POV Lili

De la pure torture. Les cours avaient toujours été mon refuge. Mais aujourd’hui, je n’avais qu’une hâte : que la sonnerie mette fin à mon supplice.

Logan était avachi sur sa chaise, les jambes écartées, son genou gauche effleurant ma cuisse. Son bras reposait avec nonchalance sur mon dossier, ses doigts jouant négligemment avec mes cheveux. La chaleur de son corps embrasait ma peau et son parfum, un subtil mélange d’agrumes et de brise marine, me rendait folle.

Reprends-toi, Lili !

Malgré tous mes efforts pour me concentrer sur les paroles de M. Ferguson, notre professeur, je ne pouvais m’empêcher d’être perturbée par Logan. D’ignorer son regard qui faisait vibrer mon cœur. Il m’était impossible de rester tranquille, je me tortillais d’inconfort sur mon siège. Et, avec ce sourire triomphant qui illuminait son stupide visage, il en était pleinement conscient. Quel crétin !

― Tu peux m’expliquer ce qu’il faut faire, s’te plaît, chuchota Ryan en se penchant vers moi.

― Euh… oui… bégayai-je en tentant de me rappeler les derniers mots de M. Ferguson.

Je réunis les quelques notes que j’avais réussi à griffonner durant les quarante-cinq premières minutes de cours. Elles n’étaient, hélas, pas aussi détaillées qu’à mon habitude, mais elles suffiraient amplement.

Après avoir jeté un œil au tableau sur lequel M. Ferguson affichait l’énoncé de l’exercice qu’il venait de nous donner, je me tournai vers Ryan, heureuse qu’il m’ait demandé de l’aide. J’étais fermement résolue à ne pas travailler en binôme avec Logan. J’avais accordé bien trop d’attention à cet Adonis assis à ma droite, et Ryan m’offrait la parfaite distraction pour le quart d’heure restant.

― C’est assez simple, en fait, commençai-je. Il suffit de reprendre l’algorithme que M. Ferguson nous a montré en début d’heure et de l’appliquer dans ce nouveau contexte. Je…

Le smartphone de Ryan vibra encore et encore sur la table, interrompant chaque fois mes explications. Je lâchai un soupir exaspéré, sachant pertinemment qui était l’auteur de ces messages intempestifs.

Ryan jeta un regard noir à Logan tout en me présentant ses excuses. Sans quitter son ami des yeux, il éteignit enfin son téléphone et le rangea dans son sac, avant de tenter de se concentrer à nouveau sur notre exercice.

Quelques minutes plus tard, alors que nous discutions des modifications à apporter au code de M. Ferguson, une jolie rousse apparut derrière nous, Camilla me semblait-il. Elle resta silencieuse un instant, jouant avec l’ourlet de son pull trop large, avant de toussoter doucement pour attirer notre attention.

― Ryan… commença-t-elle faiblement. Je… Euh... tu veux bien... enfin, est-ce que tu veux travailler avec moi sur ce devoir. Mais si tu préfères être avec Lili…

― Non, s’exclama Ryan un peu trop rapidement. Euh… Lili ? demanda-t-il d’une voix presque suppliante sans quitter Camilla du regard.

De toute évidence, mon ami était sous le charme de notre camarade de classe. Il la dévorait des yeux, frottant nerveusement la paume de ses mains sur son jean, ne sachant pas quoi dire ni quoi faire. C’était une facette de sa personnalité que je ne connaissais pas. Lui qui était toujours si sûr de lui, portant cette audace tranquille comme une seconde peau, était tout autre : timide, presque gauche, ce qui le rendait attendrissant avec ses joues rosies et son sourire béat.

― Vas-y. Je peux me débrouiller toute seule, le rassurai-je.

Il ne lui en fallut pas plus. Il ramassa ses affaires, prit son sac et sa veste, puis se dirigea vers sa belle dulcinée. Je les observais tandis que le monde semblait s’effacer autour d’eux, une douce mélancolie m’envahissant, j’aurais tout donné pour vivre à nouveau cet instant, bien que je doutais d’en être encore capable. Faire confiance et offrir mon cœur sans retenue. Plus jamais.

― J’ai vraiment cru qu’il ne te lâcherait jamais… murmura Logan.

Il était si proche, son souffle brûlant contre mon cou. Ses lèvres effleurèrent le lobe de mon oreille et un gémissement faillit m’échapper. Traître de corps ! Un frisson électrisant parcourut ma colonne vertébrale et je fermai les yeux, luttant contre la magie que Logan exerçait sur moi.

