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Chapitres 15 et 16

Chapitres 15 et 16

Published Jun 5, 2022 Updated Jun 5, 2022 Culture
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Chapitres 15 et 16

 

15.

                — Nous nous retrouvons, comme prévu, ce soir pour suivre le débat électoral ? demanda Jacky.

                La semaine précédente, alors qu’ils revenaient ensemble après une journée de cours, les jeunes gens profitaient de la douceur de l’avant-soirée pour deviser gaiement. Arrivés à la place principale du campus universitaire, détour obligatoire à leurs yeux afin d’admirer la faune et la flore présentes dans cet îlot verdoyant, ils avaient vu, sur l’écran géant défigurant cet endroit, l’annonce de la retransmission d’un débat opposant les chefs des trois partis de Complaisance. À cette occasion, Mel avait avoué son désintérêt quant à la politique, ce qui n’avait pas manqué de provoquer chez elle, une certaine ignorance notamment par rapport aux partis et à leurs programmes respectifs. Elle considérait cela comme un handicap pour son prochain devoir civique, mais ne trouvait en elle aucune motivation pour d’y remédier. Le jeune homme s’était alors proposé pour visionner l’échange électoral avec elle dans le but de lui fournir les explications nécessaires.

                — Même si le sujet est loin de me passionner, ce sera un plaisir que de m’instruire quelque peu à tes côtés. Peux-tu me confirmer l’heure à laquelle j’amène notre boisson favorite ?

                — Le débat est prévu pour vingt heures, sourit Jacky, les yeux pétillants à l’idée de déguster le nectar de fête préparé par son amie. Je serai rentré des cours vers dix-neuf heures, mais si l’horaire devait être modifié, je te préviendrais dès mon retour.

                — C’est gentil ! Cependant, ce soir, j’arriverai plus tard qu’à l’accoutumée. Puis voyant que cela ennuyait son camarade, elle se dépêcha d’ajouter : sans pour cela être en retard pour notre rendez-vous. Disons vers dix-neuf heures trente.

                — Il est rare que tu rentres si tardivement, s’étonna le jeune homme, tentant au mieux de cacher son léger désappointement. Une modification d’horaire?

                — Non. J’ai décidé de participer au groupe d’échange universitaire Collectif En Marche.

                Devant le regard sombre de son ami, elle s’empressa de continuer :

                — je veux constater par moi—même, cela ne signifie pas que j’y adhère…

                — Je me réjouis de te voir ce soir, dit Jacky, occultant volontairement cette différence de point de vue née entre eux il y avait peu. Passe la meilleure journée possible, termina-t-il en l’embrassant rapidement sur la joue.

                Mel n’eut quasiment pas le temps de répondre qu’il s’éloignait à grandes enjambées. Elle ne pouvait nier ressentir une certaine tristesse devant ce qui ressemblait à une fuite. Cependant, la jeune fille connaissait suffisamment son ami pour savoir que cette attitude émanait de sa crainte de la blesser par une remarque désobligeante ou une expression inappropriée. Son respect pour autrui imposait à Jacky des barrières qu’il ne voulait dépasser en aucun cas.

                Quelques semaines auparavant, Mélanie avait été approchée par une condisciple adepte du CEM, mouvement qui s’annonçait pacifiste tout en se proclamant révolutionnaire. Il se présentait rassembleur autour d’un projet pour une société plus juste et équilibrée, avec un retour vers des valeurs fondamentales. Selon leur brochure, qu’elle avait examinée scrupuleusement, ce groupe refusait tout amalgame avec une faction politique ou une quelconque philosophie. Son désir se centrait atour d’une volonté commune de respecter l’humain tout autant que la nature, en rendant à tous deux la place qu’ils possédaient depuis la nuit des temps et que la technologie à outrance tentait d’éradiquer.

