clairant un panneau aux lettres dorĂ©es : "Hermine", entourĂ© dâun contour vert foncĂ©. Les volets, peints du mĂȘme vert profond, encadraient lâentrĂ©e comme une invitation discrĂšte Ă un monde secret.
â Zazou ! Regarde ! sâexclama Fripouille en dĂ©signant une silhouette familiĂšre. Câest la minette qui gloussait lâautre jour, quand je dansais avec Pigok 2 !
â Ah oui ! Zazou se redressa, soudain intĂ©ressĂ©. Celle qui tâa traitĂ© de star !
â Oui ! Elle est lĂ -bas, en train de boire Ă la porte du magasin !
Ils traversĂšrent la route dĂ©serte (Ă cette heure, mĂȘme les voitures parisiennes avaient faim) et sâapprochĂšrent de la chatte rousse, qui sirotait une coupelle de lait avec la grĂące dâune duchesse.
â Salut ! lança Fripouille, un peu timide. Tu te rappelles de moi ?
La minette se retourna, les yeux écarquillés, avant de reconnaßtre Fripouille avec un sourire malicieux.
â Ăvidemment que je me souviens de toi ! miaula-t-elle en se frottant contre lui. Impossible dâoublier la Danse des Plumes ! Et, sans prĂ©venir, elle entonna, en roucoulant : đ¶ "On se retourne, un pas sur la droite, Un pas sur la gauche⊠Et hop ! Tâes une star, mon pâtit chat !" đ¶
Elle éclata de rire, puis ajusta sa cravate imaginaire.
â Câest gentil dâĂȘtre venus me voir ! Vous vous promenez dans le coin ?
â Non, avoua Fripouille. On cherche un endroit oĂč manger du⊠miamdĂ©licieux. La minette rit de plus belle, ses moustaches frĂ©missantes.
â Du miamdĂ©licieux ? Oh lĂ lĂ , vous visez haut, les gars ! Ici, câest chic, ça ne court pas les rues, surtout pour nous autres. Mais bon, vous avez lâair dâadorer les dĂ©fis⊠Mon frĂšre Liono mâa parlĂ© dâHermine. Chic et ultra bon, paraĂźt-il. Mais pour y entrer⊠bon courage. Depuis le changement de propriĂ©taire, il y a deux nouveaux matous trĂšs sĂ©lects : Bruce et Kily. Ils filtrent les clients comme des videurs de boĂźte branchĂ©e.
â Il nây a pas un endroit moins⊠snob ? demanda Zazou, sceptique.
â InfĂąme, le reste, rĂ©pondit-elle en grimaçant. Soit câest des trous Ă rats, soit câest fermĂ©. Mais allez, je vous y accompagne ! Moi, je dois retrouver ma sĆur pour le Bal des CĂ©libchats. (Elle baissa la voix.) Entre nous, si vous mentionnez que vous ĂȘtes des amis de la famille Pigok, ça peut aider. Bruce adore ses clips.
Une fois arrivée à destination, elle se retourna pour leur dire :
â Câest ici, allez-y ! Bon appĂ©tit Ă vous, bye-bye !
Elle agita sa queue en un dernier signe dâau revoir, aussi vive quâun coup de pinceau sur une toile. Les deux amis restĂšrent plantĂ©s sur le trottoir, le museau levĂ© vers la façade Ă©lĂ©gante. Une bouffĂ©e dâair chaud, chargĂ©e dâarĂŽmes de beurre fondu et de thym, sâĂ©chappa du restaurant quand la porte sâentrouvrit. Fripouille renifla, les moustaches frĂ©missantes :
â Wow⊠Zazou, ça sent le miamdĂ©licieux Ă trois kilomĂštres !
Zazou Ă©clata de rire, mais ses yeux brillaient dĂ©jĂ dâune lueur dĂ©terminĂ©e.
â Allez, viens. On entre avant quâils ne changent dâavis.
Ils Ă©changĂšrent un sourire complice, puis la porte dorĂ©e dâHermine sâouvrit sur un monde de luxe feutrĂ© : des chandeliers scintillaient comme des Ă©toiles captives, les nappes blanches semblaient tissĂ©es de nuages, et les vases remplis de roses pĂąles diffusaient un parfum envoĂ»tant, presque hypnotique.
