

Par amour pour Kira
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Par amour pour Kira
Les portes s'ouvrent, et les passagers sortent du métro, certains calmement, d'autres précipitamment, chacun vaquant à ses occupations. Ils se rendent au boulot, à l'école, ou ailleurs...
Suivant le mouvement, je descends les marches du wagon d'un pas résigné. Frustré, en plein désarroi, je me demande : ai-je fait le bon choix ?
J'emprunte l'escalator, me laissant emporter par le mécanisme tout en ruminant des idées toujours plus sombres. Rien que d'y songer, je sens mon estomac se nouer. Mes mains tremblent, et la sueur s'écoule sur mon visage. Je pourrais encore rebrousser chemin, mais... j'ai beau ressasser, je ne vois pas comment faire autrement.
Dans la rue, je piétine, frôlant quelques inconnus que je remarque à peine. Plongé dans mes états d'âme, j'avance machinalement, ignorant la foule errante. Soudain, une voix familière m'interpelle, me ramenant à la réalité :
— Hé, salut Thomas ! Comment va ?
— Heu... bien, et toi ?
— Bah la routine, tu sais bien. Et la famille ? Kira va mieux ?
À l'évocation du prénom de ma petite sœur, mon cœur fait un bond. J'esquive la question pour cacher les émotions qui me submergent. Maladroitement, je lui réponds :
— Heu... ça va, elle est encore un peu malade. Il lui faut juste des... médicaments.
— Ah, ça va, c'est cool ! Elle va vite guérir, j'espère. Bon, je te laisse, à plus, Tommy !
— Ouais, c'est ça, à plus, Dan.
Il repart sans plus de cérémonie et m'abandonne là, comme un con. Nauséeux, j'ai du mal à déglutir ; le nœud dans mon estomac se fait toujours plus douloureux. Je dois me contrôler si je ne veux pas flancher. Je ferme les yeux et respire profondément.
Le visage enjoué de Kira émerge dans mon esprit, m'apportant un peu de paix... et de courage. C'est pour elle que je le fais, pour qu'elle puisse continuer à sourire. Déterminé par cette image, je reprends ma route.
Je progresse sur le trottoir. Un premier magasin... trop de monde. Un second... trop risqué. Un troisième... Je m'apprête à pousser la porte quand soudain, une autre voix m'interpelle :
— Bonjour Thomas. Comment ça va, mon garçon ?
Coupé dans mon élan, je dois reprendre mes esprits, laisser l'adrénaline retomber. J'hésite à lui répondre, mais je ne peux ignorer cette dame qui s'est toujours montrée gentille avec moi :
— Madame Desmet. Je... Oui, ça va, et vous ?
— Oh, moi, ça va bien aujourd'hui. Ma jambe me fait moins souffrir, et j'en profite pour me promener, comme tu le vois.
— C'est... heu... c'est une bonne idée.
— Mais tu n'as pas l'air bien, toi, Thomas. Tu parais inquiet et... tu es tout rouge. Tu es sûr que ça va ?
— Rien, Madame Desmet, juste quelques petits tracas, ce n'est pas grave.
— Et Kira, cela s'arrange-t-il pour elle ? Quand j'ai vu ta maman il y a deux jours, elle m'a dit qu'elle était assez mal...
— Kira est... malade, oui. Mais avec le traitement approprié, ça ira mieux... Je dois y aller, Madame Desmet !
— Oui, désolée de te retenir, j'ai tendance à beaucoup parler, tu sais bien.
— Ce n'est pas grave. Prenez bien soin de vous, Madame.
— Ah, Thomas ! Toujours aussi attentionné, je vois. Au fait, merci encore de m'avoir si gentiment aidée avec mes courses la semaine passée. Je ne sais pas comment j'aurais pu faire sans toi.
— Je... je vous en prie, Madame, c'était normal.
— Allez, tu m'as l'air pressé, mon garçon. Je te laisse à tes occupations.
— Au revoir, Madame.
— Au revoir, Thomas. Remets le bonjour à ta maman.
Elle s'engage dans le magasin, tient la porte, et me dit :
— Tu n'entres pas ?
— Non, heu... j'ai oublié quelque chose...
— Ah oui, d'accord. Bon, à plus tard, alors.
Qu'importe, je trouverai une autre boutique... Cette fois-ci, rien ne doit plus m'arrêter. Tant pis si je tombe encore sur une connaissance. Je crois que si on me parle encore une fois de ma petite sœur, je n'aurai plus la force de continuer. Une quatrième... sans intérêt. Une cinquième, une solderie... Il n'y a jamais grand monde...
« C'est pour Kira. »
Je balaie la rue du regard : personne. J'inspire un grand coup... C'est la seule solution. Je saisis la cagoule dans ma poche, l'enfile, attrape le revolver à ma ceinture et, sans plus réfléchir, j'entre précipitamment dans la boutique. Je me dirige aussitôt vers le comptoir, ignorant les éventuels clients, et pointe mon arme sur le vendeur :
— Vide ta caisse... connard !