                Ce discours n’avait pas manqué d’interpeller la jeune fille passionnée par les études environnementales et pour qui il était clair qu’une réelle symbiose existait entre l’Homme et la nature. Lorsqu’elle en avait parlé avec Jacky, le jeune homme s’était montré suspicieux quant à ce mouvement né, selon ses propres termes, trop spontanément dans une période obscure et difficile. Même la lecture de la publicité reçue ne l’avait pas fait changer d’avis au point que le sujet était devenu quelque peu sensible entre eux. Afin d’y remédier, chacun avait pris le parti d’éviter d’en discuter, cherchant avant tout à respecter l’autre dans ses choix personnels. L’absence d’échange sur la question n’avait pas permis à Mel d’informer Jacky de sa décision. Cette ignorance avait, sans nul doute, provoqué l’étonnement voire la désapprobation affichée du jeune homme lorsqu’il avait appris la volonté de son amie d’en connaître plus. Quoi qu’il en soit, Mel désirait en comprendre plus, raison pour laquelle elle avait accepté d’aller à la réunion de ce soir, tout en se promettant de se tenir sur ses gardes.

                Tout à ses pensées, elle continua d’observer son ami qui n’était plus qu’une minuscule silhouette dans le lointain. Un rappel sonore émanant de son oreillette la ramena à la réalité. Sans avoir à vérifier son agenda, elle savait qu’il lui restait à peine dix minutes pour s’arriver au jardin botanique où aurait lieu le premier cours de la journée. Elle s’empressa donc de s’y rendre, le cœur gros et la tête remplie de questions et d’incertitudes.

                                                                                                                                            * * *

                Jacky avait affiché un visage morose durant toute la matinée, ne répondant que de façon lacunaire à Hanna. S’il comprenait la curiosité de Mel par rapport au CEM, il craignait que son amie se révèle être une proie facile pour ce genre de groupement. Son récent handicap la rendait encore trop vulnérable. Un intérêt artificiel déguisé en bienveillance pourrait la conquérir rapidement, lui provoquant, finalement, plus de mal que de bien.

                — Que se passe-t-il ? interrogea Hanna. Tu as semblé absent toute la matinée et maintenant, tu n’as, pour ainsi dire, rien mangé. Malade ? termina-t-elle en mâchonnant un bâton de réglisse.

                — Non, simplement préoccupé. Désolé ! Je constate que pour toi également, le repas a été frugal et que tu as de nouveau besoin de cette racine !

                — Oui, ma gastrite se rappelle à mon bon souvenir. Vu que je n’avais plus aucun désagrément, je pensais être guérie…

                — Quels symptômes ressens-tu ? Brûlures épigastriques, pesanteurs, ballonnements, anorexie, nausées…

                — Tenterais-tu d’établir un diagnostic ? Je te rappelle que nous suivons les mêmes études !

                Hanna s’amusait du rôle médical immédiatement assumé par son ami.

                — Étant donné que tu es sur mon dos toute la journée, je ne risque pas de l’oublier. As-tu au moins procédé à une analyse de sang ?

                — Non. Quel intérêt pour une gastrite ?

                — Cela pourrait permettre de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une maladie chronique. Je te vois mâcher de la réglisse depuis le début de l’année. Même s’il y a des intervalles pendant lesquels tu ne ressens rien, je pense qu’il serait prudent d’investiguer quelque peu.

                — Il te faudra apprendre à annoncer tes diagnostics si tu veux garder tes futurs patients. Pour ma part, je vais faire fi de la manière pour ne m’en tenir qu’au contenu. Dès demain, je passerais au laboratoire avant les cours afin de déterminer si la bactérie helicobacter pylori est présente dans la muqueuse de mon estomac. Comme tu peux t’en rendre compte, continua-t-elle en se levant le regard taquin, j’ai assisté au même cours que toi…

                — Parfait, je serais rassuré. Reste assise, je vais ramener nos deux plateaux puis nous irons prendre un peu l’air.

                Alors qu’il revenait à leur table, tenant les restes du repas empaquetés pour chacun, un enseignant nouvellement arrivé à la FMC lui fit signe de l’attendre. Il traversa la cafeteria à grandes enjambées et salua les jeunes gens :

                — Vous m’excuserez de perturber votre temps de midi, cependant, je cherche à vous rencontrer depuis plusieurs jours.

