

Brasilia : un exemple de modernisme à la brésilienne?
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Brasilia : un exemple de modernisme à la brésilienne?
Brasília, nouvelle capitale du Brésil est créée sous l'impulsion du président Juscelino Kubitschek en 1956 et inaugurée le 21 avril 1960. Conçue comme un rêve de modernité et un projet national, elle reprend les grands principes du Mouvement Moderne. Elle doit incarner le progrès, l’ordre et la modernité, tout en étant adaptée aux particularités culturelles et géographiques du Brésil.
Après la volonté du Président latino-américain, deux figures clés sont derrière cette réalisation : l'urbaniste Lucio Costa, responsable du plan général, et l'architecte Oscar Niemeyer, en charge de la conception des bâtiments publics.
I. Le choix d’un lieu stratégique et central pour réaménager l’ensemble du territoire brésilien
Le président Juscelino Kubitschek, qui voulait moderniser le pays et développer ses régions intérieures, moins peuplées et moins industrialisées a choisi un environnement isolé pour y implanter la nouvelle capitale : Brasília. Cette nouvelle ville devait être un symbole de rupture avec le passé colonial et le chaos des grandes villes comme Rio de Janeiro.
Construire Brasília dans un environnement isolé, à plus de 1 000 km de Rio, a été un défi colossal au niveau technique et temporel (capitale construite en environ 3 ans). Environ 60 000 travailleurs venus de toutes les régions du pays ont participé à ce chantier géant dont la surface urbanisée initiale est d’environ 5 800 km².
Photo aérienne de Brasilia prise en 2018
Source : Brasília : de zéro à trois millions d’habitants en soixante ans | CNES
Le plan de la ville de Brasília est souvent comparé à un oiseau ou un avion, avec deux axes principaux : l'axe monumental, orienté est-ouest, où se trouvent les bâtiments publics majeurs, et l'axe résidentiel, nord-sud, qui structure les zones d'habitation. Ce plan, conçu par Lucio Costa, est simple et rigoureux, sans centre traditionnel, mais avec une organisation fluide pensée pour les voitures. C’est un plan que l’on peut qualifier d’appartenant au Mouvement Moderne[i] car il en reprend les thèmes que sont la création de zones à usage unique, la création de voies de circulation motorisée, la gestion centralisée de l'espace public, et les grands ensembles d'habitation.
II. Une conception urbaine issue du mouvement moderne européen….
Un concours lancé en 1957 permet de choisir le plan de l’urbaniste Lucio Costa. Ce plan, influencé par Le Corbusier et les principes du CIAM, repose sur deux axes : un monumental pour les bâtiments publics et un résidentiel pour les zones de vie. Costa a appliqué les principes du fonctionnalisme moderne, avec des zones séparées pour le travail, l'habitat, les loisirs et la circulation. En effet le fonctionnalisme moderne se définit par une approche scientifique de la planification et de la gestion de la croissance urbaine. Les éléments clés de l'urbanisme moderne comprennent la zone à usage unique, la circulation motorisée, la gestion centralisée de l'espace public, et les grands ensembles d'habitation.
Le Mouvement Moderne, porté par des figures comme Le Corbusier, mettait l'accent sur la fonctionnalité et la standardisation des espaces urbains. Le Corbusier, avec la Charte d'Athènes, proposait un urbanisme fonctionnel, organisé autour de quatre fonctions essentielles : habiter, travailler, se divertir et circuler. Ces principes ont marqué l'architecture du XXe siècle.
Plan schématique de Brasilia
Source : Plan pilote — Wikipédia
Les "superquadras", des unités résidentielles de 3 000 à 6 000 habitants, sont conçues pour être autosuffisantes et entourées de verdure.
Le président Kubitschek a voulu que le projet de Brasília incarne l'avenir du pays. Niemeyer a créé des bâtiments comme le Congrès national, le Palais de l'Alvorada et la cathédrale, dans un style futuriste et symbolique. Ces bâtiments sont conçus pour être à la fois fonctionnels et esthétiques, symbolisant l’idéal démocratique du Brésil.
Cependant, ce projet a aussi suscité des critiques. La ville, pensée selon un urbanisme moderne rigide, n’a pas pris en compte la vie quotidienne des classes populaires, qui se retrouvent marginalisées dans les périphéries. Brasília montre les limites de certains idéaux modernistes.
III. … mais adapté à la culture brésilienne
Oscar Niemeyer a été l'un des architectes majeurs du mouvement moderne, mais il a adapté ses principes à l'Amérique latine. Collaborateur de Le Corbusier, il a transformé le modernisme en une forme plus personnelle, marquée par des courbes et un engagement politique. Il a aussi mis un accent particulier sur la création d'espaces publics généreux, destinés à favoriser l’échange et la culture. Il a su transformer les principes du modernisme en les adaptant à la culture brésilienne. Il exprime et développe ses principes architecturaux et sa vie dans le livre « Les courbes du temps » (ed. Gallimard), un ouvrage autobiographique publié en 1993. Il y exprime son attrait pour la courbe qu’il considère comme l’essence même de la beauté et de l’harmonie : « Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire ni la ligne droite, dure, inflexible, inventée par l’homme. Seule m’attire la courbe libre et sensuelle […]. De courbes est fait l’univers, l’univers courbe d’Einstein. »
Pour Niemeyer, l'architecture devait être au service du peuple. Il affirmait que "l'architecture ne vaut que si elle est engagée", et cette vision a influencé toute sa carrière, de ses créations à Brasilia à ses œuvres en Europe.
Tandis que Lucio Costa a conçu la ville dans son ensemble, Niemeyer a créé les bâtiments emblématiques de Brasília, en utilisant le béton armé et en privilégiant les formes courbes pour leur côté sensuel et expressif. Parmi ses œuvres les plus célèbres, citons le Congrès national, la cathédrale de Brasília et les palais présidentiels, qui incarnent à la fois la modernité et une nouvelle identité nationale.
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Brasília, inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1987, reste un exemple de projet urbain ambitieux du XXe siècle. Elle a inspiré de nombreuses villes nouvelles à travers le monde. Toutefois, la ville a aussi ses défauts : la séparation sociale, la dépendance à la voiture et la froideur de certaines zones monumentales posent des questions sur l’application à grande échelle des principes modernistes.
Malgré ses contradictions, Brasília est un exemple unique de collaboration entre l'urbanisme, l'architecture et le pouvoir politique, et elle continue d'influencer les architectes du monde entier. Oscar Niemeyer, avec sa vision d'un modernisme poétique, a transformé l'architecture en un art engagé, unifiant forme, culture et humanisme.
Fanny Azan-Brulhet

