

Chapitre 22 Cashmere - Willow Fanfiction Story
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Chapitre 22 Cashmere - Willow Fanfiction Story
L’endroit était lugubre, sombre, et effroyable.
Un semblant de demeure, sculptée dans une roche noire, respirait la terreur. Aucune lumière naturelle ne filtrait. Seuls les reflets rougeoyants des braises volcaniques éclairaient l’espace.
Kida, âgée de cinq ans, se déplaçait, pieds nus sur un sol de pierres glaciales. L’air était froid. Elle avançait, sa respiration irrégulière, entre-coupée par la peur qui la submergeait. Son petit cœur allait exploser dans sa poitrine.
Elle entendit un cri, une voix qu’elle connaissait, suppliante, apeurée.
— Mère, murmura-t-elle, effrayée.
Ses petites jambes s’élancèrent. Elle courait, ses petits pieds frappaient le sol polaire, ignorant le froid qui mordait sa peau.
Enfin, elle atteignit la chambre.
La porte était entrebâillée.
Elle entra… et la vit.
Elowen était à genoux. Son corps tremblait. Sa robe blanche maculée de sang, ses cheveux d’or, ébouriffés, collaient à son visage en larmes. Malgré la peur qui la rongeait, elle relevait la tête avec courage et force, ses prunelles azur fixant celles de son bourreau.
Azraath.
Imposant, démoniaque. Son regard d’un rouge infernal transperçait la jeune femme. Dans sa main, une lame noire parcourue de symboles pnakotiques.
— Tu n’es qu’une faiblesse pour elle, gronda-t-il d’une voix ténébreuse. L’amour est une entrave et je ne tolère pas les entraves.
— Tu te trompes, rétorqua la prisonnière de sa douce voix. L’amour est la plus grande des puissances. Et un jour, ma fille embrassera cette force en elle.
Le sorcier se figea un instant, une ombre maléfique traversant son regard.
— Je ferai de notre fille, la plus redoutable des guerrières, impitoyable, intransigeante, crainte par tous les royaumes. Jamais elle ne sera affaiblie par tes illusions et ta présence.
— Tu peux m’ôter la vie, mais jamais tu ne lui enlèveras l’amour que je lui ai donné.
Sans un mot de plus, Azraath leva sa lame et transperça le corps de la jeune femme.
— Non !! hurla la petite Kida, ses jambes tremblantes, les larmes brûlantes sur ses joues, immobilisée par l’horreur.
Le sang de sa mère éclaboussa le sol.
Elowen s’effondra.
Kida ne voyait plus que le corps inerte de sa mère, portant les marques d’une violence qu’elle avait subi. Gisant sur la pierre froide, le regard vidé de toute vie, des filets de sang s’échappaient de ses lèvres.
Le sorcier se tourna lentement vers sa fille, tétanisée. Sa silhouette colossale, obscure, ses iris de flammes souillaient son âme.
Les ténèbres jaillissaient de cet être abject.
Kida se réveilla en sueur, suffocante, le cœur au bord de l’implosion. Sa main droite était crispée sur le médaillon de sa mère, tandis que l’autre, s’enflammant d’une lueur orangée, agrippa violemment le cou de Jade.
La guerrière des enfers plongeaient ses yeux de sang dans ceux de la Bone Reaver qui, étouffant sous son emprise, s’accrocha au bras de Kida.
— Kida… C’est moi… Jade, tu as fait un cauchemar… Je t’en prie…
La voix posée et tendre de la jeune femme atténuait lentement les ténèbres qui dévoraient la guerrière. La ramenant à la réalité, sa main perdit sa luminosité infernale et relâcha sa proie.
— Je… je suis désolée jeune Bone Reaver… souffla-t-elle de sa voix rauque.
Jade se massa la gorge, reprenant sa respiration.
— Je t’ai entendue t’agiter, tu veux en parler ?
— Non ! son regard de braise foudroya la jeune femme. Écoute-moi bien, ne cherche pas ni à être mon amie, ni à vouloir me guérir. Tu risquerais de te consumer. Reste loin de moi.
La guerrière se leva brutalement, enragée.
— Réveille les autres, nous devons partir, ordonna-t-elle avant de s’éloigner.
Eldor qui ne dormait pas, se rapprocha délicatement de la chevaleresse.
— Impossible à apprivoiser.
Jade leva les yeux au ciel, exaspérée.
— Ton silence serait parfois le meilleur des cadeaux, lança-t-elle.
*******
Alors qu’ils avançaient, les lueurs de l’aube filtrant à travers les arbres, Kida fermait la marche aux côtés de son frère d’armes. Son regard fixé droit devant elle, mais ailleurs. Son esprit encore tourmenté par les ombres de son cauchemar. La scène s’imprimait encore dans sa tête : le regard de sa mère vidé de toute vie et celui de son père infernal, immonde aux iris d’un feu démoniaque, dévorant l’âme.
Sa main se crispa sur son médaillon, chacun de ses pas était une douleur silencieuse résonnant avec les battements de son cœur. La souffrance se mêlait à sa colère. Au milieu de ce feuillage secoué par le vent, Kida pouvait encore entendre la voix de sa mère suppliante et celle de son père, menaçante.
Aniel l’observait, inquiet, remarquant la manière dont ses prunelles se perdaient.
— Minu idü, ahhâti ? (Que se passe-t-il, ma sœur?)
La guerrière des enfers ne répondit pas immédiatement, ses yeux perdus dans le vide. Après un court instant, d’une voix presque inaudible, elle lâcha :
— Anna mûtsa ussurâ amrâku. (Je l’ai encore vue mourir.)
Ses iris rougeoyants se tournèrent enfin vers son compagnon d’armes et poursuivit :
— Malgré le fait d’avoir vengé sa mort, en le détruisant de mes propres mains, je n’éprouve aucun repos.