                Jacky et Hanna se regardèrent furtivement. Ils ne connaissaient ce professeur que pour l’avoir croisé dans l’un ou l’autre couloir, n’ayant aucun cours avec lui et s’interrogeaient sur les raisons de sa présence. Bien qu’il ait une terrible envie de s’aérer avant de reprendre l’après-midi, le jeune homme fit signe à cet homme de s’asseoir à leur table.

                — Merci. Vous savez que je suis nouveau sur le campus. À vrai dire, je n’ai pas encore enregistré mentalement la cartographie des lieux et… je me perds assez souvent.

                — Ce qui nous est arrivé à tous à l’entame de l’année ! s’amusa Hanna. Quelle matière enseignez-vous ?

                — Épidémiologie des maladies parasitaires. Vous n’aurez pas à me subir dans l’immédiat, je sévis dès la troisième année.

                — Pourquoi désiriez-vous nous parler ? interrogea Jacky de manière directe.

                — Vous me confirmez que vous êtes Jacky et Hanna, les deux élèves phares de première année ? 

                Sur l’approbation muette des jeunes gens quant à leur patronyme, il sourit et continua, leur tendant la main :

                — Très heureux de vous rencontrer ! Je m’appelle Ronny Clobin, docteur es parasitologie et mycologie médicales.

                Devant le mutisme du jeune homme restant les bras croisés, Hanna répondit à la salutation avec un large sourire et un mot de bienvenue. Sans se préoccuper de la réserve volontairement affichée par Jacky, le professeur Clobin reprit :

                — Vous n’ignorez pas que des stages vous seront imposés dès l’année prochaine. C’est dans ce cadre que je viens vers vous…

                — Autant de mois à l’avance, n’est-ce pas prématuré ? l’interrompit le jeune homme. Il me semble que votre démarche ne s’accorde pas exactement avec la ligne de conduite de cette université.

                — Je ne vous imaginais pas avec un caractère aussi trempé ! Vous me plaisez d’autant plus. Pour vous rassurer, je vous confirme avoir partagé mon projet avec la direction de la FMC qui y l’a agréé immédiatement… à une condition cependant.

                — Excusez-moi, Monsieur… Clobin, hésita Hanna. En quoi votre discours nous concerne-t-il ? Je ne voudrais pas paraître impolie, mais l’heure de notre cours approche et il n’est pas dans nos habitudes de nous présenter avec du retard.

                — Pas de panique les jeunes, vous êtes dispensé pour les deux prochaines heures. Le recteur a prévenu votre enseignant. S’il vous plaît, appelez-moi Ronny, j’exècre les titres et futilités similaires… sauf s’il s’agit de décliner mon identité, ajouta-t-il, prévoyant la remarque du jeune homme.

                — D’accord, puisque les décisions ont été prises pour nous, que pouvons-nous faire d’autre que de vous écouter ? marmonna Jacky en se renfrognant.

                Hanna s’attristait de voir son ami présenter une attitude aussi peu courtoise qui, de surcroît, ne lui correspondait pas du tout. Sans doute sa préoccupation actuelle — dont il n’avait soufflé mot à la jeune fille — se révélait-elle plus profonde ou plus insidieuse qu’elle ne l’avait pensé. Devant le léger malaise affiché par l’enseignant, Hanna invita ce dernier à poursuivre, se montrant plus intéressée qu’elle ne l’était en réalité.

                — Les raisons de notre conversation s’expliquent par une nécessité dont je voudrais vous entretenir. Il convient de dire que vous connaissez un parcours semblable au mien. Provenant de la classe pauvre — et ne voyez là aucune remarque désobligeante — sans le soutien de notre famille et les performances de notre cerveau, l’accès aux études universitaires nous aurait été interdit. Pour ma part, grâce à mon diplôme, ma situation s’améliore. Cependant, il m’importe peu de vivre comme un nanti. Le sort de ceux qui n’ont pas eu ma chance me préoccupe et j’ai décidé d’utiliser une partie de mes revenus pour ouvrir un dispensaire.

                Cette annonce dérida Jacky qui observa cet homme avec un autre regard. Il constatait avec plaisir que les honneurs reçus suite à ses performances ne lui avaient pas fait oublier ses origines. Mieux, ce professeur désirait s’investir auprès des démunis… un programme qui tenait au cœur du jeune homme.

