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Chapitre 2 - Tu es mon pion

Chapitre 2 - Tu es mon pion

Publié le 12 avr. 2023 Mis à jour le 1 mars 2024 Aventure
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Chapitre 2 - Tu es mon pion

Hyperion regarda l'homme pendant quelques instants. Il n'était ni surpris ni apeuré ni même en colère contre lui. L'adulte se leva et le blond prit un peu de temps pour le regarder. C'était un homme plutôt grand, il devait bien mesurer un bon mètre quatre-vingt-cinq. Il était assez svelte, mais son corps semblait garder une certaine souplesse et une sorte d'élégance moqueuse dans chacun de ses mouvements. Ses cheveux mi-longs étaient aussi noirs et lisses que le plumage d'un corbeau. Des mèches folles, qui étaient un peu plus ondulées, encadraient son visage à la peau lisse d'une manière élégamment désordonnée. Son teint était pâle et même blafard, mais donnait l'air de rester un peu frais. Ses sourcils bien dessinés mettaient en valeur ses yeux.

C'étaient les deux mêmes lueurs que le blond avait vues dehors quelques instants plus tôt. D'un rouge profond et intense, mais à la fois lumineux et sombre. Mais le plus intrigant dans ses deux iris, c'était la pupille qui se trouvait au centre : une simple fente fine.

Il portait une chemise blanche immaculée et boutonnée jusqu'en haut et une cravate noire soigneusement nouée autour de son cou. Son pantalon était retenu sur ses hanches par une ceinture soigneusement bouclée et tombait sur ses chaussures noires. Ses mains, cachées par des gants noirs, laissaient pourtant deviner des doigts longs et fins.

— Bonsoir, monsieur, murmura l'homme d'une voix douce en inclinant légèrement la tête.

Il avait une attitude très particulière, à la fois humble et moqueuse. Le son de sa voix était si agréable à entendre, si envoûtant que s'en paraissait irréel. Il se dégageait de lui une grâce et une élégance rare et noble, sans paraître forcé ou exagéré.

— Tu es en retard, se contenta de répondre Hyperion d'un ton sec, mais à voix basse, en secouant la tête avec désapprobation.

— Oserais-je dire que c'est plutôt vous qui m'avez appelé plus tard que d'habitude ? fit observer son visiteur avec un sourire un peu narquois.

— Silence, feula le garçon en fronçant les sourcils d'un air mécontent.

Le blond soupira d'agacement en posant ses doigts sur ses paupières avant de planter ses yeux bleus dans ceux rouge vif de son interlocuteur.

— Qu'est-ce que tu attends, Severian ? siffla l'enfant avec impatience. Donne-le-moi ! Ne me dis pas que tu as oublié !

Severian Hunter se contenta de lui adresser son habituel sourire, à la fois mystérieux et moqueur, en plissant légèrement les yeux. Il posa une main sur son cœur et s'inclina dans une révérence élégante. Semblant le sortir de nulle part, l'adulte lui tendit un journal soigneusement plié.

— Certainement pas, young master, murmura-t-il en relevant un peu la tête pour le regarder dans les yeux.

— Je lirai ça plus tard, marmonna Hyperion en glissant le journal sous son lit avant de s'assoir sur le matelas, la mine lugubre.

— Vous m'avez l'air d'être de mauvaise humeur, monsieur, remarqua l'homme en posant un doigt ganté sur le coin de ses lèvres qui s'étirèrent en un sourire plus marqué, sa seconde main sous son coude. Auriez-vous eu une mauvaise journée ?

— Arrête de te moquer de moi ! le rabroua le blond en faisant attention de ne pas trop élever la voix. Tu sais très bien que je déteste ce vieux dragon de Davies et ses cours de français. Et puis, ce n'est pas pour discuter de ça qu'on devait se voir.

— J'avoue que je suis plutôt surpris, admit Severian en haussant légèrement les épaules d'un geste à la fois désinvolte et gracieux. Surpris que vous sacrifiez de votre nuit pour voir... quelqu'un comme moi.

— Quelqu'un comme toi ? répéta Hyperion avec un rictus moqueur, ayant remarqué sa petite pause.

L'adulte resta immobile quelques secondes, avant qu'un grand sourire n'étire ses lèvres fines. Ses dents étaient blanches, impeccables. Mais en étant un peu attentif, on remarquait quelque chose de troublant. L'homme n'avait non pas quatre canines comme les gens normaux, mais bel et bien huit. Ces huit crocs étaient d'ailleurs bien plus longs que la normale, mesurant près d'un bon centimètre. Ils semblaient luire dans l'obscurité de la chambre.

Si on associait la longueur inhabituelle de ces dents avec ses yeux rouges à la pupille en fente, on pouvait savoir que Severian n'était pas être humain normal. Sans compter qu'il était entré dans la chambre d'Hyperion en passant par la fenêtre, alors que le garçon dormait au premier étage.

— Ne faites pas l'innocent, jeune maître, susurra l'adulte en découvrant ses crocs pointus. Vous voyez parfaitement ce que je veux dire.