Aniel arrêta sa marche et se plaça face à sa sœur, apposant une main conciliante sur son épaule.
— Ma sœur, il y a des blessures qui ne guériront jamais. Nous les enfouissons au fond de nous-mêmes dans l’espoir d’oublier, mais elles sont là, bien présentes.
Son regard se voila un instant, se souvenant de ses propres cicatrices, puis il ajouta :
— Nous apprenons seulement à vivre avec.
Kida souffla, lança un regard furtif en direction de Jade qui marchait aux côtés de Kit et se confia :
— Amursûn ina mûsi querbi ulqû. (J’ai failli la tuer ce matin.)
Aniel arqua un sourcil, intrigué.
— Mänû ulqû ? (Tuer qui ? )
— La Bone Reaver.
Il ne disait mot sachant que son amie n’en avait pas terminé. Les moments de confidences étaient assez rares chez la guerrière. Avec le temps, il avait réussi à ce qu’elle puisse lui faire confiance et s’ouvrir un peu.
— Elle a fait l’erreur de me réveiller dans l’intention de m’aider… mes pouvoirs se sont déclenchés. Elle marqua une courte pause avant de poursuivre : Sa voix... si douce... a eu l’effet d’un baume et m’a permis de reprendre mes esprits.
Aniel éclata soudainement de rire. Un rire franc voire moqueur.
Kida piquée au vif rétorqua :
— Qu’est-ce qui te fait rire ? Je viens de te dire que j’ai failli la tuer !
Il la regarda avec amusement.
— Toi. La grande guerrière des enfers, indomptable, impitoyable, insensible, semble être troublée par une simple voix.
Elle grogna, agacée.
— Tu racontes n’importe quoi !
— Oh, oui bien sûr…
Elle s’apprêtait à répliquer, mais aucun mot ne vint.
— Mais qu’est ce qui m’arrive ! lâcha-t-elle enfin, plus pour elle-même que pour son frère.
Aniel laissa passer un silence puis, haussa légèrement les épaules.
— Je dirais… des sentiments.
Le regard de Kida s’enflamma.
— Des quoi ! Je n’en ai aucun ! Je prends ce que je veux, quand je veux, et si je le veux, elle marqua une courte pause. Mais avec elle… Je n’y arrive pas.
Sa propre confession la troubla. Elle n’avait jamais été confrontée à ce genre de situation, encore moins à un sentiment d’impuissance devant quiconque.
Aniel laissa un sourire en coin flotter sur ses lèvres, avant de s’exprimer.
— Hum, dannu, (intéressant), murmura-t-il.
— Lä tusaqqidanni ana makbatka. (Ne me pousse pas à te frapper,) grogna-t-elle.
— Oh non, chère guerrière, ironisa-t-il, levant les mains en signe de paix.
Son amusement s’effaça laissant la place à un air bien plus grave. Il connaissait Kida mieux que quiconque et savait qu’elle ne laisserait jamais quelqu’un troubler son esprit. Pourtant, Jade était une exception. Il se sentait peiné pour sa sœur d’armes sachant que cette relation était impossible.
— Kida… Tu ne peux pas t’approcher de Jade…
— Et comment veux-tu que je fasse ! Elle m’a demandé de l’entraîner ! Et… si je perds de nouveau le contrôle.
— Tu ne lui feras jamais de mal. Tu l’aurais fait ce matin, la rassura Aniel.
Elle se ravisa.
— Puisses-tu avoir raison. Nous avons un autre problème, mon frère... elle, la princesse. Je dois…
— Non, je m’occupe de la princesse… comme je l’ai toujours fait.
Leurs regards se tournèrent vers Kit, silencieux.
Jade, de son côté semblait elle aussi préoccupée.
— Tu veux me dire ce qu’il ne va pas ?
La voix de Kit la tira de ses tourments. Elle esquissa un sourire qui se voulait rassurant.
— Tout va bien, ne t’en fait pas, répondit-elle calmement.
Mais la Bone Reaver ne pouvait s’empêcher de penser à Kit, à ses cauchemars, à ses accès de violences soudaines, incontrôlables et puis… Il y avait Kida, énigmatique, impressionnante et ce pouvoir en elle, si puissant.
Elle ne pouvait effacer de son esprit, ces iris enflammés, démoniaques, et la chaleur de sa main serrant son cou. Une chaleur qui se répandit dans tout son corps et la brûla de l’intérieur. Elle ne souhaitait pas ébruiter l’incident de la matinée, ni impliquer Willow. Elle ne voulait pas causer du tord à la guerrière. Une seule personne pourrait peut-être l’aider à comprendre : Aniel.
*******
Arrivés à Cashmere, l’accueil fut glacial. Deux gardes en armure sombre, austères, se tenaient devant l’entrée aux portes imposantes et impénétrables.
— Charmant accueil, grogna Scorpia.
Willow s’approcha pour s’annoncer :
— Je suis Willow Ufgood, nous venons voir Hayrald Saigur.
— Sa Majesté a donné l’ordre de n’ouvrir ces portes sous aucun prétexte, déclara l’un des gardes d’un ton sec sans négociation possible.
Le sorcier croisa le regard de Sorsha, perturbé et incompréhensif. Il s’adressa de nouveau aux chevaliers.
— Je suis un vieil ami du roi.
— Les ordres sont les ordres, personne n’est autorisé à pénétrer dans la cité, coupa le chevalier sans ciller.
Cela n’avait aucun sens. Seul le bruissement du vent contre les murailles de Cashmere résonnait en ce lieu troublé.
Kida soupira, à bout de patience, ses doigts effleurant la garde de son épée.
— Ouvre cette porte, ou nous le ferons par la force ! gronda-t-elle.
— Pour une fois, je suis d’accord avec elle, rétorqua Scorpia.
— Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour nous voir interdire l’entrée de Cashmere ! s’emballa Kit.
La tension était à son comble. Elora fit un pas en avant. Son regard se posa sur les gardes avec une autorité nouvelle.
— Allez dire à votre Majesté, qu’Elora Danan, Impératrice des Neuf Royaumes, exige une audience.
Les deux chevaliers se regardèrent interloqués par cette annonce. Ils reposèrent leurs yeux sur Elora qu ne fléchissait pas, droite, impérieuse. Ce fut à ce moment que l’un des deux gardes frappa à la porte qui s’entre-ouvrit et murmura quelques mots à l’oreille de son acolyte dissimulé derrière l’enceinte. La porte se referma aussitôt.
Ils patientèrent.
L’attente était une torture.
Lorsque les portes s’ouvrirent de nouveau, l’espoir d’un accueil plus clément s’éteignit aussitôt. Des soldats armés encerclèrent le groupe.
— Par ordre du Roi, vous serez détenus dans l’une des grandes salles du palais.
Willow, dépité, n’aurait jamais imaginé que son vieil ami en arriverait à une telle hostilité.
— Je vous conseille de ne pas poser les mains sur moi ! fulmina Kida, menaçante.
— Si vous tenez à vos doigts, vous feriez mieux de l’écouter, ajouta Scorpia qui essayait de garder son calme.
— Suivez-nous, ordonna le chef de la garde d’un ton ferme.
Le groupe, contraint et forcé, franchit enfin les portes massives de Cashmere, mais pas en tant qu’invités.
La grande salle où ils furent menés, était vide et froide, seulement éclairée par quelques torches fixées aux murs.
Kida arpentait la pièce comme une louve en cage, furieuse. Le mépris du roi la mettait hors d’elle.
— Ils nous enferment comme des bêtes ! cracha-t-elle.
— Comme de vulgaires criminels, renchérit Scorpia, ses iris foudroyant la porte close.
Willow restait en retrait, perdu dans ses pensées. Il n’arrivait pas à croire que son vieil ami lui refusait une audience.
— Je croyais que Cashmere était l’allié de Tir Asleen, s’exprima Lori.
— Il a tant perdu... répondit Eldor. La trahison des siens. La perte des enfants sorciers. Il ne s’en est jamais remis.
— Nous n’allons pas moisir ici comme des prisonniers, après tout ce que nous avons traversé ! s’emporta Kit.
La guerrière des enfers cessa ses mouvements, balaya la pièce du regard, ses compagnons un à un et ajouta :
— La princesse a raison. Nous allons sortir d’ici. Par la force.
Jade et Kit échangèrent un regard, étonnées.
— Enfin un peu d’action. Je te suis guerrière, s’exclama la cheffe des Bone Reavers.
— Moi aussi, enchaîna Lori. Je commence un peu à rouiller.
— Un peu d’exercice ne nous fera pas de mal, ajouta Lorcan.
— Nous n’allons quand même pas attaquer le roi ? s’inquiéta Jade de la tournure des événements.
La tension dans la pièce monta d’un cran, jusqu’à ce qu’une voix s’éleva, autoritaire.
— Personne n’attaquera personne ! hurla Sorsha. J’ai peut-être perdu mon royaume mais je suis toujours votre Reine ! Aucun d’entre vous ne lèvera la main sur l’ami de mon mari ! Nous allons trouver une solution.
— À oui ! Et quelle solution mère ! Il refuse même de voir Willow !
Sorsha ne répondit pas, laissant un lourd mutisme accablant peser sur le groupe.
L’air se chargea d’une énergie soudaine. Une onde puissante traversa la salle, faisant vibrer les murs.
Elora.
L’Impératrice, exaspérée, venait de perdre patience.
Une lueur intense irradiait autour d’elle, à la surprise de tous.
— Je n’ai pas traversé des batailles, perdu ceux que j’aime, frôlé la mort, combattre mon double diabolique, vu le royaume qui fut ma demeure tomber... pour finir enfermée ici... à vous entendre tous jacasser !
Son regard colérique parcourait chacun d’eux.
— Nous sommes ici pour une raison ! Et nous allons la remplir !
Personne n’osait contredire l’Impératrice.
— Nous allons voir le Roi ! elle se tourna vers Sorsha. Ma Reine, vous venez avec moi.
Sans attendre, elle s’approcha de la porte.
— En tant qu’Elora Danan, Impératrice des Neufs Royaumes, j’ordonne votre Roi de m’accorder une audience sur-le-champ !
Un silence.
Les minutes s’écoulèrent comme un compte à rebours.
La porte s’ouvrit.
— Suivez-moi votre Majesté, le commandant de la garde s’inclina devant Elora.
Le claquement sec des bottes résonnait dans le couloir de pierre.
Le commandant de la garde ouvrait la marche, droit, imperturbable. Derrière lui, Elora et Sorsha suivaient d’un pas agité, soucieuses de l’accueil que le roi leur réserver et comment le convaincre de leur venir en aide.
— Elora, as-tu réfléchis à ta stratégie ?
— Je n’en ai pas la moindre idée. J’espère que votre présence, ma Reine, ravivera en lui des souvenirs et le fera réfléchir, par loyauté envers Madmartigan.
Le chevalier s’arrêta net devant une double porte de bois sombre qu’il ouvrit, révélant la salle du trône. Avant de se retirer, il se tourna vers les deux femmes et déclara d’un ton neutre :
— Majestés, le Roi vous attend.
Devant elles, se dressait Hayrald Saigur, imposant, les bras croisés derrière le dos. Sa silhouette drapée dans une tunique de velours mauve et or évoquait un monarque aussi hostile que ne l’étaient les murs de son royaume. Ses yeux perçants marqués par la colère, pesaient sur les deux femmes.