Il m’était nécessaire de m’éloigner de lui. De mettre de la distance entre nous pour retrouver mon calme. Je ne pouvais pas lui céder cette victoire. Et la première étape consistait à dénicher un nouveau binôme pour ce cours. Simple en théorie, mais c’était un tout autre défit en pratique ! Mes camarades, tous beaucoup trop concentrés sur leur écran pour ne pas être suspect, étaient déjà tous en duo, ne me laissant d’autre option que de collaborer avec Logan. Parfait.

― On dirait que tu es coincée avec moi, Lili…

Je fis volte-face, bien décidée à envoyer balader cet idiot – plus jamais un mec ne se jouera de moi. Mais avant que je ne puisse dire un mot, la sonnerie retentit, me sauvant probablement d’une nouvelle humiliation cuisante.

Un soupir lourd de soulagement quitta ma poitrine, trahissant mon anxiété et ma lassitude. Malgré la colère qui bouillonnait en moi, je n’avais pas l’énergie pour une autre confrontation. Alors je préférai ignorer Logan avec une froide indifférence. Je rassemblai mes notes, à peine attentive aux instructions de M. Ferguson concernant le devoir pour la semaine prochaine. Puis je filai vers la sortie avant que Logan ne puisse m’intercepter et me rendis directement aux vestiaires, impatiente de retrouver Anny pour le dernier cours de la journée.

Je me faufilai à travers la foule, sentant la chaleur du regard de Logan peser sur moi comme une menace. Il était résolu à ne pas me laisser partir. Il était déterminé à m’avoir, quoi qu’il en coûte. Quoi qu’il m’en coûte !

Comme si le simple fait d’imaginer le pire avait suffi à la convoquer, une main élégante aux ongles acérés attrapa brutalement mon bras, me stoppant dans ma fuite. Morgan et son armée de groupies, ces pom-pom girls aux regards vides et aux sourires féroces, se matérialisèrent devant moi.

―Lilia, c’est bien ça ? grinça-t-elle avec mépris.

― Lili. Et toi, c’est Mégane, n’est-ce pas ?

Une lueur de surprise scintilla dans ses yeux gris, avant qu’elle ne revête une expression amère, m’examinant de la tête aux pieds, tel un prédateur scrutant sa proie.

― Laisse Logan tranquille, il est à moi ! lança-t-elle sèchement.

Une hilarité soudaine me submergea, aussi incontrôlable et douloureuse qu’une marée de désespoir. Laisser Logan tranquille… je ne demandai que ça ! Mais comment le faire comprendre à cette garce ? Je n’étais rien d’autre qu’un obstacle dans son grotesque plan de conquête de son idéal masculin. Et plutôt que de s'exposer à perdre les faveurs de Logan, elle choisissait de s’attaquer au problème : moi.

À cet instant, si les regards pouvaient faucher des vies, je serais déjà une ombre errante, tranchée par la haine.

― Aucun risque, je te le laisse. Les connards comme lui, très peu pour moi ! sifflai-je avant de me libérer de son emprise et de m’éloigner.

Comment pouvait-elle encore éprouver des sentiments pour lui après la façon froide et cruelle dont il l’avait traitée ce matin ? Comment pouvait-elle accepter ça ? Qu’ils aillent au diable tous les deux !

Anny m’attendait avec impatience devant les vestiaires, déjà vêtue d’un legging noir et une brassière de sport grise. Elle était magnifique, comme toujours ! Dès qu’elle m’aperçut, elle m’offrit un sourire chaleureux, me serra dans un calin et m’embrassa sur la joue. J’adorais sa personnalité pétillante. Elle était un véritable rayon de soleil, toujours lumineuse. Toujours disposée à s’amuser.

Elle était littéralement la première âme que j’ai rencontrée en arrivant ici, à Lake City. Sa curiosité l’avait poussé à se présenter chez nous le jour même de notre emménagement avec un panier de pâtisseries faites maison. Nous avions tout de suite accroché et depuis, nous étions devenues inséparables. Elle m’avait aidé à décorer ma nouvelle chambre, fait découvrir la ville et les environs, raconté tous les potins du lycée… Et pour tout cela, je lui en serais éternellement reconnaissante.