                — Un dispensaire ? Avez-vous déjà obtenu les autorisations de la circonscription centrale ?

                — Pour cela, il me faut remercier les mondanités appréciées par le conseil de la FMC qui, en échange de l’accord donné par le gouvernement, s’est vu obligé d’accepter la fonction de chaperon. Je n’imaginais pas que mon idée se concrétiserait aussi rapidement. Qu’il s’agisse de l’administratif, des locaux, du personnel… j’ai à peine eu le temps de réaliser ce qu’il se passait que tout était en place. Seul désagrément à mes yeux, j’aurais voulu que les bâtiments se trouvent dans le district G3 ou dans la circonscription H, là où le besoin est le plus grand.

                — Je comprends votre souhait, analysa Hanna. Jacky et moi provenons de la limite entre les districts G2 et G3.

                — Vous vous connaissiez donc avant la faculté ? se réjouit le professeur.

                — Non, aussi étrange que cela puisse paraître, alors que nos familles demeurent à trois pâtés de maisons, nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant, sourit Jacky. Pouvez-vous me situer le dispensaire plus précisément ?

                — Localisez-vous l’ancien laboratoire désaffecté non loin de la FMC ?

                — Celui à l’orée du petit parc du district D3 ? proposa Hanna recevant, en retour, l’affirmation de Ronny.

                — Il aurait pu connaître un emplacement plus excentré et éloigné de ceux qui en ont le plus besoin, déclara le jeune homme. Nul doute qu’il verra une grande affluence.

                — Vous ne croyez pas si bien dire ! s’étonna le professeur. Il ne désemplit pas. C’est d’ailleurs la raison qui m’amène à vous parler. L’équipe des infirmiers, bien que renforcée par des stagiaires, demeure en sous-effectif. Nous savons tous que vos applications pratiques ne commencent qu’en seconde année, cependant, au vu de vos résultats vous nous seriez utiles au tri des malades de la salle d’attente.

                — Classifier les patients ? demanda Hanna.

                — Oui, mais il ne faut pas considérer cette fonction comme une basse besogne, reprit Ronny.

                — Rassurez-vous, notre étonnement réside dans le fait qu’une telle responsabilité soit confiée à des étudiants de première année, réfléchit Jacky ne laissant pas le temps à l’enseignant de continuer son explication. Une erreur de diagnostic peut connaître une issue fatale !

                — Effectivement, renchérit la jeune fille. J’imaginais plutôt une tâche consistant à vérifier les stocks, ou récupérer et stériliser le matériel, ou… Mais pas ce que vous proposez !

                — Loin de moi l’idée de faire peser une telle responsabilité sur vos épaules. Dans un premier temps, vous accompagnerez un infirmier diplômé. Celui-ci demeurera le référent vers qui vous irez en cas de doute, alors que vous opérerez seuls. Finalement, vous effectuerez vos stages avec de l’avance. Le recteur m’a confirmé que les heures passées au dispensaire seraient créditées à ce titre. Qu’en pensez-vous ?

                — J’ai une question, dirent les jeunes gens en même temps.

                Sur un signe de Jacky, la jeune fille commença :

                — Quels seront les horaires et comment se concilieront-ils avec ceux de nos cours ?

                — Vous touchez le côté un peu négatif de la proposition. Afin d’éviter une pénibilité trop importante, j’ai limité votre présence aux trois derniers jours de la semaine, en soirée et la journée de repos dans son entièreté.

                — Nous vous remercions pour vos efforts, mais convenez que cela va radicalement diminuer le temps consacré à l’étude et aux travaux de toutes sortes, s’attrista Hanna déjà conquise par cette aventure.

                — Vous pouvez me croire, cela a été un sujet prépondérant dans les discussions avec l’équipe enseignante. J’établirais un rapport mensuel décrivant votre travail et ses implications réelles. Ceci afin de réduire voire supprimer les recherches que vous serez invités à rentrer dans votre cursus. Concernant les examens et donc les études qui les précèdent, je suis encore en pourparlers, mais de belles avancées ont été effectuées !