Je réalise que ma voix manque de fermeté ; je réitère mon ordre sur un ton plus menaçant :
— Vide ta caisse et mets tout le fric dans ce sac !
Tout en lui lançant ledit sac, j'ai ce sentiment étrange de ne plus être la même personne. Je n'agresse pas les gens, moi... et pourtant, je suis là, le revolver à la main, à braquer une personne pour une poignée de billets. Je sens monter en moi la peur et l'exaltation ; l'adrénaline, je suppose.
Le commerçant reste un instant sans bouger, fixant le canon qui le menace. Il est choqué par la soudaineté de l'événement ; de mon côté, je vis cette scène dans une impression de ralenti.
— Allez, grouille-toi ou tu prends une balle, et je ramasserai le pognon sur ton cadavre !
J'ai la sensation d'être un de ces gangsters de films...
— Ou... oui, OK. Je te fais ça tout de suite. Reste calme, petit, hein ? Ne tire pas !
— Ne me parle pas comme ça, enfoiré ! Ou le petit va te faire un grand trou au milieu du front !
Il ne dit plus rien, s'activant maladroitement sans plus oser me regarder. J'observe frénétiquement la scène, craignant une réaction des clients, comme si l'un d'eux attendait la bonne occasion pour me sauter dessus. Pourtant, à bien y regarder, ils sont aussi effrayés que je le suis. Mais un autre sentiment surgit en moi à ce moment-là. Un sentiment que j'aurais préféré éviter : la culpabilité.
Ces gens, je les connais. Je les ai déjà croisés. J'ai même discuté avec certains d'entre eux... Le vendeur également ; un homme très sympathique et généreux. Que penserait Kira si elle me voyait faire ça ? Moi qui lui répète souvent que c'est mal de voler.
Je sens les remords m'envahir, mais je dois continuer. Elle a absolument besoin de son remède, et on ne peut pas se l'offrir. Je n'ai pas le choix.
— Allez, plus vite ! Je ne compte pas y passer la journée !
Il me fixe... A-t-il reconnu ma voix, mon regard ? Il me semble qu'il a dit « Petit » ; c'est comme ça qu'il m'appelle d'habitude. Peut-être est-ce dû à mon timbre de voix, qui n'est pas encore celui d'un adulte.
Il remplit rapidement le sac de toute la monnaie de sa caisse : presque rien...
Les rares clients présents n'ont pas l'air de bouger. Avec un peu de chance, je serai reparti d'ici une minute, et Kira aura bientôt le traitement dont elle a besoin. Mais, est-ce que ça suffira ?
Un bruit venant de l'extérieur attire brusquement mon attention ; j'ai à peine le temps de me retourner qu'un policier pousse la porte... Trop tard pour m'enfuir !
La situation prend une tournure inquiétante et commence à m'échapper. Je dois réagir. Par réflexe, je bondis de l'autre côté du comptoir. Mais l'agent m'a déjà vu, et il empoigne son pistolet :
— Police ! Lâchez votre arme !
— Non ! Toi, lâche la tienne !
— Fais pas l'con. Pose ton arme, sinon ça va mal finir pour toi !
— Non, je...
... Je ne peux pas laisser tomber. Je raffermis ma prise et, d'un air déterminé, pointe le canon vers le commerçant. Le regard du policier se durcit tandis qu'il braque son calibre sur moi :
— Lâche ton arme tout de suite ou je tire !
Le vendeur prend la parole, il s'adresse directement à moi d'une voix sans crainte et compatissante :
— Tu dois arrêter, petit, ça risque de mal se terminer pour toi. Je... Je sais pourquoi tu fais ça, mais si tu stoppes ça tout de suite, je ne porterai pas plainte.
Je comprends qu'il m'a reconnu... Ses paroles me déstabilisent et font flancher ma détermination. J'ai un instant d'hésitation, mais la réalité me rattrape : j'ai absolument besoin de cet argent ! Le policier reprend d'un ton menaçant :
— Dernier avertissement : pose ton arme. Maintenant !
Je réalise à quel point ma situation est désespérée. La seule sortie se trouve derrière l'homme qui me tient en joue, à deux doigts de faire feu. Si je tente quoi que ce soit, il passera à l'acte sans hésiter. Par contre, si j'abandonne maintenant, j'aurais peut-être une chance de m'en sortir.
Résigné, je m'apprête à me rendre... Pour poser le revolver, je fais un pas vers le comptoir.
Trois détonations résonnent.
Tandis que j'entends ces bruits assourdissants, je sens une brûlure dans la poitrine, une autre dans l'épaule. Le souffle coupé, le cœur battant, je m'écroule lentement au sol.
