

Huit
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Huit
Marie
J'ouvre les yeux dans ce qui semble être la chambre d'un chalet de montagne. Le plafond est entièrement constitué de planches de bois doré. Autour de moi, les murs sont d'une couleur rougeâtre avec des motifs de flocons de neige. Je trouve cela un peu trop kitsch à mon goût. Cependant, je me sens étrangement bien dans cette atmosphère. Le bois, le lit confortable et ces couleurs festives me réconfortent. Je me suis toujours bien sentie dans les chalets de montagne. Le contraste entre le temps glacial et la neige à l'extérieur avec le confort et la chaleur de l'intérieur m'offrent une sensation de plénitude. J'ai comme l'impression de flotter sur un petit nuage. Or la réalité me rattrape brusquement. Pourquoi suis-je dans un chalet de montagne? Je ne suis pourtant plus en train de rêver. J'ai beau essayer de me souvenir, rien ne me revient. J'essaye de me calmer. Commençons par le dernier souvenir que j'ai :
Je suis partie en road trip avec mon copain Jonas. On s'est arrêtés au Puy-en-Velay et...
Et quoi?
Je ne me souviens plus. Que s'est-il passé ensuite?
Mon cerveau ne me répond pas.
Mon dieu que m'est-il arrivé? Je suis pourtant sûre au vu des hautes montagnes aux sommets enneigés de l'autre côté de la fenêtre que je ne suis absolument pas du côté de l'Allier. Je fais le tour de la pièce du regard. Il n'y a personne à côté de moi dans le lit. Jonas a dû partir plus tôt. Mais quelle heure est-il?
Pourquoi je ne me souviens de rien bon sang!
-Jonas ! Je tente d'une voix faible.
Ma plainte s'ensuit d'un long silence.
-Jonas où es-tu? Il y a quelqu'un?
Seul un courant d'air me répond, venant fermer d'un coup sec la porte de la chambre auparavant entrouverte.
Je tente de me lever, or mon bras gauche est comme paralysé. Je tente de bouger mes doigts qui me répondent mais dont le mouvement est beaucoup plus lent que d'habitude. J'ai aussi une migraine sévère.
Mais que m'est-il arrivé? J'ai comme l'impression d'avoir fait une chute de 5 étages et pourtant je n'ai aucune trace sur mon corps.
Lentement, je retire la couverture et me place en position assise sur le bord du lit. Lorsque mes pieds nus entrent en contact avec le sol gelé, je sens comme un frisson me parcourir l'échine.
J'avance prudemment, un pas après l'autre. Je suis surprise de découvrir que je suis en chemise de nuit et non dans mes vêtements. J'ai donc dû être consciente hier soir? Pourquoi je ne me souviens de rien? Est-ce que j'étais saoule? Ca expliquerait ma perte soudaine de mémoire en revanche ça n'explique en aucun cas le pourquoi du comment j'ai atterri ici.
J'entrouvre la porte après avoir jeté un léger coup d'oeil par la fenêtre. Il y a une ou deux maisons en face. Je suis étonnée de voir qu'il n'y a aucun minivan garé sur le parking de la maison. Jonas serait donc parti? Il m'aurait laissé ici?
Le vent glacial rencontre ma peau lorsque j'atteins le couloir. La fenêtre de ce qui semble être la cuisine est restée entrouverte. Je me dirige vers cette pièce, espérant y trouver Jonas en train de préparer le petit déjeuner. Au lieu de ça, l'air frais qui passe par la fenêtre me frigorifie et Jonas n'est pas là. J'ai faim et je mangerais bien quelque chose du frigo. Or je ne sais pas où je suis, je n'oserais tout de même pas voler de la nourriture à des inconnus.
-Jonas ! J'appelle à nouveau.
Or un silence accablant règne.
Je remarque des photos accrochées sur le réfrigérateur. Je m'approche et décroche l'une d'elle. On y voit un couple et leur enfant. Je ne les reconnais pas. C'est donc chez ces gens que nous sommes actuellement ? Ce doit être des amis de Jonas. Pourtant je ne l'ai jamais entendu parler d'amis qui vivent à la montagne.