Les murs, peints dâun vert dâeau apaisant, reflĂ©taient la lumiĂšre des bougies, tandis que les serveurs, un garçon de cafĂ© en tablier bordeaux et nĆud papillon, une serveuse en pantalon et chemisier noir, cravate impeccable glissaient entre les tables avec la prĂ©cision de danseurs.
â Tu crois quâon la reverra un jour ? murmura Fripouille.
â Avec elle, câest sĂ»r, rĂ©pondit Zazou en souriant. Les chats comme elle ont le don de rĂ©apparaĂźtre quand on sây attend le moins.
Un matou imposant, vĂȘtu dâun smoking noir (oui, un smoking), les intercepta prĂšs de lâentrĂ©e. Bruce, visiblement. Ses yeux jaunes balayĂšrent Zazou et Fripouille avec un mĂ©pris Ă peine voilĂ©.
â RĂ©servation ? demanda-t-il dâun ton qui nâadmettait aucun refus.
â Euh⊠non, avoua Zazou, soudain moins sĂ»r de lui. Mais on nous a dit queâŠ
â Pigok 2 ! sâexclama Fripouille, inspirĂ©. On est des amis de Pigok 2 ! Bruce plissa les yeux, puis un sourire carnassier apparut sur son museau.
â Ahhh, le roi des trottoirs ! TrĂšs bien. Table 12, prĂšs de la fenĂȘtre. Mais attention : pas de crasses sur les nappes, pas de miaulements pendant le service, et surtout⊠(il baissa la voix) pas de danse. Kily dĂ©teste ça.
Ils furent conduits Ă une petite table prĂšs dâune fenĂȘtre donnant sur un jardin secret, oĂč des lanternes dorĂ©es tremblaient dans la brise. Un menu en velours leur fut prĂ©sentĂ© :
~ Menu "SoirĂ©e ĂtoilĂ©e" ~
Amuse-bouches : Souris farcies aux herbes de Provence (option végétarienne : boules de graines de tournesol)
Plat : Filet de saumon poĂȘlĂ©, sauce crĂšme Ă lâaneth (ou poulet rĂŽti aux Ă©pices douces pour les chats difficiles)
Dessert : Mousse au thon et chantilly (ou glace à la menthe pour les palets raffinés)
Boisson : Lait chaud infusé à la vanille (ou eau de source pétillante, servie dans des coupes en cristal)
â Je⊠je prends le saumon, balbutia Fripouille, subjuguĂ©.
â Moi, le poulet, dĂ©cida Zazou aprĂšs une hĂ©sitation. Mais avec une double portion de sauce.
â Excellents choix, ronronna la serveuse en notant leur commande.
Alors que Fripouille sâinstallait sur son coussin en velours (oui, un coussin), il chuchota Ă Zazou :
â Tu crois quâils ont des croquettes en dessert ?
â Fripouille⊠soupira Zazou. Ici, on ne dit pas "croquettes". On dit⊠"perles croustillantes artisanales".
Soudain, une ombre passa prĂšs dâeux. Kily, un chat persan blanc aux yeux verts, les observait avec un sourire Ă©nigmatique.
â Alors, les amis de Pigok⊠murmura-t-il. JâespĂšre que vous aimez les surprises. Et il disparut dans un froufrou de queue, laissant les deux chats se demander sâils venaient de signer un pacte gastronomique⊠ou quelque chose de bien plus Ă©trange.
La cloche đ tinta dans la cuisine, claire comme une alerte militaire. Fripouille sursauta, renversant presque son petit bol. Il Ă©tait en train de laper un mystĂ©rieux âliquide snack saveur bĆuf affinĂ©â , lâĂ©quivalent fĂ©lin du champagne au caviar.
â Aaah⊠ça fait des siĂšcles que jâai pas eu ça, ronronna Zazou, les moustaches toutes vibrantes. On nâen trouve que dans ce genre de resto, croyez-moiâŠ
Il jetait un coup dâĆil prudent Ă Kily, postĂ© non loin, raide comme une statue grecque mais les yeux plantĂ©s sur eux comme deux lasers verts.