— En effet, admit le blond en laissant un sourire mince apparaître au coin de ses lèvres. Mais pourquoi es-tu surpris que je discute avec toi tous les soirs ? demanda-t-il, un peu curieux.

— Je pensais que vous ne voudriez pas vous mêler de cette affaire, expliqua le noiraud avec un gracieux haussement d'épaule désinvolte. Après tout, vous n'êtes qu'un être humain, un enfant de surcroît. Je pensais que vous auriez préféré me laisser enquêter seul.

— Hors de question ! s'écria Hyperion d'une voix forte.

— Monsieur ! protesta Severian d'une voix précipitée qui ressemblait à un feulement.

Mais avant même qu'aucun des deux ne puisse dire un seul mot de plus, il y eut le bruit d'une porte qui claquait. Puis, il y eut un son qui semblait être des pas étouffés par le tapis.

— Quelqu'un vient ! signala l'adulte en parlant à toute vitesse, tournant vivement la tête vers la porte.

Hyperion ouvrit la bouche tel un poisson hors de l'eau, mais aucun son ne sortit de sa gorge serrée. Il la referma et posa sa main dessus. Il venait de faire une bêtise énorme, la plus énorme qu'il n'ait jamais faite de toute sa vie !

Il croisa le regard de Severian avant que ce dernier ne plisse les yeux. Ses iris rouges semblèrent s'éclairer, comme si de petites étincelles s'étaient allumées.

Le blond n'eut plus le temps de dire quoique ce soit ou même de bouger le petit doigt d'un millimètre que quelqu'un le souleva du sol. L'homme aux cheveux noirs l'avait pris dans ses bras avant de se précipiter vers son lit. Il y déposa vivement le garçon qui resta assis sur le matelas, hébété. Hyperion regarda son visiteur se ruer sur la fenêtre qu'il ferma à toute vitesse avant de tirer les rideaux. Il revint vers l'enfant et jeta la couette sur lui avant d'appuyer sur ses épaules pour l'allonger de force sur son oreiller.

La porte s'ouvrit à la volée, et le visage éclairé par les bougies de Jones apparut. La respiration courte, Hyperion tourna la tête pour regarder Severian, mais la place qu'il occupait une fraction de seconde plus tôt était vide. Le noiraud avait disparu. Juste derrière le majordome, les têtes de James et Amelia sortirent de l'obscurité, visiblement inquiet pour leur fils. La blonde s'approcha du garçon, son visage doux déformé par la peur.

— Tout va bien, mon chéri ? demanda-t-elle avec précipitation, le souffle court.

Jones s'approcha et posa le chandelier qu'il tenait à la main sur la table de chevet, diffusant une lumière orangée dans la chambre. Soudainement, comme si la boule qui était dans sa gorge se débloquait, Hyperion parvint à respirer. Il haleta quelques secondes et se redressa dans son lit, avant de tourner de nouveau les yeux vers l'endroit où son visiteur s'était tenu. Un léger mouvement dans l'obscurité de son plafond attira son attention.

Le garçon leva ses yeux bleus lentement, et vit une nouvelle fois deux points rouges luire dans le noir. Il ne fallut que quelques secondes pour qu'il s'habitue à la faible luminosité et il fut surpris du spectacle qui semblait prendre vie devant lui.

Ses parents étaient autour de lui, le visage anxieux, tentant de comprendre ce qu'il se passait. Le majordome se tenait à côté en silence, sans lâcher des yeux le cadet de la famille.

Et au-dessus de leurs têtes, suspendu la tête en bas au lustre, il y avait Severian.

— Qu'est-ce qu'il y a ? insista James pour la troisième fois, sentant l'inquiétude l'envahir.

— C-ce n'est rien, murmura Hyperion en voyant son visiteur nocturne poser son doigt sur ses lèvres pour lui faire signe de l'ignorer. J-j'ai... j'ai simplement fait un cauchemar...

— Tu es sûr que tu vas bien ? s'inquiéta sa mère. Jones, préparez-lui...

— Non, coupa directement le blond, voyant dans ce début d'ordre des complications supplémentaires. Je n'ai besoin de rien, je vous assure. Je vais me rendormir très rapidement, ça ira. Je suis désolé de vous avoir dérangé pour si peu.

— Ce n'est pas grave, le rassura le père de famille en lui adressant un sourire chaleureux. Bon, très bien, nous allons te laisser.

— Fais de beaux rêves, maintenant, chuchota doucement Amelia en déposant un baiser sur son front.

— Merci, Mère, répondit Hyperion en se forçant à ne pas lever les yeux vers son plafond. Passez une bonne nuit également.

Jones récupéra son chandelier et accompagna les deux adultes jusqu'à la porte qu'il ouvrit. Avant de sortir, la blonde se retourna et envoya un baiser en l'air à son fils. Ce dernier se força beaucoup pour lui adresser son plus beau sourire avant que le majordome ne referme la porte, replongeant la chambre dans le silence et le noir.

Hyperion se laissa tomber sur l'oreiller en poussant un profond soupir peu discret, laissant s'échapper la pression qui était devenue de plus en plus grande au cours de cette simple minute. Il se mit sur les coudes et leva de nouveau la tête pour regarder l'homme toujours suspendu à son lustre.

