Comme tout le monde, je vis mal la disette de contacts humains. Mes belles réserves s’effritent, et mes ressources psychiques s’affaiblissent.

Et bien qu’étant soignante de premier métier, vu que je n’évolue plus sur le terrain mais que je suis passée du côté obscur de la force – formatrice et répétitrice - je ne vois plus mes ouailles, même pas en vidéo : non seulement, mes apprentis ont été sur-sollicités sur le terrain… mais en plus, ils se foutent éperdument de préparer des tests et des examens qui n’auront pas lieu !

Je cherche des nouveaux fora d’échange, et tente de résister à ce que nous vivons en privilégiant les fils de discussion où il est possible de sortir de la négativité, par divers moyens : l’humour, d’abord… mais surtout, faire des points de situation qui mettent en exergue les progrès, l’assouplissement des mesures et des contraintes, le lent travail qui consiste à se réhabituer les uns aux autres. (Bon, j'avoue que je monte au créneau quand se multiplient les posts qui taclent les autorités - qui font de leur mieux, le mieux restant trèèèès insuffisant aux yeux du citoyen; mais zut, ce sont quand même les élus qu'on a mis en place, non?)

Hier, entre deux courses qui m’amenaient en centre-ville, je m’arrête dans un café pour me sustenter. L’endroit propose tout autant de places que d’habitude, mais les tables de deux et de quatre sont séparées par des plexiglas. La serveuse est équipée d’un masque-vitre à serre-tête, on dirait Lady Gaga dans son dernier clip, avec ses diverses tenues. Tiens justement, la chanson s’intitule « Stupid Love », et mon interprétation personnelle passe par l’évocation de tout ce dont nous sommes actuellement privés : l’énergie de l’amour, sous toutes ses formes, même quand elle se transforme en rejet, paradoxalement.

Le rejet les uns des autres passe par la distance dite « sociale », même si elle consiste avant tout en la distance physique.

Et sur un thread particulier, je tombe sur la question suivante :

La distance sociale, nécessaire jusqu'en 2022?

Non, la distance sociale, physique ne sera pas de mise jusqu'en 2022.

D'abord par ce qu'on ne va pas la tenir, clairement. Les appels à la désobéissance civile se voient de plus en plus, les manifs de protestataires se multiplient, et chez moi en Suisse, aussi… ça représente des échappées pour décharger la tension dans laquelle on vit tous. Et je prendrais volontiers le pari sur le fait que si râler soulage, l'esprit peut ensuite supporter un chouya de plus les contraintes quotidiennes.

Et c'est pas plus mal parce que sinon les services psychiatriques vont vivre la surcharge que vivaient encore les services hospitaliers jusqu'à récemment.


Ensuite, parce que les vaccins vont aboutir, qu'on pourra en disposer à la fin de l'année, au moment où les campagnes de vaccination de la grippe débutent habituellement; le temps ensuite de constituer son immunité, et février verra la fin de la Grande Trouille.

En attendant, beaucoup vont progressivement se relâcher sur les mesures de confinement, même si les messages sur les media restent les mêmes: pour corriger le tir, les précautions d'usage représentent le dernier barrage possible pour sortir de cette période aux relents d'apocalypse. Et c’est pas plus mal, car on va reprendre confiance, et accepter de cohabiter avec ce machin.

Il en coûtera encore un certain nombre de vies, évidemment.


Mais la grippe saisonnière, on en meurt aussi, faut pas l’oublier : il suffit d'un organisme affaibli.

Et puis, je parie avec optimisme sur un truc qui se passe souvent avec la loi : elle se modifie en fonction de ce qu'on observe, c'est comme une sorte de jurisprudence du quotidien. Le retour à la normale se fera quand on verra qu'avec les diverses transgressions, la pandémie ne redémarre que normalement - je veux dire, avec des sursauts des pics de cas déclarés et soignés, ça c'est clair.

L'humain reste à la merci de tant de catastrophes qu'il ne peut pas maîtriser, mais conditionne à force de vouloir et de croire, justement, qu'il maîtrise son environnement : je repense à un truc qui s'est passé à Brig, en Suisse, en 1993. Des pluies diluviennes, incessantes, qui touchaient à peu près toute l'Europe.

A force de bétonner, de vouloir canaliser les cours d'eau, tout-à-coup la ville a été balayée par des torrents de boue et de caillasse, les voitures emportées, enterrées presque jusqu'au toit. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres...

Le même jour, sur mon chantier de fouilles archéologiques, on fêtait l'arrivée de la petite fille de notre ouvrier terrassier. On l'avait sorti de sa tranchée pour prendre un petit verre de champ' et des cahouètes, et quand dans le quart d'heure suivant, les murs de sa tranchée se sont effondrés, on s'est tous regardés un peu pâles, en réalisant que sans cet apéro improvisé, il y serait resté, au propre et au figuré. Un papa tout neuf. Gloups.


Tiens, l'en-tête du site de rencontres que je fréquente a changé : on est passé de "Causons seulement, on se rencontrera plus tard", à "Rencontrez-vous avec prudence et dans le respect des consignes de l'office fédéral de la santé publique."

Même si l'application des consignes reste à l'appréciation du danger par les individus, ça montre bien qu'on a la liberté de moyenner avec le tueur invisible…  surtout que personne ne songerait à légiférer concernant les contacts physiques étroits, voire charnels - ce serait d'ailleurs impossible à réaliser.

Et là, je redis « Merde » à la névrose. Merde, et remerde.