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La photo jaunie

La photo jaunie

Veröffentlicht am 25, Okt., 2025 Aktualisiert am 25, Okt., 2025 Family
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La photo jaunie

« Mon Dieu, c’est vrai ! Suis-je bête ! J’avais complètement oublié que le quatorze juillet tombait un vendredi, cette année. »

Jérémy Floche était ravi de cette découverte. On était lundi et c’est en lisant la réponse, on ne peut plus ironique, d’un collègue à qui il avait proposé par courriel une réunion « vendredi prochain » qu’il s’était rendu compte de son erreur. Effectivement « vendredi prochain » tombait le jour de la fête nationale et son collègue s’était bien fichu de lui. Il faut mettre à son crédit qu’il n’était pas, à l’inverse de certains de ses collègues, quelqu’un par nature « accroc » à l’optimisation sophistiquée de ses congés en fonction du calendrier. De plus, absorbé par son travail, il avait complètement éludé ce détail républicain.

« Hé bien, voilà une occasion de rester chez moi à faire un peu de rangement de ces cartons qui m’encombrent depuis si longtemps. »


C’est donc le vendredi matin du quatorze juillet qu’il commença l’ouverture de la dizaine de cartons restés en l’état depuis son dernier déménagement (ce qui remontait à pas mal de temps). Outre les multiples papiers administratifs, dossiers, classeurs, vieux chéquiers, vieilles factures, dessins de son fils datant de l’école primaire, quelques bons de garantie d’appareils aujourd’hui hors d’usage ou disparus à jamais, et autres paperasseries, il découvrit tout au fond d’un carton une boîte métallique (une ancienne boîte à sucre). « Tiens ! Je ne me souvenais pas de cette boîte. Qu’est-ce qu’il peut y avoir là-dedans ? », pensa Jérémy. Il ouvrit la boîte en métal en s’aidant d’un tournevis (la rouille avait légèrement soudé le côté gauche) et découvrit un tas de photos très anciennes lui venant sans doute de ses parents. Il prit la boîte et la posa sur la table de la cuisine afin d’en examiner son contenu. En sortant une par une les photographies aux bords crénelés, tout en les regardant avec un brin de nostalgie, il tomba soudain sur une vieille photo de famille datant d’une bonne cinquantaine d’années. En fait il ne la reconnut pas tout de suite et se demandait bien où avait été prise cette photo. Mais quelque chose retenait son attention. C’était une photo de groupe. Et au fur et à mesure qu’il essayait de mettre un nom sur chaque personnage, son émotion allait crescendo : des sentiments encore confus mêlés de nostalgie, de tendresse, d’angoisse, de bonheur aussi. Qu’est-ce que c’était que cette photo ? Il y avait là toute sa famille, ça il le voyait bien, ainsi que des amis. En tout vingt-quatre personnes qu’il avait eues bien du mal à compter (pensez donc ! Une toute petite photo 6X9 en noir et blanc aux bords crénelés – comme c’était la mode à l’époque – et légèrement jaunie par le temps). Bien sûr il avait reconnu son père, tout au fond, sa mère juste devant lui légèrement décalée à sa gauche, et sa tante qui le tenait dans ses bras. Il n’avait que deux ans environ. Et puis, mais oui ! C’était sa grand-mère, au centre, si belle et si digne, tenant un bébé ronchon sur les genoux. Mais où cette photographie avait-elle été prise ? Et quand ? Et tous les autres, qui étaient-ce ? Rien au dos de la photo ne pouvait donner d’indication quant à la date exacte et le lieu. Derrière le groupe, sur la droite en arrière plan, on distinguait les murs et les grandes fenêtres d’un immeuble en brique, typique du nord de la France. Sur la gauche, un parapet en perspective venant jusqu’au premier plan, sur lequel un bel homme (un oncle, peut-être ?) se tenait assis. Et tout au fond, derrière, minuscules fourmis, sans doute à une bonne centaine de mètres de l’appareil, un groupe de gens et, quelque chose comme une plage fuyant vers l’infini. Jérémy alla chercher une loupe afin de mieux examiner les détails. Peu à peu des sensations remontaient à sa mémoire. Jérémy décida de numériser cette photo afin de pouvoir l’agrandir sur un format A4 et la montrer à son père. Lui saurait certainement répondre à ses questions.