Pendant ce temps, Fripouille, trop excitĂ© par la friandise, lapait avec lâĂ©nergie dâun aspirateur en panne. Sa langue faisait âschloup schloupâ dans le bol, ses moustaches trempĂ©es pointant dans tous les sens.
â Doucement ! miaula Zazou entre ses dents serrĂ©es. Fripouille, on est pas dans une gamelle de quartier. Tiens-toi droit, aspire avec Ă©lĂ©gance, fais mine dâavoir Ă©tudiĂ© Ă lâAcadĂ©mie des Chats Gourmets !
â Mais⊠mais câest trop bon ! rĂ©pliqua Fripouille, les pupilles dilatĂ©es comme une chouette.
Et ce qui devait arriver arriva : CLING. La coupe dâeau pĂ©tillante de luxe bascula, roula sur la nappe immaculĂ©e et Ă©clata en mille morceaux de cristal.
Silence. Le genre de silence oĂč mĂȘme les bougies se figent.
En moins dâune seconde, Kily fut sur eux, surgissant comme une ombre blanche, la queue battant lâair.
â QUI⊠a osĂ© ?! souffla-t-il dâune voix grave, son âSâ sifflant comme un serpent. Ses yeux verts flamboyaient dâindignation. On aurait dit quâils venaient de dĂ©clencher une alarme anti-incendie.
Fripouille, paralysĂ©, ouvrit la bouche mais aucun son nâen sortit. Zazou, lui, leva un sourcil avec un flegme forcĂ© :
â Oh⊠juste une bulle capricieuse. Ces verres, vous savez⊠fragiles comme de la porcelaine .
Kily répond, agacé :
âLa porcelaine, au moins, elle ne se brise pas toute seule, mon cher.
Fripouille chuchote Ă Zazou :
â Câest pas de la porcelaine, câest du cristal⊠Tâes sĂ»r que tâas Ă©tudiĂ© Ă lâAcadĂ©mie des Chats Gourmets ?
Kily sâapprocha, si prĂšs que son parfum musquĂ© envahit leurs moustaches. Il humecta ses babines, comme pour juger si cet âincidentâ valait expulsion immĂ©diateâŠ
â Jâignore pourquoi Bruce vous a laissĂ©s entrer, cracha Kily en plissant ses yeux verts. Mais vous nâĂȘtes ni du quartier, ni des habituĂ©s huppĂ©s. Si ça nâavait tenu quâĂ moi⊠vous seriez dehors depuis longtemps.
Il miaulait en grommelant, sa queue fouettant lâair comme un mĂ©tronome de colĂšre.
Mais Bruce sâapprocha, ayant assistĂ© Ă la scĂšne depuis son poste prĂšs de la caisse. Il posa une patte ferme sur lâĂ©paule de Kily et souffla :
â Calme-toi, vieux. Tu te trompes. Ce petit-lĂ est issu dâune famille huppĂ©e⊠mais câest le vilain petit canard. Ce nâest pas de sa faute.
Fripouille cligna des yeux, surpris. Zazou leva un sourcil sceptique : âhuppĂ©, lui ?!â pensa-t-il en silence.
Bruce reprit :
â Allez, ce nâest rien pour la gamelle. Ăa leur coĂ»te trois fois rien. Pas la peine dâen faire tout un fromage.
Kily grogna, les regardant tour Ă tour dâun air mauvais :
â Hmph. Mais je ne vous lĂąche pas des yeux. Si un seul de vous recommence⊠je le balance direct. Compris ?
â OuiâŠ, miaulĂšrent Zazou et Fripouille en chĆur, faiblement, comme deux Ă©coliers pris en faute.
Kily repartit en traĂźnant sa fiertĂ© jusquâĂ son repaire, lĂ oĂč il sâĂ©tait assis au dĂ©but.
Bruce, restĂ© prĂšs dâeux, ramassa la gamelle avec soin et la tendit Ă la serveuse qui approchait.
â Excusez-le, souffla-t-il. Il est⊠à cran, ces derniers temps. Profitez de votre repas, mais soyez prudents : Kily ne plaisante pas.
â Merci, rĂ©pondit Zazou avec un petit sourire pincĂ©. On fera attention.
