

Souvenirs d'une vie vagabonde 5
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Souvenirs d'une vie vagabonde 5
7/ Le ranch de Lulu une chevauchée intérieure
Mais en dehors du tumulte du restaurant, en dehors des cuisines pleines de chaleur des des éclats de voix de mes clients hauts en couleur, il y avait un autre monde.
Un monde que je rejoignais chaque week-end, comme on rejoint un refuge.
Là bas tout était différent, pas de bruit de casserole, pas de commandes à prendre. Juste la nature et le souffle du vent, et le pas régulier d’un cheval sous moi.
Car ce que peu de gens savent, c’est que les chevaux ont compté autant pour moi que les brigades de cuisine. Peut-être même plus.
Alors, laissez moi vous raconter cette autre scène de ma vie, un décor de western sous le soleil du sud, des randonnées inoubliables et un amour inconditionnel pour une jument qui s’appelait Fanny.
Il y a des lieux qui ne ressemblent à rien d’autre. Perdus dans les hauteurs, à l’écart du vacarme, ils semblent flotter hors du temps.
Pour moi, ce lieu c’était un ranch planté dans les collines Autour de Toulon Plus précisément, à Carcès. Une poignée de bâtisses en bois clair, quelques paddocks, une odeur de cuir et de poussière chauffée au soleil. On y entendait le hennissement des chevaux, le crissement des portails, les rires secs de Lulu, le maître des lieux -un cow-boy à la provençale, rude, généreux, au regard franc.
C’est là que je passais tous mes week-ends. Pour m’éloigner du bruit du monde. Pour retrouver ma respiration. Là-bas, je retrouvais Fanny, ma jument. Une bête magnifique. Brune, racée, intelligente, fine comme une lame. Un cheval d’exception, comme on en voit peu. Elle comprenait tout. Les gestes, les silences, les humeurs. Elle filait comme l’éclair, mais sans jamais faire un pas de travers. Jamais un écart. Elle était solide, rapide, attentive. Une véritable danseuse de garrigue.
Mon lien avec elle allait au-delà de la monte. C’était une forme de confiance, de respect. Elle me reconnaissait de loin, hennissait quand j’arrivais. Je la brossais longtemps, je lui parlais. Et quand on partait tous les deux à travers les sentiers poussiéreux, je redevenais un homme simple, un cavalier au milieu du monde. On traversait des forêts de pins tordus, on longeait des falaises, on montait vers les crêtes d’où l’on pouvait voir la mer se découper à l’infini. Parfois on s’arrêtait dans une clairière, on mangeait un morceau, on regardait les fourmis travailler.
Parfois, avec les autres du ranch, on organisait des randonnées sur deux ou trois jours. On bivouaquait. On attachait les chevaux sous les étoiles, on allumait un feu, on sortait le saucisson, le fromage, le pain sec. Le vin coulait dans des gobelets cabossés, les histoires fusaient. Et les chevaux, autour, dormaient debout ou broutaient en paix. C’était une vie de western, une vie sans bruit numérique, sans artifice, sans mensonge.
Mais un jour, cette vie-là m’a rappelé qu’elle pouvait être brutale.
Ce jour-là, un ami m’a proposé d’essayer l’un de ses chevaux, un étalon bai, nerveux, très jeune, pas encore bien éduqué. J’ai hésité. Fanny, elle, était au repos. Alors j’ai accepté. Une jeune fille, stagiaire au ranch, s’est chargée de le seller. Elle était gentille, enthousiaste, mais elle n’avait pas assez serré la sangle.
Quand je suis monté, je l’ai tout de suite senti. Le cheval avait les nerfs, il tournait, impatient. Et à peine étions-nous sortis du paddock qu’il a cabré violemment. La selle a tourné, je suis parti en arrière, projeté sans avoir le temps de réagir. Mon dos a heurté le sol avec une violence sèche. J’ai senti le choc résonner jusqu’à ma nuque. Plus de souffle. Un blanc. Puis la douleur.
Transporté à l’hôpital, on m’a dit :
« Deux millimètres plus près, et c’était la moelle. Vous ne marchiez plus. »
C’était passé si près.
Le médecin m’a regardé droit dans les yeux :
« Vous devez votre chance à votre ossature. Vous êtes robuste. Beaucoup ne s’en seraient pas sortis comme vous. »
J’ai eu peur. Mais je ne me suis pas effondré. J’ai encaissé.
Et surtout, je n’ai jamais tenu rigueur au cheval. Ni à la jeune fille. Ce sont des choses qui arrivent, quand on vit dehors, avec les bêtes, avec les risques. Fanny, elle, n’aurait jamais fait ça. C’était une jument d’une autre trempe. Ce jour-là, je l’ai aimée encore davantage.
Je suis remonté à cheval plus tard. Doucement. Avec précaution. Mais je n’ai jamais cessé d’aimer cette vie-là. Ces instants suspendus. Ce lien si pur entre un homme et une bête. Ces galops sauvages sur les crêtes du Var, avec le vent qui gifle le visage et l’odeur du pin chauffé au soleil.