Il alluma son ordinateur puis posa délicatement la petite photo sur le scanner et fit plusieurs essais de numérisation jusqu’à obtenir un résultat acceptable. A l’aide d’un logiciel de traitement d’image il essaya d’améliorer le grain et le contraste. Mais finalement, c’était la version initiale qui lui convenait le mieux. Il imprima alors la photo en pleine page, la regarda encore quelques secondes, puis retourna à ses cartons et découvertes. La matinée passa vite. Au point que Jérémy en oublia presque de déjeuner. Vers onze heures, il avait eu envie de se faire un café pour respirer un peu et puis, une chose après l’autre et surtout une photo après l’autre, il était près de quinze heures lorsqu’il regarda sa montre, émergeant de ce passé malgré tout si proche.


Depuis son divorce, il vivait seul avec son grand fils dans ce petit deux-pièces près de la place d’Italie. Mais, le plus souvent, son fils était soit en vadrouille quelque part sur la planète – il travaillait comme pigiste au journal « Rock & Folk » et ce jour-là, il devait couvrir au Texas un concert géant de Ted Karen – soit dormait chez « la fille » du moment, voire même « les filles » du moment. Bref, ce quatorze juillet, Jérémy était seul. Sa faim avait eu tout de même raison de son voyage hors du temps et il décida de mettre le nez dehors, de vérifier que Paris était bien encore sous ses pieds, et de trouver un bistrot ou une brasserie qui veuille bien lui faire quelque chose à manger malgré l’heure tardive. Son choix se fit pour le « Café de la Commune » situé Place de la Commune de Paris et dont il connaissait le patron, à quelques centaines de mètres de son appartement en empruntant la rue de la Butte aux Cailles.


— Hé ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous avez l’air tout chose, questionna le patron du Café.

— Oh ! Rien de grave. Je suis en train de faire des rangements, de trier des vieux trucs, des papiers, et je n’ai pas vu le temps passer. Figurez-vous que je suis tombé sur des vieilles photos… Incroyable ! Ça fait drôle quand même !

— Bon ! Dites-moi, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Il ne me reste plus que du sauté de veau. Ça vous ira ? Avec un quart de Côtes ?

— C’est parfait ! Répondit Jérémy.


Dehors, le soleil brillait de tous ses rayons. Le ciel était un vrai ciel d’été bien clair et bien bleu tout comme les ciels du midi de la France, et sans la chaleur étouffante habituelle des étés parisiens. Sans doute à cause de ce léger vent du nord qui avait chassé les nuages et lavé le ciel de toute impureté. Sur la terrasse, où la plupart des derniers clients avait déjà bu leur café, il faisait juste bon. Jérémy ferma les yeux et se laissa bercer par cette douce lumière. Il sentait sur sa peau la chaleur du soleil la pénétrer et, par intermittence, les filets d’air frais qui venaient rafraîchir la légère brûlure. Le patron le fit sortir de sa langueur en apportant le plat. Jérémy mangea tranquillement. Toutefois, sa pensée revenait souvent sur cette vieille photo qu’il avait extirpée du passé. Une fois son plat terminé, il avala rapidement son café sans sucre, paya et s’en retourna chez lui.

Il continua à remuer papiers et objets quelques dizaines de minutes puis, son attention devenant trop forte, il retourna à son meuble-bureau pour regarder à nouveau la photo dont il avait imprimé l’agrandissement. Sa première intention avait été de passer le weekend chez lui mais, devant cette situation de curiosité nostalgique qui appelait des réponses, il décida de passer un coup de fil à son père. Son idée était d’aller le voir d’un coup de voiture. Il était environ dix-sept heures et, bien que situé à deux cents kilomètres de Paris, Jérémy n’en avait pas pour longtemps pour le rejoindre.

Le téléphone sonna un long moment sans réponse dans la petite maison du père de Jérémy. Comme il faisait beau, celui-ci devait certainement être dans son jardin en train de biner, de planter ou de ramasser quelques tomates ou haricots verts. En effet, depuis la mort de sa femme remontant à cinq ans, le père de Jérémy s’était passionné pour le jardinage et la culture des plantes en général. Son jardin était toujours magnifique et produisait de grandes quantités de fruits et légumes qu’il distribuait aux amis et à ses deux fils. Cette année, pour parfaire ses dons de « main verte » il avait même acheté deux bonsaïs qu’il bichonnait avec tendresse et… dextérité. Jérémy refit le numéro de téléphone puis, sans attendre cette fois, l’appela sur son mobile – il lui avait offert cet appareil à Noël dernier en argumentant « Papa, même si tu es au jardin, on peut t’appeler » pour forcer un peu sa réticence à la technologie moderne. Son père décrocha.