Soudain, une image me revient. Un panneau avec écrit Isola 2000 dans des couleurs vives. J'essaye de me rappeler de plus de choses mais rien ne me vient. Je serais donc à Isola 2000 ? Mais pourquoi ?
Je contemple encore une fois la photo. Le petit garçon doit avoir deux ans. Il porte un bonnet rouge, des gants rouges et une combinaison de ski jaune. Il est très mignon. Ses parents sourient et le tiennent chacun par une main. La mère est brune aux yeux bleu foncé. Le père semble jeune. Je lui donnerai vingt-cinq ans au maximum. Il a les cheveux châtains et des yeux verts quasiment identiques à ceux de son fils. A côté de cette photo se trouve une carte postale décorée de photos de sable blanc et d'eau turquoise avec écrit "Porquerolles" en doré.
Je la retourne pour y lire le contenu.
Ma chérie,
Ces derniers jours sans toi et Pierre ont été très douloureux. Je sais bien que tu souffres et qu'Il souffre aussi mais cette décision était la meilleure à prendre. Je te promets que je reviens bientôt et que l'on Va à nouveau profiter tous les trois ensemble. J'ai pensé que ça serait bien que l'on parte en vacances après cela. Peut être même que ta soeur pourrait Venir?
En tout cas j'aimerais qu'après cela Nous oubliions tout ça et que nous nous concentrions sur notre vie et celui de notre fils. En plus d'ici deux semaines j'aurai enfin fini donc j'aurai peut être enfin du temps à Tuer. Enfin bref je t'embrasse très fort ma chérie. Fais de gros bisous à Pierre de ma part. Je reviens bientôt comme promis.
Lucas.
Ps: j'ai pu faire un détour par Porquerolles c'était magnifique, d'où cette carte postale.
Une fois ma lecture terminée, je remets la carte sur le frigo et me reconcentre sur ma priorité. Retrouver Jonas. Ou même n'importe qui. Qui que ces gens soient j'aimerais qu'ils soient là au moins pour m'expliquer ce que je fais ici.
Je sors de la cuisine et avance à nouveau dans le couloir. J'ouvre l'une des portes à droite et tombe cette fois-ci sur le salon. Il est assez simple, composé d'une cheminée, de quelques fauteuils et d'un grand écran. à côté se trouve un piano droit. Cela fit longtemps que je n'ai pas joué du piano. Et l'envie de caresser les touches blanches et noires et me plonger dans une mélodie délicate me font presque oublier la situation dans laquelle je me suis retrouvée. Lentement je m'approche du piano m'assois sur le fauteuil, je cherche la pédale droite de mon pied et je commence à pianoter la lettre à élise puis je passe rapidement sur le clair de lune de Debussy. Enfin, j'enchaîne sur du Sofiane Pamart pour une touche plus moderne. La musique m'a toujours réconfortée dans les moments de stress et surtout le piano. En jouer me procure un sentiment de plénitude. Une fois mes morceaux terminés j'en ai presque oublié l'étrangeté de la situation actuelle, le fait que je ne me souvienne de rien de ce qu'il s'est passé hier soir, le fait que je suis chez des inconnus et que j'ai même dormi dans leur lit. Le fait que Jonas a disparu et le Minivan aussi. C'est lorsque toutes ces réalités me rattrapent que j'entends derrière moi des pas et un raclement de gorge.
Dans un sursaut je me retourne.
La femme de la photo se tient devant moi.