L’atmosphère était lourde et le silence accablant.
Elora et Sorsha soutinrent le regard du roi, ressentant toute son inimitié.
L’Impératrice inspira profondément avant de prendre la parole, cherchant ses mots avec soin.
— Votre Altesse, nous avons besoin de votre aide.
Hayrald les jaugea longuement de ses iris cristallins avant de prendre la parole, sa voix grave résonnant dans la vaste salle.
— Mon aide ! gronda-t-il d’un ton sec ne laissant aucune place à la courtoisie. Et pour quelle raison devrais-je vous accorder cette faveur… Parce que vous prétendez être la Majestueuse Elora Danan censée nous délivrer ?!
— Mon Seigneur… Je… je sais que vous avez beaucoup perdu. Je sais, plus que quiconque ce que vous ressentez, mais…
Le roi l’arrêta d’un geste bref de la main et détourna lentement son regard vers l’âtre, y cherchant un semblant de réconfort, avant d’ancrer ses yeux cristallins dans ceux de l’Impératrice.
— Vous ne savez rien ! Rien de ce que j’ai vécu. Rien de ce que j’ai perdu ! Rien de tous ceux que j’ai dû enterrer ! dit-il d’un ton glacial et sévère.
Elora baissa légèrement les yeux. Elle pouvait parfaitement comprendre la douleur du roi, mais n’acceptait aucunement son refus de combattre, ni son choix de s’être terré dans son royaume comme un animal apeuré.
— Vous prétendez être le Souverain de Cashmere ! J’ai perdu plus que vous ne pourriez l’imaginer ! Et pourtant, je suis là devant vous à implorer votre aide pendant que vous vous retranchez derrière ces murs par peur d’affronter l’ennemi !
Sorsha s’avança et prit la parole empêchant la jeune femme de continuer.
— Elora !
Elle se tourna ensuite vers le roi.
— Hayrald... Tir Asleen est tombé. J’ai perdu mon royaume, mes chevaliers, mon peuple.
Elle s’exprimait de cette voix qui faisait d’elle la reine qu’elle était, mais avec une grande tristesse.
Le regard du monarque vacilla un court instant. Et, d’un ton plus bas, presque douloureux, il murmura :
— Madmartigan… Il aurait su quoi faire.
— Mon époux n’est plus… par ma faute. Mais, je te demande de venir en aide à... sa… fille.
Sorsha désigna Elora du regard.
Hayrald planta ses prunelles dans celles de l’Impératrice. Sa colère ne s’était pas éteinte, mais une fissure venait de s’ouvrir.
*******
— Que font-ils ! J’ai l’impression d’être enfermée dans cette pièce depuis une éternité ! s’emporta Kida sans cesser d’arpenter la salle.
— Calme-toi ma sœur, fais confiance à l’Impératrice, la rassura Aniel.
— Si une personne peut résonner le roi, c’est bien Elora, intervint Jade.
Les iris rougeoyants de la guerrière croisèrent ceux de la Bone Reaver. L’échange fut bref, Kida détourna le regard, le malaise de la matinée ne s’était pas dissipé.
— Elle pourrait faire plier un roc, ajouta Lori.
Kida grogna sans répondre.
Tout d’un coup, la porte s’ouvrit, des soldats armés entrèrent.
— Suivez-nous !
Les chevaliers avançaient sans un mot. Tous échangeaient des regards interrogateurs, tendus. Kida gardait ses mains sur les gardes de ses épées, prête à intervenir.
Mais, à leur grande surprise, les soldats les menèrent vers une vaste salle, chaleureuse. Une longue table, couverte d’un festin et de coupes de vins qui les attendaient. Hayrald Saigur se tenait, debout, en bout de table. Ce dernier les accueillit d’un signe solennel.
— Approchez. Vous avez traversé bien des épreuves. Vous méritez un moment de paix.
Un silence s’installa. Kida, méfiante fronça les sourcils, jetant un bref coup d’œil à Aniel. Scorpia échangea un regard avec Lori. Kit souffla à demi-mot :
— Je ne m’attendais pas à… ça.
— Où est le piège ? murmura Kida à Aniel.
— Ce n’est qu’un repas, ma sœur. Laissons-lui une chance.
Ils s’assirent les uns à la suite des autres, sans cesser de se jeter des regards furtifs, méfiants.
Hayrald croisa le regard de Willow. Tous deux se fixèrent longuement avant de s’avancer l’un vers l’autre.
— Willow, mon vieil ami. J’ai été dur. Ma colère et mon deuil m’ont aveuglé.
Le sorcier leva les yeux vers le Monarque. Quelque chose avait changé en lui. Ses cheveux avaient gardé leur éclat doré, mais sa barbe était désormais grisonnante et son visage marqué par la tristesse.
— Tu as toujours agis pour sauver notre monde, continua Hayrald. Je ne te tiens pas rigueur de la perte des enfants sorciers. J’aurais dû comprendre la trahison qui se tramait autour de moi.
— Nous avons tous soufferts, Hayrald, répondit Willow calmement.
Le Souverain se tut quelques instants avant de poursuivre :
— Toujours à vouloir sauver le monde. Tout comme jadis, tu marches sur des cendres pour ramener la lumière.
— Mais aujourd’hui, cette lumière et à nos côtés, répondit le sorcier tout en se tournant vers Elora.
— Asseyons-nous. Parlons. Mangeons. Et préparons-nous à ce fléau qui nous menace.
Le repas se déroulait dans le calme, malgré la tension qui pesait sur les épaules de chacun.
Hayrald se retourna vers Sorsha, peiné de la perte qu’elle avait subie et d’apprendre la disparition de son ancien ami.
