Sillages,

Iris Thaumas

Extrait de Paul,

Intrusion à reculons, elle s’immerge dans le monde de sa maman, triant, classant, rangeant dans des cartons son univers — elle ne peut pas jeter. Souvenirs de voyages en famille ; tel quels, elle dépose délicatement dans une malle des bocaux en verre pleins de coquillages sur leur lit de sable et les cale avec de vieux torchons. Une sensation de vide l’étreint. Elle recharge du bois dans la cheminée, tisonne quelques braises machinalement, espérant soulager son malaise. Elle s’affale dans le canapé et feuillette le dernier Paris Match qui traine dans le salon. Aucun vestige de son enfance ne lui échappe. Son regard s’attarde un instant sur eux trois, alignés dans un cadre doré posé sur la poutre au-dessus de l’âtre. Dans l’argentier dont elle vient de vider les étagères supérieures, les albums photos sont là, redoutables. Elle les ouvre, redécouvre des images oubliées. Été 91, avec sa cousine Léa, à la plage. Elle avait quatre ans, Léa, six. Ils resteront dans la vitrine, accessibles.

La chambre exhale la lavande. Par la porte entrouverte de l’armoire, elle aperçoit les vestes élégantes tassées comme des sardines sur leur tringle. À gauche, des paniers de sous-vêtements sont alignés sur une étagère. Dans celui des chaussettes, elle trouve une photo de Bastien. Tout en haut, sur le dernier rayonnage, derrière une pile de draps, un coffret. Des photos de jeunes gens, des colonnes de dépenses et de recettes, comptes de jeune fille, quelques mouettes sur un rivage au crayon à papier, puis des feuilles à petits carreaux arrachées à un carnet à spirale. Extraits d’un journal, sans doute. Un monde inconnu se dévoile. C’était avant. Avant elle.

https://www.librinova.com/librairie/iris-thaumas/sillages