— C'est bon, murmura-t-il à son adresse. Tu peux arrêter de jouer à la chauve-souris, descends de là...

Severian se laissa glisser et tomba de son perchoir. En l'air, il se retourna et atterrit les deux pieds sur terre sans un seul bruit. Il se redressa en une fois, un rictus moqueur aux lèvres.

— Une chauve-souris ? répéta-t-il à voix basse en haussant un sourcil

— Quoi ? interrogea Hyperion avec un sourire malicieux. Je ne suis pas loin de la vérité, non ?

Son visiteur eut une moue indignée, avant de croiser les bras sur son torse.

— La transformation fait bel et bien partie de mes pouvoirs, admit le noiraud avec un petit soupir désespéré, mais je ne suis pas exactement une chauve-souris.

— Revenons à notre conversation, rappela le blond en s'asseyant en tailleur. Où en étions-nous ?

— Au magnifique « Hors de question » que vous avez hurlé dans tout le manoir, répondit Severian avec cet insupportable air narquois.

— Boucle-là ! siffla Hyperion en détournant le regard, pourtant conscient qu'il avait parfaitement raison.

— J'aurais pu vous dire la même chose, my lord, fit observer l'homme avant de passer une main dans ses cheveux. Cela faisait un moment que je ne vous avais pas vu vous emporter de cette façon.

Le blond poussa un long soupir de dépit, vaincu par les paroles de son visiteur. Il était vrai qu'il avait pris un risque énorme, mettant plusieurs choses en danger à cause d'un seul écart. Il avait risqué sa liberté, son secret, son seul lien avec le monde extérieur...

— Désolé, marmonna le garçon en fixant sa couette, lui donnant l'air d'un gamin se faisant gronder. Je n'aurais pas dû me laisser dominer par mes émotions. Ce n'est pas mon genre. Mais je maintiens ce que j'ai dit, continua-t-il en adoptant un ton plus dur, toujours à voix basse, il est hors de question que je te laisse mener cette enquête tout seul !

— C'est ce comportement qui m'étonne le plus chez vous, commenta Severian en se frottant légèrement le menton avec un doigt. Et qui m'intéresse beaucoup, également. Vous êtes plutôt audacieux pour un jeune humain.

— Tu as fini ? interrogea Hyperion qui ne comprenait pas le sens de cette soudaine tirade. Ce n'est pas pour entendre ce genre d'idioties que je t'ai appelé. Qu'as-tu découvert à Londres ?

— Rien du tout.

Un long silence suivit cette réponse courte et directe. Le blond fixa l'adulte pendant une bonne dizaine de secondes. Severian avait simplement fermé les yeux de déception. Le visage du garçon se déforma en une expression d'incrédulité.

— Comment ça, rien ? demanda-t-il d'une voix hébétée. Pas même l'identité du criminel ?

— Si, bien sûr que si, répondit précipitamment l'homme aux cheveux noirs en rouvrant les yeux. Je voulais dire que je n'ai rien découvert d'intéressant en lien avec notre affaire.

— Bon, soupira Hyperion avec du dépit accentuant légèrement sa voix. On aura essayé cette piste. Qui était le coupable ? interrogea-t-il sans grande conviction.

— Un simple tueur qui se focalisait sur des enfants, détailla Severian comme s'il parlait de la météo. Rien à voir avec l'organisation que nous recherchons, il agissait seul pour le simple plaisir de faire souffrir les gens. Je l'ai arrêté cet après-midi, comme vous me l'aviez demandé, et j'ai laissé les miettes à Scotland Yard.

— Les miettes ? répéta le garçon en relevant la tête pour le regarder dans les yeux. Tu l'as...

— Ne me dites pas que cela vous choque, sir, murmura l'homme avec un sourire cruel et féroce. Vous savez parfaitement que les... gens comme moi ont des méthodes assez drastiques. Et puis, vous m'en avez vous-même donné l'ordre.

Pour la première fois depuis le début de la soirée, un sourire sincèrement satisfait étira les lèvres d'Hyperion et illumina son visage d'une expression à la fois joyeuse et malfaisante. Si les parents du jeune Prince l'avaient vu ainsi, ils auraient pu penser que leur fils était bon pour entrer dans un hôpital psychiatrique dans la seconde. Cela aurait pu être la pensée de n'importe quel domestique de la maison également. Mais visiblement, cette mine aussi étrange que lugubre ne semblait pas inquiéter Severian qui garda son sourire, les sourcils légèrement froncés et les yeux imperceptiblement plissés.

— Et tu as très bien fait ton travail, commenta le blond d'une voix rauque, remplie de satisfaction et de joie. Ce genre de pourriture peut bien disparaître, ça m'est parfaitement égal ! Même si nous n'avons pas avancé d'un pouce dans notre enquête, c'est déjà un indésirable de moins. Beau travail, Severian, félicita-t-il le plus honnêtement du monde.

— Merci beaucoup, monsieur, répondit l'intéressé en s'inclinant. Mais malheureusement, nous n'avons plus aucune piste à suivre, maintenant. Cela va faire deux ans, maître, que nous menons ces recherches sans le moindre petit résultat.

