

Cinq minutes
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Cinq minutes
Cinq minutes
Que feriez-vous, là, maintenant, si vous aviez cinq minutes ? Un petit café ? Un petit tour aux toilettes ? Une petite cigarette pour tuer le temps qu’il nous reste ?
On va compliquer un peu les choses : vous feriez quoi, là, maintenant, si vous n’aviez plus que cinq minutes, à vivre ?
Réfléchir c’est déjà perdre son temps et le temps, lorsqu’il ne reste plus que 300 secondes, vous donne des coups de marteaux avec la rigueur irritante d’un métronome. Le temps de lire ces mots, et de commencer à réfléchir, il ne vous reste déjà plus que quatre minutes. Sentez-vous monter la panique ? Il ne reste même plus le temps de la chanson de Natacha St-Pier et Pascal Obispo, et si l’on devait mourir demain, et bien demain, c'est dans trois minutes.
À quatre heures du matin, un dimanche, la question m’a été posée au sortir d’une apnée de sommeil probablement. Rien de bien méchant. Juste assez pour me dire qu’il me faudrait consulter un mardi, jour de repos, car le rhume descendait vers les bronches. Vers 6 heures, je n’avais plus que cinq minutes à vivre.
Ma bouche grande ouverte offrait à ma chambre le spectacle d’un masque tribal orné d’un trou béant entre les lèvres, un trou sur le vide. J’avais envie de respirer, de toutes mes forces. Mes mains ne m’étaient d’aucun secours, pas plus que mes yeux exorbités, comme si en s’ouvrant grand, ils pourraient m’être d’une quelconque aide pour m’apporter un peu d’air.
L’instinct de survie prend alors le pas sur la réflexion. J’ai vu sur ma table de nuit ce flacon de gel hydroalcoolique. Nous étions en pleine pandémie de la covid et ce genre de produit était aussi répandu qu’un aérosol de betamimétiques chez un asthmatique. Ainsi, j'ai vu le flacon et j’ai vu le stylo bille. Oui, j’ai pensé à me perforer, à me badigeonner la gorge avec le gel, me perforer la gorge et y planter le tube du stylo. Une trachéotomie à la MacGyver.
Pas d’air, des mains qui grattent désespérément le torse comme pour y creuser un puits, une cage thoracique enflammée à l’image de celle de Smaug, juste avant de souffler sur les ruines de mes poumons transformés en ville de Dale dévastée par un gigantesque incendie. Une idée comme une autre, une idée de survie qui n’aurait rien changé puisque le problème venait de mes poumons. Deux flasques fermées comme un vieux ballon de baudruche laissé au soleil et dont les parois se seraient soudées.
Cinq minutes s’est sacrément long, le doigt coincé dans une porte. C’est sacrément court lorsque l’on cherche une issue à la fatalité d’une mort aussi ridicule que certaine.
Heureusement, l'air est revenu. Vous n’en doutiez puisque j’écris ces lignes. Adrénaline ? Douleur ? Peu importe, j’avais un répit. Il n’était plus question d’attendre mardi. J'avais une seconde chance avant cinq nouvelles minutes. Alors, j'ai pris le téléphone. Urgence. Pas le temps de discuter. Juste celui d’articuler en chuchotant pour garder un débit d’air convenable. Nom, prénom, quinte de toux, adresse, mon numéro affiché est le bon, quinte de toux, silence.
— Monsieur ? Monsieur ?
— Oui, je suis là.
Chuchotement : détresse respiratoire, code d’entrée, étage, gauche, fond couloir, gauche, porte. Je vais déverrouiller la porte.
— Les secours arrivent.
Les secours arrivent. Est-ce nécéssaire ? Je ne sais plus. Je me sens tellement plus léger d’un coup. Savoir que les secours arrivent ou ne plus me sentir tout simplement me rend plus serein. Un flash, je suis nu. Sans doute mettre un survêtement serait approprié. Quel drôle d’idée pour un naturiste qui se fout bien de la nudité. Le temps de le mettre. Épuisant. Prendre mes papiers, carte vitale, carte mutuelle, carte d’identité, téléphone. Puis, je ne sais plus.
Des bruits, la porte, des hommes, une femme. Des gilets jaunes, pas ceux des rond-points. Des secouristes, des pompiers, des médecins ? Je n’en sais rien. Des gros sacs, un brancard, puis, de nouveau des lambeaux de brumes.
Ils sont quatre. Trois gaillards, une femme. Je porte un masque sur le visage. Ils me parlent, mais j’ai l’impression qu’ils parlent à un gars derrière moi. Je réponds à sa place, mais j'ignore à quoi. Des voix dans mon salon : « il y en a qui appellent pour rien, mais lui, c’était juste ». C’est marrant comme l’esprit s’attache à de petites phrases. C’était juste. Une fugace pensée vient se glisser dans mon esprit. C’était juste, comme si j’allais m’en tirer. Espoir.
Ils m’emmènent. Étrange déplacement aérien dans les couloirs. L’impression d’être avec des spationautes en combinaisons, destination la Lune. Je flotte dans une dimension parallèle. Tout est au ralenti. Dehors, la nuit, elle aussi, touche à sa fin. Les gyrophares, l’ambulance, mais plus aucune sensation. Pas de froid, pas d’odeur, pas de saveur. Juste du noir et des rayons de lumières tournoyants.
La route, je ne m’en souviens pas. Seulement le bruit mat d’un sac tombé pendant le voyage. Toujours ces petits détails qui ne servent à rien, qui ne sont rien, mais auxquels on s’attache ; ils sont les témoins de notre existence. Descente. Urgences de Tarbes. « Votre nom ? J’en sais rien. Vous êtes monsieur Moujard ? » Il me semble. Je dis oui. Parler est un luxe. Un mot par respiration, c'est énorme, c’est déjà un effort inouï pour respirer.
Salle trois. Où sont mes cosmonautes ? À la place, de superbes créatures penchées sur moi. Elles me parlent et je dois répondre, sûrement, mais je ne m’entends pas. Il y a comme un décalage dans l’espace et le temps. J’ai vraiment l’impression d’être l’intermédiaire entre un gars coincé en dessous et moi.
Ça pique. Veine, artère, main. Je n’en sais rien. Tout semble bon pour y enfoncer une aiguille, une voie centrale, une autoroute pour les substances de l’industrie pharmaceutique. Des électrodes sur le corps, un tube dans le nez ou dans la gorge, je n’en sais rien, je ne ressens pas grand-chose. Un masque ? Il me semble.
— Vous revenez, monsieur Moujard. Vous étiez gris, maintenant, vous êtes blanc.
Autrement dit, je suis passé du stade zombie au stade gisant d’albâtre. Mais, apparement, je suis encore quelque chose. C’est
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