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Là où vit le soleil [Chapitre 4]

Là où vit le soleil [Chapitre 4]

Publié le 19 août 2025 Mis à jour le 19 août 2025 Fantaisie
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Là où vit le soleil [Chapitre 4]

Had enough of heartbreak andpain

I had a little sweet spot for the rain

For the rain and skies of grey

Hello sunshine, won't you stay?


Bruce Springsteen, Hello Sunshine


Une heure plus tard, Margot traversait la rue déserte qui séparait le B&B Mackay du pub du même nom. Une homonymie typique des Highlands, où les clans avaient durant des centaines d’année structuré le territoire en traçant des frontières invisibles à travers tout le pays.


Sur la porte, elle ne put s’empêcher de remarquer l’affiche sur laquelle la photo d’une jeune femme souriante en tenue de randonnée était dominée par une inscription implacable écrite en rouge : Missing. Sans s’attarder, elle poussa le lourd battant et bascula dans un monde radicalement différent de tout ce qu’elle avait vu jusqu’à présent à Durness. De l’ambiance feutrée de la pension à la solitude gelée des rues de la ville, en passant par la lande battue par les vents, aucun des lieux dans lesquels elle s’était rendue jusqu’à présent ne lui avait laissé soupçonné qu’un tel bouillonnement de vie ne puisse exister dans un endroit aussi isolé. Si le village lui avait paru jusqu’à présent presque inhabité, le pub s’avéra en être le cœur battant et semblait concentrer dans ses quelques mètres carrés toute l’effervescence de la région.


La salle aux boiseries sombres résonnait de brouhahas joyeux et de conversations animées. Pourtant, les voix puissantes des Highlanders couvraient à peine le son du match de rugby diffusé sur l’écran géant qui surplombait le bar. À chaque action stratégique de l’équipe au chardon, les coups d’œil inquiets suspendaient comme par magie la cacophonie ambiante, avant que celle-ci ne reprenne de plus belle, enrichie de tintements de verres et de soupirs de soulagement.


Les odeurs de bière et de friture firent gronder son estomac vide, et elle chercha immédiatement des yeux l’avocat. Installé seul dans une alcôve à l’écart de la foule, il tournait le dos à l’écran comme un ado boudeur. Le nez plongé dans un épais dossier, il ne n’aperçut Margot que lorsqu’elle prit place en face de lui. À peine avaient-ils échangé deux mots, qu’un homme à la carrure impressionnante s’approcha de leur table. Avec ses longs cheveux roux retenus en catogan et sa barbe hirsute, il ne lui manquait plus que le kilt pour compléter la carte postale. Carnet à la main et torchon sur l’épaule, il s’adressa à eux d’une voix puissante qui domina sans difficulté le vacarme ambiant. Voyant Margot déconcertée par l’accent des Highlands, l’avocat prit le relais et indiqua leurs commandes. L’échange entre les deux hommes sembla glacial et lorsque le colosse s’éloigna, Margot crut percevoir pendant une fraction de seconde un regard noir lancé à l’avocat.


— Hamish Mackay, lança l’avocat visiblement offensé sans plus d’explication.


L’air interrogateur de Margot l’incita à continuer et il reprit tout bas, faisant tournoyer sa bière à moitié vide :


— J’ai grandi ici, vous vous souvenez ? Hamish et moi avons été dans les mêmes classes depuis la maternelle. Il me déteste cordialement depuis… et bien depuis toujours ! conclut-il avec un sourire en coin.

— Qu’avez-vous bien pu lui faire ?

— Je n’en garde aucun souvenir, ricana-t-il. C’est d’autant plus incompréhensible que c’est un Mackay. C’est l’une des familles les plus anciennes de la région et à Durness ils sont respectés comme des seigneurs. L’hôtel et le Pub sont dans la famille Mackay depuis des générations.

— Hamish et Moira sont de la même famille ?

— Tout à fait ! Hamish est le neveu de Moira. Autant dire son fils adoptif, car elle n’a jamais eu d’enfant. À son décès, il héritera de tout.


Margot repensa à l’échange entre la logeuse et l’avocat au sujet du rachat de la pension, et elle se dit que ce dernier était plutôt du genre à verser de l’acide sur les anciennes blessures. Elle commençait à se faire une image assez nette de l’avocat. Ses manières de business man, ses vues sur le B&B, et les demi-vérités qu’elle découvrait au fur et à mesure, renforçaient sa méfiance envers lui. Naturellement, elle ressentit une certaine sympathie pour le géant qui gérait le pub. Elle repensa alors à ce qui l’avait amenée à proposer ce déjeuner à l’avocat.


— Parlez-moi plus précisément des symptômes ressentis par les militaires qui ont approché la pierre.