Bruce sâĂ©loigna, mais avant de disparaĂźtre derriĂšre le comptoir, il fit un clin dâĆil discret Ă Zazou. Celui-ci comprit aussitĂŽt : toute cette histoire de âfamille huppĂ©eâ et de âvilain petit canardâ nâĂ©tait quâune invention, un mensonge bien placĂ© pour calmer Kily et leur Ă©viter la porte. Zazou esquissa un sourire intĂ©rieur. Pas mal, le gros matou⊠il a du mĂ©tier.
Soudain, la porte battante des cuisines sâouvrit dans un doux froufrou, et le silence de la salle fut troublĂ© par lâapparition dâune silhouette. Une chatte gracieuse, au pelage soyeux couleur ivoire, portait deux plateaux argentĂ©s avec une Ă©lĂ©gance digne dâune danseuse. Ses gestes Ă©taient prĂ©cis, presque chorĂ©graphiĂ©s : pas un tremblement, pas une faute de pas.
Zazou la vit. Et le monde, pendant un instant, sâarrĂȘta. Ses yeux dâambre accrochĂšrent les siens, et il eut lâimpression quâon venait de lui donner un coup de patte en plein cĆur.
Fripouille, excitĂ© par lâarrivĂ©e des plats, sâagitait sur son coussin :
â Oh, ça y est, ça y est ! Câest nous ! JâespĂšre que câest bien mon saumon, hein ? Dis, tu crois quâil y a de la sauce dessus ? Parce que moi, jâadore la sauceâŠ
Mais Zazou ne rĂ©pondit pas. Il avait la gueule entrouverte, les moustaches figĂ©es, le regard perdu dans lâallure fĂ©line de la serveuse. Fripouille sâinterrompit en le fixant, intriguĂ© :
â Heu⊠Zazou ? AllĂŽ ? Tu mâentends ? Tu fais une crise ou quoi ?
Zazou ne cligna mĂȘme pas. Fripouille claqua ses petites pattes devant son museau.
â OhĂ©, rĂ©veille-toi ! Câest pas un mirage, hein !
La serveuse posa dĂ©licatement les assiettes devant eux : un filet de saumon brillant dâune sauce Ă lâaneth pour Fripouille, et un poulet rĂŽti aux Ă©pices douces pour Zazou, le tout dĂ©gageant des parfums qui donnaient faim rien quâĂ respirer. Puis elle leva doucement les yeux vers Zazou et⊠lui adressa un sourire, fin, Ă©nigmatique, presque complice.
Zazou, toujours muet, sentit ses oreilles chauffer.
Fripouille pouffa de rire, les moustaches tordues :
â Oh lĂ là ⊠ça y est. Le grand Zazou est amoureux !
La chatte gracieuse, aprĂšs avoir dĂ©posĂ© les assiettes fumantes devant eux, sâinclina lĂ©gĂšrement et fit demi-tour pour regagner les cuisines. Son parfum discret flottait encore dans lâair. Zazou, hypnotisĂ©, suivit son pas chaloupĂ© du regard comme un marin regarde un navire disparaĂźtre Ă lâhorizon.
â Attendez ! sâexclama-t-il soudain, dâune voix un peu trop empressĂ©e. Vous pourriez⊠vous pourriez nous apporter un supplĂ©ment dâeau Crystal, sâil vous plaĂźt ?
Elle se retourna avec un sourire doux.
â Avec plaisir.
Et sur ces trois mots, Zazou fondit. Ses oreilles rougirent sous son pelage, et son cĆur battit si fort quâil crut quâon allait lâentendre Ă la table dâĂ cĂŽtĂ©.
Fripouille, lui, mordait déjà à pleines dents dans son saumon, la sauce dégoulinant un peu sur ses moustaches.
Il leva Ă peine les yeux .
Zazou, toujours rĂȘveur, soupira comme dans un vieux film romantique :
â Câest elle, Fripouille.
â Câest elle quoi ? demanda-t-il la bouche pleine.
â ⊠La chatte de ma vie.
Fripouille faillit sâĂ©touffer avec une bouchĂ©e, les yeux ronds.
â Hein ?! SĂ©rieux ?! Tâes en train de tomber amoureux en plein milieu dâun plat de luxe ?!
Zazou lui lança un regard sévÚre, mais ses moustaches trahissaient son trouble : il était bel et bien fichu.