— Je suis désolé, Sorsha, pour Madmartigan. Peut-être aurais-je dû être présent…
— Ne te sens pas coupable, Hayrald, La seule à blâmer, c’est moi. J’ai envoyé mon époux dans une quête sans espoir. J’ai privé mes enfants de la présence de leur père, Sorsha jeta un bref regard à Kit.
— Que s’est-il passé pour Tir Asleen ?
— Hastur nous a trahis. Il a pactisé avec les ténèbres, la voix de Sorsha ne pouvait cacher sa douleur.
— Ce maudit chien ! Je n’ai jamais eu confiance en lui ! s’emporta Hayrald.
— Ce n’est pas tout, ajouta Willow. La menace est bien plus grande que ce que nous pensions.
— Que veux-tu dire ? questionna le roi.
Devant l’hésitation du sorcier, Elora prit la parole.
— J’ai… créé mon double maléfique.
Hayrald restait silencieux, le regard interloqué. Il attendait. L’Impératrice poursuivit :
— Willow et moi avons utilisé la Malatrium pour sauver un… ami, ignorant les conséquences de cet acte, sa voix se brisa.
— Attendez… Vous êtes en train de me dire, qu’il existe une entité, aussi puissante que l’Impératrice, vouée au Wyrm ?
— Bien plus puissante, murmura Elora, accablée. Nous devons agir, mais seuls nous n’y parviendrons jamais. Il nous faut rétablir une alliance.
— Et pour cela, nous devons tous nous faire confiance, conclut Hayrald d’un ton plus ferme.
Tous les quatre se regardèrent, formant un fragile pacte dans leur silence respectif.
Le repas se poursuivait dans une ambiance étrange, voire pesante. À l’autre bout de la table, à l’opposé du roi, une tension invisible semblait naître lentement.
Raven observait les échanges entre Kida et Jade. Chaque regard que la guerrière évitait de poser sur la Bone Reaver, chaque geste qu’elle retenait avec prudence, et ce silence qui en disait long. Elle se pencha vers Kit.
— Tu ne vois pas ce que je vois, princesse ? lui souffla-t-elle à l’oreille.
Kit arqua les sourcils, sur la défensive.
— De quoi tu parles ?
— Kida n’est pas qu’une simple guerrière. Elle est une prédatrice. Elle sait séduire, attirer à elle ses proies. Regarde-bien… ton amante semble… fascinée par sa présence. Tu devrais agir avant qu’il ne soit trop tard.
Perturbée par ces paroles, Kit posa ses prunelles sur celles de Jade qui lui offrit un sourire doux et sincère. Mais lorsqu’elle croisa brièvement le regard de Kida, ses iris se noircirent un bref instant. Malgré la confiance qu’elle avait envers Jade, la morsure du doute s’insinua dans sa poitrine. Une rage embrasait ses veines, un venin qu’elle essaya de contenir.
— J’ai confiance en Jade, répliqua-t-elle d’un ton sec.
— Je n’en doute pas. Souvent nous refusons de voir ce qui est sous nos yeux, même lorsque cela nous brûle le cœur.
Kit resta silencieuse, suffisamment pour laisser le doute s’engouffrer dans son esprit tel un poison.
De l’autre côté de la table, la guerrière rouge releva les yeux. Ses iris scrutèrent la salle, attentive, et, c’est là qu’elle la vit. Un frisson glacial la traversa, une sensation familière, ancienne… quelque chose d’instinctif, de sauvage.
Parmi les servantes, l’une d’elles versait du vin dans les coupes des invités. Mais ses gestes, son allure, sa démarche… Kida la reconnut aussitôt, même si le temps s’était écoulé. Mais cela ne pouvait être possible parce qu’elle était morte.
Kida se redressa aussitôt.
— Hanni…
La servante releva brusquement la tête. Son visage portait encore les traces du passé, une cicatrice le long de la mâchoire, des yeux d’acier, sombres.
— Kida, murmura-t-elle.
Un vacarme métallique éclata lorsque la guerrière rouge renversa son siège en se levant d’un bond, ses mains sur les gardes de ses épées. En un millième de secondes, les deux femmes se ruèrent l’une sur l’autre. La table vola, les plats s’écrasèrent au sol. Lames tirées, elles s’affrontèrent dans un duel d’une intense violence. Deux fauves, autrefois sœurs d’armes, amantes, devenue ennemies. Les coups pleuvaient, précis, féroces.
— Je te croyais morte, lança Kida, menaçante.
— Pas autant que toi, sale traîtresse !
— Que se passe-t-il ! hurla Hayrald. Gardes !
— Non ! s’interposa Aniel fermement, Que personne n’intervienne, aucun d’entre vous ne pourra la combattre !
— Mais qui est-elle ?! demanda le roi
— Une disciple du Wyrm. Elle fait partie de la Légion Noire, souffla Aniel. Repliez-vous, tous contre le mur ! ordonna-t-il. Protégez le Roi et l’Impératrice !
— Il y en a peut-être d’autres infiltrés dans le palais ! cria Scorpia. Nous devrions être prêts à riposter !
— Il n’y a personne d’autre, rétorqua Aniel. Elle agit toujours seule.
Malgré tout, chacun s’empara de son arme, alerte et tendu.
Elles se battaient avec la fureur d’un passé qu’aucune n’avait oublié. Un combat sanglant, viscéral et brutal. Le fracas des lames résonnaient dans la pièce. Chacune se jetait sur l’autre avec la hargne d’un animal enragé.
— Comment as-tu pu nous trahir ! cracha Hanni
— Ton Maître n’est que ténèbres et destruction. Il a fait de nous des bêtes de guerre, des pantins de sa Légion Noire pour assouvir ses sombres desseins. Tout ce en quoi tu crois n’est que mensonges !
— Foutaise !
