

Brêve rencontre
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Brêve rencontre
Cette histoire a été écrite il y plusieurs années
(Mylène, première histoire)
J’eus une légère appréhension en entrant dans cette pièce.
Faut dire qu'elle était amplement parfumée d'encens, et une petite boule de cristal côtoyait un bon nombre de jeux de tarots. Comme toute voyante qui se respecte, elle était bien équipée.
Elle me scruta fixement.
« Bonjour. Laissez-moi deviner; quelque chose vous perturbe. »
Ça commençait fort; elle devait être douée.
« En effet.
— Tenez, prenez un café, vous vous sentirez mieux »
J’acceptai ; c'était un petit geste sympathique qui me mettait à l'aise.
« Au travail, ça va ?
— Oui.
Elle me fixa deux minutes.
Elle était plutôt jolie, blonde de taille moyenne, à peine plus âgée que moi.
« Bon, alors allons-y. Je vois... que vos problèmes… sont plutôt… d'ordre affectif !
— Mais c'est extraordinaire ! Quel don de perception.
— Oui, c'est vrai.
Un peu inquiet, je croisai mes mains.
« Vous êtes nerveux ; je vois que vous buvez trop de café. »
Elle regarda sa boule de cristal ; plusieurs minutes s'écoulèrent, et elle ne disait pas un mot.
Au bout d’un moment, je commençai à m'impatienter.
« Euh... vous voyez quelque chose ?
— Eh bien, quel bavard pouvez-vous être! Merci de respecter cette boule, elle m’a coûté assez cher.
— Mais je respecte la boule; je voulais juste...
— Bon, taisez-vous; je ne ressens pas les perceptions vibratoires de cette boule récalcitrante.
— Mais ça ne va pas; je paie la séance, moi.
— Vous n'avez pas encore payé; on paye à la fin; que me racontez-vous là. Bon. Où en étais-je ? Ah oui, je me demande si ma boule de cristal est encore sous garantie. Il me semble bien que oui, même si, en général, ces boules ont toujours la manie de tomber en panne une fois la garantie expirée ; à propos je vais sûrement avoir besoin de vous.
— Comment ça ?
— Comment voulez-vous que je prouve que cette boule ne fonctionne pas si je ne produis pas de témoin? »
J'hésitai, entre un franc éclat de rire et une colère noire.
À nouveau, elle ne dit rien pendant plusieurs minutes.
Finalement, je commençai gentiment à m'énerver.
« Bon. Maintenant ça commence à bien faire!, dis-je en élevant la voix.
— Oh j'ai un flash : vous êtes d'un tempérament nerveux, vous vous emportez pour des riens; n'est-ce pas ?
— Euh... oui, je suis un peu comme ça, mais là, c'est...
— Allez, je prends les cartes »
Elle les mélangea, et me demanda de les couper en deux. Puis elle les étala sur la table.
« Au fait, vous avez une question ?
— Oui : j'aimerais savoir quand je vais rencontrer la femme de ma vie.
— Oui, oui… vous êtes tous pareils, vous, je regarde…»
À nouveau, elle se concentra plusieurs minutes ; je n'osais plus intervenir.
Et soudain, elle poussa un cri qui me fit bondir de ma chaise.
Je fus pris d'une inquiétude folle...
« Ça alors ! Ça alors ! Ça alors !
— Mais quoi, à la fin ?
— Vous êtes bien accroché ?
— Oui, oui, allez-y, maintenant.
— La femme de votre vie... c’est… c’est… moi!"
Je la regardai, avec son air un peu halluciné.
D"'abord, je voulus m'en aller. Ensuite, je me suis dit qu'au fond, elle ne me déplaisait pas non plus, un peu spéciale sans doute...
Et que de toutes façons, ça valait la peine d'écouter la suite.
« Ce sont vraiment les cartes qui vous disent ça ?
— Ah mais elles sont formelles ! Remarquez, ça ne m'arrange pas tellement.
— Ah bon?
— Non, je ne peux pas dire que vous me plaisez beaucoup. Mais bon, va bien falloir avec, si c'est moi la femme de votre vie, c'est moi, et c'est tout.
— Mais enfin c'est absurde.
