Le vent d'ouest, légèrement glaçant, devenu chef d'orchestre pour haubans et goélands, me siffle aux oreilles sa fugitive complainte. J'enjambe, tant bien que mal, rats et naufragés de la vie, accrochés à l'espoir d'entrevoir un rayon de soleil, un rai de lumière venu percer le ciel nuageux de leurs interminables nuits. Les chants ne résonnent pas encore dans les tavernes, ces dernières n'ouvrant leurs portes que dans quelques heures. L'ambiance sera bien différente lorsque les gosiers seront réchauffés. J'aperçois, au loin, le vieux McFarlane, capitaine du "Tennessea", un chalutier réputé pour avoir bravé nombre de tempêtes. Fowler McFarlane résume à lui seul la dévotion des hommes de la mer. Refusant de prendre sa retraite, malgré une santé plus que bancale, il hante les docks et lève l'ancre dès que sa fille a le dos tourné. On ne compte plus les expéditions de ''secours'' que cette dernière organise dès que son paternel manque à l'appel, ni la multitude d'engueulades père/fille qui en résultent, chaque fois sous les yeux de curieux et autres amateurs de spectacles mélodramatiques, dont je fais partie.

"J'prends la mer quand j'veux et c'est pas une gamine incapable de garder un homme qui va m'dire c'que j'ai l'droit ou pas l'droit d'faire !"

Sally McFarlane est une femme remarquable à bien des égards. Aussi charmante qu'instruite, elle ne cesse de faire battre le cœur des hommes, mais son caractère indépendant et son tempérament tempétueux en font une indomptable sirène. L'homme a tendance à craindre ce qu'il ne peut contrôler mais son désir de posséder finit toujours par l'emporter sur la raison. C'est pourquoi certains deviennent marins, poètes ou amants. Et si le "Tennessea" de Fowler survécut maintes fois aux déferlantes, difficile d'en dire autant des soupirants jetés sur la rive par la tempête Sally. Aucun flagorneur ne trouve grâce à ses yeux, la jeune McFarlane ne se soucie que de son géniteur. Cela fait bien une vingtaine d'années qu'elle s'est juré de prendre soin de lui, après que sa mère fût emportée par la maladie. Un décès au sein d'une famille ne laisse qu'une vieille coque percée, vouée à sombrer si personne ne prend le temps d'écoper. Alors Sally tient la barre et colmate comme elle peut les brèches qui ne cessent de s'ouvrir dans le cœur usé du vieux McFarlane.

Femme tempête qui ne s'inquiète

que pour son vieux

quand le gros temps fait les gros yeux.

 

Vieux pirate qui traîne la patte

dès qu'il s'agit d'être tendresse

quand la jeunesse se fait tristesse.

 

Sur leur frêle esquif,

chahuté par les roulis de la vie,

père et fille vacillent

mais jamais n'oublient

qu'un marin sans étoile

est un marin égaré

et que le vent sans les voiles

n'a nulle raison de souffler.

 

OLC