— Papa, est-ce que je peux passer te voir ce soir ? Je coucherai là-bas. Je voudrais que tu voies une vieille photo que j’ai trouvée dans une boîte à sucre. Tu dois t’en souvenir, toi.

— Oui, bien sûr fiston, répondit Victor Floche, toujours ravi de la visite d’un de ses fils. Mais ne roule pas trop vite ! C’est le quatorze juillet, alors… Y a tellement de fous du volant…


Depuis l’horrible accident de voiture qui avait emporté sa femme il y a cinq ans, Victor Floche nourrissait une réelle peur pour ses fils à l’idée qu’ils viennent le voir en voiture. Il préférait de beaucoup qu’ils voyagent par le TGV. Après tout, les quarante-neuf minutes pour faire Paris-Arras représentaient moins de temps que n’en mettaient beaucoup de banlieusards pour rejoindre leur lieu de travail. Et, de la gare à sa maison, il y avait dix minutes de voiture.


Il était près de vingt heures lorsque Jérémy coupa le contact de sa voiture. A part les habituels excités du volant, les quelques camions qui vous déboîtent sans prévenir, sinon au dernier moment, lorsque vous arrivez dessus, ou encore les traînards qui, deux kilomètres à l’avance, se calent sur la file de gauche dans la perspective de dépasser un lointain poids-lourd, le voyage s’était bien déroulé. Le soleil était encore très chaud malgré sa déclivité sur l’horizon et l’air qui avait tiédi tout au long de cette belle journée était tout imprégné des mille odeurs de plantes, de fleurs, de feuilles vertes et d’herbes. Les pigeons d’une maison voisine émettaient leur roucoulement caractéristique en contrepoint avec les aboiements d’un chien d’une ferme plus éloignée. En bas, dans la plaine, l’autorail de Saint-Pol sur Ternoise roulait et le son métallique parvenait par vagues au gré des obstacles et des bouffées de vent. Victor était en train d’attacher ses haricots tarbais aux « rames » lorsqu’il entendit son fils arriver. Il leva les yeux, se redressa, en s’aidant de ses mains dans le dos pour adoucir la douleur de l’effort, et s’avança dans l’allée de gravier pour embrasser son fils.


— Bonjour, Fils ! Ça a été pour venir ? Et c’est quoi cette histoire de photo ?

— Je vais te montrer ça. Mais toi, comment vas-tu ? Répondit Jérémy.

Tous deux pénétrèrent dans la maison tout en discutant du temps, de la santé des uns et des autres, des potins du village et des présentes et futures productions du jardin. Victor ôta ses « caoutchouc » et enfila une paire de chaussons. Il prenait toujours grand soin de ne pas salir le sol lorsqu’il rentrait du jardin, bien qu’il utilisât les services de Suzanne, une voisine de trente ans sa cadette qu’il avait connu petite fille, pour quelques heures de ménage deux fois par semaine. Jérémy déposa sa petite valise et son porte-documents sur la table du salon puis amena à la cuisine un sac isotherme. Il s’adressa à son père :


— Tiens ! Je t’ai amené une langouste pour ce soir. J’espère que t’as rien prévu, hein ?

— Une langouste ? Ça alors ! Mais pourquoi ?

— Figure-toi qu’au moment de partir, ma voisine du dessus sonne à ma porte. Elle avait acheté deux langoustes pour fêter la réussite de sa fille au concours d’entrée de HEC avec des amis de Dijon et ceux-ci sont tombés en panne sur l’autoroute à cinquante kilomètres de chez eux, paraît-il : allumage électronique ou quelque chose comme ça. Impossible de venir : remorquage dans un garage en plein bled, taxi, faut faire venir la pièce d’Allemagne, etc.… Ma voisine se retrouve donc avec deux langoustes sur les bras. Bref, j’abrège. Alors elle m’en a donné une. Je m’en occupe.

Jérémy mit la langouste au feu et revint dans le salon. Il sortit de son porte-documents la fameuse photo qui l’intriguait tellement depuis le matin et la tendit à son père. Celui-ci chaussa ses lunettes, alluma le lampadaire et commença à inspecter la photographie. Jérémy attendit sans un mot.