— Ah mais non; ne mettez pas en doute mes tarots; ils sont certes moins chers que ma boule de cristal, mais au moins eux ils me parlent; quand je retourne les cartes, les images sont toujours là. Je vous assure, pour n'importe quelle carte il y a toujours une image qui apparaît quand je la retourne; ce n'est pas comme cette fichue boule, j'ai beau la tourner dans tous les sens, ça ne change rien.
Revenons aux tarots, je disais... ah oui; je suis la femme de votre vie; on a beau dire, ça fait bizarre.
— Vous pouvez vous tromper.
— Non, je n'ai aucun doute là-dessus : nous sommes faits l'un pour l'autre. Eh bien, ça ne va pas être gai; vous savez faire à manger, au moins?
— Oui, mais...
— Ah mais cessez encore une fois de m’interrompre ; je poursuis. »
Elle se concentra à nouveau...
« Mais c'est terrible ! Terrible ! Comment va-t-on faire ! Mais comment va-t-on faire ! »
Elle m'inquiétait, à nouveau.
« Mais quoi donc?, demandai-je, plein d'anxiété.
— Vous vous rendez compte : nous aurons des enfants ensemble!
— Ah oui... bien sûr... et pourquoi ce serait si terrible?
— Mais je sais pas si je veux des enfants!
— Ah oui, alors là c'est un peu gênant...
— Va falloir que je m'y prépare; si les cartes le disent...
— Dites, vous ne croyez pas que vous allez un peu vite ? Et comment voulez-vous ?..."
Elle m'interrompit brusquement et me gratifia d’un petit bisou...sur la bouche.
Je commençai à me poser des questions; je décidai d'y aller direct.
— Dites, par hasard, est-ce que ce n'est pas une façon de m'approcher, tout ce que vous faites, là ? Parce que, si vous voulez qu'on fasse ... enfin... disons... des choses ensemble… moi je ne suis pas forcement contre, ça fait longtemps que ça ne m'est plus arrivé... et ..."
Elle écarquilla les yeux et me dévisagea fixement, tant et si bien que je me sentis rougir.
« Qu'est-ce que vous me racontez là ? Seriez-vous devenu fou? D'abord, vous ne me plaisez pas beaucoup; ensuite, on ne couche pas avec moi comme ça. Faudrait d'abord penser à me séduire, vous ne croyez pas? N'oubliez pas qu'on est fait l'un pour l'autre. »
Je fus complètement décontenancé.
« Pourquoi m'avoir embrassé alors?
— Qui sait? Peut-être vous seriez-vous transformé en prince charmant...
— Ah merci... c'est agréable....
— Bon tant pis; faudra faire avec, vous êtes comme vous êtes, mais je vous préviens tout de suite : ne comptez pas sur moi pour le ménage, la lessive, la cuisine... je veux bien être gentille, mais il y a quand même des limites...
— Mais arrêtez, comment voulez-vous que…
— Taisez-vous; je vous le répète, les cartes sont formelles : je suis la femme de votre vie.
— Ah? Eh bien, moi, je ne veux pas, je crois que vous êtes trop...
— Que voulez-vous, on ne peut pas échapper à son destin.
— Mais ça ne pourra jamais arriver!
— Ah mais détrompez-vous.
— Bon, admettons, alors, mais comment...
— Mais arrêtez de m’interrompre ! C'est agaçant; et puis on va commencer par le commencement : comment va-t-on se rencontrer...
— Je vais vous apprendre quelque chose : je suis juste devant vous…
— Laissez-moi me concentrer, s'il vous plait..."
Et c'était reparti.
Au bout de quelques secondes, son visage s'éclaira.
— Regardez les cartes, elles indiquent qu'on vient de se rencontrer dans un contexte particulier, c'est dire... c'est drôle, je vois un objet, tout rond... tout sphérique plutôt... cet objet est encore sous garantie… vous voyez bien... un objet sphérique... c'est clair : c'est cette boule de cristal... faudra m’accompagner pour prouver que j’ai perdu la boule.
En tout cas, vous avouerez que vous ne pouvez plus mettre les tarots en doute.
— Ah oui, c'est merveilleux, en effet, dis-je ironiquement.
— Ensuite... je vois... que la première rencontre est plutôt brève... ah oui tiens... c'est vrai, une séance de voyance, ce n’est pas très long...