Hanni portait des coups violents, rapides, trop puissants pour de simples humains. Ce n’était pas un conflit noble, mais un duel de corps, de sang et de haine. Des coups de genoux, des poings dans le ventre, et le visage. Le sang ne tarda pas à gicler. Kida sentit la lame de son adversaire lacérer son bras. Mais elle repoussa violemment son ennemie contre les parois murales. Ses yeux s’enflammèrent tandis que ceux de Hanni s’assombrirent. Elle s’écria :
— Je vais t’éventrer !
Dans un hurlement, Hanni s’élança sur Kida, mais cette dernière l’évita, lui assenant un coup d’épée à la jambe. Hanni trébucha, mais rien ne pouvait arrêter cette rage qui l’animait. Leur passé venait de surgir au cœur du banquet. Elle la provoqua :
— Toujours aussi indomptable et farouche, comme tu l’étais entre mes bras. Tu adorais ça si je m’en souviens bien.
Elle virevolta sur elle-même, ancrant ses iris d’acier dans ceux de la guerrière. Sa lame effleura les côtes de Kida. Elle poussa un hurlement de rage et bloqua l’assaut. Dans un déchaînement d’une violence pure, elle désarma Hanni dans coup de genoux, et la projeta au sol, faisant gicler le sang de sa mâchoire. Son épée s’arrêta à un souffle de la gorge de son ennemie à terre.
— Vas-y ! Achève-moi ! Guerrière des enfers !
Malgré leur divergence, Kida refusait de la tuer, elle n’y parvenait pas.
Toutes deux se scrutaient. Leur respiration saccadée se mêlait à l’odeur du sang, ignorant leurs blessures, leurs lèvres éclatées, leur corps marqué par les coups. Dans un mouvement brusque, le médaillon, que Kida gardait tout proche de son cœur, glissa hors de sa tenue.
Adossé contre le mur, Lorcan écarquilla les yeux.
— Ce médaillon… murmura-t-il.
Hanni, essoufflée, jeta un coup d’œil au bijou.
— Tu l’as gardé, toutes ces années. Tu n’as jamais pu t’en défaire.
La lame de Kida était toujours posée sur la gorge de son ancienne amante, son regard bestial consumé par les flammes de l’enfer.
Hanni esquissa un sourire cruel, un rictus d’orgueil.
— Tu n’as pas le courage de m’achever, pourtant tu m’as laissée crever sur le champ de bataille !
Kida eut un effet de recul, ébranlée par ces mots.
— Je ne t’ai pas abandonnée, Hanni. Je te croyais morte. Je n’ai pas eu le choix…
— Et combien de temps m’as-tu pleurée, hein ? Combien de jours à te tourmenter ? Tu m’as brisé le cœur !! s’emporta-t-elle.
Profitant de cette brèche, d’un mouvement rapide, Hanni roula sur le côté, attrapa un pichet de vin et le lança en direction de son ancienne compagne. L’objet heurta l’épaule de la guerrière, lui arrachant un grognement.
Hanni se redressa d’un bond, déjà en fuite. Mais avant de franchir les portes, elle lança une dernière flèche empoisonnée à son ancienne amante. Des paroles qui déstabilisèrent la guerrière.
— Ton père sera ravi de te revoir, Kida.
Puis, elle disparut.
Kida resta immobile. Ses doigts desserraient lentement la poignées de ses épées. Son corps tout entier se mit à trembler et son souffle devint irrégulier. Ce n’était pas de la rage, mais une peur, une terreur pure.
— Non… Je l’ai tué, murmura-t-elle.
Elle recula, les yeux perdus dans le vide.
Aniel ne l’avait jamais vue ainsi. Il accourut vers sa sœur d’armes.
— Karûz vethak, Kida ? (Qu’y a t-il, Kida?)
— Zûrnak valûm. (Il est vivant.)
— Väkûr ? (Qui ?)
— Zarthün nashûl. (Mon père.)
D’un seul coup, une voix masculine s’éleva dans la grande salle.
— Toi !
Lorcan s’approcha de Kida, fou de rage, l’arme à la main. Rapidement, Aniel le plaqua contre le mur. Perdu dans sa furie, ce dernier se débattait comme un possédé.
— Tu as brûlé mon village ! Pourquoi ! Pourquoi m’avoir laissé en vie !
— Willow ! s’écria Hayrald. Tu me réclames une alliance mais comment est-ce possible avec des assassins parmi nous ! Gardes arrêtez-les !!!
— Non, Hayrald. Ils sont avec nous, répondit Willow.
— Qui sont-ils, au juste ? insista le roi.
— Ils sont là pour me protéger… au péril de leur vie, intervint Elora.
Kit, qui n’avait pas quitté Kida des yeux, et dont la rage ne s’était pas dissipée, se tourna brusquement vers Jade.
— Je t’interdis de t’approcher d’elle !
— Quoi ! Tu quoi ! s’étrangla Jade.
— Elle.. elle est dangereuse ! Et… Tu es à moi, Jade.
— À toi ?! s’insurgea-t-elle. Qui, ta chevaleresse ou ta compagne ?!
Les nerfs à vifs, Jade s’avança malgré tout vers Kida, posant une main sur son bras.
— Laisse-moi soigner tes blessures.
— Et bien, ce n’est pas gagné, murmura Elora.
*******
Après cette terrible aventure, le roi, furieux, dévisageait Kida et Aniel, avec une méfiance non dissimulée.
— Willow vous accorde sa confiance, tout comme l’Impératrice ! Une meurtrière du Wyrm, infiltrée dans mon palais depuis je ne sais combien de temps, semblait vous connaître ! Qui êtes-vous réellement ?! Notre alliance dépendra de vos réponses et de la confiance que je serai prêt à vous accorder ! sa voix claqua comme un violent coup de fouet.
Kida restait muette, encore sous le choc des derniers mots de Hanni et de sa présence. Elle n’était que tremblements. Ce fut Aniel qui s’avança et prit la parole.