— Si tu as quelque chose à dire, fais-le, rétorqua Hyperion en croisant les bras d'un air soudainement renfrogné.

— Pourquoi vous acharnez-vous à ce point ? interrogea Severian en haussant un sourcil inquisiteur. Ils se sont évanouis dans la nature, ils sont peut-être même morts depuis la dernière fois. La police a abandonné la partie, pourquoi pas vous ?

À ce moment, une pensée traversa l'esprit du garçon. Pourquoi n'avait-il pas lâché prise comme Scotland Yard l'avait fait il y a un an et demi, après six mois de recherches intensives ? Pour lui, la réponse était limpide, comme inscrite dans le fond d'un bassin en pierre remplie d'une eau translucide, sans la moindre impureté. Parce qu'il s'acharnait à résoudre les mystères que d'autres avaient laissé tomber. Il s'accrochait comme Sherlock Holmes le faisait lors de ses enquêtes.

Mais plutôt que d'extérioriser le fond de sa pensée, Hyperion se leva d'un bond. Il sauta en bas de son lit, la mâchoire si serrée qu'il en avait mal aux dents. Ses ongles s'enfoncèrent dans la paume de son poing fermé. En trois pas, il fut devant Severian et lui appliqua une puissante gifle en plein visage.

Les yeux écarquillés, l'homme ne fit rien, visiblement trop surpris de cette réaction si violente. Sans prêter la moindre attention à sa joue douloureuse, il tourna simplement la tête vers le garçon de treize ans qui le toisait, malgré le fait que le blond soit une quarantaine de centimètres plus petit. Les yeux bleus d'Hyperion se plantèrent dans ceux rubis de son interlocuteur, comme s'il était impossible de s'en détacher. La colère animait les prunelles du premier, l'étonnement éclairait celles du second.

— Retire ça tout de suite ! feula le plus jeune avec rage.

— Certes, monsieur, mais quoi donc ? demanda Severian en prenant une voix neutre et un visage impassible.

Ce commentaire lui valut de se prendre une autre gifle sur l'autre joue qui sembla résonner aux oreilles d'Hyperion. Sans plus aucune surprise dans le regard, l'adulte tourna de nouveau la tête pour regarder le garçon. Ses yeux s'efforçaient de ne rien laisser paraître, mais on pouvait clairement y déceler de l'agacement et un fond de mépris.

— Ce que tu viens de dire ! siffla le blond en se forçant à parler à voix basse. Comment oses-tu ?

— Oser quoi, sir ? interrogea le noiraud sans le lâcher du regard en remuant à peine les lèvres.

— Comment oses-tu suggérer que j'abandonne mon enquête ? gronda Hyperion, les poings tremblant de rage. Serais-tu entrain de m'enjoindre à arrêter mes recherches sur les criminels qui ont tué mon frère et ma sœur ?

Ses yeux saphir semblaient brûler d'un feu furieux qui se répandait dans tout son corps, le consumant, le couvrant de haine. Après plusieurs secondes de silence à se fixer, Severian brisa le contact visuel en fermant les yeux, lâchant un profond soupir. Il posa sa main sur sa poitrine et posa un genou à terre, la tête baissée dans une attitude asservie.

— Je vous prie d'excuser mon insolence, jeune maître, murmura-t-il avec une voix d'où transpiraient des regrets. Je n'aurais pas dû dire ça, c'était déplacé de ma part.

Hyperion l'observa longuement sans dire un mot, sa mâchoire était crispée en une expression de mépris et de dégoût. Il fit quelques pas en arrière et se laissa tomber sur son lit, son regard vissé sur la nuque de l'adulte.

— Arrête ton cirque, Severian ! cracha-t-il, absolument pas amadoué par le geste du noiraud. Je sais très bien que tu n'éprouves aucun remords. Tu en es même incapable. Mais bon, pour cette fois, je vais faire comme si je n'avais rien entendu... Après tout, tu ne peux pas comprendre ce que je ressens. Et de toute manière, ce n'est pas pour ta compassion que je continue de te supporter. C'est uniquement parce que tu as les talents que je recherche.

— Et que je les mets entièrement et exclusivement à votre service, compléta l'adulte en redressant la tête.

— Cependant, reprit le garçon d'une voix dure, je t'interdis de me refaire une telle proposition à l'avenir ! C'est un ordre !

— À votre service, my lord, se plia Severian en esquissant de nouveau un sourire, ses yeux rouges pétillants dans le noir. J'obéirai, peu importe vos désirs.

— Et sache que je n'abandonnerai jamais et je continuerai, peu importe les sacrifices. C'est exactement la même chose qu'une partie d'échecs. Et même si mon dernier pion sur le plateau, c'est toi, je poursuivrai jusqu'à la fin, jusqu'à ce que je puisse clamer haut et fort « échec et mat ».

— Ainsi soit-il, sourit Severian, visiblement satisfait de ce constat. Je serai votre serviteur jusqu'à ce que je puisse moi-même annoncer votre victoire à la terre entière. J'étais presque certain que vous étiez trop déterminé pour abandonner, mais je voulais tout de même vérifier.