***
Agathe
4 janvier 2025, Isola 2000
Je viens de sortir de la mairie et je n'arrive toujours pas à croire ce qu'il vient de se produire. Pierre est mort il y a cinq ans ? Comment est-ce possible ? Cet enfant était pourtant dans mon groupe de ski il y a quelques jours de cela je pourrais le jurer. Pourtant il est sûr que l'on parlait du même enfant avec cette dame. Je lui ai demandé de me montrer la dernière photo qu'elle avait de son neveu. Les larmes aux yeux elle m'a tendu son téléphone. A l'écran il y avait Pierre beaucoup plus jeune dans une combinaison de ski jaune. J'ai reconnu ses yeux. Je sais que c'était lui. Je lui ai demandé de quand datait la photo. Elle m'a répondu 2018. Or Pierre devait avoir deux ou trois ans en 2018 ce qui correspond bien. Mais enfin pourquoi un enfant déclaré mort se serait présenté à mon cours de ski ? Est-ce que j'aurais rêvé ? Non, ce n'est pas possible. J'ai pourtant même récupéré son gant dans la forêt la dernière fois.
J'ouvre mon sac à dos et en sors le gant bleu marine toujours présent. Or, sur l'étiquette, au lieu d'y voir inscrit "Pierre" comme dans mon souvenir, il n'y a rien. Seule la taille du gant y est inscrite. Je tourne et retourne l'étiquette en vain. Elle est vierge.
J'ai l'impression que je vais tomber dans les pommes. Comment est-ce possible ? J'étais portant sûre d'y avoir vu les lettres P I E R R E dessus. Je ne suis pas folle.
Il faut pourtant que je montre à cette femme que j'ai raison. Il faut que j'aille lui montrer la liste de présence ESF. Je me dirige alors à toute vitesse vers l'ESF où j'y retrouve Seb, mon collègue de première étoile.
-Salut Ag... Me lance-t-il lorsque j'entre en trombe dans le bâtiment sans même prendre le temps de le regarder. Je prends la pochette de feuilles de présence et je cherche le premier jour, le jour où Pierre était présent. Je consulte les noms de haut en bas en cherchant le prénom Pierre des yeux.
Or j'ai beau répéter l'opération une fois, deux fois, trois fois. Rien. Il n'y a pas de Pierre sur la feuille. Je recommence avec les autres feuilles. Qui sait peut être que comme c'était le premier jour j'étais stressée et je me suis trompée de feuille. Mais même pourquoi Pierre aurait été enlevé des listes même s'il ne venait plus. Ca n'a pas de sens...
Une fois que j'ai fait toutes les feuilles je dois bien me rendre à l'évidence. Pierre n'est pas présent sur les listes.
Je suis en sueur, je ne sais plus quoi penser. Ai-je rêvé? Non pourtant il était bien là. J'aurais pu le jurer.
-Agathe ! On m'appelle.
Je sursaute. C'est Seb. Il est juste derrière moi.
-Agathe tout va bien ? Demande-t-il visiblement inquiet de mon état.
-Oui... Je mens.
J'attrape mon sac et tente de partir mais Seb me bloque le passage.
-Tu cherchais quoi?
Je ne sais pas quoi lui répondre. Si je lui dis il me prendra pour une folle. Surtout si j'ai vraiment imaginé cet enfant.
Pourtant quelque chose me dit qu'il a peut-être aperçu Pierre le premier jour. Il était juste à côté de moi après tout.
-Je... je balbutie. Tu te souviens avoir vu un petit garçon aux cheveux châtains et aux yeux verts le premier jour ? Il devait faire à peu près cette taille là. Je lui indique la hauteur de la table de ma main. Il s'appelle Pierre.
D'un air étonné il me répond :
-Tu sais Agathe, je retiens de visage surtout mes élèves à moi, pour les autres je ne fais pas forcément attention...
Il marque une pause et m'observe.
-Mais pourquoi me demandes-tu cela ? Pourquoi cherches-tu cet enfant ?
Je deviens rouge écarlate. J'ai envie de me cacher. Si je lui raconte la vérité il va me prendre pour une folle c'est certain.
J'improvise :
-Il y a eu une erreur dans ses données personnelles je devais modifier quelque chose.
Il ne semble pas me croire. J'ai toujours été une mauvaise menteuse. Pourtant cette fois-ci, il me laisse partir.