— Mon Seigneur, notre mission est claire : protéger l’Impératrice. Et nous tiendrons ce serment jusqu’à notre dernier souffle.
Aniel se retourna brièvement vers sa sœur d’armes, lui lançant un regard plein de compassion, conscient de ses révélations à venir. Il fit face au roi, et d’un geste calme, abaissa sa capuche. Dévoilant son apparence pour la première fois. Sa peau était gravée de runes anciennes par une magie ancestrale. Ses cheveux, aux reflets d’ocre brûlé, tombaient en mèches sur son visage fermé, impénétrable. Ses iris jaunes, telles des flammes, intransigeants, impartiales, scrutaient le roi. Il poursuivit :
— Oui, nous avons été les assassins du Wyrm, nous avons commis des atrocités en son nom. Croyant en ses paroles, ses promesses, jusqu’au jour où…
Aniel ne put finir sa phrase, les images de sa bien-aimée Thaïs, exécutée devant ses yeux, le hantèrent.
— Jusqu’au jour où ! attaqua Hayrald.
— Nous avons réalisé l’horrible vérité.
Le roi resta immobile, ses prunelles cristallines ancrées dans celles d’Aniel, sans vaciller.
— Et, je suis censé vous croire ! explosa-t-il. Vous faire confiance ! Qui me dis que vous ne nous trahirez pas !
— Parce que c’est moi qui les ai engagés, déclara une voix calme.
Tous se retournèrent vers Sorsha, interloqués.
— Quoi ! s’exclamèrent Elora et Kit à l’unissons.
Sorsha se tourna vers l’Impératrice.
— Lorsque j’ai envoyé mon époux à la recherche de la Cuirasse, je devais te protéger à tout prix. Alors, oui je les ai engagés.
— Comment pouvez-vous leur faire confiance mère ! Ce sont des assassins ! s’emporta Kit.
Soudain Willow intervint.
— Parce qu’ils sont liés à un serment. Ce sont peut-être des assassins, mais ils sont loyaux envers la personne à laquelle ils ont juré fidélité.
Aniel croisa le regard de Willow, un silence qui en dit long.
— Y aurait-il une autre chose que je devrais savoir ? interrogea Elora furieuse.
Aniel et Kida s’observèrent, sans un mot, puis leur regard croisèrent celui de Sorsha qui acquiesça en silence, donnant son accord.
Aniel s’inclina légèrement et parla d’une voix calme.
— Elora. Je suis celui qui t’a fait don de tes pouvoirs.
— Tu es l’homme de l’ombre, à Kyméria ? coupa Willow.
— Oui, avec les fées de the Grove.
— Je crois que nous avons à parler, tonna Hayrald.
Pendant qu’il s’éloignait vers une pièce adjacente en compagnie de Sorsha, Elora, Aniel et Willow, de son côté, Kit, toujours enragée, jetait des regards noirs à Kida. La guerrière serrait entre ses mains, le médaillon de sa mère, sans prononcer le moindre mot, les paroles tournant en boucle dans son esprit : son père était en vie.
Tous les cinq se retrouvèrent dans une petite pièce, assis autour d’une table, Elora face à Aniel.
— Qui suis-je vraiment, Aniel ? Je suis en droit de savoir, supplia-t-elle.
Un long soupir s’échappa des lèvres du guerrier. Il posa son regard perçant dans ceux de la jeune Impératrice.
— Il fut un temps où le Wyrm dominait Andowyn, étendant ses ténèbres, asservissant les daikinis. Kida et moi, étions ses armes, les plus cruels, son ombre, son élite. Puis, j’ai rencontré Thaïs, si douce. Elle a vu au-delà du monstre que j’étais. Elle m’a appris à aimer, à ressentir. Avec elle j’ai découvert le monde lumineux. Je voulais fuir, la sauver. Mais le Wyrm découvrant ma trahison, l’a faite capturer. Et sous mes yeux, Il l’a torturée et brisée lentement afin que je n’oublie jamais chaque cri de souffrance qu’elle hurlait, jusqu’à son dernier souffle. Ce jour-là, je me suis juré de le détruire. Kida s’est jointe à moi, mais sa révolte provenait de sa haine et de sa rage, sa soif de liberté.
Aniel marqua une pause avant de poursuivre, son esprit écorché par ce terrible souvenir.
— Nous l’avons vu tomber. Lentement le monde s’est reconstruit. Mais bien tapi dans ses ténèbres, il attendait. Jusqu’au jour où il trouva une disciple, puissante, facile à corrompre, assoiffée de pouvoir.
— Bavmorda, souffla Sorsha.
— Nous ne pouvions nous permettre de le laisser commettre de nouveaux toutes ses atrocités. Alors, avec l’aide des fées de The Grove, nous avons créé une arme… Une enfant née de la lumière. L’étincelle d’espoir capable de le détruire.
— Moi, murmura Elora.
*******
Dans la grande salle, lourde d’un silence pesant, Kida se leva, sans un mot. Elle ne regarda personne. Elle s’avança vers la sortie mais un garde lui barra le chemin.
— Écarte-toi où je t’étripe ! Où sont les cuisines ? demanda-t-elle froidement.
Le chevalier hésita puis la laissa passer.
— Au bout du couloir, à droite.
Elle traversa le couloir jusqu’aux cuisines. Elle fouilla nerveusement dans les tiroirs, les placards, cherchant de quoi soigner sa blessure. Sa colère et sa peur éclatèrent. Elle balança tous les ustensiles à terre d’un coup sec et foudroyant. La respiration forte, elle s’assit, essayant de retrouver son calme.
Une voix douce la sortit de sa torpeur.
— Puis-je entrer ? demanda Jade posément.
Kida ne répondit pas et ne protesta pas. Elle se contenta d’hausser les épaules.