— Tu me testais ? s'offusqua Hyperion, choqué que l'homme ait pu mettre en doute son entêtement. Bon, peu importe, souffla-t-il en guise d'abandon. Pour l'heure, nous avons un problème un peu plus grave que cette chamaillerie ridicule.

— En effet, admit le noiraud en se redressant souplement avant de replacer une mèche de cheveux ondulée derrière son oreille, rendant son visage encore plus beau qu'avant.

— Nous devons trouver un autre moyen de nous retrouver. Nous avons failli être découverts ce soir.

Severian haussa un sourcil un peu moqueur, l'air de dire « la faute à qui ? ». Le blond croisa son regard et fronça les sourcils d'un air légèrement agacé. D'accord, il avait compris qu'il avait fait la plus grosse erreur de toute sa courte vie. Il était inutile de remettre de l'huile sur le feu.

— Je suis d'accord avec vous, monsieur, murmura l'adulte en passant un doigt ganté sur sa lèvre inférieure. Mais dites-moi, avez-vous une solution miracle ? Je ne pense pas qu'il serait très avisé qu'un parfait inconnu comme moi se présente à la porte d'entrée du manoir et demande directement à vous parler.

— Ce ne serait pas très discret et intelligent, ricana Hyperion avec un hochement de tête.

Un petit silence retomba dans la chambre. Les deux interlocuteurs semblaient pensifs, plongés dans leurs pensées pour trouver une solution. Soudainement, le visage du garçon s'illumina et un sourire à la fois cruel et narquois apparut avant qu'il ne lève la tête. Son regard se posa sur le visage songeur de Severian. L'homme se rendit sûrement compte qu'il était observé, car il leva les yeux vers le blond. Il haussa les sourcils en voyant la mine sournoise du plus jeune.

— Puis-je savoir à quoi vous penser, jeune maître ? interrogea-t-il, l'air moins assuré qu'il y a une minute.

— Je crois que j'ai une idée... murmura le blond avec un air malicieux. Tu n'as qu'à devenir un domestique.

— Pardon ?! s'exclama Severian, visiblement très offusqué par les propos de l'enfant.

Son visage si beau et élégant s'était tordu sous son expression choquée. Ses yeux s'étaient écarquillés, comme si Hyperion l'avait insulté de la manière la plus grossière qui soit. Il avait serré les dents, laissant une canine longue dépasser de quelques millimètres. Le blond ne put s'empêcher de rire un peu devant l'effet qu'il avait provoqué chez l'adulte.

— Qu'est-ce qu'il y a, Severian ? demanda paisiblement Hyperion.

— Vous voulez que... que moi, je joue les domestiques devant un groupe de vulgaires mortels ? balbutia le noiraud, ne semblant toujours pas en revenir. Monsieur, vous n'êtes pas sérieux ? interrogea-t-il, espérant qu'il s'agissait d'une mauvaise plaisanterie.

— Oh que si, je suis très sérieux même, le démentit le garçon avec un air malicieux animant ses yeux bleus. Tu voulais une solution miracle, j'en ai trouvé une. En devenant un domestique dans ce manoir, nous pourrions nous voir sans nous cacher.

— Ce sont des propos très vexants, maître ! protesta l'adulte en secouant la tête avec désapprobation. Et puis, je doute que vous discutiez couramment avec les gens qui nettoient votre manoir.

— Tu n'as pas tort, admit Hyperion en reprenant une expression un peu plus sérieuse, mais en gardant une voix toujours aussi enjouée. De plus, je ne parle presque pas au personnel, ce serait suspect si je me mettais à tailler une bavette avec un nouveau serviteur. Cela dit, je pense que j'ai un deuxième plan, qui pourrait te convenir.

— Je suis à vos ordres, sir, rappela Severian, quoiqu'avec réticence dans la voix.

— Si tu n'as pas envie de passer le balai, j'ai peut-être un autre poste qui t'éviterait l'humiliation que tu redoutes tant. Tu n'as qu'à devenir mon précepteur, mon père parlait d'en engager un ce matin même.

— Puis-je savoir quelle est la différence ? interrogea l'homme en haussant un sourcil sceptique. Je ne connais pas vraiment les différents échelons chez les domestiques des humains.

— Un précepteur est une personne qui est chargée de l'éducation des enfants qui ne vont pas dans une école, qu'elle soit publique ou privée. Autrement dit, ils sont les professeurs des enfants des nobles, comme moi. Moi, j'ai toujours eu plein de professeurs pour les différentes matières, et je ne dirais pas non s'il était possible que je ne revoie plus jamais cette vieille chouette de Davies. Je pense que c'est un peu plus facile pour ton égo que de nettoyer les couloirs.

— Cette tâche ne semble pourtant pas de tout repos, commenta Severian d'un air songeur. Et j'ai beau avoir pas mal de connaissances qu'ont les mortels, je ne pense pas avoir toutes les qualifications requises pour ce travail. Mais il est vrai que je le préfère encore au ménage.