L'agent semble crier dans son talkie, mais je ne peux pas comprendre ce qu'il dit. Les coups de feu résonnent encore dans mes tympans, sourds comme mon corps heurtant le sol. Puis il s'approche, se penche sur moi, vérifie mon pouls. Il ôte ma cagoule et je vois son visage blêmir.
— Un gamin...
Il passe de la colère à la culpabilité, me regarde dans les yeux et me dit : « L'ambulance arrive, tiens le coup, petit. » Il me secoue et me parle pour me maintenir éveillé, tout en maintenant un linge sur mes plaies.
— C'est étrange... Les blessures par balles, ça ne devrait pas faire plus mal que ça ?
Bizarre, le genre de pensées qu'on peut avoir dans ces moments-là... J'attrape son bras, le regarde puis me tourne vers le vendeur. Je leur demande pardon : « C'était pour Kira... Médi... ments... »
Le monde semble s'effacer autour de moi, je ne ressens plus rien. Des images floues m'apparaissent et prennent forme.
— Kira, tu es si pâle... J'aurais aimé te rendre ce sourire. J'aime tant le voir sur ton visage, c'est trop tard maintenant... Je m'en veux tellement, j'ai tout gâché... Plus jamais tu ne t'endormiras dans mes bras... Plus jamais je n'entendrai ton rire me réchauffer le cœur... Par ma faute, tu es condamnée... J'espère que tu me pardonneras...
Une dernière larme et, dans un ultime souffle, je meurs sous le regard compatissant de l'homme qui m'a tué... Par amour pour Kira...
« ... Rubrique faits divers : Un jeune homme du nom de Thomas Artman a été abattu aujourd'hui, alors qu'il tentait de braquer une solderie dans le nord de Charleroi. Cet adolescent de 16 ans n'avait jamais eu de problèmes avec la justice. Le propriétaire de la solderie assure qu'il l'avait déjà vu à plusieurs reprises dans son magasin. Probablement que le jeune homme était venu en reconnaissance en prévision de ce braquage. Le policier présent sur les lieux... »
La fillette qui regarde les actualités pousse un cri horrifié en voyant son frère à l'écran. La télécommande qu'elle tenait lui glisse des mains et percute le sol bruyamment. Le choc de la nouvelle lui coupe la respiration pendant de longues secondes. Un torrent de larmes se déverse sur son visage ravagé par le chagrin.
Son monde, déjà vacillant, vient de s'écrouler complètement. Elle pense au fait que bientôt, elle ira rejoindre son frère à cause de sa maladie qui la pousse doucement vers la tombe...
Soudain, trois coups se font entendre à la porte d'entrée. La petite se lève difficilement et la rejoint. Quand elle ouvre celle-ci, elle voit un policier qui la regarde d'un air désolé :
— J'ai une mauvaise nouvelle pour toi, fillette...
— Vous l'avez tué ! Répond-elle en reconnaissant l'homme qu'elle a vu aux actualités peu avant.
— Oui... Je ne peux changer ce qu'il s'est passé et j'en suis profondément désolé. Dans le cadre de l'enquête, j'ai contacté le laboratoire pour comprendre les motivations de ton frère. Je leur ai tout expliqué et leur ai demandé de faire un acte de charité. Ce qu'ils ont accepté avec un peu d'insistance, moyennant une petite participation que mes collègues et moi avons réglée. Je ne cherche pas ton pardon, mais j'espère seulement que tu accepteras ce geste de notre part.
Kira avait baissé les yeux à l'instant où elle l'avait reconnu, n'osant plus regarder l'homme qui avait pris son frère... Cependant, en entendant ses paroles et sa voix chargée d'émotions, elle se décide à relever la tête pour plonger le regard dans le sien. Ce qu'elle voit n'est pas juste un policier en service. Mais un être aussi affligé qu'elle, les joues baignées de larmes et dont le regard est chargé de culpabilité.
Kira hésite un moment entre haïr cet homme et lui être reconnaissante en voyant la détresse dans laquelle il est plongé. La fillette attristée réalise qu'ils partagent ensemble la même peine.
Après une dernière incertitude, elle se lance dans ses bras et laisse libre cours à ses larmes. Surpris, le policier a un léger mouvement de recul puis, accueille la petite pleinement, qui est maintenant secouée de lourds sanglots.
Ému autant que soulagé par le geste de Kira, il ferme ses yeux encore humides et lui murmure des paroles réconfortantes...
De là où je suis, j'observe la scène. Je devine qu'il sera présent pour elle... Le fait de savoir que Kira aura désormais son traitement régulièrement m'apporte un grand soulagement. Je ne regrette plus mon acte, comprenant qu'au fond, il m'a amené à donner ma vie... Par amour pour Kira...
- FIN -

