Le soir, lorsque les bateaux-mouches venaient faire le tour de l’île aux cygnes, les lumières des péniches éclairaient le salon. Cela lui donnait un air de fête foraine. Apercevant un faisceau lumineux, l’enfant se précipitait sur l’interrupteur, puis courait s’asseoir sur le canapé pour admirer, sans se lasser, le spectacle éphémère des lumières bondissant comme des vagues sur les murs, les meubles, les objets, pour les faire valser. Un artiste invisible empoignait l’espace, laissant exploser son éclatante inspiration, y propulsant sa lumière, ses soleils artificiels et de fantomatiques silhouettes . Cela animait Elisabeth d’une envie folle de dessiner des mondes.

Les vacances d’hiver à Paris s’achevaient. Le lendemain, elle retournerait à l’école des Bauches, dans sa classe de CM2.

On entendait parfois, selon l’heure et la direction du vent qui s’énervait parfois très fort sur le pont de Grenelle, des bribes de commentaires formulés au micro pour les touristes installés dans la péniche. A cet endroit, presque sous les fenêtres d’Arielle, d’Alain et d’Elisabeth, leur fille, la statue de la liberté, petite soeur de la new-yorkaise était le point d’intérêt.

L’effraction de la lumière ne durait pas longtemps, elle frappait l’imagination de la petite fille comme les mouvements du soleil qui se couche, saisis en time-lapse pour impressionner le regard par cette accélération de l’évolution. Véloce mais intense. La vie à mille à l’heure. Souffle de vitalité dans cette boîte crânienne à l’extérieur de laquelle avait déjà commencé la dénudation, sans explication, sans danger non plus.

Elle ne pouvait pas se passer de ce spectacle. C’était sa maison intérieure qui s’illuminait.

Elle refusait de faire la balade sur la Seine que lui proposaient ses parents. Ils disaient qu’enfin elle ferait vraiment partie de ce ballet d’ombres et de lumières. Pas question justement de mettre les pieds sur un bateau pour se promener sur le fleuve parisien, et troquer la lanterne magique contre la vision du réel.

- Viens mon lapin.

Ce terme duveteux pour la désigner ! Le velours des oreilles et la fourrure où l’on coule la caresse ! « Lapin » destiné à celle qui, à 10 ans, perdait des guirlandes tristes de cheveux, abandonnait la douceur d’une chevelure, quelle ironie !

- I’m beautiful in my way… Là, là, là…I’m on a right track baby, i was born this way. Arielle, la mère de la petite fille était premier violoncelle solo de l’orchestre de Radio France qui se trouvait juste à côté, visible depuis l’appartement. A la maison, elle aimait chanter en s’accompagnant de son violoncelle, la pop américaine, les chansons de filles remarquables, de stars libres, des meneuses de shows. Elle adorait Lady Gaga, Beyoncé, Madonna, Dua Lipa, Britney Spears, Taylor Swift, Katy Perry… Elle reprenait leurs titres , en souriant, enlaçant son violoncelle. Elle disait avant et après, « je me balade ».

Ce soir-là, à la veille de la rentrée et sans doute parce que quelques mèches de plus, si claires, si pleines d’enfance, avaient chu du sommet de ce crâne encore tendre de bébé, Arielle chanta ces paroles d’une mère qui, tout en coiffant et maquillant sa fille dans son boudoir, lui rappelle qu’il n’y a rien de mal à s’aimer.

- oh les cheveux blonds crémeux de lady Gaga, maman, moi j’adorerais !

- Ben achète-toi une perruque ! dit Alain.

Le violoncelle grinça et la balade s’acheva. Mais Arielle rit.