L'Inde est une terre de contrastes pat excellence. Elle est capable de générer les choses les plus désopilantes telles l'extrême misère et son exploitation, le système des castes et la catégorie des intouchables, la persistance de maladies d'un autre temps comme la lèpre ou la poliomyélite, ou la pollution décuplée à l'extrême ; et d'un autre côté permettre l'émergence de phénomènes de groupe et de personnalités assez extraordinaires, notamment quand il s'agit de spiritualité et de sagesse indienne.

Connaissez vous Amma ? Avez vous déjà entendu parler de cette femme au sourire lumineux et resplendissant, qui embrasse à tour de bras des gens du monde entier, plus de 40 millions de personnes à ce jour ? Avez-vous vu les images de ces centaines, voire ces milliers de personnes, qui font la queue pour pouvoir recevoir son accolade et son baiser, le temps de quelques secondes à peine, et qui en ressortent à la fois très émus, en larmes, profondément bouleversés par cet instant unique qu'ils viennent de traverser ? Sa vie et son destin participe d'une de ces histoires incroyables dont l'Inde recèle, que je vais essayer de vous résumer.

Née femme, déjà, dans une société complètement dominée par les hommes ; Fille de pêcheur, qui n'est pas de loin la caste la plus riche ni la mieux considérée ; 3eme d'une famille de 8 enfants, née avec la peau bleue-noire, ce qui l'a de suite stigmatisée ; asservie ainsi par sa propre famille, telle une cendrillon, qui la traitait comme une bonne à tout faire, la méprisait et la battait ; très peu lettrée (elle est allée jusqu'au CM1) car préposée aux multiples tâches de la maison, quand ses frères et sœurs allaient au collège et au lycée...

Aucune de ces prédispositions matérielles ou sociales ne laissait présager le phénomène mondial qu'elle est devenue aujourd'hui ! Si ce n'est sa personnalité hors du commun, son abnégation et sa capacité de résilience dans l'adversité, son altruisme et son amour pour tous les êtres vivants, et surtout sa foi incommensurable et son haut degré de spiritualité.

Dans la pensée hindoue, il y a 3 voies complémentaires pour accéder à l'état d'éveil, le samadhi : la voie de la connaissance, le jnana yoga, que l'on développe par l'étude des textes sacrés et la méditation ; la voie de l'action, le karma yoga, que l'on développe par la justesse de ses actions au quotidien ; et la voie de la dévotion, le bhakti yoga, que l'on développe par l'adoration illimitée envers une divinité.

S'il fallait définir Amma, elle serait clairement d'abord l'incarnation de la bhakti suprême.

Selon sa biographie que je viens de terminer (et qui est à l'image des grandes épopées indiennes, très romancée, rendant parfois difficile la distinction entre mythe et réalité), elle naît en septembre 1953 dans un petit village de pêcheurs sur la côte du Kerala dans des circonstances déjà interpellantes.

Dès ses premières années, elle étonne par sa capacité à retenir et chanter des mantras à la gloire du Seigneur Krishna, et même à en réciter certains qu'elle n'avait jamais entendus, avant de se mettre très jeune à en composer par elle-même. Elle témoigne déjà alors d'un profond amour pour le Dieu Suprême, dont elle conserve en permanence une image au plus près d'elle.

Entièrement dévouée à lui dans chacune de ses actions, dont elle chante en permanence les louanges, elle présente également très jeune, à partir de 5-6 ans, des états d'exaltation puis d'extase, au cours desquels elle peut s'interrompre brusquement dans ses activités et se figer, se mettre à rire aux éclats ou au contraire fondre en larmes, danser toute seule de manière non académique, ou, par la suite, perdre connaissance et s'effondrer inanimée au sol pendant de longs moments.

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Elle dénote aussi particulièrement par son hypersensibilité face à la souffrance du monde, son aversion profonde devant toute forme d'égoïsme et de cruauté, sa grande compassion, son dévouement aux autres et la bienveillance dont elle fait preuve envers les villageois les plus démunis à qui elle offre toujours tout ce qu'elle peut, quitte à voler chez elle pour offrir aux plus nécessiteux.

