

Ballade sur le toi
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Ballade sur le toi
Qgjhgas, kphkwfc,qzqfoiaioi.
Vbyuc, puofjh,klmlkzzzgw.
Une suite de lettres.
Que dis-je ?
De signes.
Que dis-je ?
De pixels noirs au milieu de pixels blancs…
Et ce fut assez pour que votre cerveau se questionnât.
Formidable !
Accordez-le-moi.
Qu’est-ce donc que la pensée ?
Qui donc a créé cette interrogation ?
Vous avez observé ces quelques lettres cher lecteur, et vous les observez une seconde fois.
En fait, rien d’autre que deux yeux, capteurs sensoriels qui mesurent les variations de lumières renvoyées par un support
Ce serait faire abstraction de votre abstraction. Connexion directe entre les stimuli et la réaction ? Que nenni ! Vous avez court-circuité votre système réflexe. Que dis-je, vous… N’est-ce point moi qui joue à jouer avec votre imagination ?
Observez ces cinquante lettres.
Elles ne donnent ni sens, ni informations, ni quelque émotion. Et pourtant, à la première vision, en un temps plus court que l’instant, votre esprit a fait la question, votre chimie a produit une substance, l’immatériel mais concret, l’intangible et pourtant existant : l’idée.
Que sont ces lettres juxtaposées ?
Une clef.
Un toc toc toc.
Une humble et respectueuse demande à entrer dans votre machine à imaginer, à conceptualiser, à construire ce qui n’existera que pour vous.
Parce qu’enfin, cher lecteur, qui de nous deux a fait l’effort ? Qui de nous deux a pris la décision ?
Je pose sur le papier… rien.
Votre être mécanique s’y colle… à rien… et au lieu de rejeter ce rien comme il se devrait, puisque sans le moindre intérêt, rien est bien vide de tout, vous amenez ce rien dans un cerveau qui veut fabriquer quelque chose… à partir de rien !
Et qu’en reste-t-il ?
Une question. Réelle.
Là où rien était, maintenant il y a.
Et voilà !
Qui est le créateur ? Vous ou moi ?...
Maintenant j’y suis dans votre machine à inventer.
Gardez votre calme, nous y ferons juste une promenade divertissante.
Nous ne toucherons ni à l’âme, ni à vos convictions. Nous allons juste jouer ensemble, à faire fonctionner votre boîte à pensées. Il faut être deux pour ça, un créateur et un observateur.
Accordez moi d’être l’un, et ne soyez que vous.
Et je vous rappelle que je n’entre pas avec brutalité !
C’est votre esprit qui construit. Ici ne sont posés que des signes. Ils n’ont que le pouvoir que vous voudrez leur confier.
Il me fallait me faufiler, pour vous proposer une balade chez vous.
Les produiseurs d’émotions pénètrent toujours, à votre insu, par votre corps, pour atteindre votre esprit.
Etes-vous passé devant une toile de Maître ?
La lumière…
La couleur de la lumière…
Qu’avez-vous maîtrisé, décidé, anticipé ?
Rien, vétille, zéro !
De votre fond d’œil à votre cerveau, sans pouvoir de résistance, le message s’est transvidé, et la question était déjà ainsi créée.
Qu’est-ce donc ?
Et vous pouvez ensuite ne connaître qu’une émotion furtive, un moment de réflexion, dire que c’est votre passion, en faire votre métier par des critiques et des tentatives de compréhension pendant une vie, mais le créateur, lui, était entré, et ne sortira plus, puisque c’est vous qui le retenez, c’est vous qui faites sa création.
L’un demande et l’autre accepte, l’autre aspire et l’un inspire, l’un propose à tous et vous, unique, lui répondez. Vous êtes seul à inventer, mais de son fait à lui. Un coït, intellectuel, éphémère, avec l’inconnu, en premier lieu avec vous-même, la création ne sera que ce que vous êtes.