La solitude a toujours été ma meilleure amie, ma passion innée pour les livres me réconfortant. Me nourrissant. Pourtant, après ce qu’il m’était arrivé à Blare beach, je la fuyais chaque jour un plus, anxieuse de ce face-à-face avec mes pensées. À chaque instant de calme, les cauchemars ressurgissaient, m’engloutissant dans une angoisse insupportable. Une angoisse que je n’avais plus la force d’affronter seule. Je suffoquais. Me noyais dans cette atroce douleur. Et mon père, lui qui avait été témoin de ma chute, était de plus en plus désemparé. Il le dissimulait, mais je pouvais le lire dans ses yeux chaque soir, dans ses sourires teintés d’inquiétude. Il ne savait plus comment m’aider et je ne voulais pas être un fardeau. Surtout après tout ce qu’il avait sacrifié dans l’espoir de me voir vivre pleinement, comme toute jeune fille de 17 ans devrait le faire.

Alors rencontrer Anny a été un véritable bonheur. Elle n’était pas au courant de mon passé, mais elle a tout de suite compris que j’avais affronté des épreuves terribles. Et plutôt que de me bombarder de questions, elle a choisi là pour moi, attendant que je me sente prête à en parler.

― Mon Dieu, c’est quoi ces traces sur ton bras ? s’inquiéta Anny en relevant la manche de ma chemise tachée de sang.

― Oh rien, j’ai rencontré une chatte en chaleur, riai-je tentant de dédramatiser la situation. Elle a essayé de marquer son territoire.

Anny me lança un regard perplexe avant de s’emporter :

― Attends ! Me dis pas que c’est Morgan qui t’a fait ça ! C’est quoi son problème à cette pimbêche ?

Un silence s’installa dans les vestiaires et toutes les filles présentes se retournèrent, nous fixant comme deux bêtes de foire. Des murmures et des rires moqueurs résonnèrent. Le poids de leur jugement pesait lourdement, mais Anny ne semblait pas s’en soucier. Elle était furieuse, bien que je ne comprenne pas réellement pourquoi. L’attitude de Morgan n’était pas une surprise. Cette fille manquait d’originalité, elle n’était que l’incarnation de la méchanceté comme tant d’autres avant elle et d’autres encore à venir.

― Ce n’est rien. Je vais juste désinfecter et ça ira. Je dois avoir du gel hydro, marmonnai-je en fouillant dans mon sac. Ah ! Le voilà !

Je sortis un mouchoir, y versai un peu de gel pour nettoyer les quatre éraflures sur mon bras. Je grimaçai, attendant que la sensation de brûlure s’apaise, puis je jetai le mouchoir souillé de sang à la poubelle.

― Ce n’est pas rien, Lili, murmura Anny toujours en colère.

― Écoute, après la manière dont Logan l’a traitée cet aprèm, je la comprends un peu… Offrir sa virginité et se faire jeter après, c’est dur à avaler.

Anny me dévisagea d’un air surpris et éclata de rire. Un rire bruyant, convulsif qu’elle en perdit son souffle et devint rouge pivoine. Je tentai de saisir ce que j’avais bien pu dire de si hilarant, en vain.

― Qui… qui t’a dit que… Morgan était vi… vierge ? bégaya-t-elle.

― Elle ne me l’a pas dit personnellement, mais je l’ai surprise quand elle a dit à Logan qu’elle l’aimait et qu’elle lui avait donné sa virginité samedi dernier.

Nouveau fou rire. Comme si elle se moquait de moi, ce qui commençait sérieusement à m’agacer. C’était un sujet sensible pour moi et je ne supportais pas son attitude désinvolte. Alors, pendant qu’elle riait à en pleurer, se tenant les côtes, j’enfilai mon legging et mon t-shirt XXL pour aller en cours.

― Attends, Lili. Désolée… je n’avais rien entendu de si drôle depuis longtemps. Morgan, vierge ? Depuis l’âge de 15 ans, elle enchaîne les joueurs de football. De préférence les dernières années.

― Oh…

Sa révélation me fit l’effet d’un coup de poing dans le ventre. Je me sentais ridicule d’avoir cru aux mensonges de Morgan. Et d’avoir été si prompte à penser que Logan était le méchant de l’histoire.

― Ouais… et cet imbécile de Logan, il lui avait résisté jusqu’à maintenant. Il ne peut pas la supporter, il a passé tout l’été à l’éviter. Mais les mecs et leur queue… Bon, allé, viens, on va être en retard et tu sais comment est Mme Liv…

― Ouais, pas envie de faire des tours supplémentaires…

POV Logan

Incroyable ! Lili s’était échappée, encore une fois. Elle avait fui sans même prendre le temps d’écourter les consignes de M. Ferguson pour le devoir à restituer la semaine prochaine. Bien trop pressée à mettre de la distance entre nous. Putain ! Elle va me rendre fou !