Le dĂźner touchait Ă sa fin. Fripouille lĂ©chait distraitement le fond de son assiette, repu, mais lâĆil vif : il avait bien remarquĂ© que Zazou, lui, nâavait presque pas touchĂ© Ă son poulet. Trop occupĂ© Ă suivre du regard la belle chatte serveuse, chaque fois quâelle entrait ou sortait des cuisines. Son cĆur battait la chamade au rythme de ses pas feutrĂ©s.
Quand ils rĂ©glĂšrent lâaddition et se dirigĂšrent vers la sortie, une voix grave les arrĂȘta net :
â HĂ©, toi !
Kily, le persan blanc, se tenait lĂ , plantĂ© devant la porte comme un videur de boĂźte de nuit. Ses yeux verts Ă©tincelaient dâun Ă©clat glacial.
â Je tâai vu⊠fit-il dâun ton menaçant. Tu nâas pas cessĂ© de regarder Hermine.
Hermine et moi, on se connaĂźt depuis lâĂ©poque oĂč elle Ă©tait la seule Ă me dĂ©fendreâŠ
Zazou cligna des yeux. Hermine ? Son cĆur bondit. Ce prĂ©nom sonnait comme une caresse. Mais presque aussitĂŽt, il rĂ©alisa : câĂ©tait aussi le nom du restaurant.
â Hermine ?⊠souffla-t-il, confus.
Un sourire carnassier fendit le museau de Kily.
â Oui. Le propriĂ©taire lâa nommĂ© ainsi en son honneur. Mais retiens bien ceci⊠elle est Ă moi. Alors garde tes yeux ailleurs, ou je tâarrache les moustaches une par une.
Il avait dit ça avec une brutalitĂ© glaciale, comme un chat qui rĂ©clame son os de luxe, prĂȘt Ă bondir.
Mais soudain, une voix douce mais ferme résonna derriÚre eux.
â Kily ! Quâest-ce que tu racontes encore ?
CâĂ©tait elle. Hermine. Elle venait de terminer son service, et sa prĂ©sence fit battre le cĆur de Zazou encore plus fort.
Elle planta son regard clair dans celui de Kily et ajouta, agacée :
â Je tâai dĂ©jĂ dit que toi et moi, câest juste de lâamitiĂ©. Rien de plus.
Le persan grimaça, pris sur le fait. Zazou, lui, resta pĂ©trifiĂ©, partagĂ© entre la peur de Kily et la joie de dĂ©couvrir le prĂ©nom de la chatte qui faisait chavirer son cĆur.
Zazou sentit ses moustaches vibrer dâun mĂ©lange Ă©trange : un frisson de peur, Kily aurait pu le rĂ©duire en charpie et une vague de chaleur qui lui chatouillait le ventre chaque fois quâHermine parlait.
Il toussa, maladroit.
â Euh⊠moi, je⊠je voulais pas⊠enfinâŠ
Fripouille roula des yeux. Voilà , ça y est, il bégaie comme un chaton devant sa premiÚre gamelle de lait.
Mais, contre toute attente, Zazou redressa soudain la tĂȘte, ses yeux verts brillant dâune Ă©tincelle quâon ne lui voyait pas souvent.
â Enfin⊠je voulais pas manquer de respect, Hermine. Mais⊠si jâai regardĂ©, câest parce que je nâai pas pu faire autrement.
Un silence. Le genre de silence oĂč mĂȘme les couverts dans la cuisine semblent sâarrĂȘter de tinter.
Hermine, surprise, cligna des yeux, ses oreilles se dressant malgré elle.
â OhâŠ
Kily, lui, serra les crocs, ses poils de cou gonflant dâagacement.
â Tu as du cran, toi, marmonna-t-il. Mais fais attention : parfois, le cran, ça se paye cher.
Fripouille, sentant lâĂ©lectricitĂ© dans lâair, chuchota Ă Zazou :
â Tu sais, dans certains restos, le dessert, câest les clients qui le deviennentâŠ
Zazou, malgré tout, esquissa un petit sourire en coin.
â Tant pis, Fripouille. Sâil faut ĂȘtre le dessert ce soir⊠eh bien⊠jâaurai eu droit au plus beau regard avant.