Une fois dehors j'essaye de reprendre mes esprits. Bon certes il n'y a rien d'écrit sur le gant mais il faisait noir j'ai pu mal voir. Surtout que le fait que Pierre portait des gants bleu marine la veille a dû me conforter dans l'idée que son prénom était écrit alors que non. Pour les listes, peut-être que Pierre n'a jamais été inscrit dessus. Peut-être qu'il y a eu une erreur et que je ne m'en étais tout bonnement pas rendu compte.
Je dois pourtant trouver une preuve pour la dame de la mairie. Je dois lui montrer que son neveu est encore vivant. Je suis certaine de l'avoir vu. Mais où trouver des preuves ?
Demain j'irai trouver l'adresse de la mère de Pierre. Je dois savoir ce qu'il s'est réellement produit il y a cinq ans pour que tout le monde pense que cet enfant que j'ai vu il y a à peine une semaine est mort.
***
Marie
La femme qui se tient devant moi est la même que celle sur les photos. Sauf que celle-ci semble paniquée. Elle sert son fils contre elle et je peux voir de la peur dans ses yeux. Ils sont rouges comme si elle venait de pleurer.
-Qui êtes vous ? Demande-t-elle d'une voix rauque.
Je ne sais pas quoi répondre. A vrai dire je ne sais sûrement pas y répondre.
-Qu'est-ce que vous faites chez moi ? Ajoute-t-elle.
Que répondre lorsqu'on n'a pas nous même la réponse ? Je me contente d'écarquiller les yeux et de ne plus bouger. Je me retrouve droite comme un piquet à la regarder d'un air hébété.
Je ne me suis jamais retrouvée dans une situation pareille. Je pensais que si j'étais là et que je ne me souvenais plus pourquoi c'était sûrement parce que j'avais trop bu hier soir et que cette femme allait pouvoir répondre à mes interrogations et me faire retrouver la mémoire. Au contraire, elle ne sait pas qui je suis et ne sait même pas ce que je fais dans sa maison. Et moi non plus d'ailleurs.
Elle sert son fils davantage lorsqu'elle entend des pas derrière elle.
Elle se retourne violemment et émet un léger cri lorsqu'elle voit surgir Jonas dans la pièce.
Son visage est pâle. Cependant je suis tellement rassurée de le voir ici. Lui, va pouvoir expliquer la situation au mieux. Lorsque je l'aperçois je m'exclame :
-Jonas !
A l'évocation de ce nom la femme se retourne violemment vers moi et me fixe, bouche bée. Lui cependant n'y prête pas attention.
Il ne semble pas se soucier de ma présence dans cette pièce. En fait il ne m'a même pas adressé un regard depuis qu'il est entré. Au lieu de ça, ses yeux sont bouillants de rage et fixent avec violence la femme et son petit.
Plus rien n'a de sens pour mon cerveau. Je ne sais même plus quoi penser. Alors que je pense qu'il est impossible que cette situation s'aggrave ou en tout cas devienne encore plus incompréhensible, mon coeur se fige lorsque je vois Jonas sortir une arme de la poche de son manteau.
Mon coeur s'arrête.
Est-ce que je suis en train de rêver ? Cette situation n'a aucun sens et les rêves ont souvent aucun sens, non ?
Or lorsqu'on rêve on ne se rend souvent pas compte qu'ils sont chaotique sur le moment. Ce n'est qu'au réveil que l'on réalise.
Alors est-ce que c'est la réalité ?
Dans ce cas pourquoi n'y a-t-il rien de ce qui est en train de se passer que je puisse expliquer ?
Un cri rauque de Jonas vient me réveiller de mes pensées. Celui-ci pointe désormais l'arme au niveau du crâne de la mère.
-Non ! Non ! S'il-te-plaît ne fais pas ça ! Hurle-t-elle.
Le temps de réaction moyen du cerveau humain doit être d'une seconde, ou deux selon les gens. Je ne sais pas trop. En tout cas tout ce que je sais c'est que le temps qui s'est écoulé entre le moment où il a sorti l'arme et le coup de feu devait être inférieur à ça.
Mon cerveau commence à peine à réaliser la gravité de la situation lorsque je vois la femme de la photographie s'écouler sur le sol. Son fils hurlant dans ses bras.