Tout ceci n'est pas du goût de sa famille qui la considère comme une folle, la punit et la maltraite encore plus, craint par dessus tout le déshonneur face à ces comportements étranges, et l'accable d'encore plus de travail pour tenter de mater cet esprit dérangé. Elle raconte qu'elle ne leur en a jamais tenu rigueur ni éprouvé aucune rancoeur, qu'elle se réfugiait alors et trouvait sa force pour faire face dans son amour qu'elle vouait à Krishna, qu'elle n'avait que compassion pour eux qui agissaient ainsi par ignorance, et qu'elle redoublait alors d'efforts pour mener à bien toutes ces tâches sans jamais se plaindre. C'est, dit-elle, à travers toutes ces épreuves qu'elle a appris à développer cette force de pardon et d'amour inconditionnel, désintéressé et illimité envers tous qu'elle délivre à tous aujourd'hui.

Mais son comportement étrange et sa dévotion sans limites suscite une curiosité de plus en plus croissante dans l'entourage. A l'âge de 22 ans, elle présente pour la première fois un état extatique puissant, appelé Krishna bhava, au cours duquel elle se transforme et se sent devenir son Dieu vénéré, en adopte les attitudes, les paroles, se met à danser comme lui, et donne en son nom sa bénédiction, le darshan. Les dévots affluent alors de plus en plus nombreux des villages environnant puis de toute la région pour assister au Krishna bhava, voir cette adolescente qu'on dit possédée par Krishna lors de ces transes, solliciter sa bénédiction et ses faveurs, demander protection ou de l'aide pour faire face à ses malheurs...Il est dit également qu'elle accomplit alors des miracles, qui convainc les plus indécis.

Cela lui suscite également beaucoup d'animosités, notamment de la part de sa famille et de sceptiques appelés les rationalistes, qui la traitent de folle et d'imposteur, cherchent à la confronter et tentent par tous les moyens d'empêcher ces manifestations d'avoir lieu, et même de l'assassiner.

Son père, impressionné par ces états et ce qu'elle parvient à accomplir, finit par organiser ces cérémonies en aménageant dans l'étable une pièce, où elle délivrera son darshan pendant plusieurs années durant.

Quelques années plus tard, elle traverse une autre expérience extatique où elle rencontre alors la Devi, la Mère divine, avec laquelle elle va désormais s'identifier et se fondre dans le Devi bhava, l'incarnation de la Devi.

C'est à partir de ce moment là qu'on l'appellera Amma, ou Sri Mātā Amritānandamayī Devi, et que telle une mère elle commencera à délivrer le darshan sous forme d'une embrassade qui réconforte et soulage tous les maux de ses dévots, message d'amour universel et inconditionnel qui les aide à purifier leur âme et à les révéler à eux-mêmes et leur nature véritable.

Depuis, le phénomène Amma n'a fait que s'amplifier. Elle fonde en 1981 avec quelques fidèles un ashram en lieu et place de sa maison d'enfance, l'ashram d'Amritapuri, vers lequel affluent de plus en plus de personnes de la région puis de l'Inde tout entière. Fort de son succès, le lieu ne fait que s'agrandir, les prétendants à devenir résidents permanents étant de plus en plus nombreux, une école d'enseignement des Védas (les textes anciens de l'hindouisme) y est construite, puis un hôpital ayurvédique...

En 1987, elle réalise sa première tournée mondiale, entre l'Europe et les Etats-Unis, où elle rencontre un si vif succès qu'elle y reviendra ensuite quasiment chaque année.

Sa renommée est telle que son seul nom lui permet de récolter des millions de dollars. Engagée dans de nombreux projets humanitaires par le biais de son organisation Le Mata Amritanandamayi Math (MAM) et son réseau d'ONG locales Embracing the World, en particulier lors de catastrophes naturelles comme le grand de Tsunami de 2004 qui a entre autres touché les côtes du Kerala, mais aussi lors de l'ouragan Katherina aux Etats-Unis, du tsunami de Fukushima ou d'autres grandes inondations et tremblements de terre à travers le monde, elle a participé financièrement à de nombreux projets d'assistance aux sinistrés.