— Tant qu'on parle de qualification, reprit Hyperion, satisfait qu'il accepte de considérer cette option, mon père voudrait un précepteur qui joue également le rôle de valet. Bref, quelqu'un qui va faire les baby-sitters avec moi pour que je ne sois pas dans ses pattes. Tu aurais intérêt à apprendre les ficelles du métier.

— Ça fait une sacrée quantité de choses à apprendre, tout de même. Un humain normal en aurait pour plusieurs années.

— Quelle heureuse coïncidence ! lança le garçon avec un ton railleur. Tu n'es pas normal, et tu es encore moins un humain. Il vaudrait mieux pour toi et pour moi que tu t'inities très vite à ce métier. Tu penses que tu en auras pour combien de temps ?

— Il faut que j'approfondisse mes connaissances des langues, et un peu de la musique, répondit Severian en se pinçant le haut du nez, les yeux fermés et les sourcils froncés sous la réflexion. Et pour ce qui est du métier de valet, il faut que je commence mon apprentissage de zéro. Je dirais que d'apprendre tout ça me prendra... entre une semaine et dix jours, au maximum.

— Parfait, murmura Hyperion avec un sourire ravi. Je pense que tu as déjà acquis les bonnes manières et la politesse nécessaire pour faire ce travail, ce qui est plutôt un soulagement.

— Je ne pouvais pas me permettre de me montrer impoli avec vous, jeune maître, murmura Severian en lui adressant un petit sourire de reconnaissance. Aussi étrange que cela puisse paraître pour vous, je n'ai pas passé ma vie à ne rien faire, et j'estime avoir acquis pas mal de savoirs.

— Ce qui n'est pas pour me déplaire, bien au contraire, s'amusa le garçon. De mon côté, je pense qu'il est temps que je devienne un peu plus insupportable envers mes parents et les domestiques. Il faut que je les pousse à embaucher un précepteur le plus tôt possible. Si je les agace et que je suis sans cesse dans leurs pieds, ils se décideront peut-être à avancer la date de ce projet.

— Monsieur, que faisons-nous s'il y a une enquête à mener sur le temps où je m'instruirai ? interrogea l'adulte, soulevant une question plutôt intéressante et importante. Faut-il que nous remettions les affaires à plus tard pour privilégier mon apprentissage ?

— Non, assura immédiatement le blond. S'il y a un crime qui pourrait être en lien avec notre enquête, ce sera notre priorité numéro un ! Ce que je veux en te transformant en précepteur, c'est faciliter nos discussions... et me débarrasser de la vieille chouette.

— Mais avez-vous pensé au fait que je ne pourrai plus enquêter pour votre compte si je suis auprès de vous ? fit observer le noiraud en haussant un sourcil inquisiteur. Me libérer pour résoudre les crimes à Londres alors que je dois travailler ici, à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale, sera beaucoup plus compliqué.

— Ce n'est pas faux, admit le garçon en se frottant le menton d'un air songeur. Mais nous trouverons des prétextes pour nous rendre à Londres. Je pense être capable de trouver suffisamment d'excuses pour faire ce voyage.

— Très bien, faisons ainsi, dans ce cas, conclut l'homme en souriant. Y a-t-il un autre sujet que vous voudriez aborder avec moi, sir ? Dans le cas contraire, je pense m'éclipser pour me mettre au travail le plus rapidement possible.

— Attends encore un peu, Severian, je voudrais voir encore quelques petites choses avec toi. Notamment s'il y a une potentielle enquête que tu devrais mener à Londres. As-tu déjà lu le journal, ce matin ? demanda Hyperion en repoussant une mèche de cheveux blonds qui tombait devant ses yeux.

— Je n'en ai pas eu le temps... répondit le noiraud en secouant la tête en signe de désapprobation. Ce matin, j'ai été plutôt occupé, car notre tueur d'enfants s'était levé aux aurores et avait déjà frappé. Comme vous m'aviez dit de régler cette affaire dans les plus brefs délais, je n'ai pas pris le temps de lire le journal. Je l'ai simplement réceptionné pour vous, puis je l'ai mis de côté. Au final, après avoir réglé ce contretemps, ça m'était sorti de la tête et j'ai totalement oublié de le lire.

— Ce n'est pas grave, le rassura le blond en se penchant pour reprendre le magazine sous son lit. Allume une bougie, Severian.

L'intéressé contourna le lit et s'approcha de la table de chevet. Il prit la boîte d'allumettes qui était posée dessus et en craqua une pour allumer le chandelier. Les bougies diffusèrent une faible lumière jaune orangé sur la couette blanche. Hyperion étala sur le lit son exemplaire du Daily Telegram et l'encre ressortit sur le papier dès qu'il fut exposé à la luminosité. Le garçon tapota légèrement le matelas à côté de lui pour faire signe à Severian de s'assoir à côté de lui.

L'homme s'assit au bord du lit et sortit d'une poche de son pantalon des lunettes à verres ovales. Il les posa sur le bout de son nez, rendant son visage plus que beau, il en devenait presque aristocratique. Tous les deux se penchèrent sur le journal et examinèrent les titres qui remplissaient la première page.