— Je me doutais que vous reviendriez sur le sujet…


Au même moment, leurs assiettes apparurent devant eux, et l’avocat attendit que d’éventuelles oreilles indiscrètes se soient éloignées, avant de poursuivre :


— La plupart des personnes ayant été au contact de la pierre ont ressenti des symptômes allant de la simple gêne, aux maux de tête violents et vomissements. Il me semble que l’on a également répertorié un cas d’évanouissement. L’armée a bien sûr mené des tests : radioactivité, contamination chimique ou virologique… Ils n’ont rien trouvé. À chaque fois l’état de santé des sujets revenait parfaitement à la normale, une fois éloignés de la sphère.

— Vous avez vous-même ressenti un malaise ce matin ?

— Oui la pierre a aussi un effet sur moi, mais pas au point de ne pouvoir descendre dans le cratère. Cependant, je n’aime pas m’en approcher.

— Et comment expliquez-vous que le Capitaine Cameron et moi-même soyons épargnés ?

— Cela reste un mystère auquel nous espérons que vous pourrez répondre.

— J’aimerais voir les comptes rendus des médecins de l’armée si vous permettez.

— Ils seront dans votre boîte mail demain matin, promit-il.


De plus en plus dubitative, Margot termina son repas en silence, écoutant vaguement l’avocat lui parler de quelques souvenirs d’enfance. Lorsqu’il eut avalé son café, il se leva et laissa sur la table de quoi régler l’addition.


— Je reprends la route pour Édimbourg dès cet après-midi. Mon offre pour vous fournir une voiture tient toujours, et si vous avez besoin de quoi que ce soit, contactez-moi directement sur mon portable.

— Merci pour le repas.

— Je vous en prie. Profitez bien de votre séjour, et tenez-moi informé de votre décision pour la suite. À bientôt Miss.


Margot le regarda s’éloigner. La tête haute dans son pardessus impeccable, son attaché-case à la main, il ne semblait faire aucun effort pour se fondre dans le décor et s’intégrer parmi la faune locale. Elle commençait petit à petit à comprendre ce qui pouvait irriter le propriétaire du Pub.


Plongée dans ses réflexions, le nez dans son dessert, Margot fut tirée de ses rêveries par une tornade blonde qui venait de débarquer à sa table accompagnée d’un chien noir et blanc aux yeux d’ambre. En face d’elle, un petit bout de femme au sourire enjôleur l’observait de ses yeux ronds. Le menton posé dans ses mains, elle semblait attendre que Margot entame la discussion.


— Euh… je peux vous aider ? bredouilla-t-elle.

— Je suis sûre que tu as une histoire passionnante à me raconter ! commença l’inconnue avec un clin d’œil complice.

— C’est-à-dire ?

— Je connais ce Neil Hamilton. À vrai dire, tout le monde ici sait qui il est. Mon copain me soutient que tu dois être sa petite amie, et je lui ai dit que tu avais l’air bien trop sympa pour ça. Alors, je suis venue vérifier !

— Et tu es ? demanda Margot que le culot et le naturel de son interlocutrice commençaient à amuser.

— Nora Murphy, annonça-t-elle en tendant une main aux ongles vert pomme par-dessus la table, avant de poursuivre sur sa lancée. Hamish — le grand gaillard là-bas derrière le bar — est mon compagnon, et voici Wallace la mascotte des lieux, conclut-elle en caressant le chien à ses côtés qui se mit à remuer joyeusement la queue en entendant son nom.

— Enchantée Nora Murphy, répondit Margot en acceptant la poignée de main étonnamment ferme. Margot Gilliat, ajouta-t-elle sous le charme. Et pour répondre à ta question, Neil Hamilton est en quelque sorte mon employeur.


Elle hésita quelques secondes avant de poursuivre sur un air de confidence :


— Et tu as raison : ce genre d’homme ne m’intéresse pas.

— Française ? devina-t-elle.

— Oui, je suis arrivée de Paris hier matin.

— Paris ! Je t’adore déjà ! Viens avec moi, je vais te présenter Hamish.


Nora se leva d’un bond, suivie de près par Wallace qui trottinait derrière elle. En quelques enjambées souples, elle entraîna Margot avec elle jusqu’au bar où elle la présenta au propriétaire des lieux.


— Enchanté Margot. Hamish Mackay, salua-t-il. Bienvenue à Durness, j’espère que le coin te plaît ?

— Oui beaucoup. J’ai cru comprendre que tu es le neveu de Moira ? ajouta Margot après une légère hésitation.

— Tout à fait ! Et toi la nouvelle pensionnaire dont elle m’a parlé ? Scientifique, c’est ça ?

