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De la pulpe des doigts à la jointure des lèvres

De la pulpe des doigts à la jointure des lèvres

Veröffentlicht am 23, Sept., 2024 Aktualisiert am 23, Juli, 2025 Romance
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De la pulpe des doigts à la jointure des lèvres

Il fixe avec envie, calme et timidité un coffre en acajou d'un rouge carmin passé, un écrin marqueté d'éclats de paille ternis et de placages triviaux, d'essences sans valeurs et de dorures frivoles : une boite ordinaire, fardée avec excès, indifférente au regard de celui qui brûle de la déverrouiller. De son index droit, il force le fragile crochet, pour le délivrer de son anneau. Il tremble. L'attache est libre, enfin. Délié de cette entrave, il peut lever le couvercle, révéler un trésor qu'il sait à sa portée : une offrande délicate que, dans sa maladresse, il craint de meurtrir et de déshonorer. Tant d'autres bien avant lui et après lui ont su tout lui donner, la révéler au monde et la diviniser, l'immortaliser.


Heureusement, elle est indulgente. Elle accepte les amants débutants, les flirts impromptus, les prétendants idiots et modérément doués pour peu qu'ils soient sincères et simples, patients et minutieux ; mais, obstinés. Qu'ils acceptent ses soupirs, tout autant que ses rires haut perchés, surtout quand ils éclatent au lieu de jouer un ré.


Le coffret est ouvert. Il admire sa silhouette fractionnée. De son bec accueillant mais fermé, à son pavillon noir évasé d'où s'échappent, parfois, des prières chargées d'humidité, son baril galbé, rebondi, ventru, pour amplifier le son, en passant par ses corps et tous leurs ornements, gravures incertaines et scarifications, vingt-quatre trous sertis de métal argenté, dix-sept clés tamponnées pour la rapidité. Et, pour tout accessoire, une anche virevoltante, vibrante, empressée, prise par une ligature enveloppante et serrée, un bondage nécessaire à sa sonorité.


Il doit la rassembler, lui accorder son unité ; puis l'animer. C'est sa version totale, intégrale, intacte qu'il se plaît à aimer.


Il se lance dans une routine de gestes éprouvés, nets et implacables, facilités par les lièges lubrifiés au bout de certaines pièces. Le pavillon d'abord sur le corps du bas, puis le corps du haut. Attention à la courbure des clés : les prémunir d'un choc, d'une torsion nocive, ne pas trop serrer avec ses doigts noueux ces corps en grenadille, faux ébène prestigieux. Et pour finir, le bec, vissé sur son baril, avec délicatesse. Le tout aligné, emboîté, posé avec soin, couché à l'horizon sur un lit de feutrine ou une natte en coton.


Il s’empare d’une anche une dont le profil lui plait. Il la porte à ses lèvres entrouvertes, la pose sur sa langue pour l'humidifier. Trois secondes, cinq secondes, dix secondes tout au plus, en prenant soin de saliver. D'un geste précis, mille fois répété, il l'allonge sur le bec dont la table se soumet à son parfait aplat. Puis, par la ligature, il fixe pour quelques heures cette lamelle fragile, lui accorde l'occasion de frémir, libre sous la contrainte utile d'un laçage contenu.


Ils peuvent, ensemble, jouer.


Il saisit l'objet de son désir. Ses doigts se placent naturellement autour de l'instrument. Le pouce de la main droite assure l'équilibre. Il le porte à sa bouche comme pour l'embrasser, bec et anche prisonniers de ses deux lèvres moites et positionne la langue pour les contrôler. Il bombe le torse, par fierté, peut-être, mais c'est bien de son ventre que l'effort doit venir. Il souffle, sans actionner de clé ou obstruer de perce. C'est un sol qui sort, réduit d'un quart de ton, alors qu'un fa devrait se dévoiler. Elle est froide, il faut la réchauffer et la régler. Il tire sur le baril et crée un espace avec le corps du haut, puis il souffle à nouveau et recommence, encore. L'humidité s'installe, la chaleur s'accumule et la note jouée se rapproche de celle espérée. Il s’en contente : il est bon d’être troublé par une sonorité mal ajustée, des écarts de conduite et des mots déplacés, des émotions limites ; des marques d'humanité.


Il aurait dû s'échauffer également, détendre ses muscles, animer son visage de mouvements réguliers, faire claquer sa langue, converger son souffle, forcer son abdomen à prendre le contrôle de ses respirations. Il le fait, parfois. Mais son désir est grand. Là, il n’attend pas. Il veut, après ces premiers sons, faire quelques gammes, parcourir les registres les uns après les autres, s'approprier les notes dans leur plénitude.


Les graves d'abord, qu'il arpente en dénivelé léger, bouillonnants, organiques, orgasmiques et sensuels qui mènent aux médiums, dont la pente se raidie mais est aisée à grimper, désinvolte. Puis la clé de douzième pour passer au clairon, acidulé, piquant, qui tétanise avant de s'attaquer au sommet, aux parois verticales du suraigu tranchant qui taillade les sens et sculpte avec audace tout l'air environnant. Un fois arrivé, il scrute l’horizon, se repose, fixe, les yeux fermés, les perspectives sonores qui se sont révélées. Il inspire, expire, à vide, pour se calmer, puis redescend. En bas, il remonte. Et redescend. Il s'enivre frénétiquement de ces allers-retours, ces voyages chromatiques, liés ou détachés, qui le délivrent de l'angoisse de déjouer.


Dans la chaleur des corps et dans l'humidité qui perle de l'embout et s'écoule à ses pieds, il s'engage pleinement, guidé par l'instinct de ses doigts, la douceur de ses lèvres, son corps qui se balance et convulse sans cesse. Ses improvisations échappent à son contrôle, des notes inattendues surgissent d'on ne sait où, de la polyphonie, des fantasmagories. Après de longues minutes, des heures, haletant, épuisé, les crampes le saisissent à la jointure des lèvres. Son air se raréfie, il erre dans l'asphyxie. Il suffoque, il s'effondre et maintient l'instrument oppressé à son cœur pour le protéger. Dans cette intimité qui les unit l'un à l'autre, allongé au sol, il voit en lui celle qu'il désire. Il savoure sans réserve ce moment merveilleux, fascinant et grisant.


Il s'assoupit. A son réveil, son humeur a changé. Il est triste. Il n'aurait jamais dû se laisser abuser par cette ultime étreinte. Le rêve est une chose. Et l'illusion une autre. Il pense à la musique qu'il n'a pas vraiment jouée. Il pense à l’amour, qu’il n’a pas mérité.

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Luce verif

Luce vor 10 Monaten

ce texte aurait pu participer au concours mélodie24😉

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Arthyyr verif

Arthyyr vor 10 Monaten

C'est possible, je suis passé à côté de peu. Ceci dit, moi et les concours.....😁 Et pour être très honnête, le fait qu'une version audio soit préconisée pour cette catégorie m'a arrêté.

Luce verif

Luce vor 10 Monaten

ah oui moi j’ai publié sans version audio 😉

Jackie H verif

Jackie H vor 10 Monaten

Union physique et mystique du musicien et de son instrument...

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Arthyyr verif

Arthyyr vor 10 Monaten

Mystique? Oui. Le musicien est un pèlerin. Sa musique un acte de foi. Son instrument son paradis.

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