                — Tout cela demande réflexion, murmura Jacky tentant de ne pas prendre le mors aux dents.

                — Vous aviez une également question?

                — Oui. Dans votre préambule de tout à l’heure, vous avez fait état d’une condition imposée par la direction de la FMC. Est-il indiscret de la connaître ?

                — Non puisqu’elle vous concerne. Désolé,  dans le fil de la conversation, j’ai oublié de vous dire qu’une sorte de prime de risque vous serait versée mensuellement. Devant le regard surpris des jeunes gens, il continua : c’est loin d’être une rémunération, mais le conseil a estimé que l’effort qui vous était demandé nécessitait une compensation monétaire.

                — Pourquoi ? s’étonna Jacky. Les heures effectuées seront déjà comptabilisées dans nos stages, certains travaux seront allégés et peut-être même des examens !

                — Je sais qu’en tant que futurs médecins, vous êtes formés à la confrontation avec la détresse humaine. Malheureusement, au dispensaire, vous côtoierez bien plus que cela… Il n’y a pas de risque zéro dans ce contexte. Je me dois donc de vous conseiller d’économiser l’argent que vous recevrez, il pourrait vous être utile en cas de blessure émotionnelle… ou physique.

                Jacky et Hanna plongèrent dans de profonds questionnements sans constater que la cafeteria s’était entièrement vidée.

                — Je ne vous demande pas une réponse immédiate, reprit Ronny, brisant le silence qui se prolongeait. Votre cours débute dans moins d’un quart d’heure, il est temps pour moi de vous libérer. Mais promettez-moi de réfléchir et de me fixer avant la fin du mois. Je vous transmets les coordonnées auxquelles vous pouvez me joindre, continua-t-il en envoyant, d’un geste, celles-ci sur les terminaux de Jacky et de Hanna.

                Avant que les jeunes gens n’aient pu articuler un mot, il s’était levé pour disparaître par la seule porte encore ouverte non sans les avoir salués de la main. Jacky et Hanna suivirent le mouvement, la tête remplie d’interrogations, se réjouissant que la journée s’achève afin de pouvoir réfléchir posément à cette opportunité qui se présentait.

                                                                                                                          * * *

                — Tu n’imagines pas comme je suis heureux de te voir ! s’exclama Jacky tandis que Mel et Lunar pénétraient dans le logement.

                Encore tout excité par la proposition que Ronny leur avait faite en début d’après-midi, il regrettait presque que le débat électoral ait lieu ce soir. Il n’aurait que peu de temps pour partager ce projet avec son amie, devant remettre à plus tard l’examen du bien-fondé de sa participation. Au moins aurait-il la possibilité d’en parler avec ses parents préalablement à l’avis de Mel. Pour ce qui concernait Hanna, elle ne lui serait d’aucun secours. Tout en se rendant à leurs cours, ils avaient déjà échangé sur le sujet, se rendant compte que l’envie de foncer dans cette aventure, sans vraiment peser le pour et le contre, les tenaillait tous deux.

                — Je n’imaginais pas que la perspective de m’expliquer la politique puisse te ravir à ce point ! Il me faudra le retenir pour le jour où tu seras d’humeur chagrine.

                — Je constate que mademoiselle présente un caractère badin en cette fin de journée. Je tiens à vous rappeler que l’accès à la soirée n’est autorisé que si vous avez amené votre droit de passage.

                — Tout est en ordre, mon cher monsieur, s’amusa la jeune fille entrant dans le jeu. Lunar a eu l’amabilité de se charger des victuailles auxquelles je me suis permis d’ajouter quelques bonbons aux algues pour agrémenter ces moments.

                — Dans ce cas, vous êtes ici chez vous, rit le jeune homme en refermant la porte sur ses pas. Tout s’est bien passé pour toi aujourd’hui ? continua-t-il plus sérieusement tandis que Mel ouvrait le cabas amené par l’androïde.

                — Les cours m’ont paru mortellement ennuyeux, seule l’avant-soirée a été agréable, avoua la jeune fille en lui tendant la boîte dans laquelle se trouvaient les biscuits. Sachant que nous ne sommes pas en accord sur le sujet, je n’épiloguerais pas, cependant je désirais t’informer que j’avais apprécié la réunion à laquelle je me suis rendue. Et pour toi, quoi de neuf ?