— Ah ! Mais je reconnais ! C’est Cabourg. Ce devait être en… attends voir… en… 1954 ! C’est ça : juillet 1954 à Cabourg. Je comprends que tu ne te rappelles pas, tu avais deux ans !


Jérémy eut un léger froncement de sourcils. Ce « tu ne te rappelles pas » autoritaire l’avait vexé. Car, justement, il se rappelait. Enfin, pas vraiment. C’était flou mais il y avait quelque chose dans sa mémoire qui l’avait troublé : des bribes de perception, des émotions, des échos de voix, des odeurs peut-être, des images furtives encore incertaines, mais il se rappelait. Il avait juste besoin d’aide pour éclaircir tout à fait ce moment intense suspendu dans le temps. Cinquante deux ans s’étaient écoulés et pourtant l’émotion était encore là. Intacte. Enfouie, à demi-effacée, encore lointaine, mais intacte. Sur la photo agrandie, on distinguait très nettement le regard inquiet de Jérémy, la tête tournée vers sa mère. Comme s’il avait peur qu’elle ne l’abandonnât aux bras de sa tante. Et puis il y avait aussi ces trois petites filles, toutes trois habillées du même modèle de robe en laine tricotée, blanche avec deux rangées de fines bandes multicolores en bas, un haut carré avec un retour de tissu faisant bustier, maintenu par de très fines doubles bretelles. Sur la droite, il y avait l’aînée, brune avec des lunettes et un air d’écolière modèle, sans doute âgée d’environ treize ans, posant une main sur l’épaule de sa sœur plus jeune (onze ans peut-être ?) blonde comme les blés et semblant déjà affirmer sa beauté. Au centre de la photo et au premier plan, assis devant la si belle grand-mère que Jérémy avait tout de suite reconnue, et ce bébé ronchon sur les genoux, il y avait un couple tenant chacun un enfant. A gauche, et juste derrière eux était la troisième petite fille dont la tête était tournée vers la gauche. Brune comme l’aînée, elle devait avoir environ huit ans. Son regard était fixé sur Jérémy et toute son attention était manifestement portée sur ce bébé de deux ans. L’émotion grandissait au fur et à mesure que Victor identifiait chacun des différents personnages : « ton frère… ta tante Yolande… Monsieur et Madame Ophuls et leurs petits… là ce sont tes cousines germaines Henriette, Justine et Amélie… dis-donc tu as vu comme elle te regarde, Amélie ». Amélie ! Ce nom claqua dans le cœur de Jérémy. Ses souvenirs commençaient à se préciser. Amélie, c’était la petite fille qui, durant cette période de vacances, le promenait. Elle s’en occupait comme d’une poupée. Elle le faisait manger, le faisait courir, lui lavait les mains, lui procurait mille jeux pour le divertir : les balançoires du jardin d’enfants, les croquis qu’elle lui dessinait, les découpages à la maison par temps de pluie... Jérémy se souvenait de tout à présent. Elle le prenait dans ses bras, le berçait, lui chantait des chansons. Il se rappelait l’odeur de son cou, de ses cheveux, sa tendresse lorsqu’elle lui faisait de petits bisous. Une seconde maman, plus tendre peut-être, avec quelque chose de différent. Un sentiment plus proche de l’amour, autre. Soudain, Jérémy eut exactement la vision de l’instant où la photographie avait été prise. Il n’était plus assis, là, dans le fauteuil du salon. Il n’était plus avec son père qui pourtant était si ému de revoir sa femme sur la photographie. Il n’était pas non plus dans la feuille de papier. Il était le 7 juillet 1954, le matin vers onze heures, à Cabourg, au milieu de ces vingt-quatre personnes et il n’avait qu’une pensée : Amélie ! Il se souvenait de tout. Exactement. De chaque seconde. Du « clic » du photographe. Du regard furtif qu’il avait porté à sa mère pour s’assurer qu’elle ne remarquât point qu’Amélie le regardait amoureusement. Oui, c’était ça son inquiétude. Il repassait dans sa mémoire chaque seconde qui aurait eu une durée infinie. Il régulait le temps de chaque image, à son propre rythme. Il pouvait même revenir en arrière, comme avec une cassette vidéo, et repasser les secondes pour les déguster encore. Il n’entendait plus son père qui continuait à raconter les personnages.