Engagée également pour son pays et sa région, elle milite pour le développement et l'amélioration des conditions de vie des indiens, par la construction d'écoles, d'hôpitaux et d'orphelinat, par des vastes programmes de distribution de nourriture quotidiens (10 millions de repas/an) ou de relogement des sans-abris, ou par sa participation à un grand projet de nettoyage gouvernemental, Namami Gange (« Nettoyer le Gange »), notamment en finançant la construction de toilettes pour les familles pauvres vivant le long du fleuve.

Elle côtoie aujourd'hui les plus grands, chefs d'état et autorités religieuses pluri-confessionnelles, se rend dans les grands forums mondiaux comme le C20, le Civil 20 qu'elle a présidé lors de l'organisation du G20 en Inde, où elle s'efforce de délivrer un message de paix, d'amour, de lutte contre l'esclavage moderne et pour l'amélioration de la condition des femmes, et de respect de la nature et du monde vivant.

C'est donc dans son ashram à Amritapuri, dans le sud du Kerala, que je viens de passer quelques jours.

Malheureusement pour moi, Amma est précisément en ce moment en tournée européenne, et je n'ai donc pas pu la rencontrer physiquement. Mais cela me permet malgré tout de me rendre compte du lieu qu'elle a bâti et prendre conscience de l'étendue du phénomène qu'elle représente malgré tout : 3500 résidents, occidentaux et indiens, vivent ici en permanence, auxquels s'ajoutent les nombreux visiteurs de passage pour plusieurs jours, plusieurs semaines ou quelques mois. 5 à 6.000 personnes peuvent circuler ici quotidiennement.

(NB : Aucune photo n'est autorisée à l'intérieur, sorry)

La journée commence tôt le matin par la récitation des 1000 noms existants de la Devi, l'Archana, puis par une méditation d'une heure, hommes et femmes séparés. Puis, après le petit déjeuner, une pratique fondamentale pour Amma est la pratique du Seva, le service au profit de la communauté (ménage, vaisselle, travaux d'entretien...). L'idée est de développer des actions désintéressées qui participent de la libération de l'égo et de ses revendications égoïstes, au cours desquelles il est important d'essayer de rester en pleine conscience du moment présent et de réciter des mantras.

La véritable cérémonie collective commence en général à 16 ou 17h, débutant par un temps de méditation, puis un temps d'enseignement spirituel appelé Satsang, avant d'entreprendre la récitation des Bhajans, qui sont des chants dévotionnels. La session se conclut enfin par le fameux Darshan qu'Amma délivre successivement à chacun des participants, jusqu'au dernier.

Malheureusement donc pour moi, Amma n'étant pas là, si nous pouvons heureusement suivre par visio le déroulement des cérémonies ayant lieu actuellement à Aix-en-Provence, je ne recevrai pas le darshan.

Il me manque bien là, je crois, la part la plus essentielle pour ressentir et comprendre émotionnellement la force et la puissance de ce que représente Amma. Mais je peux mesurer la ferveur et la dévotion que ses disciples lui accordent, se prostrant devant les multiples images d'elle répartie dans toute l'ashram, considérée comme une sainte vivante et accomplie venue délivrer un message d'amour libérateur et infini.

J'avais déjà eu l'occasion de la rencontrer en 2011 à Toulon, où mon amie Magalie m'avait convié de venir ; peut-être subjugué par le phénomène, n'ayant pas eu la force ou la patience de faire les 2 ou 3h de queue nécessaires, je n'avais alors pas non plus pu recevoir et ressentir le darshan. Mais j'avais alors pu constater l'émotion qui affectait certains. Peut-être, Mag, voudras-tu nous bien nous témoigner en commentaires tes impressions et ce que tu as ressenti auprès d'elle ? Pour ma part, il me faudra donc revenir !