Née après la Seconde Guerre mondiale, au Canada et aux États-Unis, l’Analyse transactionnelle porte en elle les espoirs et les illusions de son époque. Comme tant d’autres outils de développement personnel, elle a dû s’adapter à un monde où la peur de l’avenir a remplacé la croyance en un progrès linéaire. Le concept des « positions de vie », bien qu’attractif, bute désormais sur le scepticisme, voire l’hostilité, de nos contemporains.

Une position de vie n’est ni une vérité absolue, ni une réalité objective. C’est une construction mentale, une grille de lecture subjective de nous-mêmes, des autres et du monde.

Les pionniers de l’Analyse transactionnelle nous exhortaient à adopter cette posture : « Je suis quelqu’un de bien, les autres aussi, et notre environnement relationnel l’est tout autant. » Cette vision « +,+ », ou « ok+, ok+ », reflétait les valeurs dominantes des sociétés démocratiques et prospères. Mais n’était-ce pas aussi une façon subtile d’atténuer les tensions de classe, de lisser les conflits sous un vernissage de bonne conscience collective ?

Trois autres positions de vie y étaient décrites, chacune assortie de conseils pour passer en « +,+ ».

La position « supériorité +,- » consiste à estimer que je suis bien, voire mieux que les autres, ces derniers étant incultes et méprisables.

La position « infériorité -,+» s’appuie sur une mauvaise opinion de moi même , entouré de gens admirables que je ne pourrais jamais être.

La position « désespéré -,- » signifie que je me sens mauvaise personne entourée de gens comme moi , dans un monde abominable.

À l’époque, les séminaires, les livres et les articles regorgeaient de mantras bienveillants : « Gagner en faisant gagner les autres », « Coopérer pour progresser », « L’art de l’écoute active », « La négociation au quotidien », « Faire grandir son équipe »… Des formules qui, aujourd’hui, font sourire, voire grincer des dents. Quand j’évoque ces thèmes, on me traite volontiers de « bisounours », de « naïf », de « bien-pensant ». Comme si croire en la coopération était devenu un luxe, une utopie déconnectée des réalités brutales.

Dans un précédent article, “Le glas sonne-t-il pour le ‘win-win’ ?”, je questionnais déjà la crédibilité des modèles coopératifs dans un monde où la méfiance et la compétition semblent régner en maîtres. Aujourd’hui, je pousse la réflexion plus loin : et si la position de vie « +,+ », ce Graal du développement personnel, n’était plus qu’un vestige d’une époque révolue ? Après avoir exploré la pluriperspectivité et les états du moi, il est temps de s’interroger : ces grilles de lecture, aussi séduisantes soient-elles, ne sont-elles pas devenues des leurres pour éviter de regarder en face les contradictions de notre époque ?

Pourtant, je ne suis pas dupe. Moi aussi, je bascule parfois dans la supériorité méprisante, l’infériorité paralysante, ou le désespoir cynique. Mais malgré tout, je m’accroche à cette position « +,+ ». Non pas par angélisme, ni par foi aveugle en un idéal parfait, mais parce que je refuse de laisser les autres me dicter ma façon de les voir.

Et vous, quelle position de vie vous habite aujourd’hui ? Et surtout… pourquoi celle-là ?