L’eau de la marmite se mit à déborder du couvercle avec un bruit « pcshiii » sur la plaque et une forte odeur de brûlé. D’un bond, Jérémy se précipita et ôta le couvercle. Il réduisit le thermostat de moitié et revint auprès de son père. Il vit alors qu’il avait pleuré et cela l’émut. Il lui demanda s’il avait encore des contacts, s’il connaissait les adresses de la plupart des personnages de la photo encore vivants, d’une part pour extraire son père de ses émotions et, d’autre part, avec l’idée qu’il aimerait les rencontrer et leur montrer cette photographie de Cabourg, ne serait-ce que pour connaître leur réaction. Peu à peu la thérapie marchait et Victor finit par sortir de son chagrin. Jérémy fit également des efforts pour rester dans le moment présent en écoutant son père lui raconter l’histoire de chacun. Tout en l’écoutant, il fit rapidement une mayonnaise et éplucha quelques feuilles de salade. Puis il décida de mettre la table et invita son père à la dégustation de la fameuse langouste.


Le lendemain, avant le départ de Jérémy, son père lui donna la liste d’une dizaine de personnes dont il avait encore les adresses et pour certains, les numéros de téléphone. Jérémy plia la feuille et l’empocha. Il s’assura que cette épreuve de mémoire n’avait pas trop ébranlé les souvenirs de son père et démarra.


* * *


Lorsqu’il sonna à la porte ouvragée, Jérémy eut une soudaine bouffée de trac. Elle habitait une grande maison de ville datant du milieu du XVIIIe siècle, à Meaux, presque adossée à la Cathédrale. Jérémy s’était préparé à découvrir une femme de soixante ans, de six ans son aînée. Une cousine germaine qu’il n’avait pas revue depuis ces merveilleuses vacances à Cabourg où il n’avait que deux ans. Une femme qu’il ne pourrait donc pas reconnaître, sans doute aux cheveux gris et au visage éprouvé par le temps. Lorsqu’il lui avait téléphoné quelques jours auparavant pour lui annoncer sa visite, il avait trouvé sa voix chaleureuse et gaie. Il lui avait parlé de cette fameuse photo qu’il désirait lui montrer. Elle avait semblé très intéressée, heureuse de cette retrouvaille si tardive, et impatiente de ce rendez-vous. Pourtant Jérémy avait le trac et avait hésité un instant, le doigt sur le bouton de la sonnette. La porte s’ouvrit. Jérémy se trouva face à une jeune femme de soixante ans, au teint frais, aux cheveux auburn, aux yeux très clairs, qui lui souriait chaleureusement. Elle portait un jeans blanc avec une ceinture dorée et un chemisier prune au col festonné. Ses formes étaient très légèrement arrondies, sans plus. Lorsqu’elle l’invita à entrer en lui faisant la bise, Jérémy reconnut immédiatement le son de sa voix. Doux, chantant, caressant. C’était sa voix. Plus grave peut-être. Avec ce très léger accent artésien. C’était bien cette voix qu’il avait enregistrée tout au fond de sa mémoire de bébé.


Le jardin carré était entouré de murs anciens tapissés de vigne vierge rouge sang. Le sol était jonché de feuilles jaunies tombées des arbres. Le soleil réchauffait les bouquets de buis et de romarin qui bordaient les allées, exhalant leur odeur forte. Outre quelques cris d’oiseaux, on n’entendait que le clapotis du jet d’eau dans le petit bassin au centre. Amélie balaya d’un geste de la main les feuilles de marronnier tombées sur la table en fer forgé. La température était encore tiède en cette fin d’après midi ajoutant à la sérénité de ce jardin. Ils parlèrent des heures jusqu’au coucher du soleil, jusqu’à ce que le froid de cette fin d’octobre les pousse à regagner le grand salon au plafond immense et décoré. Amélie lui raconta sa vie, ses enfants, son veuvage. Puis la conversation se fit plus intime au fil des heures jusque tard dans la nuit et se poursuivit… le lendemain dimanche.

Lorsqu’Amélie annonça à Jérémy « on a beau être cousins germains, je crois qu’à nos âges il n’y a plus beaucoup de risques ! » il éclata d’un grand rire sonore qui lui fit venir les larmes aux yeux. Leur complicité était totale et le bonheur se lisait sur leur visage.

— Tu sais, Amélie, c’est mon fils qui va être content. Le deux-pièces pour lui tout seul ! Enfin… Tout seul, c’est à voir ?


FIN

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