Poursuivons…
Encore de la lumière, diffuse, plutôt diffusée, à travers le vert tendre, celui des feuilles du haut des arbres. Le vert absinthe des jeunes pousses qui se confronte à la malachite à peine plus foncée. Le vent léger qui les mélange. Puis le bleu superbe, celui du ciel de printemps, bleu givré qui a gardé un peu de l’hiver, le bleu nommé simplement ciel parce qu’impossible de trouver mot plus beau. Et les nuages de passage derrière les branches. Bleu fumée. Ce sont bien des nuées. C’est calme, c’est apaisant, tellement sucré pour les yeux. Cette lumière est bonne, littéralement. Elle procure du plaisir. Elle est efficace parce qu’elle me fait vivre, et donne sève à cette frondaison que j’observe sans compter le temps. Lumière généreuse, charitable, recommandée, elle est même thérapie contre le gris de l’esprit. Superbe forêt, où la vue se perd, vers le haut, à n’en être jamais las.
Et bien non ! Vous n’y êtes pas !
Pardon, excusez moi.
Point de printemps ni d’arbrisseaux. De fait.
Juste vous qui avez enfanté votre tableau, pourtant tellement réel, si beau… Emotions intangibles, mais si puissantes…
Quelques feuillets tenus entre vos mains. Autorisez moi à m’y intéresser.
Votre main gauche, vous la sentez ?...
Bien évidemment. Mais juste en son prolongement, sur l’avant-bras, bien avant le coude, juste là, sous l’étoffe, une légère démangeaison…
Peu de chose, rien de grave, à peine ressentie, mais assez, juste assez pour que la main tienne seule les pages et que l’autre vienne, se mettant en crochet, frotter légèrement l’épiderme.
Elle reprend sa place. Chaque main de chaque côté.
C’est sans compter ces quelques milliers de terminaisons nerveuses qui réclament… De nouveau il faut frotter. Et là, vous savez où. Alors cette fois-ci, c’est vous qui dirigez. Vous trouvez le point exact.
Là, sur le dessus du bras. Juste là sur la peau.
Et le sang afflue.
Inutile de regarder, ce doit être rosé.
Une piqûre ? Un aoûtat ? Une puce, certainement pas. Ça devient désagréable ? Pas vraiment, mais gênant. La main repart,
et elle revient. Cette fois-ci, en frottant fort, en tentant de racler avec les ongles, la sensation partira. Posez votre lecture et frottez…
Ça devient pénible.
Mais ce n’est rien.
Avez-vous un produit calmant ? Un onguent à badigeonner ? Comme une peau séchée sous le soleil et le petit bobo qui répare l’égratignure, il ne faut pas toucher… Mais ça gratte !
Et le réflexe est tellement énervant.
Ça démange, ça picote.
Mais lâchez donc ce bras ! Il n’a rien.
Et laissez votre main où elle est.
C’est vous et votre esprit qui ne faites que l’énerver !
Vous devriez plutôt écouter.
Entendez-vous ce bruit ?
Comment ça pas de bruit… Mais ce son, en fond. Oui, dans le silence.
Eh non, jamais un silence sans bruit.
Prêtez l’oreille. Concentrez-vous…
Vous êtes sur le point de l’accrocher.
Ce bruit, léger, curieux, inaudible, et pourtant vous le percevez.
Qu’est-ce donc ?
Une musique, une machine, bruit de vent sur le bâtiment ?
Non.
Un animal ?
Non.
Difficile à identifier…
Répétitif.
Trop faible.
Haussez l’attention encore, et la puissance de votre audition.
A quoi cela ressemble-t-il ?
Vraiment pas facile…
Pas une musique, pas de vrai rythme. Juste en quelque sorte une vibration. Mais bien présente. Et le ton monte.
Vous l’entendez.
De mieux en mieux ?
Sensation auditive ?
Gêne exogène ?
Mais non !
Encore une focalisation de plus sur une vision de votre esprit.
Et d’ailleurs…
Pouf… Elle vient de disparaître.
Quel magicien vous êtes ! Et vos pensées en sont le chapeau.
Votre promenade vous sied elle ?
Arpenter ces quelques milliards de connexions neuronales n’est-il point le plus fantastique des voyages ?
Et pas un voyage historique, vous ne fouillez pas dans votre mémoire, vous n’êtes pas sur les traces de ce qui a déjà été vu.
Vous concevez vous-même, vous inventez ce qui n’existe pas.
