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Renaître des abysses

Renaître des abysses

Published Jun 25, 2025 Updated Jun 26, 2025 Tale
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Renaître des abysses

Je m’appelle Mira. Pour mon équipage, j’étais simplement la capitaine. Jusqu’au jour où j’ai brisé mon ancre. Depuis, je ne cherche plus de port d’attache et encore moins à suivre un cap. Je vogue, comme qui dirait… au gré des marées.

On dit que nul ne revient indemne des abysses, si tant est qu’on en revienne. Croyez-le ou non, j’y ai plongé sans bonbonne d’air ni branchies et j’en suis remontée. Changée à jamais. Là-dessous, j’ai vu ce que les yeux ne peuvent voir, entendu des murmures qu’aucune oreille humaine ne devrait capter. Le fameux monde du silence ? Laissez-moi rire ! En vérité, ce monde parle, gronde, gémit. En mon for intérieur, je le savais déjà. Adolescente, j’avais tant rêvé devant Le Grand Bleu… que lorsqu’a sonné l’heure, j’y ai plutôt vu un appel.

Mon but, dorénavant, est de raconter ce que la mer garde enfoui. Sous son masque tranquille, l’océan cache des secrets qu’il ne livre qu’aux consciences aux aguets.

Je vais être cash : un chant m’a éveillée. Oui, celui des sirènes. Non, rien à voir avec ce vieux délire romantique qui rendrait dingos les marins trop distraits. Une voix venue d’ailleurs m’a happée. Claire. Impérieuse. « Mira, Mira, bouge-toi, viens par là », tandis que les dauphins m’ouvraient la voie en faisant une haie d’honneur. Je les ai suivis jusqu’en Italie, sur un rocher nommé la Megaride.

Le Castel dell’Ovo m’est apparu un soir d’orage, arraché à un songe. Ses pierres baignées de sel transpiraient l’iode et les réminiscences. Ici repose l’œuf de Parthénope, sirène dont le cœur s’est consumé dans l’indifférence d’Ulysse, comme une bouteille d’espérance fracassée sur l’écueil du dédain. Avant de disparaître, la femme chimère a laissé, dans le ventre de la citadelle, cet œuf, fragile talisman protégeant la ville de Naples tout entière. Qu’il se rompe… Mandieu… Mieux vaut ne pas y penser.

Guidée par les voix de l’écume, j’ai franchi la porte interdite, gardée par les courants.

Dans les entrailles suintantes de la forteresse, il s’est dévoilé. Suspendu au-dessus d’un bassin d’algues brunes, il flottait dans la pénombre, nacré, mystérieux. Presque vivant. On aurait cru une huître, offerte sur un lit de salade. L’œuf pulsait doucement, comme s’il respirait. Je me suis approchée. Sous la coquille opalescente, un éclat plus profond affleurait. Une présence. La perle. Joyau extirpé des profondeurs pendant l’une de mes expéditions, qu’il protégeait désormais en son sein. Soudain, un frisson a parcouru la pièce. Une vision m’a envahie. Parthénope chantait face à Ulysse, impassible. Autour d’elle, ses consœurs l’accompagnaient. Des pirates aguerris, vaillants écumeurs des mers, pleuraient en contemplant l’horizon. Tous succombaient. Sauf lui. Le héros mythique.

Puis l’œuf a tremblé. Le sol a vibré. L’eau s’est élevée, menaçante. Je n’ai pas fui. Ce tumulte n’était pas une fin, mais un passage. Une brèche entre deux réalités.

Quand l’eau est retombée, l’œuf avait disparu. À sa place, une conque entrouverte portait cette inscription : « Chaque vague est un souvenir mouvant. »

Ce jour-là, j’ai compris. On ne renaît jamais sur la grève. C’est dans les gouffres que tout prend forme à nouveau. Ma dernière escale n’avait pas le goût des adieux. C’était une première fois.

Depuis, je chevauche les sept mers sans navire. L’Insolente, mon fier bâtiment, envoyé par le fond – paix à son gouvernail – règne à présent sur une prairie de coraux et les épaves endormies. Seule mon histoire subsiste, portée par ma voix. Les ondes m’ont transmuée. Je suis devenue celle qui transmet, qui veille à ce que les mondes marins ne sombrent pas dans l’oubli. Je tisse une mémoire aquatique. Mes compagnes ne ressemblent en rien aux rudes matelots d’antan. Toutes ces trognes cabossées se sont dissoutes dans la brume, relayées par d’autres présences sauvages. Encore plus libres. Filles du sable et du vent, du cri des mouettes même… chacune veille à semer un œuf dans mille forteresses. Notre ultime empreinte.

Toi, passant… entends-tu la rumeur de l’écume ? Ou nous faut-il chanter plus près du rivage ?


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