— Géologue. On m’a proposé une mission de plusieurs mois dans la région, et je dois donner ma réponse d’ici la fin de la semaine.

— Je me demande bien ce qu’une universitaire de Paris pourrait bien trouver d’intéressant par ici, objecta Nora.

— Tout le monde n’aspire pas à vivre dans le bruit et la foule, remarqua Hamish avant de se pencher vers Margot. Nora rêve de quitter Durness depuis toujours. À la première occasion, elle nous abandonnera Wallace et moi comme deux vieilles chaussettes, et partira vivre à New York, plaisanta-t-il.

— N’importe quoi ! Jamais je ne laisserais ce pauvre Wallace ! renchérit-elle.


Un sourire discret sur le visage, Margot observait le couple badiner comme s’ils étaient seuls au monde. Le géant roux et la blonde filiforme formaient un ensemble étrangement assorti et complice. Hamish sembla remarquer son silence et se tourna vers elle.


— Si tu as besoin de quoi que ce soit durant ton séjour, n’hésite surtout pas ! Comme tu peux le voir, le pub fait aussi office d’épicerie, de poste et très souvent de bureau des renseignements pour les touristes égarés, énuméra-t-il sur un ton amusé.


Margot avait bel et bien remarqué derrière lui les étagères enfouies sous un fouillis organisé. Les pâtes et les sachets de thé s’y disputaient la place aux côtés des kits de secours et du matériel de camping en tout genre. Son regard fut cependant attiré par une copie de l’affiche montrant la photo de la jeune femme disparue qu’elle avait vue sur la porte d’entrée du pub.


— Que lui est-il arrivé ? interrogea-t-elle en pointant l’affiche.


Hamish et Nora échangèrent un regard surpris avant que celle-ci ne prenne la parole sur un ton faussement détaché.


— Une Londonienne qui faisait le tour des Highlands en van au début de l’automne. J’ai bu quelques verres avec elle pendant les deux ou trois soirs qu’elle a passés ici. Une fille très sympa. Son van a été retrouvé à l’abandon près de la plage de Sandwood Bay à une trentaine de miles à l’ouest, environ une semaine après son départ.

— Elle n’a pas été retrouvée depuis ? s’étonna Margot.

— Non. Il y a eu quelques lignes dans la presse, puis plus rien. Le van n’était pas dans un super état et la police a conclu à un abandon de véhicule.


Un voile de résignation venait de passer dans son regard et Hamish qui l’avait remarqué attrapa la main de sa compagne avec tendresse.


— Ces parents ont appelé au pub quelques fois pour avoir des renseignements et ils ont fini par nous envoyer cette affiche que l’on a bien sûr accepté de coller, reprit Nora. On ne sait jamais si quelqu’un a vu quelque chose, non ? Je ne crois pas à la disparition volontaire ou ce genre d’hypothèse. Elle m’avait parlé de son fiancé qui l’attendait à Londres.


Nora sembla soudain très abattue. Le silence se fit dans le petit groupe et chacun parut perdu dans ces pensées un instant. Margot se dit qu’il était sans doute temps pour elle de retrouver la solitude douillette du B&B.


— Merci à tous les deux pour votre accueil, vraiment, annonça-t-elle.

— J’ai été ravie de faire ta connaissance Margot Gilliat de Paris, plaisanta Nora qui avait déjà retrouvé sa bonne humeur. Passe me voir au musée avant de repartir, ça me ferait très plaisir de t’offrir une visite privée, proposa-t-elle.

— Le musée ?

— Nora est la conservatrice du musée John Lennon, expliqua Hamish en bombant le torse.

— Conservatrice et propriétaire ! ajouta-t-elle.

— C’est vrai, concéda Hamish. Le musée est devenu une attraction locale depuis que Nora l’a repris.

— John Lennon ? Vous avez gagné ! Je suis très curieuse de voir ça, promit Margot.


En traversant la rue déjà sombre et déserte, Margot souriait de toutes ses dents et chantonnait malgré elle un air de pop anglaise vieillot qui résonnait encore quelques secondes avant dans le pub. Juste avant de pousser la porte de son hôtel, les mains dans les poches et le nez enfoncé dans son écharpe, elle s’accorda un dernier regard en arrière vers l’océan dont elle percevait le grondement tout proche et respira l’air glacial chargé d’embruns. Comme le matin même, son regard fut attiré par la petite fenêtre allumée juste en face. Une fois encore, le rideau fut rabattu à la va-vite avant que la lumière ne s’éteigne. C’était bien sa veine d’avoir emménagé juste à côté de la commère du quartier.


La mystérieuse pierre ne lui revint à l’esprit qu’une fois allongée dans son lit, et elle régla son réveil avant l’aurore, impatiente.




Photo de Chris Hardy sur Unsplash

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