Génial.
Et le qualificatif est bien faible.
Notre imaginaire est génial, et unique.
Quel défi pour les sciences nouvelles.
Qui donc saura dessiner la carte du continent de votre imagination ?
Où se cache-t-il ?
Dans quelle partie de votre cervelle ?
M’autorisez vous à poursuivre le jeu ?
Vous avez bien un peu de temps… Cette dimension toujours incomprise, tellement relative, impalpable, mais dont vous devenez maître grâce à l’art de la création. La durée, que l’on est capable de distordre, à loisir, par la pensée.
Voici,
Cette musaraigne paniquée, au comble du stress, qui se cogne, pousse, tourne, bascule la tête, la passe entre deux pierres, gratte, s’active, tremble des pattes arrière, bifurque, roule, les pattes du renard l’ont touchée, le trou, y entrer vite, la tanière, tapie au fond, recroquevillée, enfin cachée.
Et voilà,
Cette orchidée, bien implantée, là, depuis si longtemps, toujours au même endroit, saison après saison sur ce même rocher, bien abritée, qui a attendu le bon moment, la rosée qu’il fallait pour ouvrir, lentement, avec la plus fine délicatesse, ses quelques pétales afin d’offrir ses molécules odorantes.
La différence ?
Aucune.
4 lignes pour chacune, 47 mots, 257 caractères.
Mais pas le même temps, pas la même longueur de vie… Celle que vous avez donnée…
Insensés ces mots, ces lettres, ces symboles de graphe, qui vous permettent de construire, de déduire, de concevoir le réel, de le voir, et même quelque fois d’être gêné, ou déstabilisé, juste par le signe.
En voilà des signes bien trop espacés.
Bien désagréable, agaçant, inconfortable même
Et ceux là, quoi en penser ? Si ce n’est qu’ils finiraient par n’être plus des signes mais de la pâtée.
Vous êtes quelque peu troublé, brouillé ?
Veuillez m’en excuser, je ne recommencerai plus. Mais qui faut-il accuser de votre dérangement ? Les signes, bien sûr, ce sont eux qui ont quitté leur place. Et votre esprit créatif ? Que n’a-t-il fait ? Ou pas fait ? Faut-il garder le même dixième de millimètre pour vous satisfaire ? Vous me laissez bien peu de liberté, que diantre ! Mais bon, vous êtes chez vous, vous positionnez vos objets de construction à votre souhait, et c’est très bien ainsi.
Ne vous attardez pas sur le rangement de votre atelier à illusions. Poursuivez…
Promenons-nous dans le toi, et jusqu’aux pieds l’on ira…
Zou !
Passage derrière l’oreille, droite.
Descente en rappel sur le cou, petite pause sur l’épaule.
Rien à remarquer, poursuivez.
Le long du flanc, la hanche maintenant. Non, pas d’arrêt, glissez, doucement, en sécurité, la voie est dégagée. Restez sur la face supérieure, l’antérieur droit, le genou en visée. Et hop, sur le tibia, quelques centimètres, amusants, sans danger. Et vous y voilà.
Le pied !
Votre pied.
Prenez le temps de le saluer, s’il vous plaît.
Depuis quand n’étiez-vous pas venu ?
À quand remonte la dernière visite ?
Quelles considérations avez-vous eu ces derniers jours pour lui, votre pied ?... Vous avez fait le chemin pour le rencontrer, pas pour l’observer avec la mécanique de votre vision, pas pour le caresser avec votre machine à toucher. Vous êtes votre pied. Enfin, le concept de votre pied si vous préférez, le pied qui vous apparaît, le vrai vrai, celui que vous sentez.
Et alors ? Depuis le temps que vous ne l’avez considéré que comme objet ! Certainement des choses à se dire…
Soyez prudent, il risque d’avoir de nombreuses doléances, si ce n’est des reproches. Forcément ! Tellement occupé à utiliser votre conscience pour vous projeter, pour gamberger, pour calculer, pour modéliser, pour gagner, pour envisager si ce sera triste ou heureux, pour aller loin, aujourd’hui, hier ou demain. Toujours à modeler votre pâte créative, et si rarement pour converser avec ce pied, qui est le vôtre.