J’étais parvenu à éloigner Ryan d’elle, mais finalement, ça n’avait rien changé.

― Allez, mec. Ne fais pas la gueule, OK ? me lança mon meilleur ami alors qu’on quittait la salle de classe.

― Tu fais chier ! Tu cherchais quoi exactement en t’asseyant à côté d’elle ? grognai-je.

Le visage de Ryan s’est assombri alors qu’il m’observait, ses sourcils froncés trahissant son agitation. Sans prévenir, il a tourné les talons, manifestement trop énervé pour me parler. Mais, après quelques pas, il fit brusquement demi-tour et s’élança vers moi. Il me repoussa d'un coup puissant à la poitrine et m’interpella avec une agressivité palpable.

―Elle est mon amie et je suis bien décidé à la protéger de toi. Voilà à quoi je pensais ! Pendant que tu te faisais frotti-frotta avec l’autre pétasse, nous avons tous appris à la connaître. Loïc, Ethan, Jared, Steve et moi. On discute avec elle tous les jours, alors que toi, tu passes ton temps à l’éviter et à la fixer quand tu crois que personne ne te voit. Cette fille est géniale, mais elle est aussi fragile. Elle a souffert, mec. Je sais pas ce qu’elle a vécu, mais ça l’a brisée. Donc si tu tiens un peu à elle, tu vas rester loin d’elle. Et tu vas emmener avec toi Morgan et toutes ses merdes. OK ?

Ma seule réponse a été de frapper violemment mon meilleur ami au visage. Une colère explosive me submergea et je ne pouvais plus me contenir. Il avait l’audace de vouloir la protéger de moi. Il exigeait que je disparaisse de son existence. Pas question, putain ! C’était totalement impensable. Et ce n’était certainement pas Ryan qui allait m’interdire de la voir. De l’avoir…

Après ça, mes souvenirs étaient un véritable brouillard. L’entraîneur nous a séparés et nous a hurlé dessus pendant une quinzaine de minutes avant de nous envoyer à l’infirmerie. Les doigts de ma main droite étaient en piteux état, mais rien de comparable à Ryan. Son arcade était complètement explosée et il arborait un magnifique cocard.

― Je suis désolé, mec. Je sais pas ce qui m’a pris… soufflai-je en me passant une main sur le visage.

Ryan me scruta attentivement avant d’éclater de rire, d’un rire chaleureux et sincère qui me remonta le moral. Malgré mes conneries, il était toujours là, mon meilleur ami.

― Pas de problème, mec. De toute façon, je t’en dois une pour Camilla. Je ne sais pas comment t’as fait, mais merci !

Camilla était une petite rouquine sur laquelle Ryan avait des vues depuis des mois. Elle avait besoin d’aide en maths et moi d’ajouter une expérience de mentorat à mon dossier pour l’université. Lors du dernier semestre de l’année passée, le doyen nous avait mis en binôme et je n’avais pas tardé à la présenter à mon meilleur ami. J’étais convaincu qu’ils feraient un couple parfait. Je savais que Ryan l’avait invitée à plusieurs reprises, mais elle trouvait immanquablement un bon prétexte pour se dérober et, depuis la rentrée, elle l’évitait comme la peste. Pourtant, Ryan lui plaisait, elle me l’avait avoué au cours d’une de nos séances de révision. J’ignorai ce qui se tramait exactement entre eux deux, mais j’étais déterminé à me rapprocher de Lili. Et si, pour cela, je devais utiliser le béguin de Ryan à mon avantage, je n’hésiterais pas. Je me doutais que ça mettait Camilla dans une situation délicate, mais j’avais su trouver les arguments pour la convaincre.

― Avec plaisir ! lui dis-je. Tu pourrais reconsidérer ta décision concernant ma relation avec Lili.

Une lueur de colère s’embrasa dans le regard de Ryan. Aucun mot ne sortit de ses lèvres serrées, mais je vis ses poings se crisper et sa mâchoire se raidir lorsque j’avais évoqué Lili. Il n’avait pas l’intention de capituler et moi non plus !

― Je suis pas un putain de monstre !

― Tout ne tourne pas toujours autour de toi, Logan… souffla-t-il en secourant la tête avant de quitter l’infirmerie et de me laisser comme un con.

Texte de L.S.Martins (60 minutes chrono, sans relecture).

Image par Tom und Nicki Löschner de Pixabay