Hermine dĂ©tourna les yeux, mais ses moustaches frĂ©missaient dâun sourire quâelle essayait de cacher.
Les cuisines dâHermine bruissaient dâodeurs exquises : beurre fondu, herbes fraĂźches, ragoĂ»t qui mijotait doucement. Mais derriĂšre la porte battante, dans la cour pavĂ©e oĂč les caisses de lĂ©gumes sâempilaient, lâambiance nâavait plus rien de gastronomique.
Kily sâavança, sa silhouette de chat persan blanche luisant sous la lanterne, ses yeux verts flamboyant comme deux Ă©meraudes furieuses.
â VoilĂ ce quâon va faire, miaula-t-il dâune voix glaciale. Un combat Ă la loyale. Ici, derriĂšre les cuisines. Si tu gagnes, je te la laisse. Si tu perds⊠elle est Ă moi.
Fripouille écarquilla les yeux, ses petites pattes tremblantes.
â Mais⊠mais câest ridicule ! On nâest pas dans un dessin animĂ© de cape et dâĂ©pĂ©e ! Zazou, dis-lui !
â Chut, Fripouille, rĂ©pondit Zazou dâun ton grave, les moustaches dĂ©jĂ redressĂ©es comme des lames.
Hermine surgit derriĂšre eux, son regard flamboyant dâindignation.
â Ăa suffit, Kily ! Combien de fois je dois te rĂ©pĂ©ter que je ne suis pas un trophĂ©e Ă gagner ou Ă perdre ? Tu ne mâĂ©coutes jamais !
Kily ricana, ses griffes effleurant les pavés.
â Ce nâest pas toi qui dĂ©cides, ma douce. Câest le destin. Et le destin se rĂšgle⊠par un duel.
Zazou fit un pas en avant, son dos se cambrant, la queue battant lâair comme un fouet.
â Non, Hermine. Laisse. Il lâas dit lui-mĂȘme : parfois, il faut montrer du cran. Je suis prĂȘt.
Fripouille, catastrophé, agrippa la patte de son mentor.
â Zazou, non ! Et si tu te fais griffer, ou pire⊠si tu perds ? Moi⊠moi je pourrais pasâŠ
Zazou baissa les yeux vers son protĂ©gĂ© et lui fit un petit clin dâĆil, malgrĂ© la tension.
â Alors regarde bien, Fripouille. Parce que ce soir, tu vas voir comment on gagne⊠mĂȘme quand on tremble.
Fripouille tremblait, ses yeux rivĂ©s sur Zazou et Kily qui se jaugeaient comme deux tigres miniatures dans lâarĂšne improvisĂ©e des cuisines. Ses pattes tripotaient nerveusement le sol⊠jusquâĂ ce quâil sente sous ses coussinets une Ă©toffe douce.
Le nĆud papillon bordeaux. Celui que Pigok 2 avait laissĂ© tomber, souvenir dâune danse inoubliable.
Fripouille le saisit entre ses griffes et le serra fort contre lui.
â Pigok 2⊠il disais quâon danse mĂȘme quand on a peur⊠Alors⊠je vais rester debout. Pour Zazou.
à ce moment-là , une silhouette familiÚre apparut au détour du muret. La minette rousse aux yeux pétillants : Kazie.
â Re-coucou, câest moi Kazie , dĂ©solĂ©e jâai oubliĂ© de te dire mon petit nom miaula-t-elle doucement en le voyant fĂ©brile. Mais je savais quâon se reverrait !
Fripouille écarquilla les yeux.
â Tu aurais pu me le dire plus tĂŽt sur qui tu Ă©tais, petit cachottiĂšre âŠ
Elle sâapprocha et, dâun geste tendre, posa sa queue sur son Ă©paule.
â Le combat va bien se terminer, je le sens. Oh, et au fait, jâai croisĂ© Pigok 2. Je lui ai dit que vous Ă©tiez ici.
Les yeux de Fripouille brillĂšrent dâun espoir nouveau.
â Vraiment ? Et⊠il va bien ?
â Comme un roi, rĂ©pondit Kazie avec un sourire. Dommage quâil ne soit pas lĂ : il adore ce genre de spectacle. Il dit toujours que câest un mĂ©lange de hockey et de basketball. Tu verras⊠ça fait pas peur.