Bon, si vous décidez de vous rapprocher un peu, le voyage aura trouvé sa justification, et le créateur sa réelle utilité : vous aider, cher observateur, à être l’acteur de votre prise de pied, et découvrir en vous, l’origine d’une expression tant galvaudée.
Bien.
Restez entre vous deux le temps qu’il faudra, mais ne me gardez pas là trop longtemps, j’ai à faire…
Et vous prenez le risque de m’amener à la pensée primaire.
Eh oui, celle qui apparaît dans l’esprit sans même que quiconque y pénétrât. La pulsion à l’origine de toute création, l’impulsion qui fera l’autre génération, la poussée incontrôlable qui contrôle vos fantasmes…
Bien que toujours aussi respectueux de l’esprit qui accueille cette expérience créative en résidence, acceptez, sans contrainte, sans inhibition, sans tabou, acceptez, ne serait-ce que l’esquisse de cette intention. Relâchez-vous, laissez couler, vous savez déjà où l’on va… Personne ne sera témoin. Juste vous. Juste vos fantasmes. Et puis, rien de bien grave, vous n’irez que là où vous acceptez. De toute façon, il faudra repartir.
Profitez-en, passez par lui...
Du plaisir, libre, pas volé, c’est le vôtre. Pas celui du rêve, ni de l’inconscient, pas celui des autres. Le vôtre, celui que vous décidez, comme vous décidez, parce que vous le déclenchez, même si ce n’est qu’un instant.
Vous y êtes, au centre de votre corps, dans votre individu, dans votre intimité, au centre de votre Univers.
Et c’est bon…
L’obsession la plus puissante.
Vous pouvez la déclencher.
Prudence !
Votre caresse vous pose face à vous-même.
Quelquefois une boîte de Pandore…
Alors ne restons pas là, vous n’avez pas besoin de plus. Vous saurez y revenir. Toute vie connaît le chemin vers ce lieu, ce trésor, vers son origine.
En retour, sans précipitation, tout en vous délectant et en allongeant cette excursion que vous vous octroyez, soyez prêt à passer la barrière.
Bien sûr, mais oui, celle de la langue évidemment.
La croyez-vous si simple ?
Bien évidemment vous mesurez son importance, son pouvoir, sa différence. Mais l’organe, le vôtre…
Vous y êtes, vous êtes arrivé ?
Savez-vous vraiment de quoi elle est capable ? Savez-vous vraiment de quoi elle est faite ?
La vôtre, oui oui, celle sur laquelle vous pesez vos mots. Quelques milliers de terminaisons nerveuses, capables de capter les saveurs et de décider ce qui est profitable à votre chair, ou ce qui la tuerait, capable de moduler les vibrations et d’enrichir la communication, et capable du pire, lorsqu’elle devient de vipère, de bois, populiste, acérée ou trop bien pendue. Langues différentes qui font tant de différences, qui ont tant tué, langues mélangées qui disent qu’elles aiment sans besoin de le dire dans la langue, langue de demain, unifiée, pour qu’enfin le mot Race s’entende Humanité, dans toutes les langues.
Alors saluez là, souhaitez lui le meilleur, ce serait de bon goût.
Et maintenant ?
Gardez-vous quelques secondes avant de finir votre œuvre, accordez moi ces derniers moments…
Sentez-vous l’énergie engloutie ?
Où est-elle ?
Les lois de la physique, du tangible, doivent être respectées, vous n’êtes que partie du Grand Ensemble. Alors si vous avez créé, vous-même, à partir du néant, des idées, des pensées, cette énergie consommée y est concentrée. Et voilà peut-être comment, quelques pixels posés par l’un, bien ou mal intentionnés, recyclés par l’autre qui y a trouvé sa justification, ont produit évolutions et révolutions.
L’énergie de l’Esprit transformée en énergie de la Vie.
Merci pour cette balade.
C’était chez vous !
J’aurais voulu vous y accompagner, mais la création est un acte solitaire. L’un ne peut qu’entrouvrir votre porte, je m’y suis tenté.
La sortie ?
Je n’en connais qu’une : les songes.
Alors Dodo !

