

Des Vinyles aux Pixels : L'Érosion du Contact
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Des Vinyles aux Pixels : L'Érosion du Contact
La musique, c'est peut-être la métaphore la plus crue de tout ce putain de désastre. Tu te souviens des vinyles ? La pochette, le poids du disque dans les mains, l'odeur du carton et de la poussière. Il fallait le sortir délicatement, le poser sur le plateau, baisser le bras et la pointe. Le crépitement avant le son, c'était comme un prélude sacré. Chaque album était un voyage, une œuvre complète. Tu l'écoutais d'un bout à l'autre, des deux côtés. Tu connaissais l'ordre des chansons, les silences entre elles, les interludes. Une expérience tactile, auditive, presque spirituelle. Et si tu voulais partager un morceau avec quelqu'un, il fallait l'inviter chez toi. La musique était une excuse pour le contact réel, un prétexte pour se retrouver, boire un verre, fumer une clope et laisser le son remplir la pièce.
Puis sont arrivées les cassettes. Moins nobles, mais pratiques. Puis les CD, brillants, avec leur son "parfait". Et enfin, le grand glissement. Le dématérialisé. Les fichiers mp3. Puis le streaming. Des millions de chansons à portée de clic. Une bibliothèque infinie dans ta poche. C'est génial, non ? Tu as accès à tout, tout le temps. Sauf que... tu n'écoutes plus vraiment. Tu zappes. Tu crées des playlists qui durent des heures, mais tu ne te souviens plus du nom de l'artiste. La musique est devenue un bruit de fond, une consommation rapide et jetable. Le rituel est mort. Le plaisir de la découverte profonde a été remplacé par la frénésie de la consommation.
Et c'est exactement ce qui est arrivé à nos relations. On est passés du vinyle au streaming. Avant, une relation, c'était comme un album. Il fallait le choisir avec soin, l'acheter, le ramener à la maison. Tu prenais le temps de le découvrir, ses imperfections, ses grooves. Chaque morceau était important, même ceux qui te plaisaient moins au début. C'était un engagement. Il fallait l'entretenir, le nettoyer, le protéger. Tu passais du temps avec, tu te posais pour l'écouter. Et quand tu le faisais écouter à quelqu'un, c'était un acte de partage intime.
Aujourd'hui, c'est le streaming amoureux. Des millions de profils à portée de swipe. On ne cherche plus l'album complet, on veut juste le "hit" instantané. On zappe au moindre signe de "static". On s'ennuie après trois minutes. On ne s'engage plus vraiment, parce qu'il y a toujours un autre "morceau" qui pourrait être mieux, plus excitant, sans les imperfections. On veut la gratification immédiate, le plaisir sans l'effort. On collectionne les "playlists" de rencontres sans jamais vraiment écouter la profondeur d'une seule "chanson".
C'est ça, la maladie de notre époque. Cette surabondance qui nous vide de notre capacité à apprécier. On a tout, mais on ne possède plus rien. On est entourés de connections, mais on est plus seuls que jamais. On est tellement gavés de présence numérique qu'on a oublié la valeur de la présence réelle. Et quand la nuit tombe, et que le silence s'installe, la réalité te frappe. La musique s'arrête, l'écran s'éteint, et il ne reste que le vide.
C'est à ce moment-là que tu te sens vide, que la gueule de bois frappe vraiment, non pas à cause du whisky, mais parce que tu es fatigué de cette course incessante à la "meilleure" version de la vie, de l'amour, de la musique. Tu as juste envie de boire pour oublier ce putain de vacarme constant, cette présence permanente de tout, qui t'empêche de vraiment vivre et de respirer. Boire pour que les pixels s'estompent, pour que les fantômes s'éloignent, pour retrouver ce vieux silence qui te permettait, au moins, de t'entendre penser.