La Bone Reaver s’empara d’un chiffon qu’elle humidifia dans un sceau d’eau claire et s’assit face à la guerrière.
— Laisse-moi soigner ça.
Jade approcha le tissu des lèvres ensanglantées de Kida, méfiante, elle eut un effet de recul avant de se laisser faire. Toutes deux s’observaient en silence. Kida tremblait, mais cette émotion là, n’avait rien à voir avec sa rage ou ses peurs, s’était autre chose.
— Tu trembles, s’exprima Jade doucement
— Je ne tremble pas, rétorqua sèchement Kida.
Jade continuait son geste tendrement. Son doigt effleura par accident les lèvres de la guerrière qui tressaillit sous ce contact. La chevaleresse se mit à sourire. Un sourire qui ne laissa pas Kida de marbre. Sa respiration se fit irrégulière.
— Qu’est-ce qui te fait sourire ? demanda-t-elle fermement.
— Toi.
— Moi ?!
La jeune Bone Reaver cessa ses soins, ne lâchant pas la guerrière du regard, intense.
— Je sais que derrière cette armure endurcie et sauvage, se cache un cœur tendre et de bonté.
Jade apposa son index sur la poitrine de Kida qui la fit sursauter, ne s’attendant pas à ce geste.
— Je… Je ne suis pas une bonne personne, jeune Bone Reaver. J’ai commis des atrocités que tu ne peux imaginer. Si tu venais à découvrir tout ce que j’ai fait, tu me haïrais et n’aurais qu’une envie : celle de me tuer. Je ne suis que destruction et mort.
— Je ne te crains pas, Kida. Tu es celle que le Wyrm a voulu que tu sois. Celle qu’il a façonnée. Tu aurais pu tuer ton amie, mais tu ne l’as pas fait. Tu as laissé Lorcan en vie, et… tu ne m’as fait aucun mal.
Jade étendit sa paume à l’endroit où battait le cœur de la guerrière :
— Mais là, il existe de l’amour.
Soudainement et brutalement, Kida saisit la nuque de la Bone Reaver et s’empara de ses lèvres avec fougue. Un baiser animal, sauvage. La chevaleresse rompit le contact, reprenant son souffle.
— Kida, je…
— Je suis désolée, coupa la guerrière ne laissant pas le temps à Jade de finir sa phrase. Ça ne se produira plus.
Elle se leva brusquement et quitta la pièce.
— Quelle galère, soupira Jade en se passant une main sur le visage.
*******
La nuit était tombée, le roi Hayrald Saigur invita chacun à prendre un peu de repos dans leurs chambres qui leur étaient attribuées, avant la grande réunion qu’il avait l’intention de tenir au lever du jour dans le but de reconquérir Tir Asleen.
Jade errait dans les couloirs, l’esprit embrumé, incapable de penser. Elle croisa Elora.
— Où est Kit, d’ailleurs, où sont-ils tous passés ? questionna-t-elle.
— Sur ordre du roi, nous sommes tous partis nous reposer. Demain, aux aurores, se tiendra une réunion afin d’établir une stratégie pour reprendre Tir Asleen.
Jade semblait perdue et ne pas écouter un seul mot prononcé par son amie.
— Hé, tu m’écoutes ? Que se passe-t-il ?
— Rien, absolument rien. Où est la chambre de Kit ?
— Au bout du couloir, celle avec les portes sculptées.
La jeune Bone Reaver hocha la tête en guise de remerciement.
Sans un bruit, elle poussa la porte. À l’intérieur, Kit était déjà couchée, dos tourné. Doucement, afin de ne pas la réveiller, Jade se glissa dans le lit et s’allongea contre son amante. Elle passa son bras autour de sa taille, sa main contre la chaleur de son ventre. Avant de fermer les yeux, elle déposa un tendre baiser sur la nuque de sa princesse.
Mais Kit ne dormait pas et ne bougea pas. Ses iris assombris par sa colère qui ne se dissipait pas.
De son côté, Kida entra en trombe dans la chambre d’Aniel, claquant la porte derrière elle, énervée, perturbée, tournant en rond dans la pièce. Aniel la scrutait, incrédule.
— Qu’as-tu encore fait ? demanda-t-il.
— Je… Je l’ai embrassée !
— Tu quoi ?!
Puis, reprenant son calme, il se plaça face à sa sœur d’armes, l’empêchant de faire un pas de plus.
— Kida, tu ne peux pas agir de la sorte envers elle, ce n’est pas une conquête de plus, pas une histoire d’une nuit.
— Je sais ! Je sais ! Et sache que non… et oui…
— Non… Oui… Et si tu te calmais et m’expliquais.
Elle s’approcha d’Aniel et l’attrapa par les épaules avec force, le regard implorant.
— Je perds tous mes moyens lorsqu’elle est proche de moi… Je n’ai pas pu résister, mais je ne la considère pas comme un simple plaisir. Tu comprends ? Dis-moi que tu comprends.
— Oui, oui, je comprends, calme-toi.
Elle le relâcha et s’assit sur le lit, perdue, passant une main dans ses cheveux de feu.
— C’est quoi cette magie qu’elle a sur moi ? Aniel, il faut que tu me désensorcelles.
Aniel s’éclata de rire.
— Je ne peux rien faire contre… l’amour, ma sœur.
— Contre quoi !
— L’amour.
Elle se releva d’un bond et lui prit les mains.
— Il faut que tu trouves une solution. Je me sens trop… vulnérable. Et si je partais, Aniel. Oui c’est ça. Je pars.
Aniel s’empressa de l’apaiser d’un ton ferme.
— Tu es liée par notre serment. Tu ne peux trahir la promesse que nous lui avons faite. Nous devons rester auprès d’eux.
— Et je suis censée faire quoi, moi avec ce truc en moi !

