Ils en étaient au combien ?
95ème tour ?
En choisissant le parking de Montbenon pour éviter les pleins à craquer de Lausanne, ils n’avaient apparemment pas envisagé le côté pratique.

- Quand est-ce qu’on sort de ce labyrinthe ?

Les lieux étaient vides à frôler l’angoisse du dimanche soir et à sentir son volant telle une roue libre sous ses doigts, il commençait à en ressentir la nausée.

- Tu trouves quoi ?

Sur le siège du mort, Ariane dans le rôle du GPS se battait avec des gouttes rouges sur son iPad, elles-mêmes encastrées dans des croisements de lignes.
- C’est dingue ! Google n’a pas encore mis en ligne les plans d’architecte de l’intérieur de tous les bâtiments.
Puis sur un rictus :
- Continue à descendre !

Ce qu’il fit ;
bien qu’ils soient entrés par le haut, il était envisageable vu la topographie des lieux, une semi-colline, de trouver la sortie par le bas. Il entamait son n^ième virage lorsque dans un couinement inqualifiable, il pila net.

- Qu’est-ce que c’est que ce         truc ?

Ariane en releva les yeux de son écran.
C’était devant eux.
Et on ne pouvait effectivement que parler de
TRUC

- Je dois être en enfer !
- On devrait plutôt voir un truc à trois têtes alors, non ?
Il la regarda,
préférant s’exclamer :
- C’est bien ma veine !
- C’est la mienne aussi je te signale.

Le TRUC bougea.

- Euh … y’a des cornes sur ce qui lui sert de tête ?
- T’as une boîte de vitesse ? C’est le moment de t’en servir.

Parce que le TRUC se mit à les charger.
Machinalement il passa la marche arrière et recula dans un crissement de pneus digne d’un Fangio. Y répondit un rugissement bien trop près de la voiture qui en fut violemment secouée, eux avec.
- Surveille derrière toi, je surveille devant ! Déclara sa co-équipière

Il n’osait même pas regarder le compteur de vitesse, ni le niveau d’huile ni celui d’eau, ni rien en fait : il n’était pas question de découvrir une possible panne.
Il parvint sans savoir comment à faire pivoter la voiture tout en abandonnant le rétroviseur à la vigilance d’Ariane. La Clio (d’occasion) ne tiendrait pas longtemps surtout que maintenant les cornes cherchaient à empaler le pare-choc.

- Je t’avais dit d’acheter un tout-terrain.
- Pas maint’nant !
- Dis-donc un sacré morceau quand même …

Décelait-il  vraiment une inflexion admirative ?
Pourtant si l’on prenait la remarque à son premier degré Ariane pouvait avoir raison : avec ses naseaux enfumés, son regard de dément au-dessus d’une gueule sur laquelle on ne pouvait que spéculer - était-elle ouverte ou fermée ? - il incarnait le cauchemar des sous-sols désaffectés.
D’ailleurs entendaient-ils bien un bruit de sabots qui parvenait à couvrir celui du moteur ?

- O O !!
- Quoi ?

Le monstre avait disparu d’abord sous le niveau de la vitre arrière ensuite dans l’angle mort.

Pas bon !

Soudain il se fit sentir dans le mouvement cacophonique d’un coffre apparemment broyé ou presque quand ses énormes épaules resurgirent de chaque côté.
L‘auto piqua du nez, son plancher au sol qu’elle raya de façon stridente cahota, toussa puis se dégagea de l’emprise avant que ses deux passagers aient eu le temps de comprendre comment. Son conducteur accéléra mais l’autre encorné parvenait à le concurrencer sans qu’il puisse le semer alors que cerné par quatre murs remplis de piliers répartis sur un angle à 80°, il évitait tout juste les collisions.
Encore un choc qui faillit leur faire encastrer une Ferrari égarée là pour au dernier moment l’égratigner et se retrouver projetés avec elle sur l’allée inférieure, quoique là il ne valait mieux pas se plaindre si la force de poussée du ??? jouait en leur faveur.

- LÀ ! La sortie !

Ariane pointait son doigt sur un rectangle de lumière, au loin, un peu trop d’ailleurs ; la pédale enfoncée à mort dès la ligne redevenue droite laissa tout de même toujours le monstre sur leurs roues.
Cependant voir s’affermir les contours de la ville leur redonna espoir à tous deux.
Ils allaient pouvoir fuir …

Quelque chose - ils préféraient penser bêtement qu’il s’agissait de mains - retint alors les roues et commença à soulever ce qui devenait une bagnole. Le monde pencha dangereusement vers l’avant, la ceinture d’Ariane lui coupant le souffle pendant que lui s’accrochait au volant comme un demeuré. Le sol allait devenir plafond lorsque la lumière là-bas s’altéra :
une voiture entrait.
La leur retomba aussitôt en rebondissant désagréablement tandis qu’Ariane vérifiait dans le rétroviseur :
Plus

RIEN !

Parce que « personne » aurait été beaucoup dire.

De l’automobile qui avançait vers eux, le conducteur les regarda bizarrement. Peut-être parce que leur carrosserie rayée avec un coffre au bord de l’éruption teintait leur air hagard - et leur essoufflement hors de propos - d’un soupçon de démence.
Du coup pourquoi prévenir quelqu’un d’aussi méfiant ?
Et ils sortirent.

- C’est encore grâce à l’une de tes fameuses idées !
- Dis-donc ! On a décidé ensemble de se garer là vu les travaux au parking de la gare.
- C’est toi qui l’a vu en premier !
- Mais aussitôt tu as suivi.

Ils soupirèrent en choeur.

- Qu’est-ce que c’était Ariane ? Qu’est-ce que ça foutait là ?
- C’est juste une impression mais on aurait dit le Minotaure …
- Le monstre de l’antiquité enfermé par un roi dans un labyrinthe grec ? Et qui se retrouve en Suisse ?

De quoi en perdre le fil.

Mythe d’origine : Thésée et le Minotaure
Thésée est un héros athénien raconté notamment par Ovide, Apollodore, Plutarque, Euripide, Sophocle.

Médée dans le titre est un joyeux amalgame :
si elle a en fait cherché à empoisonner Thésée lorsqu’il se rend à Athènes ville du roi Egée, elle aidera par contre le héros Jason (La conquête de la Toison d’Or) dans son combat contre deux taureaux vomissant des flammes.

Photo de couverture et illustration (au fait avez-vous vous aussi trouvé la Ferrari ?) : Chantal Perrin Verdier