Fripouille déglutit, ses moustaches tremblant.
â Pas peur, pas peur⊠Facile Ă dire ! Tu nâas pas vu ce Kily⊠il est puissant, effrayantâŠ
Kazie haussa les épaules, amusée mais sérieuse.
â Puissant, oui. Effrayant, sĂ»rement. Mais tu sais quoi ? La peur, câest comme un pigeon trop collant : si tu lui tiens tĂȘte, il sâenvole. Et puis, regarde Zazou : il nâest pas seul. Tu es lĂ . Moi aussi. Et qui sait⊠Pigok 2 nâest jamais trĂšs loin quand la musique dĂ©marre.
Le cercle sâĂ©tait formĂ© derriĂšre les cuisines, lanternes vacillantes Ă©clairant les pavĂ©s. Zazou et Kily sâaffrontaient dans une tension Ă©lectrique : deux fauves miniatures, deux flammes opposĂ©es.
Hermine, postĂ©e un peu en retrait, les yeux brillants, se rongeait presque les griffes. DĂ©sespĂ©rĂ©e de les voir se battre, mais secrĂštement ravie quâon se dispute son cĆur, elle priait en silence : « Zazou⊠que ce soit toi, Kily est trop brutal, pas pour moi. »
Un grognement fit trembler lâair. Griffes contre griffes, queues fouettant le sol, les deux chats tournoyaient comme des lutteurs antiques. Puis, dâun bond fulgurant, Zazou projeta Kily contre un tas de cageots. Lâos de luxe qui servait de trophĂ©e improvisĂ© fila en cloche⊠et atterrit pile dans une corbeille de fruits vide.
Silence. Puis une clameur de miaulements approbateurs : Zazou avait gagné.
Kily, haletant, recula dans lâombre, blessĂ© dans son orgueil plus que dans son corps. Hermine, soulagĂ©e, accourut, ses yeux rivĂ©s sur Zazou.
â Bravo⊠murmura-t-elle, son souffle chaud contre sa fourrure. Tu tâes battu⊠pour moi.
Zazou, dâordinaire si sĂ»r de lui, en resta muet, ses moustaches rosissant lĂ©gĂšrement.
Câest alors quâun battement dâailes tonitruant Ă©clata dans la cour. Pigok 2, majestueux, se posa, son nĆud papillon flamboyant encore humide de quelques gouttes de pluie.
â Non mais QUOI ?! sâexclama-t-il, vexĂ©. Vous commencez sans moi ?! Pas de roucoulement dâintro, pas de chorĂ©graphie ?! Je suis DĂĂU ! Mais bon⊠ravi pour toi, Zazou !
Il Ă©clata de rire et salua dâun battement dâailes théùtral.
Hermine, les yeux brillants, prit alors les devants :
â Zazou⊠laisse-moi me prĂ©senter correctement. Je suis Hermine. Et si tu veux bien⊠ce soir, jâaimerais que tu partages un dĂźner avec moi.
Fripouille, bouche bĂ©e, sentit son ventre se nouer. Il ouvrit la bouche, prĂȘt Ă protester, mais Kazie posa doucement une patte sur son Ă©paule.
â Pas de problĂšme, dit-elle avec un clin dâĆil. Je mâoccupe de toi ce soir. On a beaucoup de choses Ă se raconter, non ?
â Tout Ă fait ! renchĂ©rit Pigok 2 en claquant des ailes. Une soirĂ©e entre nous, ça va ĂȘtre du tonnerre !
Fripouille hĂ©sita⊠puis sourit. MĂȘme si câĂ©tait dur de voir son mentor partir avec Hermine, il avait trouvĂ© de nouveaux amis. Il leva sa queue pour saluer Zazou. Celui-ci lui rĂ©pondit de la mĂȘme maniĂšre, un geste fraternel.
â Ă demain, pâtit frĂšre, murmura Zazou.
Et Fripouille, le cĆur battant, sâen alla avec Kazie et Pigok 2 vers de nouvelles aventures.
Fin
âââââââââ
âïž Ăcrit: le 21 AoĂ»t 2025
đž Image :seeart.Ai
đ©đŒâđš Barbara Wonder