À première vue, rien dans les gros titres n'indiquait qu'il s'était produit quelque chose d'exceptionnel dans le pays. Le garçon excluait bien entendu le « LE TUEUR D'ENFANTS SÉVIT DE NOUVEAU À LONDRES » qui apparaissait en grands caractères en plein milieu de la feuille, puisque Severian lui avait annoncé que cette affaire était classée depuis la fin de l'après-midi.

Mais Hyperion ne s'arrêtait jamais en ne voyant rien d'intéressant sur la toute première page. Il parcourait tout le journal pour vérifier qu'il n'y avait pas une affaire qui paraîtrait si insignifiante qu'elle ne faisait pas la une. Cependant, au fil des pages, il ne vit rien qui pouvait s'apparenter à un autre crime.

— C'est à la fois décevant et rassurant, murmura Hyperion en tournant une nouvelle page.

— En effet, admit Severian en remontant un peu ses lunettes sur son nez. Le seul méfait rapporté est un simple vol. Rien de bien fascinant ou original. Je pense que Scotland Yard aura tôt fait de retrouver le coupable.

— Néanmoins, le voleur aurait pu essayer de s'en prendre à une autre boutique, ricana le blond avec sarcasme. Aller cambrioler cette bijouterie était plutôt audacieux ; c'est un magasin de grand renom.

— Comment le savez-vous ? interrogea l'adulte avec curiosité. Je ne vous savais pas aussi cultivé concernant les boutiques.

— Je ne le suis pas, sourit Hyperion en toute honnêteté. Je la connais uniquement parce que ma mère y a acheté plusieurs colliers pour pouvoir se pavaner avec les gens de la bonne société.

Ils parcoururent les dernières pages du Daily Telegram et le jeune garçon grimaça en voyant la liste des ragots et des potins qui étaient racontés sur toute une face d'une grande feuille.

— Rien du tout, soupira-t-il en s'appuyant sur les coudes. Ça te laissera quartier libre pour travailler ta musique, lança-t-il avec un sourire moqueur.

— En effet, monsieur, admit Severian en souriant à son tour d'un air malicieux. Nous verrons qui de nous deux sera le plus doué quand je serai votre précepteur.

— Tu peux reprendre le journal avec toi, répondit Hyperion en ignorant la provocation. Il vaudrait mieux pour moi que mes parents ou que les domestiques ne le trouvent pas dans ma chambre.

— Très bien, sir, je le ferai, assura le noiraud en retirant ses lunettes pour les ranger avant de secouer la tête. Souhaitez-vous autre chose avant que je vous quitte ?

— Je pense que nous en avons assez fait pour ce soir, souffla le blond en marchant à quatre pattes pour s'affaler sur son oreiller. Par contre, je te demanderai de t'installer dès demain matin dans le village le plus proche plutôt que de repartir à Londres.

— Comme vous voulez, monsieur, murmura l'homme en s'inclinant légèrement.

— Aussi, je pense que je ne t'appellerai pas dans les jours à venir, pour que tu puisses t'impliquer le plus possible dans ton travail. Pense simplement à lire le journal pour vérifier qu'il n'y a pas de crimes intéressants et apporte-le-moi quand tu as un peu de temps libre.

— Je suppose que je devrais l'amener le soir ou la nuit pour ne pas me faire voir, commenta Severian d'un air taquin.

— Tu supposes bien, répondit Hyperion. Mets-le sous mon lit et reviens le prendre le lendemain matin. Si j'ai besoin de toi, je t'appellerai le soir.

— À votre service, monsieur.

Severian replia le journal soigneusement avant de le poser sur la table de chevet. Hyperion s'allongea sur son lit et l'homme remonta doucement la couette sur ses épaules avant de tourner les talons. Mais avant qu'il soit hors de portée, le blond attrapa son poignet pour le retenir.

— Severian... murmura-t-il. Reste, s'il te plaît... Reste jusqu'à ce que j'arrive à m'endormir.

Le noiraud se tourna, d'abord un peu surpris, avant qu'un sourire n'étire ses lèvres.

— As you wish, my lord, chuchota-t-il avec douceur.

Il souffla sur les flammèches des bougies qui s'éteignirent, laissant une nouvelle fois l'obscurité remplir la pièce. Dans le noir, Hyperion sentit que l'homme prenait sa main dans la sienne et vit une silhouette floue s'agenouiller à côté du lit. Deux yeux rouges et luisants se plantèrent dans les siens.

— Je resterai toujours à vos côtés, jeune maître. Jamais je ne vous quitterai et personne ne pourra jamais nous séparer.

— Tu me le promets ? demanda le garçon d'une petite voix en sentant ses yeux se fermer tout seuls, bercé par cette voix douce.

— Je vous donne ma parole, monsieur, murmura son interlocuteur en réponse. Et vous savez que je ne vous mentirai jamais. Si je dois vous suivre dans les plus profonds ténèbres ou même dans la mort, je le ferai. Ma loyauté vous est acquise...

