Gabrielle

Incipit

Bleu. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il fasse beau, c’était sa couleur. Une blouse bleue, fleurie, protégeait sa robe grise. Le teint buriné rehaussé d’un fichu en mousseline de soie violine sur ses épaules, Gabrielle rayonnait à l’abri du vent, dans sa cour, assise sur un siège de plage pliant devant ses hortensias. Ce devait être l’été. Lequel ? Je ne sais plus. Le temps arase les reliefs. Gabrielle, née Augustine en 1897 ; n’aimant pas Augustine, elle avait choisi d’être appelée par son deuxième prénom, Gabrielle. Elle surgit dans ce présent, mon présent, cloîtré entre ses remparts. Il fait frais aujourd’hui. Je ne sors pas, j’ai refusé une sortie dans le parc à l’ombre des cèdres. Je préfère la fenêtre de ma chambre au troisième et dernier étage de ce centre de rééducation. La forêt nuance ses verts. Les sapins, fiers comme Artaban, semblent se dégager des pentes éclaircies. Quelques nuages en bataille s’accrochent aux crêtes, la dépression passe son chemin, les feuilles tombent, tourbillonnent, se collent aux vitres. Bohèmes d’automne. Elles ont un goût boisé mais les couleurs sont délavées, les années les ont passées. Je plonge aux confins de mon enfance, sur les rivages du Val de Saire. Mes racines. Racines titillées par Histoires, le beau recueil de nouvelles de Marie-Hélène Lafon, que Pauline m’a offert pour mes soixante ans la semaine dernière. Les Mazagrans fleure bon la campagne d’antan ; je sommeille, dérive dans le temps. Les images reviennent peu à peu, chassent les filigranes noirs flottant sur l’écran sombre de mes paupières fermées. Je cherche l’horizon, bleu.

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