— Et moi, je vous dis, qu'une fois parti, vous ne me reverrez plus.
— Attendez... comment va-t-on être amené à se revoir... je me concentre... ah oui... voilà... d'accord...
— C'est-à-dire ?
— Voyons! Je ne vais pas tout vous dévoiler ! comment voulez-vous que le charme de nos futures rencontres opère si je vous dévoile tout à l'avance ? Un peu de romantisme, tout de même; pensez que nous allons vivre ensemble.
— Écoutez, je crois surtout que vous êtes...»
Mais elle cria, à nouveau.
— Qu'y a-t-il encore ?
— Nous allons vivre heureux.
— Ah et ça vous fait cet effet-la ?
— Parce que vous, si on vous annonce votre bonheur à venir, ça ne vous fait rien ? Je vous plains.
— Écoutez, je vous paie et je pars...
— Non, non, je n'ai pas fini.
— Oui, mais moi je veux partir. »
Elle me regarda bizarrement et prit un ton sec.
— Et où comptez-vous aller comme ça? En tant que femme de votre vie, j'ai le droit à des explications.
— Mais nous ne sommes pas ensemble, arrêtez donc !
— Cessez de ne pas croire aux cartes! Cela suffit ! J'attends.
— Quoi?
— Mais vos explications.
— Je veux simplement rentrer chez moi.
— Vous restez là. On n'échappe pas à la femme de sa vie »
— Ah oui mais non non non; ça ne va pas du tout, ce que vous dites.
Tout-à-l'heure, vous avez dit que la rencontre allait être brêve ...
— Bien sûr : la première rencontre est une rencontre brève, je vous l'ai dit. D'ailleurs, payez-moi »
Je ressentis un soulagement et lui donna les euros attendus.
« Bon; eh bien je m'en vais maintenant.
— Vous allez dans la cuisine maintenant.
— Dans la cuisine ? Qu'est-ce que j'irais bien faire à la cuisine ?
— Faire à manger, cette question ! il est bientôt l’heure de diner, vous n’avez pas de montre, vous ?
— Non non, je pars : brêve rencontre, n'oubliez pas.
Elle eut un instant d’hésitation, puis elle sortit de la pièce, sans prononcer le moindre mot.
J'attendis : une, deux, trois, cinq, dix minutes... (quelle patience)
Et je décidai de quitter la pièce à mon tour.
Je la vis au salon, étalée sur le canapé.
« Bon, écoutez, vraiment, je m'en vais maintenant"
— Comment ça ? Mais vous venez à peine d'arriver.
— Je suis chez vous depuis une heure!
— Non non, vous venez de quitter le cabinet de voyance, ceci est donc notre deuxième rencontre. »
Un instant, je fus figé sur place.
Mais je me repris : imaginons tout de même que je vive avec elle, je me demandais ce qui l'emporterait : l'amusement ou de l'agacement…
En attendant...
— Bon, d'accord, je reste ici; mais hors de question que j'aille à la cuisine »
Après tout, si elle voulait absolument que je reste là, alors… cédons.
Je me dirigeai vers le canapé, me mit à côté d'elle et l'entourai de mes bras
Quelques instants avant, je voulais partir… mais je dus quand même m’avouer que si je ne l’avais pas fait, cela était dû à ses exubérances qui exerçaient sur moi une certaine forme d’attirance.
Après quelques câlins fort agréables, je finis par dire :
« Comme stratégie, c'est très fort. Mais y a tout de même beaucoup plus simple »
Elle ne dit rien.
« Pourquoi vouloir que je reste, dire que vous êtes la femme de ma vie,
alors que vous dites que je ne vous plais pas, tout en jouant les allumées de première ?"
Elle eut, du moins il me semblait, un regard putôt sombre.
Je me rendis compte qu'elle habitait une grande maison, dans de vastes pièces;
Lorsque nous ne parlions pas, une sorte de froideur entourait ces murs; une ambiance morne, qu'elle voulait certainement compenser par une sorte de dérision permanente...
Elle eut un sourire tout en demi-teinte, et se murait dans un silence qui en disait long.
Au fond, moi ou un autre, cela avait-il vraiment de l’importance ?
Était-elle dans une quête désespérée de son âme sœur ?
C’est comme si je l’entendais murmurer :
« Je me sens seule... »