Hyperion sentit l'adulte retirer doucement le gant qui couvrait sa main droite. Il ne fit rien pour l'en empêcher et se contenta de le regarder, les yeux mi-clos. Le tissu tomba sur le sol, et une légère lueur rougeâtre éclaira leurs visages. Une plume longue et fine entourée d'un cercle était inscrite sur le dos de la main du blond, comme un dessin fait à l'encre lumineuse. Severian, tout en tenant la main droite du plus jeune avec la sienne, prit entre ses dents le gant noir qui couvrait sa gauche. Il tira dessus pour le retirer avant de le lâcher.

Un dessin similaire se trouvait sur le dos de sa main gauche, lui aussi diffusait une petite lumière rouge. Elle éclaira doucement sa peau, la colorant un peu au passage. L'homme posa la paume de sa main contre celle d'Hyperion qui apprécia simplement le contact avec la peau chaude. Il glissa ses doigts entre ceux de l'adulte pour les entremêler.

— Nos destins sont ainsi, non ? demanda-t-il avec un sourire sincère et paisible. Mêlé et marqué...

Severian resta immobile quelques secondes, un peu étonné. Hyperion soupira, calme et tranquille, tout en regardant leurs mains collées l'une à l'autre.

— Jeune maître... murmura le noiraud, ses yeux rouges brillant de surprise allant de leurs doigts au visage de l'enfant.

— Je ne t'en veux pas, tu sais ? continua le blond toujours aussi doucement. Pour tout à l'heure. Tu ne peux pas comprendre, c'est ta condition et m'énerver n'y changera rien.

— Non, votre réaction était normale, protesta son interlocuteur.

— De temps en temps, je me demande ce que ça fait d'être comme toi... murmura Hyperion en regardant longuement les ongles noirs de Severian.

— Le temps est long, maître, chuchota ce dernier en réponse. Très long...

Le garçon ferma simplement les yeux, gardant ses doigts entremêlés avec ceux de l'homme. Il ne lui fallut que quelques secondes pour sentir qu'il sombrait dans les bras accueillants de Morphée. Il se laissa porter par un sommeil doux et tranquille, à l'écart de tous les problèmes qu'il avait eus dans sa journée. En moins d'une minute, Hyperion s'était endormi.

Severian regarda le visage paisible du blond pendant quelques secondes. Ce gamin s'interrogeait sur les sensations qu'il pouvait ressentir ? Un sourire carnassier étira les lèvres de l'homme, dévoilant ses dents blanches et ses canines longues. Ses yeux rouge vif pétillaient de malveillance et d'avidité.

Ce que ça fait... d'être comme moi ?

Le temps était très long, inarrêtable, infini... Il n'avait pas besoin de manger ce que mangent les humains, de boire ce que boivent les humains. Il n'avait besoin que de deux ou trois heures de sommeil. Il possédait une force décuplée, des sens surdéveloppés, que ce soit l'ouïe, la vue ou l'odorat.

Mais surtout, Severian Hunter avait faim. Il mourrait de faim et tout son être réclamait de la nourriture. Se trouver à côté d'Hyperion Prince était un véritable supplice tous les soirs. Il mourrait d'envie de planter ses crocs dans cette peau si lisse et de l'entendre lentement quitter ce monde.

Mais il attendait...

Et cette attente, il en était certain, ne ferait que rendre son repas encore plus savoureux le moment venu. Voilà ce que ça faisait d'être comme lui.

Voilà ce que ça fait d'être un serviteur diabolique !

Severian se leva et regarda un moment sa main que tenait toujours Hyperion. Cette marque, c'était la sienne. Elle faisait de ce gamin agaçant le sien. Oui, leurs destins étaient liés comme leurs doigts. Il appartenait à Hyperion autant qu'Hyperion lui appartenait.

— Et ce jusqu'à ce jour damné, murmura le noiraud sans se séparer de son sourire prédateur, où je vous viderai jusqu'à la dernière et exquise goutte de votre sang...

Il monta la main du garçon jusqu'à son visage et déposa un baiser dessus. Il ne savait pas quand ce moment sublime arriverait, mais cela faisait maintenant un peu plus de deux ans qu'il attendait patiemment.

Severian détacha ses doigts de ceux du blond et posa délicatement la main de ce dernier sur la couette. Il reprit le journal sur la table de chevet avant de tourner les talons. L'adulte s'approcha de la fenêtre qu'il ouvrit. L'air de l'extérieur était devenu plus frais que lorsqu'il était arrivé, mais il n'avait pas froid. Il s'appuya sur le rebord et jeta un dernier regard par-dessus son épaule.

— Ça fait plus de deux ans que j'attends, jeune maître, murmura-t-il en observant Hyperion qui dormait tranquillement. Et il n'est pas impossible que j'attende deux ans de plus. Mais vous portez ma marque, et même si vous alliez à l'autre bout de la terre, je vous retrouverai...

Personne n'échappe aux créatures des ténèbres !

Une seconde plus tard, la fenêtre était refermée, le rideau tiré et le silence était retombé dans la chambre d'Hyperion. Ce dernier, plongé dans le sommeil, n'avait rien remarqué, comme si Severian n'était jamais entré dans sa chambre.

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