

Le relais
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Le relais
La porte s'ouvre sur un homme vêtu d'un manteau de laine. Le vent s'engouffre dans l'entrée, le temps qu'il la referme.
Je suis installé à ma table habituelle, dos au mur et face à l'entrée ; seul dans la salle à manger du relais.
L'homme me salue.
— Vous pouvez vous installer, dis-je pour le mettre à l'aise. Le patron ne va pas tarder.
— Est-ce que ça vous ennuie si je mange à votre table ?
— Au contraire, ce sera avec plaisir. Ça fait longtemps qu'on n'a pas eu de visite.
On est à quelques semaines du printemps, et le col vient tout juste de rouvrir. L'autre accroche son vêtement au porte-manteau, près de la porte, puis s'approche. Il tient à la main une mallette en cuir que je n'avais pas remarquée, et qu’il pose précautionneusement près de la table avant de s'asseoir.
Il est plutôt petit, bien habillé, la quarantaine, les cheveux bruns.
— Qu'est-ce qui vous amène ici, monsieur…
— Rémy Perrault, enchanté, fait-il en tendant une main que je serre. Je suis représentant de commerce.
Je me présente également.
— Vous êtes le dépositaire d'un très ancien métier, monsieur Perrault.
— Pardon ?
— Les représentants de commerce, ce sont un peu des colporteurs modernes. Vous n'êtes pas d'ici, je me trompe ?
— Non, effectivement, je ne suis pas d'ici. Et vous ?
— Né ici, grandi ici, jamais parti ! Enfin, sauf pour la guerre.
— Oui, comme tout le monde. Mais c'est pour mieux revenir, n'est-ce pas ?
J'acquiesce silencieusement, pensant à ceux qui ne sont pas revenus. Voyant mon trouble et peut-être gêné par le silence, il plonge la main dans sa veste pour en ressortir une carte de visite qu'il pose sur table.
— En ce moment, je vends des bibles et des encyclopédies, dit-il. Mais je sais vendre à peu près tout : ustensiles de cuisine, bonbons, produits ménagers, brosses, linges…
— Une jolie petite collection, je fais en souriant.
— J'ai aussi une autre collection, je collectionne les histoires. Les légendes locales. J'ai un faible pour celles qui parlent de créatures fantastiques…
— Vous tombez bien, c'est pas ça qui manque par ici, en Maurienne.
— Vous en connaissez sûrement une ?
Il me regarde avec cette lueur gourmande dans les yeux, attendant la suite.
— Ça remonte à la guerre. Un soldat en permission. Ce qu'il a vu au Chemin des Dames, il préfère l'oublier, alors il rentre quelques jours chez lui, à Bonneval, où l'attend sa jeune épouse. Rien que de la voir, quand elle ouvre la porte, le fait sourire, et déjà il va mieux. Le couple se retrouve, dîne et va se coucher. Le soldat se réveille en pleine nuit. Il est seul dans le lit, et il entend comme le cri du loup qui hurle à la lune, mais un cri étrange. Il y a aussi des grattements sur les murs et sur le toît. Il appelle sa femme, qui ne répond pas. Pourvu qu'elle soit pas dehors, se dit-il. Il descend et, sans allumer, regarde par la fenêtre. Au clair de lune, il voit passer une forme massive et velue : un loup-garou ! Il prend son fusil, vérifie qu'il est bien chargé et sort. La créature se jette sur lui immédiatement, mais il arrive à la repousser et lui tire dessus. Elle se relève. Il lui tire encore dessus, à bout portant. La bête s'écroule. Alors son pelage tombe et sa forme se modifie. Le soldat s'approche et il comprend que c'est sur sa propre femme qu'il vient de tirer.
— Pas mal, reconnaît Perrault. On m'a raconté aussi celle du Pont du Diable…
— Près d'Aussois, oui.
— Vous savez le plus intéressant, avec ces histoires de ponts construits par le diable ?
Je remue la tête : je n'en ai aucune idée.
— Je vais vous le dire. Je voyage pas mal en France, mais aussi à l'étranger. Hé bien des ponts du diable, j'en ai vu plus que le Bon Dieu peut en bénir, si vous voulez bien me passer l'expression. Comme si le diable avait voulu laisser sa marque partout où les hommes veulent franchir une rivière.
— En parlant de passage, il y a aussi la légende des Hurtières, à Saint-Georges. On dit que le métal qui a servi à forger Durandal, l'épée de Roland, vient des mines de fer. Et que, tout au fond, il y a un passage vers le monde souterrain…
Un cri lointain, à l'extérieur, interrompt notre conversation.
— C'est la pleine lune, ce soir, dis-je en souriant. Il y a une meute de loups, pas très loin d'ici.
Le voyageur n'a pas l'air plus inquiet que ça. Je commence à sentir cette démangeaison familière sur tout le corps et les douleurs aux articulations qui vont avec. Et la faim, de plus en plus forte.
— Je ne vous ai pas tout dit, à propos du loup-garou de Bonneval. Juste avant de tirer une première fois, le soldat s'est fait mordre par la bête.
Ma gorge commence à me faire mal aussi, et ma vision se brouille. Les sons et les odeurs, tout autour de moi, se modifient ; c'est comme si mes sensations prenaient du relief, comme si j'entrais dans une autre dimension.
Mais tous ces signes avant-coureurs de la métamorphose s'arrêtent d'un seul coup.
— J'ai des aveux à vous faire moi aussi, dit l'autre tranquillement, en sortant une deuxième carte de visite de sa veste, qu'il pose sur la table.
J'y jette un œil bien malgré moi. Sur le petit rectangle cartonné on peut voir trois chiffres identiques, blancs sur fond noir.
— Mon commerce principal, c'est celui des âmes, contrats ou pas. On m'a dit, pour l'arrangement que vous avez avec les habitants, qui vous ont laissé l'usage de ce relais abandonné. Ils vous ont demandé de partir, mais vous avez refusé. On m'a prié, littéralement, de venir vous chercher.
Je le regarde avec cette sensation que je n'ai pas eue depuis des années. Gorge et ventre noués, chair de poule, frissons dans le dos : la dernière fois, c'était juste avant qu'elle me morde. Je comprends alors que la transformation n'aura pas lieu, pas en sa présence.
— Allez, venez, fait-il en se levant, reprenant ses cartes. J'aimerais emprunter le pont en repartant vers les Hurtières…


Jackie H vor 6 Stunden
Sait-on jamais vraiment à qui on a affaire ?...