                — Journée à surprise, mais également à réflexion. Nous n’aurons guère le temps d’en parler ce soir sous peine de ne pas voir le débat. Si demain nous rentrons ensemble, comme à l’accoutumée, j’aurais tout le loisir de t’expliquer ce que j’ai vécu.

                — Tu aiguises ma curiosité ! Dis-m’en un peu tout de même…

                Tandis qu’ils s’installaient sur un vieux divan récupéré par Jacky, celui-ci énonça les grandes lignes du projet qui leur avait été soumis à Hanna et lui. Il tenta d’être concis, ce qui se révéla un exercice difficile vu l’engouement de la jeune fille démontré par ses nombreuses questions. Ils furent interrompus par le générique de l’émission. Dès son retour, Jacky avait demandé à Vésa de la lui rappeler. Contre toute attente, le robot avait, à l’heure voulue, activé le terminal dissimulé dans un cadre ayant fonction tour à tour de décoration, de miroir et d’écran. Le jeune homme stoppa son discours non sans promettre que la discussion n’était pas close puis d’ajouter :

                — Une dernière chose. Je me rends compte que tu es toujours à l’écoute même lorsque tu ne partages pas mon avis. J’en ferais de même avec toi à l’avenir. Il faudra donc que tu me racontes ta réunion, enfin si tu en as envie…

                En guise de gratitude, les yeux remplis de reconnaissance, Mel déposa un timide baisé sur la joue de son ami. Puis tous deux s’installèrent le plus confortablement possible sur ce qui avait pu, un jour, faire la fierté d’un salon, le plateau-repas généreusement fourni posé à leurs pieds.

                À l’écran, le présentateur salua les téléspectateurs avant de se tourner vers les présidents des trois partis de Complaisance, les remerciant pour leur présence sur le plateau. Le début du programme n’avait pas grand intérêt pour les jeunes gens puisqu’il concernait les intentions de vote de l’électorat, le financement de la campagne et un bilan du septennat qui se terminerait bientôt. Jacky en profita pour dessiner brièvement la cartographie politique de la mégalopole :

                — Tu n’ignores que nous sommes dans un régime parlementaire monocaméral dont le CNC a été élu au suffrage universel, permettant à ce Conseil de détenir le pouvoir législatif ? La circonscription X en est l’organe central, raison pour laquelle elle n’est pas divisée en districts. Tu sais également que contrairement à Longoeil, nous ne possédons pas une constitution, mais des lois décisives et que la séparation des pouvoirs est répartie en trois entités : premièrement, le CNC qui s’occupe donc du législatif, est établi après le scrutin qui se déroule tous les sept ans en fonction des résultats de chacun des partis. Dans l’intervalle cependant, si une majorité de conseillers le détermine, le CNC peut se dissoudre. Vient ensuite le pouvoir exécutif, confié au Président. Celui-ci est le dirigeant du parti majoritairement plébiscité. Il arrive souvent qu’il soit issu de la coalition formée sur base des scores du suffrage. Le pouvoir judiciaire clôture la répartition. Il est soumis aux treize Magistrats de la Haute Cour, chaque juge provenant d’une circonscription.

                — Si je comprends bien, les scrutins ne concernent que le législatif et l’exécutif ? De ce fait, le judiciaire n’est jamais impacté par le choix des électeurs.

                — En théorie, oui. Cependant, force est de constater que la politique s’immisce dans toutes les instances, même celles où la neutralité devrait régner en force. Certaines affaires, ayant éclaté au grand jour, démontrent, hélas, que l’incorruptibilité peut présenter une définition aménagée lorsqu’un politicien et un juge affichent des affinités équivalentes.

                — Bien des domaines sont concernés par ce manque d’inaltérabilité. Ne l’observons-nous pas également dans certaines décisions prises par la FMC ? Malheureusement, devant certains enjeux ou certaines opulences, d’aucuns renieraient père et mère tandis que d’autres s’associeraient avec le mal. 

