PARMI LES MÂNES
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PARMI LES MÂNES
PARMI LES MÂNES (1)
Composé en juillet 2000
Des jours plus radieux, un avenir concret…
J’aurais pu vivre enfin ces plaisirs que j’ignore,
Nourrissant chaque soir quelque projet secret.
Mais le destin cruel me fait sentir encore,
Douloureux châtiment pour mon cœur tourmenté,
Le parfum de l’échec et le goût du désastre !
Aujourd’hui j’ai perdu mon honneur, ma fierté,
Et ma chance pourtant qui brillait comme un astre(2)…
Le temps, cette prison qu’on voudrait oublier,
A ma sombre torpeur brutalement me livre :
Chaque heure qui s’écoule, ô morne sablier,
Me semble anéantir toute raison de vivre !
En ce moment fatal où mon cœur opprimé
S’épuise et se tarit, les forces m’abandonnent.
Je pense à ma famille, à ceux qui m’ont aimé…
Ô Ciel ! Faites un jour que ceux-là me pardonnent !
Fatigué de poursuivre un bonheur incertain,
Je m’assois, résigné, seul parmi la nature.
Un chant d’oiseau, des fleurs, et la lune au lointain…
Las, pouvais-je espérer plus belle sépulture ?
Les cyprès tout autour forment comme un enclos(3),
Et mon esprit s’accorde à leurs danses funèbres.
Bientôt une lumière, à travers mes yeux clos,
Inexorablement vient blanchir les ténèbres.
Je vois s’ouvrir alors les portes du néant.
Malgré les bas-reliefs sur le funeste porche,
Je pénètre sans peur dans le gouffre béant,
Avec pour simple guide une fragile torche,
Sans nul autre désir que d’y rester sans fin.
On ne distingue plus qu’un couloir insensible,
Tout enduit de poussière et de salpêtre fin.
Désormais le retour est un rêve impossible…
Mais quel est ce démon qui mène ainsi mes pas ?
Et j’avance aisément dans ces demeures sombres,
Où règnent le chaos, le vide, le trépas :
Je viens chercher ma place au royaume des ombres…
L’espoir, cette lueur, cet ultime flambeau,
Ce feu perpétuel qui réchauffait ma vie,
N’est plus qu’un rai chétif éclairant mon tombeau.
Que tout paraît futile à mon âme asservie !
Dans ce silence lourd, rien ne bouge, sinon
Quelque vermine obscure attendant que je meure.
Puis un spectre malingre, un fantôme sans nom
Me montre hâtivement mon ultime demeure,
Ce cercueil misérable encombrant le caveau.
C’est ici, je le sais, que prend fin mon errance…
Ô Ciel, ange infernal que j’implore à nouveau,
Achevez mon chagrin ! Emportez ma souffrance !
Mais avant de dormir pour la dernière fois,
J’aperçois des rayons et des vapeurs suspectes
D’où semble résonner une lointaine voix.
Un nuage craintif de gracieux insectes
Vient me souffler alors ce discours dépité :
« - Étranger, nous allons, écœurés que nous sommes,
Quérir dans le néant quelque sérénité,
Loin du désert du monde où s’agitent les hommes(4)…
- Je suis un miséreux que le sort a vaincu.
Indolent vagabond, errant sur cette terre,
Je ne veux pas mourir comme j’aurai vécu :
Apprenti voyageur, éternel solitaire…
De grâce, emportez-moi dans votre tourbillon !
Guidez mon âme enfin de vos célestes voiles(5) ! »
Et dans sa course folle, un triste papillon
Me révèle en pleurant le chemin des étoiles.
NOTES
(1) Il faut prendre le mot « mânes » dans sa signification romaine et plus particulièrement comme l’entendait Virgile, à savoir « divinités des enfers » ou « âmes des morts » en général.
Ce long poème fut écrit au cours d’une période difficile d’errance sociale et d’échec sentimental. Ce qui explique le sens des huit premiers vers.
(2) La « chance » qui « brillait comme un astre » est une allusion à la bonne étoile qui ne remplit plus son rôle salvateur.
(3) Chez les Grecs puis chez les Romains, le cyprès ornait toujours les nécropoles et les cimetières. Censé communiquer avec les régions souterraines, cet arbre était symbole de vie éternelle. On retrouve d’ailleurs ce sens particulier du cyprès chez les auteurs français de la Renaissance, par exemple dans les recueils amoureux de Ronsard.
(4) Allusion à Chateaubriand : « Inconnu, je me mêlais à la foule : vaste désert d'hommes », René, p. 49 de l’édition Larousse.
(5) Dans l’antiquité grecque puis romaine, l'âme quittant le corps du défunt prenait la forme d'un papillon. On a attribué ce symbolisme funèbre, presque effrayant, aux lépidoptères pendant plusieurs siècles. Parallèlement s’est développé, avec les papillons, le mythe de la métamorphose, du changement, de la transformation voire de la renaissance.
Chantal Perrin Verdier il y a 3 ans
Malgré un contexte et un genre différents, un texte que je vais publier sous peu, pourrait être un écho du vôtre.
Or je n'avais pas encore lu votre poème.
J'aime assez ces croisements créatifs hors du temps !
La force qui se dégage de vos écrits, vise toujours aussi juste.
Philippe Marechal il y a 3 ans
Merci beaucoup, Chantal, pour votre commentaire bienveillant !
Je vais donc attendre avec impatience votre texte.
Bonne journée et bien cordialement,
Philippe