                — Sans compter que, de nos jours, il est rare d’obtenir un poste important, voire simplement correctement rémunéré, sans faire preuve d’adhésion à une famille politique.

                — À les entendre, le septennat qui se termine s’inscrirait en tête des palmarès, ayant pu allier croissance et prospérité, s’étonna Mel qui venait d’écouter une phrase d’un des invités au débat. Voilà bien une impression que je n’ai pas ressentie…

                — Je pense que la coalition sortante craint les résultats envisagés par le ReNaC suite à la profonde réforme opérée en son sein. Raison pour laquelle les chiffres seront interprétés en leur faveur déformant la réalité selon leurs besoins.

                — Le ReNaC… Il ne s’est guère manifesté ces derniers temps au point que c’est lui que je cerne le moins.

                — Alors, commençons par lui ! De toute manière, la propre glorification de ces deux personnages va encore durer quelques minutes… Le Renouveau National de Complaisance au même titre que les deux autres partis émane d’une époque ancestrale. Même si une évolution ne peut être niée, il convient toujours de le situer à droite.

                — Droite et gauche… Sais-tu d’où vient ce classement et surtout comment faire la distinction ?

                — Selon toute vraisemblance, l’origine de l’appellation droite ou gauche pour un parti politique proviendrait d’une période très lointaine remontant à la Révolution française, fin des années 1700…

                — Mazette ! Étonnant qu’elle ait survécu autant d’années. Française… la révolution s’est donc déroulée en France ? Je me souviens avoir étudié la cartographie de l’époque antique. Cependant, si je me remémore le nom de ce pays disparu, je serais bien incapable de le situer sur un ancien planisphère voire d’en évoquer un fait historique.

                — Il me faudrait également réfléchir tant les cartographies ont changé. À une période, cet état — alors une royauté — a vu sa population se révolter contre le pouvoir. Des politiciens en place dans cette période ont dû opérer un choix entre le roi et le peuple. La légende raconte que, lors d’une réunion, il aurait été demandé aux partisans du souverain — résolument conservateurs — de se mettre à droite tandis que les populistes — entièrement progressistes — se positionneraient à gauche. Cette division subsiste encore de nos jours. Le ReNaC étant un parti tourné davantage vers les chefs d’entreprise — soit ce qu’on pourrait associer aux gouvernants — il se situe donc à droite. Les partis plus essentiellement en phase avec le peuple sont, quant à eux, de gauche.

                — Ce récit populaire est intéressant et permet de visualiser des notions aussi abstraites que celles que nous évoquons.

                — Qui osera encore prétendre que l’histoire antique n’est pas utile !

                 Puis vérifiant où en étaient les protagonistes dans leur discours télévisé, il continua :

                — Je crois qu’il me reste juste assez de temps pour brosser les grandes lignes de ce mouvement. En quelques mots, le ReNaC se veut exempt d’idéologie de toutes sortes. Tout en étant rassembleur, il vise la construction d’une société où les libertés individuelles dépasseront les intérêts partisans. Son programme propose le bien-être et l’épanouissement pour tous grâce au travail et à la volonté d’entreprendre, créer, innover. Dans cet objectif, il se présente pour devenir l’arbitre d’une concurrence loyale dans un marché économique franc et ouvert, désirant apporter davantage de richesses, d’autonomie et de progrès pour chacun. C’est pour cette raison que le ReNaC s’implique particulièrement aux côtés des industries et des investisseurs qui contribuent, selon ce parti, à la prospérité par l’activité et l’engagement financier.

                — Tout un programme ! Surtout lorsque l’on considère la situation économique défavorable et le nombre croissant de personnes sans emploi ou soumis à des occupations précaires.

                — À la décharge des trois partis, il faut avouer que nous connaissons une crise sans précédent. S’il m’est possible de comprendre la difficulté de respecter les promesses faites en campagne, force est de constater que ces engagements aussi nobles soient-ils n’ont jamais nourri son homme !

                Mélanie n’eut pas le temps de répondre, le jeune homme lui ayant fait signe que le débat entrait dans sa phase intéressante. Ils n’épiloguèrent pas davantage, tous deux suivan

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